GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 03/2010

L'Equerre et le Compas

Comme quelques milliers de sœurs et de frères ont déjà du le faire avant moi, je vais essayer à ma façon de vous parler de l’équerre et du compas.

D’aussi loin que je me souvienne, mon esprit inapte ou en tout cas peu enclin à la compréhension des mathématiques, a toujours qualifié ces drôles d’objets en plastique transparent et en acier à pointes acérées d’instruments de torture. Plus tard, mon père menuisier a tenté sans grande conviction de m’en démontrer l’utilité et le génie pour finalement me les confier à son départ. Propriétaire indifférent de ces joyaux, j’ignorais qu’un jour j’en deviendrais le gardien et en étudierais la symbolique.
Il n’est pas un ouvrage maçonnique qui ne parle de ces deux instruments ; l’équerre et le compas. Rapporter ex cathedra, les différentes définitions découvertes ça et là, semble aisé.

Alors douloureusement, me rappellent à l’ordre les limites de mon éveil septentrional et toutes les lacunes relatives à cet état ; car exprimer le sens exact de ce que l’on dit suppose une totale compréhension des mots et dans le chemin maçonnique qui nous unit, il ne suffit pas de lire pour comprendre mais bien de vivre la connaissance pour la partager...

A l’époque de PYTHAGORE et son hypoténuse, de TALLES et son théorème (qui hante encore sûrement aujourd’hui certaines nuits collégiennes) 5 siècles avant J C, fut inventée l’équerre par un architecte du temple d’Éphèse, THEODORE DE SAMOS puis 1 siècle plus tard le compas. La première, fixe, du latin « exquadraré » rendre carré ou équarrir, sert à tracer les angles et réunit de la sorte l’horizontale et la verticale. Le second, mobile, du latin « compassarer » mesurer avec le pas, sert à
dessiner les cercles et à rapporter des mesures. La géométrie sans ces outils existe et se nomme projective ou de perspective mais bien mal m’en prendrait de vous en expliquer aujourd’hui les détails et ceci vaut également pour TALLES et  PYTHAGORE.

Cette science mathématique si utile à l’édification de toutes les merveilles du monde, des pyramides égyptiennes, aux cathédrales du moyen âge et aux palais de la renaissance, est le point de rencontre entre le concret et l’abstrait, notions parfois hermétiques à notre entendement comme l’intersection du ciel et de la terre : on parle là de géométrie sacrée, vitale, essentielle à l’étude du processus de création et d’un coup, les outils dont se sert le géomètre prennent une autre dimension ! Oui mais, demandons à un pilote d’hélicoptère par exemple, combien de temps lui faut-il pour étudier ses instruments de bord avant de s’envoler ?!..

Alors revenons aux instruments c'est-à-dire à nos outils, mais auparavant au symbole maçonnique. Ici tout est symbole ; et la littérature consacrée à ce sujet est pléthorique, parfois extravagantes certaines interprétations (comme par exemple celle freudienne selon laquelle le vénérable tient le rôle du père qu’il faudra tuer).. Dans son ouvrage « à la recherche du secret maçonnique » LOUIS MARIE ORESVE me parait exprimer en une phrase l’interprétation personnelle du symbolisme : « il convient de travailler sur l’ouverture de son cœur pour une écoute attentive de ce qui vient d’en haut et devenir le berger de l’être qui utilisera le symbole pour exprimer l’ineffable ». Tandis que dans le monde profane, la règle et l’équerre sont les deux instruments type du tracé géométrique, en maçonnerie, en géométrie symbolique le couple équerre/compas semble indissociable.

Dessus, dessous, entrelacés, ces deux joyaux appelés les deux grandes lumières de la loge après la bible, l’apprenti, le compagnon puis le maître n’aura de cesse de les découvrir, de les comprendre et de les imiter... De les découvrir d’abord au centre du naos ,équerre sur compas, ce qui représente et cela même pour un profane observateur, la rectitude, le raisonnement sur l’infini de la pensée et de l’esprit. Ses pieds formant un angle droit et ses membres formant à l’ordre une équerre, l’apprenti déjà en quelques sortes « s’équarrit » Puis il va connaître, compagnon, l’équerre croisée avec le compas, la conjugaison de l’esprit et de la matière puis l’esprit maîtrisera la matière, compas sur équerre, quand plus tard il obtiendra la maîtrise de ses outils pour cette fois les devenir. Autrement dit se mettre d’équerre et ouvrir son compas, voilà à mon sens la représentation physique de l’outil devenu homme, ce en quoi en tout cas, ce couple indissociable diffère des autres outils. Il est peut être l’addition de la réflexion et de l’action, de la raison et de l’intuition, de l’énergie active et passive du corps et de l’âme.

Le ciseau qui permet la sculpture et l’art de dégrossir sa pierre, le maillet, l’intelligence pour appliquer cet art, la règle qui mesure l’ouvrage effectué, le levier qui permet de mouvoir des charges au dessus de ses forces, le fil à plomb servant à l’équilibre dans la verticale et le niveau dans l’horizontale, la truelle qui lie les pierres entre elles, lisse et finit les derniers travaux ; autant d’outils qui symbolisent les qualités nécessaires à l’éveil spirituel de la conscience humaine et leur succincte définition demande bien évidemment une étude pour chacun d’eux beaucoup plus approfondie.

L’apprenti que je suis devra acquérir pour cela une des plus grandes qualités de la sagesse vers laquelle il se dirige, la patience car, comme le dit dans son livre « symbolisme ésotérique » MASSIMO CENTINI , « il ne suffit pas de voir mais d’observer » Sur mon chemin profane de modeste chercheur de lumière, j’ai acquis des connaissances ou notions spirituelles dans la méditation, le yoga, le reiki, ou encore le Feng shui en lectures et discutions. A toutes ces recherches qui m’ont bien sur permis d’éveiller ma conscience, il manquait la bonne direction, je veux dire l’exacte direction calculée grâce aux outils dont on se sert et que l’on est pour se situer, s’apprendre et se comprendre dans la même direction sacrée où s’enchevêtrent les moyens de sa réalisation pour s’éveiller justement à la lumière. C’est grâce à l’étude de ces deux outils aujourd’hui (étude qui en préfigure bien d’autres) que je devine le chemin désormais balisé qu’il me faut prendre, humblement, comme l’ouvrier que je suis ; et je voudrais vous proposer pour conclure quelques lignes d’un poème d’ÉMILE VERHAEREN du début du siècle intitulé « le menuisier » qui nous dit avec beauté combien longue est la route...

Le menuisier du vieux savoir fait des cercles et des carres
Tenacement pour démontrer comment l’âme doit concevoir
Les lois indubitables et fécondes qui sont la règle et la clarté du monde
A son enseigne, au coin du bourg, là-bas, les branches d’or d’un grand compas
Comme un blason sur sa maison, semblent deux rais pris au soleil
Le menuisier construit ses appareils -tas d’algèbres en des ténèbres-
Avec des mains prestes et nettes, et des regards sous ses lunettes
Aigus et droits, sur son travail, tout en détails
Grâce à de pauvres mécaniques et des signes talismaniques
Et des cônes de bois et des segments de cuivre
Et le texte d’un pieux livre traçant la croix,
Par au travers, le menuisier dit l’univers.
Matin et soir, il a peiné les yeux vieillots, l’esprit cerné
Imaginant des coins et des annexes et des ressorts malicieux
A son travail chinoisement complexe où, sur le faite, il dressa Dieu
Il rabote ses arguments et taille en deux toutes répliques
Et ses raisons hyperboliques trouent la nuit d’or des firmaments
Il a taillé, limé, sculpté une science d’entêté
Une science de paroisse sans lumière, ni sans angoisse
Si bien qu’au jour qu’il s’en ira son appareil se cassera
Et ses enfants feront leur jouet de cette éternité qu’il avait faite
A coups d’équerre et de réglette.

Un F de RL Athanor

Publié dans le Bulim - Bulletin N° 16 - 31 Mars 2010  -  Abonnez-vous

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