GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 02/2010

Egratignures

La différence entre une pierre lisse et une pierre rugueuse se traduit aussi par les égratignures que la seconde laisse sur la peau du tailleur, subtils messages de son imperfection.

Avec du temps, un travail régulier et de la patience, l’ouvrier passe ainsi des blessures aux écorchures, des éraflures aux griffures, de moins en moins graves et de moins en moins fréquentes, mais toutes le marquent dans sa chair.
Et pourtant, si intenses qu’elles puissent parfois l’être, ces souffrances du corps sont bien moins douloureuses que les blessures de l’ego ! Orgueil, arrogance, vanité, morgue ou suffisance, peu importe en fait comment nous nommons cette carapace de certitudes, si dure à l’intérieur qu’elle peut rendre sourd ou aveugle, si tendre à l’extérieur que le moindre souffle contraire et contrariant peut la déchirer jusqu’à la moelle et nous faire hurler de rage.

Mais revenons à la pierre.
Comment puis-je savoir à quel point elle est lisse et polie si je ne la rapproche pas des autres pierres ?

Comment puis-je connaître mon degré de progression et la solidité de mes convictions si je ne me confronte qu’à celles et ceux qui sont à priori d’accord avec moi ?
Oui, je sais, deux points de vue ne sont jamais totalement identiques, ils ne font que se confondre pendant un temps plus ou moins long. Mais au delà de ces moments heureux où nous pensons tous de la même manière, où toutes les pierres semblent douces les unes aux autres, les déconvenues et les déboires nous guettent si nous nous berçons de l’illusion du lisse.

Il faut des mois et des mois de polissage aux chamoisines industrielles pour que les lentilles de verre d’un télescope permettent d’entrevoir l’univers. Il faut des années de polissage intensif pour que la pierre taillée permette de côtoyer l’univers de l’autre sans que la moindre aspérité nous fasse saigner.

Mais le lisse n’existe pas vraiment et n’importe quel bon microscope nous le prouve, tout n’est qu’aspérité et rugosité ; ce n’est qu’une question d’échelle et de sensibilité.

Il faut bien alors admettre que la pierre qui nous blesse n’est qu’à moitié coupable et que la chair qui se laisse faire l’est sans doute tout autant. Et tous ces cris de douleur, ces hurlements indignés, ces vociférations justifiables et parfois justifiées, ne sont alors que de petit « aïe ! » insignifiants qui nous indiquent avec violence que nous nous sommes légèrement égratigné et qu’il convient parfois d’écouter la souffrance de l’autre sans penser à nos petits bobos.

Une Sœur de la RL Athanor - GLFM

Publié dans le Bulim - Bulletin N° 15 - 28 Février 2010  -  Abonnez-vous

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