GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 11/2009

La Pierre Cubique à pointe

« Le géomètre fou posa un point sur le papier, battit des mains et rit. Il en fit partir une courbe dont il jubila d'abord et puis qu'il prolongea avec application, tirant le bout de la langue. Le cercle refermé soudain il pleura. Et tel nous sommes, qui faisons fête pour un enfant qui naît et qui pleurons la mort de notre mère ».

Je n'ai pu résister à vous faire partager ces mots de Lanza Del Vasto, tant ils résonnent en moi depuis que je travaille à la construction de la pierre cubique à pointe.

Après avoir fait de mon mieux pour dégrossir ma pierre brute, à l'aide du ciseau et du maillet, durant mon apprentissage, il ne me restait plus qu'à la polir avec les outils d'apprenti - Compagnon. J'ai dû, pour cela, faire plusieurs essais au propre comme au figuré, curieusement en analogie à des ajustements très concrets que j'ai opérés consciemment dans ma vie initiatique et profane. Tout d'abord je n'ai rien vu qu'un tremblement de terre, un enchaînement d'écroulements comme dans la lame XVI de la Maison Dieu du Tarot. Surtout, ne pas se retourner, rester debout silencieusement. Et puis, rentrer les épaules, avancer avec force, courage, volonté, guidée par la petite lumière de l'Espérance, du but entrevu. Et par-dessus tout, la Foi inébranlable d'être sur le bon chemin, confortée par une petite voix têtue et surtout portée par la Fraternité sans faille des amis et de vous tous mes Frères et Soeurs de coeur et de sang. Faire table rase et tout recommencer! Je me fais l'effet d'un oignon au sortir de l'hiver, pelé mais entier! Combien de mutations, transformations me faudra-t-il encore affronter avant d'atteindre le noyau ? Je ne sais! En attendant « Fais ce que dois, advienne que pourra » !

Telle était la maxime des maçons opératifs, Compagnons du Devoir, ceux-là même qui ont élevé au Moyen Age les églises et cathédrales grâce à la transmission du Savoir de l'Antique Tradition de l'Ancienne Egypte.

En Franc Maçonnerie, La Pierre Cubique à pointe est constituée d'un cube surmonté d'une pyramide. Le cube, un des 5 corps platoniciens, représente l'élément Terre, La Matière : tout dans le monde manifesté est volume. Les autres corps sont le Tétraèdre, premier des cinq corps platoniciens. Celui-ci symbolise le Quaternaire de la Tri Unité Divine inscrite dans un cercle, ou l'interaction de l'Esprit ( 3) sur la Matière : (4 ) qui engendre le 7, ou l'évolution de la vie physique dans l'Univers. Le Cercle représente l'Unité contenant le Tout dont le nombre PI : le Feu est donc l'élément qui symbolise le Tétraèdre. Les autres corps platoniciens se manifestent dans l'Octaèdre (symbole de l'Air), l'Icosaèdre (symbole de l'Eau ) et le Dodécaèdre (celui de l'Univers ou Homme cosmique). Chacune de ces figures symbolise un Principe Originel. Le cube, qui se compose de 6 faces carrées, a 8 sommets et 12 arêtes dont 3 se rejoignent en chacun des sommets. Les 4 côtés symbolisent le quaternaire des éléments, soit les quatre côtés du Temple. La pyramide au-dessus du cube contient, à la fois le 3 (arêtes en triangle) Le 4 (nombre de faces et arêtes de bases,) soit les 4 qualités des éléments : chaud, froid, sec, humide. Les quatre éléments supérieurs ont donc, pour nombre secret, le 7.

La pointe de la pyramide est le point central où convergent les 4 éléments supérieurs : De la Terre au Ciel ( la Matière aspire à l'Esprit) , du temple Extérieur au temple Intérieur, et du Temple Intérieur au Temple Universel, de l'amélioration de soi au don de soi, d'Eros à Agapé.

Cette pierre, imparfaite par nature, doit être taillée par chaque initié afin d'intégrer la Construction Universelle Collective. Mais toute réalisation concrète doit d'abord être élaborée dans la pensée, par un tracé dans le plan. Ce tracé obéit à la Science des Nombres, à la Géométrie.

Quatrième des Arts Libéraux, (Art proposé au cours du 3ème voyage du Comp.), la Géométrie est omniprésente dans les symboles du rituel et du Temple.

Apprenti, mon âge était de 3 ans. Puis, j'ai eu 5 ans en devenant Compagnon. Lors de la cérémonie d'augmentation de salaire, j'ai fait 5 voyages rituels en utilisant mes 5 sens, et j'ai pris connaissance des 5 cartouches ; puis j'ai frappé 5 fois dans mes mains pour la batterie d'acclamation et appris la marche de mon grade qui est de 5 pas. Les 5 épreuves rituelles correspondent à nos 5 sens que je dois apprendre à maîtriser, à diriger et maintenir dans la voie droite. La seule façon de construire mon temple intérieur est de rendre mes actes conformes à mes pensées, l'extérieur à l'intérieur, et relier toutes les branches de l'étoile dans un mouvement de spirale ascendante. « Notre corps est la seule chose que l'on sente à la fois du dehors et du dedans. C'est donc la seule clef qui puisse nous donner accès à la signification, à la connaissance de soi, des autres et de la Nature. Toutes les créatures ont leur écho dans notre corps, comme le bruit de la mer dans la conque. Seul, l'esprit n'est pas contenu dans le corps. Comment serait-il contenu dans le corps , celui qui s'étend par-delà les étoiles ?»(Lanza del Vasto). Pour les pythagoriciens « Tout dans l'Univers, est ordonné par le Nombre ».

Les Nombres Premiers : de 1 à 9 n'étaient pas tant des chiffres que des Nombres Puissances, les « Neters « des anciens Egyptiens : êtres vivants incarnant la Loi de Maât : « Juste de pensée, juste de parole et juste d'action ». Dans l'Ancienne Egypte, la Maât incarnait l'Ordre immanent à l'Univers et à la Vie, la Règle Universelle de justesse et d'harmonie. Sur le sarcophage d'un prêtre de Saïs, figure le texte suivant : « Je suis UN, qui devient Deux, je suis Deux qui devient Quatre, je suis Quatre qui devient Huit, mais je suis toujours UN dans ces transformations ». Pour Louis Claude de Saint Martin, « les nombres ne sont que la traduction des vérités et des Lois dont le texte est en Dieu, en l'Homme et en la Nature ». En Géométrie sacrée, le Un ne représente pas une quantité, mais englobe le Tout ou le « Non Manifesté », dont tous les autres Nombres procèdent et retournent : géométriquement , le Point.

Le 2 issu du UN, principe du Binaire, la dualité qui est loi du monde manifesté, le blanc et le noir du Pavé mosaïque, la lumière et les ténèbres, le Soleil et la Lune, les Colonnes B et J, géométriquement : La Ligne.

Le 3 est la manifestation du Un par le 2 : le Ternaire, Principe dynamique et organisateur, ou le Manifesté en action. Mais aussi les 3 Etats de la Matière : solide, liquide et gazeux, les 3 grandes Lumières (volume de la Loi sacrée, équerre et compas).

3, c'est le triangle, géométriquement : l'hypoténuse du Triangle rectangle de Pythagore ou triangle Isiaque :

Osiris (3) principe masculin, Isis (4 à l'équerre ), principe féminin, et Horus, 5, l'hypoténuse surnommée par les Pythagoriciens : l'Invincible, la pensée créatrice, le coeur qui conçoit. Puis le nombre 4 du plan carré, devient en volume un cube, le manifesté en devenir d'action. La Divine Tétraktys, la Décade issue de la somme des quatre premiers nombres, était vénérée par les Pythagoriciens. En travaillant les symboles de mon grade avec mes sœurs et frères Comp.: j’ai appris que cette pierre devait être construite d’après le Nombre d’Or ou Divine proportion. Celle-ci, qui n’est autre que la Loi d’Harmonie du Principe de Création, était un des secrets majeurs des confréries de bâtisseurs.

Tracer, n’est-ce pas donner forme, manifester ce qui n’existe pas encore sauf à l’état de principe ?

L’art de bâtir, comme toutes les formes d’art Sacré, était fondé sur la Géométrie Sacrée. Le nombre d’Or est la clé qui voit se superposer en une seule image, un unique idéal de construction : le Temple, l’Homme et la Pierre cubique à pointe : « à l’image du ciel même ». Par analogie, le carré long, l’Etoile Flamboyante et la Pierre cubique.

Ainsi, pour construire la pierre cubique, symbole du Comp.: , on doit tracer l’Etoile Flamboyante en partant du carré long.

L’Etoile flamboyante est associée au symbole du pentagone dans lequel elle s’inscrit comme dans une matrice. Le nombre 5 est bien le nombre du vivant, du microcosme au macrocosme. On le retrouve dans la structure de l’ADN. Ce n’est pas pour rien que les médecins ont choisi le Caducée, emblème d’Hermès, représentant deux serpents enlacés autour d’un axe vertical ailé (Le Dieu Mercure, messager des Dieux).

Au début de l’Evangile selon Saint Jean, on peut lire : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu. Tout fut par lui et sans lui rien ne fut. Ce qui fut en lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière luit dans les Ténèbres. Et les Ténèbres ne l’ont pas reçue ».

Le tracé du plan nécessite l’utilisation d’outils de géomètre tels que : le compas (la mesure), la règle (l’objectivité) et l’équerre (la rectitude), les 3 grandes lumières de la Loge. Mais la règle est l’outil le plus important car c’est elle qui ramène les faits à leur juste proportion, avec mesure et objectivité. Ainsi, du tracé à la taille de la pierre, la règle m’a permis de contrôler et de garder le bon cap.

Le tracé achevé, j’ai entrepris de dresser ma pierre, préalablement dégrossie avec le maillet et ciseau.

J’ai tout d’abord travaillé une première face avec le maillet et le ciseau (pour la surface), et la règle et l’équerre (pour la forme et les dimensions du carré de base). Afin, de poser la pierre sur cette surface travaillée et finie, j’ai ensuite aplani le sol à l’aide de la truelle et du niveau. Alors j’ai pu déplacer la pierre à l’aide du levier, symbole de la volonté et de l’intelligence. J’ai ensuite dressé une face latérale à l’aide de l’équerre (pour vérifier la perpendicularité) et du niveau, taillant toujours avec le ciseau et le maillet, tout en mesurant régulièrement les écartements et largeurs avec la règle. Cette phase de la taille est la plus longue et la plus délicate. D’elle dépend la justesse, l’équilibre et l’harmonie de l’ensemble. Les autres faces du cube, une fois achevées, j’ai pu, enfin, terminer par la pyramide dont le sommet représente le coeur de l’Etoile flamboyante.

Puis, la pierre cubique achevée, le Compagnon effectue le cinquième voyage sans ses outils (symboles des sciences). C’est le voyage de la contemplation. J’essaie, alors, d ‘assimiler intérieurement toutes les observations recueillies au long du chemin. Ces voyages, passage symbolique de l’Equerre au Compas, de la Matière à l’Esprit, de la Terre vers le Ciel, du grain de blé à l’épi, ne sont-ils pas le fruit de la sagesse ? C’est peut-être là le sens de « Shibboleth », (mot de passe de mon grade).

Je comprends mieux, maintenant, pourquoi la Tradition des compagnons du Devoir ne sépare pas les « penseurs » des « manuels ». Elle ne dissocie pas l’Esprit de la Matière. Pour l’avoir souvent éprouvé lorsque j’étais artisan sellier, travailler de ses mains, c’est méditer dans l’action.

La dualité semble se dissoudre entre l’agissant et l’agi, entre l’extérieur et l’intérieur, et ceci dans la maîtrise des outils, donc de soi. C’est l’union des 3 centres : l’esprit qui conçoit, l’affect qui ressent et le corps qui réalise. Seuls nos actes témoignent de ce que nous sommes. L’important est de se mettre en mouvement, le mouvement de la vie.

La construction du temple extérieur, l’édifice commun, va de pair avec la construction de notre temple intérieur. N’est-il pas étonnant de constater que l’ordre d’élaboration du tracé se fait à l’inverse de celui de la taille ? pour tracer la pierre, on procède de l’intérieur vers l’extérieur, du carré long au coeur de l’Etoile à cinq branches. De là, partent les côtés de la pierre, ceux qui sont à l’extérieur du tracé. C’est au coeur de l’étoile que les deux chemins se rejoignent en un seul, vers la lettre G, symbole de sa quintessence.

Inversement, on ne peut tailler la pierre qu’en commençant par le bas (la fondation du cube), avant de terminer par la pyramide.

Le travail du Compagnon doit toujours évoluer avec mesure et volonté, dans l’équilibre de toutes les branches de l’Etoile , afin de tailler et mettre sa pierre en place au sein de l’édifice. Ma pierre vivante ... Jusqu’au bout j’ai lutté avec elle, dans l’obligation et le devoir de la respecter, en espérant la maîtriser. Jusqu’au bout j’ai eu peur de la briser, d’un geste maladroit, ou, en la déplaçant dans tous les sens et avec tous mes sens pour des nièmes vérifications de mesures.

Ce chemin, c’est celui de l’Etoile flamboyante au cœur de la Pierre, celui du travail à effectuer, résumé par le V.I.T.R.I.O.L. :( visite l’intérieur de la Terre, et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée). Dans le développé du tracé de la pierre se cache aussi la croix, image de l’archétype universel, microcosme dont les proportions représentent celles de l’Univers.

La main et le cœur... le Compagnon ne doit-il pas exprimer ce qui vient de son coeur ?. Ainsi seulement, la main traduira ce que lui dictera son cœur.

Puisse cette pierre, ma pierre, me montrer le chemin de l’Etoile. Quand j’ai reçu la lumière, lors de la cérémonie d’initiation, mon temple était en ruine. Mais, depuis, j’ai retrouvé mon maître intérieur qui éclaire mon chemin de Compagnon. Comme l’a écrit Lanza del Vasto : « Arts, sciences, ô gloires, reflets de vérité, ombres de perfection sur les murs extérieurs de l’esprit, l’Amour seul habite la substance et le travail».

Une S\ de la RL d'Athanor

Publié dans le Bulim - Bulletin N° 12 - 30 Novembre 2009  -  Abonnez-vous

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