GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 03/2009

Le Temple Egyptien
Le nom hiéroglyphique du temple est per­neter, ce qui grossièrement signifie “la maison du dieu”. Le Neter est plus précisément une expression de la volonté divine et le temple se consacre tout entier à l’alchimie de cette énergie spirituelle. Champollion avait perçu la profonde cohérence au sein des temples égyptiens entre les hiéroglyphes, la statuaire et les éléments architecturaux. Il avait compris qu’au-delà des apparences, les égyptiens s’adressaient à une Réalité unique, un “Esprit directeur de l’univers”.
De même, un habitant du futur croirait discerner dans nos églises romaines -pourtant monothéistes- un panthéon de divinités, et suspecterait l’idolâtrie au vu d’un tabernacle où la présence réelle du Dieu s’incarne dans une hostie. Admettons que dans les couches populaires dans l’Égypte ancienne comme de nos jours, la notion du Dieu universel soit confuse. Cependant, pour étudier le temple égyptien, gardons à la conscience qu’il n’est qu’un seul Père, même s’il a de nombreuses demeures. Parler du temple égyptien est un très vaste sujet et il n’existe probablement pas deux temples identiques.

Trois formes de temples
Chaque temple s’édifie dans une intention précise. L’ancien empire avait reconnu 42 nomes, ou provinces avec leurs propres dieux tutélaires. Le génie égyptien fut peut être de les accepter tous comme expressions différentes d’une même réalité indicible. Le temple se trouve au cœur des cités égyptiennes, signe d’éternité au cœur du monde chaotique. Le pouvoir est théocratique : pharaon, roi, est aussi au sommet de la hiérarchie spirituelle. Deux théologies le soutiennent : La Divinité suprême est présente dans le roi pourvu qu’il soit intronisé, il devient ainsi la demeure du Très Haut. L’autre conception assure que pharaon est prédestiné au pouvoir, fils de Dieu, sa naissance est divine. Pour concilier ses deux points de vue, la théologie héliopolitaine a notifié que le Fils était inférieur au Père, et que l’initiation lui était nécessaire pour se ressouvenir de son origine et harmoniser ses deux natures.

Très tôt les lieux de culte furent édifiés avec
la pierre. Les sables du désert menaçaient l’éternité dévolue à la maison des dieux, puisqu’ils effaçaient les constructions de bois ou d’argile séchée au soleil. Cependant Imhotep, vizir et architecte en chef du pharaon Djoser (III° dynastie vers 2670 av. JC) à Saqqarah, créa le premier monument de pierre au monde, selon l’état actuel de nos connaissances. Le Pharaon, médiateur entre la Terre et le ciel pouvait dorénavant partir au devant de son peuple vers la résurrection grâce à cette structure montant en escalier jusqu’au ciel. Les rayons divins y sont matérialisés et étendent une protection sur toute la vallée. De ce fait, 2000 ans plus tard, Imhotep est encore célèbre et il fut même déifié à Saqqarah. Il fut aussi grand prêtre d’Héliopolis et créa la technique de l’embaumement. Les grecs l’identifieront à Esculape (Asclépios). On lui attribue le Livre de la fondation des temples, livre dont la légende raconte qu’il était écrit en écriture ancienne. Les vieilles coupoles en bois, les façades utilisées lors de certaines fêtes, les toits en coupole se retrouveront monumentalisés et transformés en éléments architecturaux. Les premières colonnes d’Imhotep reproduisent l’architecture végétale telles les fasciculées, les papyriformes ou enfin les cannelées qui représentent des roseaux en gerbe, et qui donneront naissance 2000 ans plus tard en Grèce aux colonnes doriques. Tout pharaon avait le devoir d’édifier un temple au dieu et celui-ci achevé, Pharaon le consacrait en “donnant la Maison à son Maître”.

La création du monde
par la volonté d’Atoum-Rê s’effectue, selon la cosmogonie d’Héliopolis, sur une première colline, en forme de pyramide qui émerge de l’Océan primordial. De même les premiers édifices chercheront à reproduire le relief d’une colline. La colline, comme la montagne, semble immortelle. Cette conception d’un océan primordial (Noun, le chaos des origines) a peut-être été suggérée par la crue du Nil suivie du retrait des eaux.

Les premiers temples intégraient toujours une
fonction funéraire, ils étaient des demeures d’éternité. Ils abritaient une chapelle vouée au culte du souverain défunt. Des textes sacrés sont gravés pour lui permettre de surmonter les obstacles de l’Au-delà dans son chemin pour rejoindre son père Rê. Au cours des Ancien et Moyen Empires, cette chapelle se trouvait sur la façade est des pyramides de l’époque.
Dès le Nouvel Empire, le temple et la sépulture sont dissociés. Ceci apparaît nettement à Thèbes : le complexe funéraire est adossé à la montagne où le soleil se couche, sur la rive ouest “Domaine de l’Éternité”, alors qu’à l’est s’érige le vaste temple d’Amon.
Le culte funéraire assure la survie du défunt. Il faut pour cela tout d’abord que le corps soit entretenu et donc momifié. Puis il sera réveillé par le rituel d’ouverture de la bouche et nourri quotidiennement par des offrandes. Le culte perpétue sa mémoire et nous savons que le partage de la nourriture est un symbole de communion. Non pas que le défunt ait un gros appétit, mais il ne se nourrit que du Ka (énergie de vie) des aliments.

Ces cultes existent depuis la période pré-dynastique avec les offrandes, ils évolueront vers les mastabas ou l’architecture intègre une chapelle du culte; mais ces cultes funéraires tomberont en désuétude, les aliments seront peints et rassasieront magiquement par l’image, enfin le culte établira une image concrète de l’au-delà où le défunt rejoindra des champs féconds, avec des serviteurs (ouchebti) pour assurer sa subsistance. Les cultes se limiteront alors à une libation d’eau chaque décade ou encore à la simple prononciation du nom du défunt pour garantir son
immortalité. Les temples non funéraires, peuvent se regrouper en deux familles : les temples solaires et les temples divins, à cella qui abritent un naos. Le naos est un tabernacle où l’on place le dieu sous la forme de son symbole sacré. Le naos se tient dans une salle dédiée, la chapelle. La colline primitive est donc figurée ou par l’obélisque, ou par une élévation progressive du sol de l’entrée jusqu’au naos du sanctuaire qui est positionné comme un tertre.

Le
temple solaire apparaît au temps des rois de la 5° dynastie, il est ajouté au temple funéraire, sur le modèle de la cité d’Héliopolis antérieure de quelques siècles. Il se compose d’un mur d’enceinte entourant plusieurs cours à ciel ouvert dont la superficie se réduisait au fur et à mesure que l’on se dirigeait vers l’est. Au plus proche de l’orient le temple nommé Hout-Benben s’offre à la lumière du soleil. En son centre un gros obélisque figure donc la butte primordiale sur laquelle naquit le soleil. Les plus anciens temples connus sont celui d’Héliopolis ainsi que ceux de la V° dynastie (2465-2323) comme celui d’Abou Gorab, près de Guiseh dont le pyramidion s’élevait à 56 mètres. Faisant face à l’obélisque, un autel souvent en albâtre, image de propreté et de pureté, permettait d’y offrir les sacrifices. Sa forme reproduisait dans les directions des points cardinaux le hiéroglyphe Hotep (offrande, paix). L’ensemble architectural comportait encore des magasins et un abattoir ainsi qu’une chapelle et des locaux pour les prêtres et le personnel du temple. Deux temples (Manjet et Meseket) ont gardé leur barque solaire, creusée dans le roc et construite en brique pour une longueur de 30 m de long. Elle était orientée d’est en ouest pour accompagner le soleil dans son voyage céleste.

Le culte solaire était établi notamment à Héliopolis. Il fut cependant répandu sur toute l’Égypte au cours de V° dynastie (après la construction des pyramides) et sur une célèbre période de la XVIII° dynastie avec Akhénaton (vers 1350 av. JC). Les cultes sont rendus en plein air et on dépose ou l’on brûle sur un autel les aliments consacrés au dieu. Le troisième type de temple, beaucoup plus répandu est le
temple divin avec une enfilade de salles aboutissant à un naos qui reçoit la statue de culte du dieu. Le symbolisme axial et primordial des pyramides et des obélisques pointant vers le ciel se transfère horizontalement. Et le temple devient physiquement la maison du dieu.. Si l’essence du dieu envahit l’univers, c’est la statue placée dans le recoin le plus intime et le plus secret du temple qui en est le support matériel, à l’abri de toute agression et de toute souillure.
Le temple subira maintenant l’empreinte du temps, et son architecture sera en perpétuelle gestation. Chaque souverain, chaque dynastie voudra laisser son empreinte, en sacrifiant si nécessaire les ouvrages antérieurs. Au cours des âges, la société égyptienne s’est peu à peu détournée du Sacré.

Le palais s’est dissocié du Temple et les rois s’éloignant du lien divin voudront parfois masquer un appauvrissement spirituel par des constructions toujours plus gigantesques à leur gloire personnelle. Pharaon n’est plus alors le médiateur entre Ciel et Terre selon sa mission méta-historique, et les croyants devront s’adresser maintenant directement à la Divinité. Pourtant un noyau de certitudes indestructibles traverse les âges et témoigne aujourd’hui encore d’une présence invisible habitant les mêmes formes divines et les mêmes hiéroglyphes, tous brûlants d’une foi intacte.
Les 3 formes de temples s’attachaient au trois grands mystères de la vie: naissance / création (temple divin), culmination (temple solaire) et mort (temple funéraire).

Le culte
Tout le culte rituel consiste à permettre au dieu d’atteindre son enveloppe terrestre et de passer sa journée comme un dieu sur terre, dans l’objectif de maintenir l’ordre cosmique. Le culte quotidien mime la vie d’une maison dont le Dieu est le maître. Dès l’aube, les prêtres se purifient et rejoignent le naos pour accueillir le dieu qui va s’incarner dans la statue. Les prêtres présentent apportent une collation par des offrandes et aux premiers rayons du soleil entonnent un hymne au dieu. Le Grand Prêtre seul brise les scellés du naos posés la veille au soir pour ouvrir et présente les offrandes en commençant par celle de Maât. Maât est la puissance de Rê, le principe d’ordre universel, le Logos des grecs, la Shekhinah des hébreux. Offrir Maât, c’est affirmer endosser cette fonction de vérité, de justice et d’harmonie, c’est “s’habiller le cœur” pour reprendre une expression de Saint Exupéry. Les offrandes après avoir rassasié le dieu seront présentées aux dieux secondaires et finalement aux ministres du culte. Puisviennent les soins corporels : la statue est lavée, parfumée et ointe d’huile aromatiques, et on la revêt de nouveaux habits. Le midi, on purifie la statue avec de l’eau et quelques fumigations. Le soir enfin, on renouvelle les soins du matin mais pour que le dieu parte rejoindre les plans supérieurs, et le naos sera scellé jusqu’au lendemain. Quand le temple pratiquait le culte d’un animal sacré, le rituel intégrait aussi les soins de celui-ci.

Plutarque nous apprend que seuls les vêtements de lin étaient autorisés dans le temple.

Les
fumigations étaient indispensables au culte car le parfum est l’une des manifestations principale des divinités invisible, et la fumée devient un lieu de passage entre les deux mondes. L’encens et la myrrhe étaient les plus sacrés, et dispensaient leurs vertus purificatrices et protectrices. Ils chassent les forces négatives.
La statue, forme visible de l’invisible, était régulièrement exposée au soleil sur une terrasse pour la remettre symboliquement en relation avec le ciel et que cette irradiation, affaiblie par le temps, la divinise à nouveau par la lumière, source de vie et expression du Dieu “caché”, ceci notamment lors de la fête du jour de l’An. A Dendérah, les marches conduisant par le sud à la terrasse puis revenant au naos par le nord étaient au nombre de 360, pour les 12 mois de 30 jours. Lors de certaines fêtes, la cérémonie comportait une procession. La statue, inaccessible au peuple dans le temple était alors toute proche dans son naos, portée par la barque sur les épaules des prêtres dignifiés; elle rendait des oracles à tous ceux qui la sollicitaient. Parfois la barque prenait place dans la cabine du vaisseau royal pour se rendre à un autre temple.

Toutes les fêtes religieuses s’attachaient à manifester les rythmes de la nature.
Le peuple devait s’en remettre aux prêtres pour exercer sa dévotion, puisque le temple était la demeure du dieu. Il n’est pas un lieu de rassemblement où les fidèles viennent prier ensemble car hormis les prêtres personne n’y pénètre. Ceux-ci ne sont admis plus avant dans le sanctuaire qu’au fur et à mesure de leur avancement. Le lieu est hautement initiatique et la compréhension des éléments architecturaux symboliques s’opère lentement. Seul le Grand Prêtre (Pontife) ou Pharaon pénétraient le naos.
Et lors de certaines grandes fêtes, si les fidèles pénétraient l’enceinte sacrée, ils n’allaient pas au-delà de la cour à portiques, de plein air.

Le temple et les astres
Les temples étaient soigneusement orientés.

Les
points cardinaux revêtaient une importance particulière. Chacun s’associe à l’un des 4 éléments : Le Sud au Feu, car il est le soleil au zénith de sa puissance. Les cartes d’Egypte plaçaient à cette époque le sud en haut, puisque le fleuve nourricier venait du sud.
Le Sud était donné par la constellation d’Orion. Par antinomie, le Nord (pivot de la voûte céleste), déterminé par la Grande Ourse était associé à l’eau et aux marais du Nord, au delta. Le soleil, comme les défunts disparaît à l’Ouest, engloutis par la Terre tandis que le vent d’Est, souffle de vie favorise sa renaissance. Quatre éléments correspondent encore à 4 matériaux de construction : le grès pour la terre, la glaise et le limon cru pour l’eau, le calcaire pour l’air et le granit, volcanique pour le feu.

En 1959 Christiane Desroches Noblecourt explique pourquoi les deux sanctuaires d’Abou Simbel ne doivent être ni dissociés, ni changés d’orientation : “L’ensemble d’Abou Simbel est exceptionnel, composé de
deux grottes sacrées et jumelées, creusées chacune dans un mamelon de grès rose... Ramsès voulait ainsi recréer deux matrices qui puissent par la puissance d’une fantastique symbolique redonner naissance aux grandes forces de la nature. Les deux axes du Temple se coupent au milieu du fleuve nourricier, le Nil. C’est la première rencontre entre les deux entités incarnées par le couple royal associé à l’action divine”. Néfertari incarnait Sopdit, alias la grecque Sothis ou notre Sirius, messagère de la crue. L’étoile ne se levait que dans l’axe du petit temple, alors que l’image de la reine s’illuminait. Quelques instants plus tard, le soleil sortait à son tour dans l’axe du grand temple, illuminant pharaon sous les traits de Rê Horakhty. Dans les plus anciennes théologies égyptiennes, tout principe créateur s’appuie sur un principe féminin plus ancien que lui.

Ramsès II dédiait encore le Sud de ses temples à Amon, la force invisible et le Nord à Rê, la force visible du soleil. Leurs deux statues entourant le pharaon s’éclairaient successivement au cours de l’année. La 4° statue, celle du Dieu Ptah, le caché, la force souterraine d’où surgit toute sève demeurait dans l’ombre. Conformément à une représentation primitive du Créateur par les 4 éléments, prototype du
tétragramme. Dieu régnant sur les 4 éléments primordiaux, dans les 4 directions, résumées par les 4 lettres d’Amon-Rê, soit [eau-terre-air] puis [la lumière], Rê.

Le temple, microcosme
Celui-ci s’attache à reproduire fidèlement l’univers, macrocosme, et donc le temple rassemble toutes les images minérales, végétales, humaines et divines et veut inviter le divin à fusionner avec les êtres et les objets de culte.
L’enceinte est constituée de lits de brique irréguliers parfois ondulant comme Noun l’Océan primordial, lieu des origines. Elle abrite des regards profanes. Des sphinx au corps de lion (symbole solaire) portant le visage de Pharaon, ou mieux les béliers du Dieu Amon à Karnak, bordaient l’accès au temple et invitaient le néophyte à établir en lui-même la paix profonde. Le temple possède toujours une entrée du côté du Nil, avec une allée rectiligne et un chenal pour les barques. Les murs extérieurs représentent le roi à la chasse ou combattant à la guerre pour évoquer pharaon luttant contre les forces hostiles.
Un lac sacré de forme quadrangulaire muni de 4 escaliers permet aux prêtres de se purifier, de s’immerger pour se régénérer avant un culte. Nous avons pu voir à Karnak le scarabée Khépri à l’un des angles du lac sacré, lieu de régénération que rejoignait la barque du dieu en traversant.

Les
pylônes symbolisent les bornes des solstices entre lesquelles se lève le soleil. Ils canalisent l’énergie solaire, comme pour la focaliser. Les pylônes étaient comparés à Isis et Nephtys. Des mâts atteignant parfois 40 mètres portent une banderole pour former le hiéroglyphe Neter et ils attestent de la présence du vent. La porte du sanctuaire au centre comporte le disque ailé, protection magique, renforcée par deux cobras dressés. Le Pylône avait pour hauteur, selon Schwaller de Lubicz, 18 fois la taille de l’homme, pour affirmer un lien étroit entre l’humain et le temple. Une corniche au dessus de la porte permettait à pharaon d’apparaître tel un soleil, lors de grandes occasions.

Les
obélisques qui flanquent parfois la porte d’entrée, en granit, sont placés pour condenser le feu solaire, ils en sont un rayon pétrifié (le granit est une roche volcanique). C’est le pyramidion en électrum étincelant qui captait d’énergie solaire, pour la transmettre au sol du temple par le fût. L’obélisque symbolise le tertre sacré originel dès le culte prédynastique (3200 avant JC). Il a existé des obélisques d’or. Assourbanipal (7° s. av. J.C.) se vante d’en avoir ramené deux de Thèbes qui pesaient près de 75 tonnes d’électrum, métal qui se compose de 3/4 d’or et d’1/4 d’argent. Les obélisques pouvaient atteindre jusqu’à 36 mètres et peser plusieurs centaines de tonnes. Les bas reliefs sur le socle mentionnaient le roi-bâtisseur, et ses actes de piété. La face Est pouvait décrire le parcours solaire du jour, la face Ouest celui de la nuit.

La
cour à portiques est ouverte à l’air libre; 3 rangées de colonnes s’ouvrent vers la porte du temple. Cette cour comporte une première pierre cubique : un autel d’albâtre.
L’entrée du temple, domaine maintenant ésotérique, donne accès à la (ou les) salle(s) hypostyle(s). Cette salle est recouverte d’un plafond soutenu par plusieurs rangées de colonnes. La salle évoque le marécage des origines, la forêt de l’inconscient. Les colonnes sont les supports du ciel. Leur socle symbolise les racines. Sur la périphérie, les colonnes ont encore leur chapiteau fermé. Le type de colonne choisie s’attache à une cosmogonie particulière mais généralement la colonne papyriforme évoque les premières plantes qui poussèrent sur la butte primordiale : une forêt de papyrus. Le papyrus en fleur ouverte accompagne le soleil car sa fleur s’ouvre à l’aube et se referme au crépuscule. Fleur fermée, il signifie les heures de la nuit. La décoration se partageait en trois panneaux, car la tige du papyrus a une section triangulaire.
Les colonnes palmiformes convenaient plus particulièrement aux temples solaires : le palmier représente le ciel, car le soleil surgit de sa frondaison. Le palmier est naturellement attribué à Hathor. La colonne palmiforme en était donc le tronc et le soutien.
Les colonnes de la salle hypostyle, en bosquets denses, masquent l’entrée du sanctuaire, et en évoquant les origines attirent le divin. La salle hypostyle, en grec, se nomme en égyptien ouadjyt : “celle des plantes vertes” Avec ces plantes aquatiques, on s’approche du tertre primordial. A Karnak, les colonnes papyriformes ont leur chapiteau ouvert d’une circonférence de 15 m (50 personnes y tiendraient), elles supportent un plafond à 23 m du sol. Champollion a déclaré que “Ici, l’imagination... s’arrête et tombe impuissante aux pieds de ces 134 colonnes...”. Cette salle était un sas où l’on abandonnait toute préoccupation matérielle.

Cette
intériorisation était aussi manifestée par une lumière moins vive (présence d’un plafond). Le temple ramenait l’homme, absorbé dans la perception du monde sous la lumière vive, à retrouver peu à peu la pénombre et la présence du divin dans l’intime de son être. Ainsi se découvre une fonction cachée du temple égyptien : communiquer certaines connaissances ésotériques et mystiques aux candidats acceptés pour l’initiation par les symboles et par les mystères. Des textes secrets étaient placés dans des endroits inaccessibles aux non initiés.
Le pronaos s’atteignait après une longue déambulation, à l’image de l’homme cheminant vers son dieu mais aussi vers lui- même. On y déposait les offrandes des fidèles. Le pronaos figurait la frontière de l’invisible.
Parfois latéralement, la salle de la barque était consacrée à cette nef (ou cette arche) qui lors des processions permettait à la présence divine incarnée en statue, placée dans un naos temporaire, de rencontrer les fidèles et réveiller en eux l’étincelle divine. La barque sépare l’eau et l’air, le haut avec le bas. Deux déesses, ailes déployées protègent le dieu. La salle de la barque est l’endroit le plus important après la salle du naos, et s’en trouve toujours à proximité.

Enfin, le Saint des Saints, le
Naos, dont le nom égyptien est Aat, la terre consacrée, le grand siège, l’Ile sainte. Ici réside le véritable temple. Tout au cours de la progression, la hauteur des salles va en diminuant, et, les ouvertures se raréfiant, la lumière devient de plus en plus diffuse. Dans le Naos règne la pénombre qui entoure le tabernacle de pierre. Notons que Yahvé, lui aussi désire habiter dans l’obscurité (1 Rois 8:12). A l’intérieur de celui-ci sur le socle de Maât se tient la petite statue cultuelle, image du dieu qui fait face à l’entrée du sanctuaire. La statue du dieu était consacrée par le rite d’ouverture de la bouche pour retrouver son Ba, véhicule à forme d’oiseau à tête humaine qui permettait de communiquer avec les plans supérieurs.

La statue devient clé d’accès vers la divinité et point d’émergence de sa puissance sur terre. Elle correspondrait aujourd’hui à la présence réelle par l’eucharistie dans le tabernacle, pour la théologie catholique romaine.

Pour nous résumer, nous pourrions considérer que le temple égyptien a une structure ternaire : entrée avec cour, salle à colonnes et naos. Le temple tout entier conduit à cet antre mystérieux, une caverne incarnant la butte primordiale où naquit le soleil. Cette succession de salles préservait un lien commun reliant chacune d’entre elle aux autres, comme il en est des organes du corps entre eux. Elle reproduisait encore la conception égyptienne des
différents corps. Cette conception transparaît déjà avec la pyramide de Djoser, dite “à degrés” où l’on empile verticalement des mastabas de plus en plus petits. Plus tard on constatera l’utilisation de chapelles funéraires et des sarcophages gigognes.
Remarquons les symétries qui sont des polarités complémentaires; salle hypostyle pour quitter le monde profane avec le pronaos, la salle des offrandes (Ab et Ba). Saint des Saint avec le tabernacle de pierre dans la pénombre et cours à portiques de plein air comportant un autel en pierre cubique (Akh et Ka), enfin tabernacle qui s’ouvre sur le divin et portiques s’ouvrant sur le monde. Le temple pouvait aussi comporter un mammisi, qui se plaçait perpendiculairement au temple. C’est là que se déroulait le mystère de la conception du pharaon héritier, l’union de la reine avec le dieu Amon.Un couloir mystérieux, de forme circulaire autour du naos reliait des chapelles et des cryptes dédiées aux dieux apparentés au dieu du temple.

Assez souvent un puits servait de
nilomètre. Une “maison de vie” gardait précieusement les connaissances traditionnelles de l’Égypte. On y prodiguait aussi l’enseignement des scribes.
Les murs sont soigneusement décorés, ils servent de support à l’idée par l’écriture hiéroglyphique, par la représentation des mythes fondateurs, par les nombres qu’ils permettent d’incarner. L’Idée chemine ainsi à travers tout le temple; elle monte des fondations au sol jusqu’aux architraves dans le ciel et fait monter les dieux jusqu’à Dieu. Le temple est révélateur d’un esprit collectif, ou d’une loi naturelle qui peut se refléter simultanément sur le plan individuel.

Le temple de Salomon

La
religion hébraïque a largement puisé au contact des égyptiens. On peut s’interroger sur la ressemblance entre l’Éternel et Amon- Rê, berger qui sait pardonner, l’Unique, “Esprit caché”, qui “crée tout ce qui existe, père de toute chose, qui crée l’humanité et qui répand la lumière sur le monde”. La création de l’homme s’effectue par Ptah qui modèle l’humanité de ses mains sur son tour de potier. Le principe immortel de l’âme, Nephesh, correspond au Ka des égyptiens.
Les égyptiens pratiquaient la circoncision ainsi que les sacrifices. Les ablutions et purifications sont voisines. Les vêtements des prêtres et des lévites, l’éphod, le pectoral, la couronne et le méhil du grand prêtre, tout était un emprunt fait à l’Égypte. La hiérarchie sacerdotale lévitique possède les mêmes cadres et les mêmes attributions. Les fêtes enfin, étaient aussi conditionnées par la vie champêtre avant que d’avoir un but mystique.

Ceci va se refléter dans la
tente du rendez-vous, abri pour les textes de l’alliance conclue entre Yahvé et le peuple d’Israël (en -1467 av. J.C.) et plus tard sur le temple de Salomon (en - 967 av.J.C.). Cette construction devient la résidence de Yahvé qui a choisi d’habiter parmi les siens, choisis pour éclairer les nations. Une structure ternaire tout d’abord le parvis (Oulam), espace découvert, avec l’autel du sacrifice et l’eau de la purification. Le sanctuaire (Hékal) contient en son centre l’autel des encens, au sud un chandelier : la Ménorah au nord la table des 12 pains de proposition (table des offrandes ?). Le Saint des Saints (Débir) abrite vers l’ouest un coffre à l’image d’un tombeau égyptien, où la barque abritait un trésor à préserver. Les deux chérubins gardiens au-dessus de l’arche sont des cousins du sphinx égyptien, ou des Karibu sumériens à moins qu’ils n’évoquent les deux déesses ailées protégeant le naos de la barque sacrée;

Étant donné les similitudes de la religion juive à son origine avec la religion égyptienne, on ne sera pas surpris de retrouver dans le temple de Salomon des éléments égyptiens. Nous avons déjà évoqué l’arche d’alliance, tabernacle qui se plaçait dans le Saint des Saints séparé du sanctuaire. Le sanctuaire lui-même comportait 4 rangées de colonnes de cèdre (1 Rois 7:2) et un portique avec d’autres colonnes, que l’on pourrait rapprocher de la salle des colonnes, la salle hypostyle. Ajoutons que Salomon fit une maison du même genre que le portique du trône pour la fille de pharaon qu’il avait prise pour femme. Celle-ci ne devait pas y être trop dépaysée.

Le Temple Maçonnique
Nous avons pu constater que le temple égyptien permettait un itinéraire initiatique. L’ascension vers la divinité s’accompagne d’une immersion progressive dans l’obscurité, l’espace se réduit constamment jusqu’à une chapelle exiguë, ramenant à l’immobilité. Tout concourt à donner le goût du mystère et rendre grave la démarche du croyant. Les prêtres témoignaient, si l’on en croit les auteurs grecs comme Porphyre, d’une vie intérieure rayonnante. “Par la contemplation, ils arrivent à la sécurité de l’âme et à la piété; par la réflexion, à la science; et par les deux à la pratique des mœurs ésotériques.”

Mais tout ceci nous conduit à la question : que reste-t-il de ces temples égyptiens dans nos loges aujourd’hui ? Où sont donc l’obélisque, les portiques, la salle hypostyle, la maison de vie, le naos et bien d’autres choses encore ?
La sagesse maçonnique et la sagesse égyptienne, égyptosophie, ont en commun la méthode symbolique. Le temple maçonnique tente de reproduire le temple de Salomon. L’entrée du temple s’y fait toujours à l’occident. Le portique, flanqué des obélisques, a pris la forme aujourd’hui des 2 colonnes à l’entrée du temple. La cour à portique pourrait être le lieu que nous nommons “entre les deux colonnes”, un vestibule. La salle hypostyle a-t-elle laissé place aux trois flambeaux qui bordent le pavé mosaïque ?
A moins que la forêt de colonnes soit aujourd’hui de chair et d’os, et se forme de tous les frères et sœurs présents. Le pronaos pourrait être le pavé mosaïque lui-même. Quand au naos, nous le connaissons en maçonnerie égyptienne sous la forme du support en forme de prisme de la lumière perpétuelle, laquelle figure la présence réelle du divin au centre de la Loge. L’encens qui lui est apposé permet les fumigations. Mais qu’en est-il de l’orient ? Le naos du pavé mosaïque relève du temple solaire, rappelant l’obélisque ou le pyramidion central tandis que l’Orient correspondrait plutôt au temple divin à cella, et deviendrait la porte réelle ouverte sur la transcendance. Peut être s’est-il installé une forme composite : si l’on considère que le naos est le cœur de l’homme archétypal, l’orient incarnerait alors la tête. Notre rituel se déployant à partir de la lumière perpétuelle au cœur du Naos, nous pouvons en déduire que le support de la lumière perpétuelle serait la barque. La barque veille à préserver l’étincelle divine, incarnée par la statue, de se perdre dans les eaux (car rappelons-le l’aventure de la conscience commence avec l’apparition du sec au milieu de l’océan primordial). Alors peut apparaître le phénix, l’oiseau Bennou ou bien encore le lotus, de qui naîtra le soleil. Ce soleil, Atoum Rê, vient illuminer l’orient (et ceci s’exprime dans le rituel) pour y opérer la création. C’est donc de l’Orient que s’ouvre la transcendance, que s’opère le contact avec les plans supérieurs notamment par l’intermédiaire du VM\.

Mais peut être nous faut-il constater que le symbolisme du
temple aujourd’hui s’est modifié puisque les cosmogonies sont aujourd’hui différentes. Il demeure que le temple ne se résout pas en un bâtiment répondant à des exigences techniques : sa fonction première reste d’enseigner. Le temple maçonnique garde encore aujourd’hui cette fonction d’enseignement, par contre il ne révèle pas un Neter particulier comme le faisait le temple égyptien puisque le Grand Architecte est un principe créateur, un dieu non révélé. Comme en Égypte, le symbolisme de la mort physique sert à instaurer la mort initiatique, l’ouverture à l’Au-delà. La Maçonnerie travaille au perfectionnement de l’humanité, toujours imparfaite, telle un temple inachevé. Et dans la poursuite de cet idéal, l’Ordre Maçonnique transmet sans cesse une image spirituelle du monde.

Le temple pharaonique était toujours au service de la sanctification. Entrer dans ce temple, c’est s’engager vers la lumière divine, c’est lire
le Livre de Thot, c’est habiter un corps formé de différentes salles aux différentes fonctions, d’éléments architecturaux symboliques, d’une statuaire et de bas reliefs hiéroglyphiques qui convergent tous vers cet indispensable point de rencontre entre ciel et terre, au cœur du Naos. Le croyant, véritable pèlerin, y passe du grand au petit, du lumineux à la pénombre - puis à l’obscurité, de la liberté de mouvements à l’immobilité, du monde bruyant au silence. Là s’opère la genèse du monde, la victoire de l’Ordre sur le Chaos, là rejoint-on la Butte primordiale des origines, où aujourd’hui encore, naît la vie. L’essence divine y vient à la rencontre des hommes. Horus, le faucon divin plane dans le ciel et trouvant son image dans le temple, prête à le recevoir (une statue ou un initié), il s’unit à elle et s’établit dans son naos
En 391, l’Edit de Théodose ordonne la fermeture des temples païens (entendons non chrétiens), la fermeture des sanctuaires sera consommée sous Justinien (531 ap. JC.).. Le sable et le silence des siècles ont recouvert les temples d’Amon (le Dieu caché) dans une inondation gigantesque.

Comme la purification périodique qu’envoie Osiris (Texte des pyramides). Mais toutes les inondations d’Égypte ont connu la décrue et il en sera de même. Le limon déposé sera le terreau fertile d’une nouvelle aventure de l’Esprit.

Concluons en disant qu’aucune science ne peut se substituer à la conscience. Laissons le dernier mot aux textes égyptiens qui nous disent que :
Le véritable naos, c’est le cœur de l’homme”.

... un frère d'Héliopolis
Bibliographie :
Dictionnaire de l’Égypte ancienne / Maurizio Damiano-Appia Pont des Arts
L’Égypte, mère du monde / FX. Héry et T. Enel. Aubin
Magie et initiation en Égypte pharaonique / René Lachaud. Dangles
Le miracle égyptien / R.A. Schwaller de Lubicz. Flammarion
Les hauts lieux de la spiritualité. Thèbes. Robert Laffont
Science et avenir Juillet 98/ Astres et temples sacrés
Le temple égyptien / Jean François Hesnard. Le Monde Inconnu (n° 143-144-145)
La religion de l’Égypte ancienne/ V. Ermoni. Lethielleux, éditeur
Le Temple de Jérusalem / Le monde de la Bible - sept 98
Les symboles dans la Bible / Albert Soued. Jacques Grancher

Publié dans le Bulim - Bulletin N° 6 - 30 Mars 2009  -  Abonnez-vous

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