GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 03/2009

Philae raconte
Conte
Les Extraits des Bulletins Bulim N° 4 à 9 sont ici réunis

Bulim N° 4

Figurez-vous que l’autre jour, j’étais fort occupé à la réalisation d’un projet de fresque demandé par une municipalité. Penché sur cette oeuvre future, ma réflexion fut alors interrompue, pardonnez-moi l’expression, par le vacarme provenant d’une véritable "engueulade". Jusqu’à ce jour et comme vous, je pense, j’ignorais que les "choses" ou les objets pouvaient parler. Je fus, vous le comprendrez aisément, très surpris d’entendre des propos teintés de véhémentes revendications échangées entre ma cave, remontée si je puis dire, et mon grenier. J’ouvre ici les guillemets :

La cave s’insurgeant courroucée : Est-ce le féminin de mon nom qui provoque chez vous ce sentiment de supériorité ?

Le vaniteux Grenier rétorque : Non, mais le hasard de l’architecte qui m’a placé plus haut que vous... c’est un fait !

La Cave : Comment pourriez-vous être si élevé si je n’existais pas ? du haut de votre GRAAANNNDEUR, n’oubliez pas que c’est l’ombre qui glorifie la lumière et, si vous vous estimez telle, sans ma prétendue "basse condition", vous ne pourriez tutoyer le ciel, comme vous le dites si souvent !

Le grenier : Certes, certes, mais avouez que ma réputation vous enlève un peu plus de soleil encore et je suis désolé pour l’ombre.

La cave agacée : Mais enfin, quelles sont donc ces vertus qui me manquent et dont vous prétendez titre riche ? Est-ce qu’admirant la girouette toujours sensible au vent dominant et installée sur votre faîtage, vous seul indiqueriez le chemin à suivre, tandis que moi, insouciante de l’avenir du marcheur, je somnolerais profondément dans mes ténèbres ?

Vantard : Non, non il ne s’agit pas de cela et je vous aime bien Madame la Cave mais reconnaissez que mon statut, que ma situation, si vous préférez, est bien plus enviable que la vôtre. Je suis proche des oiseaux dont certains même viennent nicher chez moi tandis que chez vous...

La rage monte : Mais chez moi... je n’ai pas d’araignées...

L’interrompant avec un air sarcastique : Non... mais vous avez des Raaaaats !

La cave en colère : Des Rats, des Rats, vous l’affirmez et c’est bien vite dit. Et puis enfin, ne suis-je pas bien que différent d’un cellier, le lieu ou la nourriture de l’homme se conserve le mieux ?

Bulim N° 5

Nourriture dites-vous ? Eh bien parlons-en ! Nous ne pensons certainement pas à la même. La mienne, celle que je garde en moi et à laquelle je songe, nourrit et alimente le cœur et concerne plutôt l’ESPRIT !

- Comment cela, celle de l’ESPRIT ?...

- Vous avez en conserve dites-vous ce qui est, paradoxe du terme, périssable, tandis que moi, j’abrite en mon sein ce qui est éternel. La nourriture à laquelle je pense et dont je parle, MOI, ce sont les LIVRES !!!

- Les LIVRES, les LIVRES... Des livres jaunis, oubliés de tous, et qui ne seront plus lus puisque plongés dans un sommeil profond, sous votre si abondante poussière...

Le grenier moqueur :  Parlons-en de poussière, vous n’êtes pas en situation pour émettre ce genre de reproche. Il suffit d’un simple regard porté sur votre sol pour apprécier vos talents ménagers !...

- Alors là, permettez-moi, mais tout est confusion chez vous ! Ce sol, objet de vos sarcasmes, même plus abîmé que le vôtre, recueille tout, accepte tout et ne dort pas, lui, parmi les beaux esprits assoupis. Il n’est de poussière donc que des restes de charbon,, et, ne vous déplaise, celui-ci cuit les aliments et réchauffe les corps. Sans son feu ardent et la froidure s’installant, qu’en serait-il de la pitance de vos BEAUX ESPRITS, comme vous dites ?...

Le grenier faisant fi de la remarque :

Ah, enfin, vous avez tardé mais admettez tout compte fait la rusticité de votre sol, vous reconnaissez tout de même que l’architecte a consacré à votre construction des matériaux qui ne sont pas disons...d’essence aristocratique, tandis que mes solives et mes bois...  

La cave, ironique :  Vos planches plutôt, quant à la pierre qui constitue mes murs, sachez MONSIEUR LE GRENIER, que leurs sœurs habitent des cathédrales, et ce depuis plusieurs siècles ! Pourrez-vous vieillir autant et atteindre cet âge ? Certaine de votre avenir, n’entendez ­vous pas, déjà, des craquements annonciateurs de quelques problèmes de « patine » vous concernant ? Oh vieillesse ennemie... (en ricanant) Mais, je ne suis pas inquiète cependant car vous n’êtes pas seul, l’ESPRIT vous parle... Ensuite, si mon sol a souffert du temps, c’est que je garde par de vers moi les outils qui ont façonné cette construction dans laquelle nous cohabitons, alors, ne soyez pas ingrat, MONSIEUR LE GRENIER, et tolérez l’éminence de ma légitime place sans TOUUUUJOURS vouloir me dominer !

Déstabilisé mais demeurant caustique :  Il n’empêche, les parfums dégagés par mes précieuses essences de bois évoquent parfois d’immenses forêts tandis que la moisissure de vos pierres...Même si dans votre famille CERTAINES SONT ENTREES DANS LES ORDRES ! dit-il en ricanant.

Abasourdie par tant de hargne : A vous entendre, tout est vulgaire en moi tandis que vous... A vous écouter, je ne suis, vous l’affirmez avec condescendance, uniquement bonne à nourrir LES VENTRES mais vous oubliez et à l’encontre de vos acides sarcasmes, que je suis le temple magique et unique qui métamorphose la grappe divine en jus sacré : LE VIN ! Ne suis- je pas la première et seule spectatrice d’un tel miracle, non ?

Touché mais usant encore de mauvaise foi : Certes, parmi votre charbon, vos conserves et proche de vos outils, vous avez le vin mais moi... j’ai les épices dont l’ail qui sublime tant le goût des choses. J’offre également le régal des confitures et leurs pots aux couleurs bariolées. Et aussi les fruits secs, ces savoureuses réponses aux gourmandises enfantines telles de craquantes friandises sous leurs jeunes dents insatiables...

La cave, lasse d’être ainsi rabaissée à sa « triste condition » : Quoique vous puissiez dire et prétendre, mon niveau vaut bien le vôtre...

Toujours avec aplomb : Alors là, permettez-moi, mais ne dit-on pas DESCENDRE à la cave et par contre MONTER au grenier ? Vous pouvez, si vous êtes honnête, intellectuellement s’entend, constater avec moi que dans mon cas, lorsque l’on me rejoint, ON S’ELEVE, ON PROGRESSE, tandis qu’allant vers vous, hélas on recule. Chez moi on DECOUVRE, chez vous on enfouit... on enterre...         
Pourquoi vouloir nier ce qui est évident, vous n’êtes pas à ma hauteur !

Bulim N° 6

La cave se rebiffant : Mais enfin, vous me parlez de nier alors que contestant ma place et sa "juste " importance ! Imaginez-vous un être, formé d’une seule tête, même couronnée, mais sans corps et sans pieds ni jambes ?

Sans vergogne : Parfaitement ! Cela n’empêcherai que de marcher, mais pas de réfléchir...

Ironique : Marcher c’est agir alors, si vous PENNNNNSEZ sans pouvoir marcher, à quoi bon dans ce cas ? Vous ne seriez qu’immobile et ne feriez que du « surplace » comme l’on dit !

Toujours avec superbe et moqueries : Certes, certes, mais avant d’agir il nous faut toujours réfléchir ce qui démontre une fois encore ma prééminence sur vous, moi en HAUT et vous en bas. Aller vous visiter, comme je vous le disais, c’est descendre et pour y trouver quoi, des guimbardes, des objets cassés, les poubelles, bref, tous les rebuts de la maison sans parler d’éventuels secrets, bien enterrés... vous savez, tout ce que l’on cache, tout ce qui peut être honteux... Allez, hop, à la cave... Ah, j’allais oublier...les ODEURS, car il est vrai que loin des oiseaux, les égouts sont également vos voisins !

La cave de plus en plus affligée, abîmée, secouée par ce chapelet de si sombres sentiments à son endroit : Tout cela n’est que calomnies car malgré votre vantarde cécité, ce qui est en bas égale tout ce qui est en haut. Pouvez-vous un instant imaginer un escalier sans une première marche ? Absurde cette remarque dites-vous et bien justement, si vous êtes en haut de ces marches, si vous pérorez au sommet de cet escalier c’est bien grâce à ma présence, droit que vous ne cessez, pour je ne sais quelle raison, de me contester. Si je suis symboliquement cette première marche, même de pierre, ce premier degré de votre folle ascension vous me le devez... C’est ma position, ici, qui vous autorise et vous place si haut que hélas le soleil vous aveugle au point de vous croire proche de DIEU !

Sans honte : Il est préférable de s’approcher du CIEL plutôt que de flirter avec l’ENFER ! Fatiguée : OOOOH, que de grands mots ! Vous vous vantez d’être en bois et riche de vos délicates essences mais si vous continuez à afficher pour votre égal, c'est-à-dire MOI, la CAVE, un tel mépris, ne soyez pas étonné que les DIEUX, que vous semblez connaître, ne se fâchent un jour et que par le souffle d’un ardent orage ils n’enflamment vos fameux précieux bois ainsi que toutes vos particules et leurs beaux esprits tandis que moi, solide comme la pierre que vous trouvez si ridicule, mon voisin le DIABLE, comme vous dites, repartira dans son infernal brasier, déçu de n’avoir réussi à corrompre et affaiblir ma rustique solidité. En résumé et si je comprends bien et lis correctement les sentiments qui se vautrent dans votre esprit et saccagent votre cœur, chez vous l’on RANGE tandis que chez moi l’on CACHE, vous êtes la NOBLESSE et moi la ROTURE, vous le BLANC et moi le NOIR ?

Bulim N° 7

... tandis que la cave et le grenier échangeaient leurs sentiments doués d’une amitié toute relative, des bruits extérieurs vinrent troubler cette tendre conversation...

La cave, surprise et inquiète : N’avez-vous rien entendu, quels sont donc ces bruits de marteau ou bien d’outils ?

OH LA ! Ne tentez pas de détourner mon attention car en plus de vos visions EGALITARISTES vous entendez des voix maintenant, comme Jeanne, la Sainte Lorraine !

La cave, courroucée : Cessez-là vos prétentieuses querelles et puisque vous êtes si HAUT placé, mieux que moi affirmez-vous durant chaque seconde qui s’écoule, ne voyez-vous rien dehors ?

Scrutant le paysage : Pour une fois, je le note, vous avez raison : une maison se construit dans le jardin voisin, mais... que vois-je ?

Curieuse : Oh, je vous en prie, dites-moi vite ce qui se passe !

Stupéfait : Vous ne me croirez jamais...

Toute excitée : Cessez de nourrir ma légitime curiosité et expliquez-moi ce qui se passe et ce qu’ils font !

Le grenier, taquin, fait languir la cave : Eh bien c’est simple, ils l’ont oubliée, ils l’ont bâtie... la maison... SANS CAVE... (ricanant). Il est vrai que ce n’est pas toujours indispensable... Une CAVE.

Oubliée, oubliée, pas indispensable, c’est vous qui le dites et en fait, à ce que je vois, ils ne veulent pas d’un GRENIER non plus (ricanant à son tour). Ils construisent MODERNE, comme ils le disent et se vantent !

Balbutiant : MODERNE ? Ils ne savent pas ce qu’ils font car enfin comment vont-ils vivre sans grenier...et faire, bien sûr, sans CAVE ? Cherchant à comprendre :

FAIRE, comme FAIRE, de quoi parlez- vous ?

Péremptoire : Enfin quoi, une maison même MODERNE, où l’on ne peut entreposer des conserves c’est ignorer l’avenir en négligeant les lendemains et n’est-ce pas également dans les temps actuels, un manque évident de sagesse ? N’est ce pas faire fi de notre utile présence, NOUS, les gardiens du PASSE... ?

La cave, troublée et dubitative : Ca... c’est sûr, des conserves... C’est bien utile... Surtout quand le temps se gâte !

Le grenier : Et puis dans une cave, il y fait frais et cette fraîcheur est bien agréable justement pour les conserves tel que vous le pensez et tenez, moi, je garde également pour la soif, comme on dit, des condiments et autres mangeailles, différentes des vôtres mais utiles tout de même MADAME LA CAVE.

La cave : Là, je suis d’accord avec vous et puis il n’y a pas que cela, on a tous besoin d’une CAVE... et certainement aussi d’un GRENIER, MONSIEUR LE GRENIER, dit- elle avec sincérité.

Enregistrant la remarque avec satisfaction : Ca, je ne vous le fais pas dire, c’est vrai quoi, dans une cave, en plus des précieux aliments, on y range également les outils de jardin, le « barbecue » comme ils disent, et en plus, c’est bien pratique pour ranger les vélos, ils sont à l’abri quand il pleut... MADAME LA CAVE...

Flattée : Oui, c’est bien quand il pleut mais chez vous, MONSIEUR LE GRENIER, en plus des bonnes choses sucrées et bien odorantes que vous protégez des vents, vous faites sécher sur vos fines claies les futures tisanes et ça, c’est bon pour l’hiver les tisanes, croyez- moi !

Caressant : Mais vos fruits frais MADAME LA CAVE, c’est bon aussi des fruits frais, protégés et à l’abri du cuisant soleil, et vous, vous n’en manquez pas de cette fraîcheur. Vous n’êtes pas trop humide non plus, juste ce qu’il faut...

La cave avec humilité : Vous croyez ?

Rassurant : Affirmatif !

Soucieuse et coquette : Ne suis-je pas trop sombre, par ailleurs ? De plus en plus gentil :

Nullement, MADAME LA CAVE et puis vos liqueurs, vins et champagnes se bonifient chez vous, dans vos profondeurs. Vos casiers sont de véritables et confortables « palaces » pour eux et leurs vieux jours !

Avec une poésie approximative et pompeuse : Il est vrai que par le temps, facteur d’excellence, les rides creusées sur leurs étiquettes poussiéreuses sont les véritables sillons et marques du bonheur pour ces précieuses bouteilles mais, quand je songe à vos fleurs séchées, aux délicats parfums qu’elles dégagent et aux merveilleux bouquets qui colorent et ornent vos lambris, l’émotion me rend muette. Lorsque les beaux jambons suspendus à vos poutres solides, viennent par leur rustique et campagnard fumet chatouiller délicieusement les nez des affamés, leurs délicats parfums de fines salaisons et je pose la question : ne sont-ils pas les signes salivants de régals annoncés ?

Bulim N° 8

Le grenier toujours flatteur : Eh bien arrosés comme il se doit, Madame La Cave, et je le souligne ici, par vos précieux et incomparables nectars aux bouteilles bouchées d’or...

Modeste : Et bien fraîches de surcroît. Eh oui, ces nouveaux voisins ignorent tout par ailleurs des joies rencontrées chez vous Monsieur Le Grenier. Ils ignorent ce que nous avons en commun même si je ne garde pas devers moi que ce qui est un peu plus rustique, les bois de feu tandis que chez vous...

Le grenier affirmatif : HOP, HOP, HOP, là encore, je vous arrête, vos bois de feu sont utiles, utiles et nécessaires Madame La Cave justement pour allumer le feu l’hiver, lorsque la triste et humide froidure s’installe pour de longs et sombres mois. On y cuisine aussi sur ces feux des recettes qui caressent tant les papilles qu’elles attablent dans notre mémoire l’ancêtre disparu. Cuire leurs nourritures, comment pourront-ils y pourvoir, les nouveaux voisins, s’ils ne possèdent pas tout ce que permet une cave pour attiser leur feu ?

Ricanant : Ils brûleront leurs meubles...  les pauvres imbéciles ! par ailleurs, ils semblent ignorer votre rôle et le mien, Monsieur Le Grenier, gardien en haut, gardien en bas, nos portes respectives s’ouvrent ou se ferment sur des tranches de passés, morceaux de vies que seuls vous et moi connaissons depuis le temps que nous les entassons, que nous les recueillons en vrac, au gré et humeurs de nos propriétaires... pas toujours sympas et qui parfois nous abîment. Des désordonnés qui laissent traîner des choses chez moi alors qu’elles devraient être rangées avec soin chez vous. Malgré leur désinvolture, jamais nous ne nous plaignons et ne trahissons leurs secrets. Nos seuls gémissements viennent hélas de l’âge de nos structures.

Le grenier nostalgique : Eh oui, Madame La Cave, bien que nos portes parfois un peu branlantes, convenons-en, soient distinctes, elles se ferment sur une même époque, triste et joyeuse. Elles verrouillent une histoire dont les objets que l’on garde, que l’on protège jalousement, restent les seuls témoins, les représentants inanimés qui seuls ont résisté aux temps écoulés.

Attendrie : Quand je songe aux jeux enfantins qui ont certes un peu bousculé votre tranquillité, Monsieur Le Grenier, mais qui tel un souffle de printemps qu’ils étaient, ont égayé un peu vos cloisons craquantes, craquantes comme les bois d’automne que nous sommes devenus depuis les jours, les mois, les années que nous vieillissons ensemble.

Paternel et protecteur : Même si parfois ils dérangent et bousculent la tradition, il est vrai que les enfants aiment à se cacher derrière ce qui parfois m’encombre, je pense en disant cela à quelques secrets dont j’aimerais n’être plus l’unique détenteur, le seul témoin. Mais, n’est-il pas trop tôt, Madame La Cave, pour déjà alourdir de nuages leur frêle existence, avant que les doutes graves et austères de la vie ne viennent chasser les joyeuses et effrontées certitudes, installées dans cette ignorance et heureuse jeunesse, paradis de l’insouciance.

Interrogative : Vous êtes bien sérieux subitement mais ne pensez-vous pas, Monsieur Le Grenier, que malgré la multitude de calendriers conservés chez vous pour raviver dans votre cœur les saisons de jadis, ces mois et ces années n’ont rien changé aux distractions de ces enfants ?

Opinant : Vous avez bien raison et il est drôle en effet de constater que « petit Pierre » s’amuse comme déjà s’égayait « grand Pierre » et que chaque génération rejoue les jeux de ses aînés. Comme auparavant et au cours des découvertes qu’ils font parmi les « trésors » que je possède, ils portent un regard sur des portraits mystérieux dont l’accoutrement désuet qu’ils trouvent ridicule provoquent en eux une franche rigolade, avant de découvrir leur cher Grand-père ou Grand-mère, en culotte courte, comme eux, ou le portrait de la jeune Tante tragiquement disparue, dont l’image est enfouie à jamais, une nouvelle fois soustraite des regards embrumés.

La cave, émue et s’interrogeant : C’est bien pareil chez moi, je constate qu’ils se distraient effectivement des mêmes jeux d’antan. Cependant, si vous, vous leur prodiguez le rêve, Monsieur Le Grenier, au travers de vos photos jaunies dont ils s’acharnent à décrypter le sens, moi, hélas et à mon corps défendant, ils ne jouent le plus souvent qu’à se faire peur alors que j’aurais tant souhaité qu’ils s’amusent, un peu comme chez vous, un peu plus un peu moins

Réconfortant : Il est vrai, Madame La Cave, que votre esprit taquin vous pousse à ne jamais démentir l’absence ou la présence de l’imaginaire « loup garou ». Bien que les temps soient bousculés par la « modernité » toujours envahissante, nos chérubins s’effraient aujourd’hui, et il est heureux de le constater, des mêmes peurs que leurs parents et je suis heureux des souvenirs que vous gravez en eux, Madame La Cave, très sincèrement, vraiment !

Retournant le compliment : En parlant de souvenirs et d’enfants, une tendre association d’idées s’inscrit dans ma mémoire et me rappelle que chez vous, Monsieur Le Grenier, vous avez eu l’infime privilège d’assister à d’innocents déguisements, à des essayages de robes trop grandes, parées de dentelles fanées, véritables guirlandes de modes disparues. Combien de tendres sentiments ont pu naître à la suite de ces amusailles, parmi cette jeunesse dont vous occupiez parfois les jeudis et de ceux qui, devenus adolescents puis matures, vous ont confié un jour leurs chérubins, curieux à leur tour, et qui riront avec moquerie mais sans méchanceté, des drôles d’objets et des trop grands costumes désuets et poussiéreux rencontrés chez vous. Le plus beau voyage M Le Grenier, c’est vous qui l’offrez : LE REVE

Bulim N° 9

Flatté, troublé et ému : Eh oui, parmi les secrets dont les marques n’apparaissent pas sur mes étagères, ceux dont vous me parlez me sont sans nul doute les plus chers...

Avec tendresse : Je savais bien que vous aviez du cœur, Monsieur le GRENIER ce n’est pas comme cette maison voisine mais enfin que voulez-vous... !

Se voulant bienveillant et rassurant : Laissez donc ! il ne nous faut conserver que la tendresse pour compenser l’effroi provoqué par le temps disparu mais vous, Madame LA CAVE, vous êtes forte...

Humble  :  Je suis solide ou forte comme vous dites, je ne suis pas inquiète mais je n’offre à ces jeux gamins que le droit au mystère parmi mes caisses closes et interdites aux regards naïfs tandis que   embusqué chez moi, on le redoute, avec délices, certes, j’en conviens tandis que chez vous, Monsieur LE GRENIER...

Relativisant : Bien sûr, les apparences me semblent favorables mais sachez, Madame LA CAVE, que des craintes ne cessent également de m’obséder et, lorsque j’entends les bruits des marteaux voisins qui tapent, qui tapent sans cesse, mon angoisse redouble de vigueur. Solidaire : On a tous des craintes dans la vie et mon cauchemar à moi c’est que l’on me transforme en mansarde ! vous m’imaginez en MANSARDE, cela serait un COMBLE n’est ce pas ? Avec des cloisons... et en plâtre... car ils détestent le bois ces idiots ! Un sol en moquette et avec des tapis, véritables réservoirs à poussières –dit-il en toussotant – Enfin bref, une révolution, un tremblement de terre, comme à côté... chez les autres !

Cherchant à le rassurer : Mais pourquoi et dans quel intérêt vous transformeraient-ils nos propriétaires ?

En colère : Mais pardi, pour y aménager une chambre d’amis, et est-ce que j’en ai, moi, des amis ? Et une chambre, dites-moi donc, et pourquoi faire ?

La cave voulant le calme et l’optimisme : Mais pour y dormir... et y « fabriquer » de beaux enfants, vous savez, Monsieur LE GRENIER, une chambre sous les toits, c’est très romantique... et cela favorise les « jeux » des plus grands !

Un peu agacé : Vous n’avez pas ce risque des scies et marteaux ce qui permet et vous autorise, pardonnez-moi Madame LA CAVE, quelque désinvolture dans vos propos !

Se défendant d’un quelconque privilège : Oh ne dites pas cela Monsieur le GRENIER car je souffre également, comme vous, et mon cauchemar à moi est bien plus redoutable...

Le grenier curieux : Mais qu’en est-il de celui ou celle qui trouble vos jours et vos nuits ?

L’eau ! répond la cave à voix basse

Dubitatif : L’eau ?

Oui... l’eau !

Intrigué : L’eau ? tiens, je n’aurais pas imaginé cela et pourquoi donc l’eau ? Parce que si vous redoutez un avenir en mansarde ou plus encore, si l’idée de périr par le feu attisé par l’air des vents en colère perturbe vos sommeils, moi, l’élément qui hante mes crépuscules est le déchaînement des eaux et l’inondation par le débordement des égouts qui me frôlent, vous savez, ces veines odorantes, obscures et souterraines de l’humanité urbaine...

Le grenier larmoyant et loin de sa superbe : Quelle époque vivons-nous Madame LA CAVE, tout cela nous le devons au monde actuel avec tous ses trucs et ses nouveaux machins car si l’on conteste notre utilité pour laisser la place à ces maisons « modernes » sans cave et sans grenier, quid alors des cahiers jaunis, au feu les journaux intimes, à la casse les poupées... démodées. Disparues odeurs et saveurs. Mais, que pouvons-nous faire, chère amie ?

Résignée : Pas grand-chose, Monsieur LE GRENIER, bien que pour partagions une communauté de destin. Hélas, comme les extrêmes et contrairement à ce qui se prétend parfois, nous ne pourrons jamais nous rencontrer pour suspendre les temps qui nous sont si chers. En revanche, et comme nous appartenons au même corps, nous devrons, pour le meilleur, unir nos pensées et souhaiter que l’adversité soit encore un peu clémente avec nous, Monsieur LE GRENIER.

Le soir s’installe ainsi que la fatigue des ans. Nous devrons laisser poindre un nouveau jour, riche de ses promesses, et permettre à l’avenir de prendre place. Vous me voyez ravie de cette fraternelle causerie même si parfois la distance qui nous sépare a pu altérer quelque instant nos propos. Je vous souhaite une bonne nuit Monsieur LE GRENIER. Que longtemps encore la lune et les étoiles éclairent toujours avec abondance et à travers vos tuiles fragiles votre plancher, un peu vermoulu convenez-en, mais receleur de tant de savoureux secrets de nos maîtres endormis...

Je referme ces guillemets, le combat verbal ayant cessé. La réconciliation venue mais abasourdi par ce que je venais d’entendre, je demeurais « coi » face à ce surprenant spectacle pour lequel j’étais un témoin, seul, mais privilégié. Cet insolite événement amena ma réflexion vers une pensée commune laquelle prétend que les murs ont des oreilles. Je le savais déjà mais alors, aujourd’hui je constate qu’ils parlent également ! En conséquence et à l’avenir, méfiez-vous à la cave de vos actes, soyez prudents de vos paroles dans le grenier et tout ira bien pour vous... car, je vous le dit en secret... ils répètent tout !

Ce qui vient d’être lu est bien sûr, une histoire imaginaire, le discours possible et animé qui pourrait s’instaurer entre deux voisines d’une même maison, à la condition cependant essentielle que les objets ou tels puissent un jour avoir la parole. Cette condition remplie nous ouvrirait, sans doute, la porte d’un espace que l’on ne peut imaginer aujourd’hui mais qui à l’écoute de ce qui précède, ne manquerait certainement pas de sels et qui sait, libérerait chez chacun la faculté de créer son propre monde... à sa guise.

Fin

Maxime :

Ô vous qui spéculez sur le monde, méfiez-vous des auteurs qui ont voulu se faire les interprètes entre la nature et l’homme par leur seule imagination. N’ayez confiance qu’en ceux qui ont réfléchi à partir de l’expérience. Et souvenez-vous que les expériences peuvent être trompeuses si l’on n’y prend garde, et que là où l’on croit n’en voir qu’une, toujours la même, il y en a souvent plusieurs, très différentes.

Publié dans les Bulim - Bulletin N° 4 à 9  -  Abonnez-vous

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