Obédience : NC Loge :  NC Date : NC

   

Les Confréries
 
 
Depuis toujours, les humains se sont transmis des savoirs qu’ils jugent si importants, si précieux, qu’ils ont autant besoin de les partager que de les protéger.
Ces savoirs supposent un apprentissage, donc des maîtres, une expression…
On peut penser que les peintures pariétales des grottes du Périgord ou du Tassili, la gravure des pierres de granit de Bretagne (9 000 ans av JC) ou d’Israël (16 000 ans av JC) sont une transcription/transmission en des lieux sacrés et secrets où se réunissaient des hommes ou des femmes autour de leurs maîtres ou maîtresses (ou de leurs prêtres et prêtresses).
 
Le contenu de ces transmissions reste énigmatique pendant la protohistoire et la préhistoire. Au temps de l’Egypte, de la Perse ou de la Grèce antiques, l’enseignement développe la pensée et le jugement, la parole puis l’écrit, l’art de la rhétorique. Les noms de quelques grands maîtres sont restés dans les mémoires et cette tradition se poursuit à l’ère chrétienne avec les pères de l’Eglise. De grandes dames y tiennent leur place, telle la grande prêtresse de l’Oasis du Fayoum, les sibylles, Hildegarde de Bingen, Mathilde de Magdeburg et Blanche d’Anvers... Peu à peu, autour de ces maîtres, se forment des groupes dont certains prennent le nom de confréries.
 
&&&
 
Le mot confrérie semble évident 
Cum en latin signifie avec. La confrérie rassemble des frères. Elle accueille hommes et femmes, hommes ou femmes, selon ses propres codes. La transcendance donne à ce lien tout son sens puisque la fraternité suppose un géniteur ou un Créateur commun.
Les membres d’une confrérie s’élisent après recommandations, enquêtes et cooptation.
Autant les corporations de maçons opératifs sont connues, au moins par leurs chefs d’œuvre, autant les confréries, comme la Maçonnerie, sont ouatées de discrétion.
 
&&&
 
Les maîtres du Moyen Age cherchent à développer la subtilitas, capacité de l’Homme à ressentir la beauté dans ses manifestations les plus fines, à se laisser pénétrer par la Beauté dans sa dimension supérieure qui est Dieu même.
Musique, poésie, dessin, architecture, peinture, sculpture se travaillent en ce but, non pour l’esthétique, mais dans une quête absolue de maîtrise de soi et de son geste. Et la quête de Beauté.
C’est dans cette perspective que se forment les confréries, associations pieuses et de bienfaisance. Garante de la Tradition qu’elle transmet, la confrérie a ses propres traditions – qui se traduisent en rites et obligations – et développe une forme de pensée : on y travaille à huis clos la rhétorique et la poésie en de grandes joutes oratoires. A la différence de la guilde et de la corporation qui rassemblent les membres d’une même profession, la confrérie accueille en son sein des notables (personnes que l’on note, que l’on remarque) et leur offre un cercle où exprimer leur personnalité ésotérique alors que, partout en Europe, la crainte de l’Inquisition restreint la parole.
 
A Jumièges, au cœur de la forêt, près de l’Abbaye, la Confrérie de St Jean élit chaque 23 juin, selon un rituel scrupuleux, son Grand Maître qui prend alors le titre de Loup Vert. Il reçoit une large houppelande et un bonnet pointu couleur de feuillage. Avant son intronisation, il subit le simulacre d’une mise à mort sur le bûcher et reparaît à minuit : mise en scène de la mort annuelle de la végétation, passage obligatoire vers sa renaissance et l’abondance de moissons futures.
Cette tradition montre qu’en nos provinces, nos ancêtres soignent depuis toujours leur transmission des Lois de la Nature.
 
Chaque cathédrale abrite sa confrérie
Lorsqu’elles s’installent entre les colonnes des cathédrales, les confréries nous sont connues : on les trouve sous le nom de chambres de rhétorique en Picardie, en Flandres et en Artois, officiellement dès le XIVe siècle. Elles existent bien plus tôt, à Abbeville, Douai, Arras, Rouen... dans toutes les cités de la petite France des XI, XII et XIIIe siècles, pendant lesquels sont édifiées les grandes cathédrales gothiques.
Ainsi trouve-t-on la Confrérie du Puy à Amiens, la Confrérie de la Joie à Noyon, à Paris la Confrérie du May des Orfèvres qui, loin d’être tous joailliers, travaillaient l’Or, au sens secret du mot.
 
A la Renaissance, les confréries sont dites néo-platoniciennes, dans la tradition grecque de l’art oratoire (des sophistes puis de Platon, Aristote et leurs écoles) comme à Bologne, Padoue ou Milan, autour de Marcel Ficin ou de Galilée.
La rhétorique déploie son enseignement en 5 parties, 5, le nombre de l’Homme : l’invention, la disposition, l’élocution, la mémoire et l’action. Elle est figurée par l’allégorie d’une femme armée d’un casque et d’une épée, telle Athéna, ou d’un stylet et d’une tablette.
 
Les confréries supportent les musiciens et les poètes, commandent peinture, sculpture,  joaillerie, menuiserie ou ferronnerie d’art.
 
La confrérie du Puy Notre Dame
Avérée au moins dès 1388, elle est fondée par les Rhétoriciens de la ville d’Amiens et perdure jusqu’en 1755.
C’est une association à la fois pieuse et littéraire qui se réunit dans l’église paroissiale de son Grand Maître avant d’établir sa chapelle en la cathédrale, au pied du pilier rouge.
 
A Noël et à chacune des 5 fêtes de la Vierge, la Confrérie organise une joute de poésie en son honneur, dont le refrain reprend la devise du grand maître.
 
En Occitanie, les troubadours chantaient à la Dame de leur pensée les ballades par lesquelles ils se transmettaient tradition et enseignement. Dans la France du nord, c’étaient les trouvères. Leurs chants sont courtois, destinés à la cour du seigneur du lieu.
Ballade, du latin ballare, danser : chanson de danse apparue vers 1250, aux formes très libres qui deviennent des poèmes à forme et rime fixes (refrain et 3 couplets) : Guillaume de Machaut, Eustache Deschamps, François Villon, Clément Marot…
 
Les membres des confréries chantent Notre Dame.
On couronne la meilleure ballade, au propre et au figuré, puisque le lauréat reçoit une couronne d’argent. Les convives, coiffés d’un capel vert, en fait une couronne de lierre, le reconduisent chez lui en triomphe. On imagine la liesse qui anime les rues ces soirs-là, pour mieux cacher les travaux ésotériques et les dons.
 
Le Grand Maître de la Confrérie du Puy est élu chaque année à la Chandeleur. Il élabore sa devise qui figure sur l’œuvre glorifiant Notre Dame qu’il offre à la cathédrale, à la Noël suivante : un jeu de mots porte sur son nom ou ses particularités et laisse deviner sa contribution philosophique. Toutes les devises sont gravées sur une longue pierre noire au bras sud du transept. En voici quelques exemples.
1567 “Roche d’où sort la fontaine d’eau vive”
1518 “ Au juste pois véritable balance”
1520 “Palme salute du Sauveur pour victoire” qui évoque Ste Catherine d’Alexandrie,
1548 “Triomphe exquis au chevalier fidèle”
1601 “Terre d’où prit la vérité naissance”
 
Plus de 400 œuvres sont ainsi commandées aux artistes les plus renommés, sans aucune trace de paiement. Il s’agit aux premiers siècles d’une toile de maître, illustrant cette devise, qui reste exposée un an à l’autel de la Vierge adossé au Pilier Rouge, à la croisée du chœur et du transept sud. Le tableau figure donc en la cathédrale, puis il est reporté chez son donateur lorsqu’il descend de charge.
En 1493, la confrérie du Puy décide que ces tableaux resteront désormais attachés aux piliers de la cathédrale puisque la Confrérie y avait fixé son siège. Malheureusement, au début du XVIIIe siècle, le marquis de Bombelles, alors évêque d’Amiens, n’aime pas la « vieille peinture » et les œuvres du Puy sont dispersées, vendues pour payer le badigeon des murs.
Tardivement, ferronnerie d’art ou boiseries sculptées sont aussi offertes à la cathédrale. Et nous percevons alors l’assimilation entre la cathédrale Notre-Dame et la Vierge elle-même, signe du rôle majeur des cathédrales gothiques dans la vie de ce temps.
 
D’où vient le nom de Puy ?
Le puy est un mot trin : mot de trois lettres et de trois acceptions.
On pense en tout 1er au puits sacré de chaque cathédrale : celui de Chartres, profond de 33 mètres, est dans la crypte. Celui d’Amiens est caché sous une dalle munie d’un gros anneau, au nord du déambulatoire. Différent du puits de l’œuvre utilisé par les bâtisseurs, ce puits comme celui de la Samaritaine, donne l’eau qui apaise toute soif.
            Cf Jean IV, 1-30
            Et noter que les Romains nommaient Samarobriva la ville d’Amiens. Mot voisin de Samara.
Il figure sur un quadrilobe au portail de Notre-Dame d’Amiens et en médaillon à Notre-Dame de Paris.
 
2°- Le puy, du latin podium, est aussi l’estrade sur laquelle on déclame en public.
C’est une hauteur, une montagne, donc un tertre. Le Puy d’Amiens se relie donc à tous les édifices sacrés construits sur une éminence naturelle ou créée de main d’homme comme les cairns et tumuli de Bretagne et du monde celtique, les puys d’Auvergne, les pué ou de Vendée, pech ou peuch de Corrèze, pouey ou pouy du Sud-Ouest, puis de Picardie, puich d’Artois…

 
3°- On appelle puys les œuvres d’art commanditées annuellement par la confrérie amiénoise. Certaines sont conservées à Paris au Musée Cluny du Moyen Age et au Louvre, d’autres au Musée d’Amiens.
 
&&&
 
Et les autres…
Nombre d’autres confréries sont, comme celle du Puy, le creuset d’éminents travaux souvent restés tus, non communiqués.
 
Les confréries de femmes sont encore plus discrètes. On voit néanmoins dans une chapelle aux belles boiseries XVIIIe de la cathédrale de Noyon, une clé de voûte du XIIe représentant une femme se tenant à l’ordre…
 
Ainsi les Béguines qui pratiquent la sagesse et l’entraide et vivent autour d’un béguinage. Elles élisent à leur tête une Grande Dame pour quelques années. Présentes à Liège déjà en 1180, puis à Valenciennes, Douai, Cambrai et dans toutes les villes de Flandre et du Hainaut, on connaît d’elles surtout leur bienfaisance. Peu de leurs écrits nous restent, Marguerite Porète fut brûlée avec son livre « Miroir des Ames simples anéanties et qui seulement demeurent en désir d’amour » en 1310, une semaine après les 1ers Templiers.
Le rayonnement des béguines est discret, non mesurable. On sait qu’elles influencent Maître Eckhart.
 
Enfin nommons les confréries de Pénitents du monde hispanique, Flandres incluses, qui pratiquent la bienfaisance avec discrétion et les processions avec démonstration.
A Béthune, la confrérie des Charitables, les karitaules, fondée en 1188 lors d’une épidémie de peste, assure encore aujourd’hui l’accompagnement des mourants et le service des morts. La confrérie compte 33 associations confraternelles pratiquant la karité.
 
&&&
 
Peu à peu, les siècles passant, les confréries perdent leur objet initial. Certaines s’adonnent à une tradition purement matérielle, tel le vin ou le houblon, ou se dissolvent. En 1792, la révolution dissout toutes les confréries de France. Seules quelques-unes resurgissent au XIXe siècle.
 
Le plus réjouissant de cette recherche est de constater qu’en tous temps, en tous lieux, des hommes et des femmes ont consacré du temps et des ressources à La Quête, dans un environnement choisi et fraternel.
 
© Emmanuelle Auger
Publié dans l'EDIFICE avec l'aimable autorisation de l'auteur - Mai 2019

7610-1 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \