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Le comte de Saint-Germain



Le T . V. m’a demandé de plancher sur « Le comte de Saint-Germain et la Très Sainte Trinosophie », le seul ouvrage qui lui soit normalement attribué.

1. Le comte de Saint-Germain 


Tout d’abord, évitons cet amant de la chanteuse Dalida ayant usé de ce patronyme pour nous concentrer sur son homonyme ayant vécu principalement sous le règne de Louis XV.  Il paraît donc judicieux de commencer par établir la biographie de ce personnage sulfureux, très méconnu et pour cause car on ne sait pratiquement rien à son endroit. En effet,  le dossier demandé ultérieurement par Napoléon III et déposé aux Tuileries finit par être détruit lorsque l’incendie du palais eut lieu en 1871.  Par voie de conséquence, il se répète toujours à peu près la même chose lorsqu’on évoque le fameux comte.

Comme dit plus haut, le comte de Saint-Germain apparut en plein milieu du règne de Louis XV dans les années 1750-1760. On entendit parler de lui pour la première fois en France lorsqu’il adressa une lettre au marquis de Marigny, à la fois ministre en charge des manufactures du roi et frère de la marquise de Pompadour, la favorite du monarque. Dans cette missive, le Comte justifiait ses compétences en matière d’alchimie en précisant qu’il était un expert dans le domaine des teintures et qu’il souhaitait faire profiter notre pays de ses dernières innovations techniques. Ne sachant pas trop comment interpréter le sens de ce courrier, le ministre, prudent, tergiversa quelque peu en hésitant sur la conduite à tenir ; Saint-Germain fut néanmoins présenté à la favorite… passage obligé pour atteindre le souverain. Le Comte ne mit pas très longtemps à faire la conquête de Louis XV par son esprit, déployant tous ses talents et surtout exhibant des diamants d’une taille impressionnante qui ne manquaient pas d’attirer l’attention du monarque. Finalement il fut accédé au désir du Comte et il lui fut concédé des appartements au château de Chambord où il put tout à loisir s’adonner à sa passion des sciences. Était-il réellement un alchimiste ? Il est difficile de se prononcer car il ne sortit rien de bien sérieux des travaux effectués sur les teintures dans le domaine royal. Le Comte était-il pour autant un usurpateur ? Nous avions évoqué son amour des pierres car un épisode en joaillerie a retenu l’attention ; le roi aurait fait appel à ses services pour effacer des taches indélébiles sur l’un de ses propres bijoux que le comte aurait ramenés un mois après en ayant fait disparaître le défaut.

La demande d’un laboratoire pour travailler sur les teintures semble fondée car il aurait fait la même démarche auprès des Autrichiens, ce qui paraît confirmé par les dépêches de Cobenzl (1712-1770), l’ambassadeur d’Autriche à Bruxelles qui l’a rapportée de son côté, et à laquelle il ne fut pas donné suite.

S’il se dégage un fondement sérieux à cette histoire de teintures se retrouvant dans deux pays de manière à peu près équivalente, l’ensemble montre néanmoins un côté assez disparate et il est peut-être prioritaire, à ce stade, d’esquisser une certaine chronologie dans l’existence du comte. S’il est malaisé de dater la naissance d’un homme surgi de nulle part et prétendant posséder la vie éternelle…, sa première apparition se manifesta à Londres à partir de 1745 où il résidait alors depuis deux ans. Il s’y était fait remarquer par des talents musicaux, jouant brillamment de divers instruments (clavecin, violon…) et composant des pièces de musique.   
 
On ignore pour quelle raison il quitta l’Angleterre précipitamment… pour ne réapparaître en France qu’en 1758 avec cette fameuse requête auprès du ministre du Bien-Aimé. Durant cette disparition d’une douzaine d’années, personne ne sut ce qu’il fit et les bruits les plus fantaisistes coururent à son endroit (voyage en Orient ?). Dans la lettre au ministre, il prétendait qu’il s’était retiré sur ses terres en Allemagne. Ce qui assura son succès dans notre pays, en dehors de la grande culture qui éblouit Louis XV (on rapporte que le Comte parlait plus de  dix langues étrangères), ce furent les rumeurs les plus étranges à propos de son âge. Les récits de l’époque l’ont présenté comme un homme d’environ une cinquantaine d’années, bien conservé et vêtu avec élégance, sinon avec exubérance si l’on s’en réfère à ses diamants ! Or, une certaine Madame de Gergy, d’âge canonique et ex-ambassadrice à Venise, affirmait l’y avoir croisé il y a plus de cinquante ans, ce qui aurait alors donné au comte de Saint-Germain plus de cent ans… et pourtant, toujours selon cette dame, elle le revoyait sous un aspect identique à la Cour de France ! Le comte laissa dire et se garda bien d’apporter une réponse claire à ce mystère… comme à d’autres d’ailleurs puisque beaucoup, y compris le duc de Choiseul, s’interrogeaient sur ses origines, à la fois sur celle de son nom et de sa fortune permanente. Le doute ne fut jamais levé ; pour ce qui était de sa généalogie, il en aurait communiqué le secret à Louis XV qui ne tolérait pas qu’on raillât à ce sujet devant lui (certaines hypothèses furent émises : pour les uns, il était un bâtard de sang royal apparenté aux Habsbourg et, pour d’autres, il descendait de la famille hongroise des Rakoczy).

Cette connivence entre un prince émerveillé et une figure étrange fit que le premier se servit du second pour en faire un diplomate officieux, ce qui eut le don d’énerver furieusement Choiseul qui avait, très officiellement, des visées totalement opposées et qui mit tout son entregent pour faire capoter les projets du Comte. Lâché alors par Louis XV qui pouvait difficilement avouer qu’il menait à la fois deux politiques aussi divergentes, il dut s’enfuir et retourna en Angleterre à la fin de l’année 1760. Il y resta peu de temps puisque, dès 1762, on le retrouvait à Saint-Pétersbourg sans trop savoir au juste ce qu’il y faisait. Là encore, subsiste dans sa biographie, un trou d’une quinzaine d’années car ce fut seulement en 1777 qu’il s’installa en Allemagne, décédant (officiellement ?) sept ans plus tard.
 
Si nous ne souhaitons pas commenter sa soi-disant haute naissance (les enfants illégitimes de sang royal étaient alors légion en Europe) ou sur sa fortune (la Pierre philosophale était une argutie un peu trop évidente pour justifier toutes ses richesses), il semble plus intéressant, en revanche, de s’arrêter sur son parcours maçonnique... ou prétendu tel ! En effet, le Comte s’est lui-même déclaré franc-maçon ; le fait en soi n’avait rien de surprenant en cette fin de XVIIIe siècle où beaucoup d’aristocrates voyageaient, profitant de se faire recevoir en loge car c’était aussi un phénomène de mode. En outre, cet ouvrage hermétique du nom de Très sainte Trinosophie lui fut attribué et il se vantait d’avoir percé les secrets de l’alchimie.
 
2.  Quelques rudiments basiques pour comprendre l’alchimie

-          La conception des alchimistes : donner un coup de main au Créateur qui n’a pas eu le temps de tout faire. Cela implique de facto que le monde n’est pas parfait en un temps (le Moyen Âge) où la féodalité et une Église toute puissante dictent leurs lois. A ce titre, l’alchimie est essentiellement perçue contre un contre-pouvoir ;
-          Une alchimie opérative (ou manipulatoire) et spéculative (ou philosophique pour tenter d’expliquer les grandes questions métaphysiques
-          Pour la première, elle est composée de 2 Principes : le Soufre (la force, le feu, le fixe) et le Mercure (la beauté, l’eau, le volatile) auxquels s’ajoutera le Sel (la sagesse)
-          La réalisation de toute transmutation passe par des états de couleur différents : le noir (putréfaction), le blanc (on ne devine pas très bien le visible : les ténèbres) et le rouge (obtention de la Pierre philosophale)
-          Au niveau opératif, la théorie des 4 éléments perdure jusqu’à Lavoisier    
 
3.      Explications symboliques de la Très Sainte Trinosophie
 
Il est à priori douteux d’attester que Saint-Germain en fût l’auteur pour diverses raisons. D’abord, le narrateur de ce récit commence par préciser qu’il l’écrivit au fond d’un cachot en précisant qu’il avait été torturé. Or, Saint-Germain n’a jamais été emprisonné à notre connaissance. Ensuite, dès l’introduction, les premiers mots indiquent que nous sommes dans la région de Naples alors que, dans la biographie de Saint-Germain, il n’existe aucune trace de son passage dans cette ville du Sud de l’Italie. Enfin, cette quête symbolique correspond peu au personnage un peu mondain qu’était Saint-Germain.

En revanche, ces éléments cadrent mieux avec Cagliostro qui fut enfermé dans des conditions très dures par le Souverain Pontife et qui connut bien Naples avant d’en être expulsé comme tous les francs-maçons au même titre que le baron de Tschoudy. De plus, les motifs conduisant à la prétendue incarcération cadrent très bien avec ce que subit de son côté le Grand Cophte.

Le livre fait environ trente-cinq pages et est divisé en douze sections de 2-3 pages chacune et précédée d’une illustration relative aux propos venant immédiatement après. L’ensemble peut être résumé comme une initiation alchimique et maçonnique.

La première section, à considérer comme une introduction, concerne l’orgueil menant à l’indiscrétion et à l’abus de pouvoir. Puis, à la section suivante, le voyage commence avec l’arrivée dans un monde souterrain ; après un long cheminement, le narrateur arrivait dans une place carrée ouverte sur chaque côté avec des portes de couleurs différentes. On entrait par celle du septentrion de couleur noire ; face à elle, celle de couleur rouge, puis la bleue et son opposée qui était blanche. Au milieu de la salle, se trouvait une étoile de cristal très brillante. Sur la face septentrionale, figurait une peinture, celle de la section II, où une femme apportait la Lumière.
 
A la section III, le chemin continue par la porte blanche, l’auteur étant plongé dans un océan impétueux et une pluie infernale tout en étant guidé par une main invisible. Alors qu’il est prêt de défaillir, il est secouru par un homme, dans une barque, vêtu richement et couvert d’une couronne d’or, qui le mène jusqu’au rivage où était placé un mur d’argent avec des arcs et des flèches, les deux lions au milieu. 
Après l’eau, le feu à la section IV avec le soufre et « quarante colonnes de feu » ; au centre, une épée tuant un serpent (typique de Cagliostro : « il faut tuer le Mercure » qui est en fait un mauvais compagnon. Puis l’épée (également symbole du feu) fend les rayons du jour… et l’auteur se retrouve à la surface de la terre (section V), balloté entre ciel et terre. Alors qu’il pense s’écraser contre un rocher, il se retrouve assis sereinement devant un feu pur. La description de l’oiseau est intéressante : « les pieds étaient noirs, le corps d’argent; la tête rouge les ailes noires et Le Col d’or. Il s’agitait sans cesse mais sans faire usage de ses ailes. Il ne pouvait voler que lorsqu’il se trouvait au milieu des flammes. Dans son bec était une branche verte ». On se retrouve ainsi avec un ternaire : l’autel, l’oiseau et le flambeau.
Après cela, le narrateur, à la section VI, fait face à un palais immense de forme triangulaire et reposant sur 4 étages de colonnes, blanc, noir, vert et rouge (les mêmes couleurs que celles de la croix). Le ternaire a disparu et laissé place à un vieillard vénérable plein de sagesse qui l’accompagne pour le présenter à ses frères…Ceux-ci lui font le baiser de la paix et lui offrent des cadeaux : un cube de terre, trois cylindres de pierre noire, un vase d’argent. On retrouve le ternaire : l’autel, l’oiseau et le flambeau, le premier étant appelé athanor. Il faut employer les dons selon un ordre précis (alchimie) et avala le liquide de la coupe de cristal symbolisant le feu divin.

Section VII, c’est un peu la renaissance après l’initiation puisque le narrateur se purifie dans une cuve ovale soutenue par trois piliers durant trois jours. Au-dessus d’elle, le dessin proposé avec deux colonnes de marbre servant de support à une plaque de marbre arrondie formée d’une croix de quatre couleurs, attachée à une traverse d’or qui soutient deux autres cercles concentriques le plus grand, noir, l’autre rouge (les deux étapes de la transmutation avec la putréfaction et l’œuvre au rouge. D’une façon générale, en alchimie, un bain signifie la dissolution de l’or et de l’argent ou la purification des deux métaux. Après cette purification, l’homme ressort de la galerie.

A la section VIII, celui-ci passe dans un appartement circulaire où il est en contact avec du sel blanc supportant des raisins et un lion couronné. Toujours la permanence des 4 éléments car, à la sortie, l’homme a le choix entre deux chemins : d’une part, la vapeur brûlante et, de l’autre un lac où il se baigne 13 jours.
Il ne manquait plus que la terre : elle est présente à la section IX. On y voit ses entrailles ; l’homme est dans une salle (« un carré long »), plongé dans l’obscurité. Il aperçoit néanmoins deux tableaux représentant la mort. Le cheval symbolise un peu la chute de Troie avec un cadavre en sortant tandis que celui du dessous est encore plus explicite si nous regardons bien les couleurs : un homme vêtu de rouge tente de le relever… Le narrateur parvint à sortir de cette pièce et travers un lac dont les eaux s’avèrent plus claires à mesure qu’il le traverse. Sa robe, qui était noire, reprit des couleurs.

A la section X, la transmutation semble en bonne voie, tout au moins sa version humaine, avec cet individu revivifié s’échappant du cercueil et portant une couronne.


Section XI : avant le tableau représentant un homme dans la fleur de l’âge ceinturant un adolescent essayant de s’échapper, le narrateur tente d’attraper un oiseau (le volatile) avec difficulté mais y parvint quand même. L’homme d’un certain âge a une épée et une aigrette rouge tout en maintenant deux serpents (le fixe domine le volatile)

Section XII : le narrateur arrive dans une salle ronde (l’unicité de la matière) tapissée de sable rouge. Quant à sa robe, elle change de couleur (du vert au rouge), tandis qu’au contraire le sol noircit avant de sortir pour voir le tableau de ce couple porté par les nuages. La femme tient trois globes et l’homme un casque couronné. On est visiblement parvenu à la transmutation ou à l’initiation parfaitement maîtrisée.
Les dernières phrases sont : « Je traversai la place, et montant un perron de marbre qui se trouvait devant moi, je vis avec étonnement que je rentrais dans la salle des trônes, (la première où je m’étais trouvé en arrivant au palais de la sagesse) l’autel triangulaire était toujours au centre de cette salle mais l’oiseau, l’autel et le flambeau étaient réunis et ne formaient plus qu’un corps. Près deux était posé un soleil d’or, l’épée que j’avais apportée de la salle de feu, reposait à quel que pas de là sur le coussin d’un des trônes… » 
 
Au-delà de ces planches de symbolique, il faut resituer le contexte, en cette fin d’Ancien régime, avec ces trois fortes individualités que furent Cagliostro, St-Germain et Mesmer et que d’aucuns résument comme ayant été des « charlatans ». Ils représentèrent diverses formes d’alchimie opérative ; le premier usa du Grand Œuvre comme outil de sa maçonnerie égyptienne (la villa Malta et son attitude douteuse), le second prétendit, un peu malgré lui, de posséder l’élixir de longue vie et le troisième le remède universel avec son fameux banquet rempli d’eau magnétisée. Les expériences de Lavoisier allaient bientôt tous les mettre d’accord.
En revanche, cette symbolique maçonnique n’était pas près de s’éteindre…
 
J’ai dit, T.V.

Alain Queruel

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