Obédience : NC Loge : NC 01/02/2016

 

Djihadisme

Avec un certain recul je vais essayer de répondre sans détour à une question simple : Que signifie « djihad » et quel est son but ?

Au sens étymologique du terme le mot arabe djihad signifie effort de l’âme, mérite de l’homme ou mieux encore la qualité qui fait la valeur morale et physique d’un homme. Il s’agit d’une disposition spirituelle à agir avec persévérance en accord avec la loi divine, un comportement permanent, une force avec laquelle l’individu se porte volontairement vers le bien, vers son devoir et se conforme à un idéal moral religieux en dépit des obstacles qu’il peut rencontrer. Le djihad est une force de l’âme qui nous porte à faire ce qui est bien même au détriment de notre propre intérêt.

Lexicalement « djihad » veut dire « effort, lutte, travail sur soi, maitrise de soi, combattre afin de s’améliorer. Le djihad en islam est une force du cœur qui a pour but de permettre de conduire l’existence selon la divine harmonie afin de l’élever au rang de la création et l’obstacle principal à vaincre est l’ego qui doit être totalement dominé. Le mot djihad ne signifie pas guerre sainte ou que sais-je encore, traduit littéralement la guerre sainte en langue arabe serait « alharb almuqaddasa ».

Le mot djihad dans le coran prescrit à l’être humain de lutter et de faire l’effort constant d’atteindre et de demeurer dans le droit chemin : al djihad bi amwalikum wa antfusikum : lutter au moyen de vos biens et de vos âmes.

Tassawuf (soufisme), charia et djihad sont intimement liés depuis les origines de la révélation prophétique de l’islam. Tassawuf désigne en arabe le cœur ésotérique d’une façon générale. Tassawuf peut se traduire correctement par initiation c’est à dire la vérité intérieure qui vivifie et permet la compréhension profonde de Charia qui veut dire la grande route le cheminement vers la connaissance (Nous t’avons placé sur un grand chemin, suis-le et ne suis pas les passions des ignorants. L’ignorance avilit tout ce qu’elle touche).

Ainsi djihad peut être compris comme étant une disposition constante à accomplir une sorte d’actes moraux par un effort de volonté. L’idée que le djihad suppose un acte de volonté nous dit aussi qu’il ne va pas de soi, qu’il n’a rien d’évident, qu’il est le résultat d’une réflexion active et d’une détermination forte parce que le prophète (paix sur lui) a été un roi en construisant un État à Médine et parce que ses successeurs les califes ainsi que leurs opposants vont faire de la politique au nom de la religion. Des courants politico religieux apparaitront et seront plus politiques que religieux.

La mémoire de cette époque initiale de l’islam est encore intacte dans l’islam moderne et contemporain. En effet la constitution des courants dans l’islam se produira à trois moments de son histoire au 7ème siècle au moment de la succession du prophète puis au 9ème siècle au moment de la constitution de l’orthodoxie sunnite et enfin au 19ème et 20ème siècle avec le choc de la rencontre du monde arabe avec la modernité et la puissance occidentale.

Au 7ème siècle la succession du prophète à la tête du jeune État islamique crée à Médine et élargi au nouvel empire arabe va donner lieu à une compétition farouche entre la famille du prophète représentée par Ali son cousin et gendre, soutenu par Médine les guerriers radicaux et l’aristocratie de la Mecque représentée par le clan des Omeyyades (1). De cette guerre de succession sortirons :

Les sunnites qui forment le courant majoritaire issu de l’aristocratie mecquoise partisane d’un califat dynastique qui sera construit par les Omeyyades et les Abbassides (2).

Les chiites courant minoritaire des partisans d’Ali défait militairement à Kerala en Irak, berceau du chiisme, construisent une théologie fondée sur l’imanat (3) opposé au califat. Le chiisme deviendra au 16ème siècle la religion officielle de la Perse à partir d’une décision politique de la nouvelle dynastie Perse, décidée à se singulariser du sunnisme dans le monde arabe. L’époque contemporaine est la grande revanche du chiisme avec la révolution islamique de Khomeiny de 1979 mais aussi et surtout avec la reconquête chiite de l’Irak au lendemain de l’action américaine en 2003. C’est la vengeance tardive de la défaite de Kerala.

Le troisième courant issu de cette guerre de succession (Fitna (4)) sera constitué des séparatistes révoltés, adeptes de la violence armée contre tous les dirigeants impies. Refusant tout compromis politique ils sont les radicaux de l’islam c’est eux les djihadistes. Il faut préciser que le djihadiste a dès son origine deux acceptions : Le petit et le grand djihad. Le grand djihad c’est la voie vers la réforme intérieure, le petit djihad c’est celle de la guerre contre les apostats, contre les chiites et le courant éclairé de l’islam, influencé par la philosophie grecque : le mutazilisme (5) qui milite pour une lecture des textes sacrés fondée sur la combinaison de la foi et de la raison, affirme la liberté de l’homme face à dieu et propose une théologie spéculative.

Le rejet politique des mutazilites, ce combat perdu par le mutazilisme (courant minoritaire rationnel et ouvert, constamment marginalisé) est un moment clé de l’histoire de l’islam. Dès lors Ahmad Ibn Hanbal (6) considéré comme le fondateur du fondamentalisme à partir de l’affirmation d’un retour strict aux seules sources et fondements et a une lecture littérale des textes sacrés selon lui, vont conduire d’abord au wahhabisme apparu au 18ème siècle dans le désert arabique : Il se veut fondamentaliste, prêchant un islam rigoureux et puritain dans la filiation de Ahmad Ibn Hanbal. Le wahhabisme deviendra la bannière du royaume érigé par la tribu Saoudo sur toute l’Arabie. Le salafisme révolutionnaire hérité de l’hanbalisme et revigoré par le wahhabisme saoudien, entre dans l’arène politique et emploie l’action armée qui a débouché sur un djihadisme en faveur de l’édification d’un État islamique.

M\TT\CC\FF\ force est de reconnaitre que le vrai danger ce n’est pas la foi, le vrai danger c’est l’homme avec toute son ignorance, toute son arrogance toute sa perversité, car l’acte politique est perverti dès le départ par l’hypocrisie absolue des hommes politiques.

D’Al-Qaïda a Daech un constat s’impose : ce n’est pas la religion en tant que telle qui est convoquée mais son instrumentalisation politique en vue d’un combat djihad ce qui explique la présence de thèmes complotistes, d’une rigoureuse construction d’ennemis, de l’appel à la vengeance.

Dans son livre intitulé « justice sociale en islam » Sayyid Qutb (7) fondamentaliste égyptien écrit : « je rêve de jeunes musulmans qui se battrons pour tuer et être tuer dans le seul but d’imposer le djihad et la charia ».

Pour lui la philosophie d’Ibn Rochd de Cordoue (8) et d Ibn Sīnā (9) et autres, disant que l’islam n’est qu’un ensemble de principes que le musulman formé et éduqué adopte pour pouvoir évoluer vers la connaissance, est d’origine grecque, elle est étrangère à l’islam et doit être rejetée.

Bien que le djihadisme soit dérivé de djihad, élément important de l’islam qui pour la plupart des musulmans est le fondement d’une voie pieuse, mais pour certains consiste à faire la guerre pour poursuivre leurs buts politiques, le djihadisme dans sa conception moderne est une doctrine contemporaine qui prône l’utilisation de la violence. Leur premier principe est qu’il existe un complot pour détruire l’islam et que les pays conspirateurs sont les pays chrétiens croisés et leurs alliés juifs et sionistes d’Israël.

Le terrorisme djihadiste n’est rien d’autre que du terrorisme tout court, c’est à dire l’emploi de la terreur par des organisations politiques criminelles. Tuer au nom de Dieu est une aberration.

Je ne saurais terminer sans mettre un accent particulier sur la lutte contre la radicalisation, l’extrémisme, le fondamentalisme, le fascisme et le djihadisme. En effet la radicalisation sectaire salafiste djihadiste se base avant tout sur des thèmes internationaux : victimisation des musulmans, théorie du complot américano juif, frustration palestinienne sous le poids d’un demi-siècle d’occupation et de paralysie du processus de paix.

À ce propos monsieur Ban Ki-moon s’est dit profondément inquiet il a notamment déclaré récemment : « comme les peuples opprimés l’ont démontré tout au long des siècles, il est dans la nature humaine de réagir à l’occupation qui sert souvent d’incubateur puissant pour la haine et l’extrémisme ».

On ne lutte pas contre le terrorisme avec des mensonges et des moyens militaires utilisés par Georges W. Bush après le choc de 2001 et l’on voit le résultat avec daech qui est une opportunité géo politique fabriquée par d’anciens officiers de l’armée irakienne évincés du fait de la politique américaine irakienne et qui ont réagi par rapport à leur identité sunnite. Ils ont pactisé avec certains idéologues d’Al-Qaïda qui sont revenus chez eux et Daech est un conglomérat.

Que dire de ces guerres : Afghanistan, Irak, Libye, Syrie etc. 2000 morts à gaza, on ne fait rien, on ne dit rien. Or quand vous jetez une bombe pour tuer un individu dans une maison et que vous faites 100 victimes autour, vous avez 100 familles de terroristes djihadistes demain. Cette dimension de la politique est sans nul doute l’une des causes de la mobilisation et de la radicalisation.

Pour conclure disons que l’éducation reste l’arme la plus puissante pour lutter contre l’ignorance, l’obscurantisme et tous les dogmes et imbécilités. C’est l’arme la plus puissante pour changer le monde. On n’a donc pas besoin d’une religion pour avoir une morale ou faire la différence entre le mal et le bien.

Nous francs-maçons avons un devoir : celui de penser le monde. Notre réflexion sur le vivre ensemble, sur la laïcité, nous impose le devoir de travailler cette pierre, d’impulser dans la société une pensée juste pour bâtir un monde fondé sur des valeurs solides et qui ne cèdera pas au terrorisme comme l’acacia planté sur le tertre. Acacia nous-mêmes plantés dans la société, nous avons le devoir de devenir un jalon visible, un jalon utile à toute conscience en voie d’évolution vers la connaissance et ce zèle ardent que le maçon doit avoir pour la vérité et pour la justice au milieu des hommes corrompus qui trahissent l’une et l’autre.

La quête de la parole parfaite d’une certaine manière qu’Hiram a sacrifiée pour qu’elle ne soit pas salie, sera notre recherche personnelle permanente du bien penser, bien dire et bien faire.

J’ai dit.

P\ L\

F\ M\ B\ D\

Notes :

(1) Les Omeyyades, ou Umayyades, (en arabe : (al-ʾUmawiyyūn), ou (Banū ʾUmayyah)) sont une dynastie arabe de califes qui gouvernent le monde musulman de 661 à 750. Ils tiennent leur nom de leur ancêtre ʾUmayyah ibn ʿAbd Šams, grand-oncle du prophète Mahomet. Ils sont originaires de la tribu de Qurayš, qui domine La Mecque au temps de Mahomet.

(2) Les Abbassides sont une dynastie musulmane qui règne sur le califat abbasside de 750 à 1258. Le fondateur de la dynastie, Abû al-Abbâs As-Saffah, est un descendant d'un oncle de Mahomet, Al-Abbas ibn Abd al-Muttalib. Proclamé calife en 749, il met un terme au règne des Omeyyades en remportant une victoire décisive sur MarwanII à la bataille du Grand Zab, en 750.

(3) Imanat : Titre donné en Islam sunnite au calife choisi non forcément parmi les descendants du Prophète, mais parmi les membres de sa tribu, alors qu'en Islam chiite la lignée des Imams ne peut être que celle des descendants d'Ali. Musulman capable de diriger la prière dans une mosquée. Chef d'une secte musulmane : Fonction, titre ou charge d'imam.

(4) Fitna est un mot arabe se référant à la guerre civile, au désaccord et aux divisions parmi les musulmans, « trouble, révolte, agitation, sédition ».

(5) Le mutazilisme, ou mu‘tazilisme ou Al mu'tazila, est une importante école de théologique musulmane ('Aqîda) du 8ème siècle. Elle s'oppose aux écoles de théologie aujourd'hui dominantes comme l'Asharisme, le Maturidisme ainsi que plus littéralistes l'Atharisme. Le mutazilisme dans la distance prise avec la lecture littérale des textes est de nos jours perçu comme une réponse possible aux mouvements radicaux dit traditionalistes wahhabites et salafistes. La théologie mutazilite se développe sur la logique et le rationalisme, inspirés de la philosophie grecque et de la raison (logos), que Wassil Ibn Ata combine harmonieusement avec les doctrines de la foi islamique. Cette démarche, régressera nettement à partir du 13ème siècle chez les sunnites, ceux-ci considérant que la révélation divine n'a pas à être soumise à la critique humaine. Ainsi, après Averroès, on constate « la perte d'audience de la philosophie musulmane au profit de la mystique ». L'approche philosophique du mutazilisme reste aujourd'hui utilisée par des chiites, sur certains points.

(6) Ahmad Ibn Hanbal (al-imām aḥmad ibn ḥanbal), né à Bagdad en 780, mort en 855, est un théologien jurisconsulte et traditionaliste musulman, fondateur de l'une des quatre grandes écoles juridiques (madhhab) sunnites, connue sous le nom de « hanbalite ». Il est aussi à l'origine de la fondation de l'école théologique islamique (`aqida), l'école atharite. L'atharisme est une des trois écoles d'interprétation théologique dans l'islam sunnite.

(6) Sayyid Qutb né le 9 octobre 1906, au sud de l'Égypte. Il a été exécuté par pendaison le 29 août 1966. C'était un poète, essayiste, et critique littéraire égyptien, puis un militant musulman membre des Frères musulmans.

(7) Averroès ou Ibn Rochd de Cordoue est un philosophe, théologien rationaliste islamique, juriste, mathématicien et médecin musulman andalou de langue arabe, né en 1126 à Cordoue, en Andalousie, et mort en 1198 à Marrakech. Connu en Occident sous son nom latinisé d'Averroès. Son œuvre est reconnue en Europe occidentale, dont il est, d'après certains, « un des pères spirituels » pour ses commentaires d'Aristote. Certains vont jusqu'à le décrire comme l'un des pères fondateurs de la pensée laïque. Son ouverture d'esprit, sa modernité déplaisaient aux autorités musulmanes qui l'exilèrent comme hérétique.

(8) Avicenne, ou Ibn Sīnā, né le 7 août 980 à Afshéna, près de Boukhara (actuellement en Ouzbékistan) et mort 1037 à Hamadan (Iran) est un philosophe, écrivain, médecin et scientifique médiéval persan. Il s'intéressa à de nombreuses sciences, notamment l'astronomie, l'alchimie, la chimie et la psychologie. Ses disciples l'appelaient Cheikh el-Raïs, prince des savants, le plus grand des médecins, le Maître par excellence, le troisième Maître (après Aristote et Al-Farabi). Plusieurs théologiens musulmans de son époque comme Al-Ghazali, Ibn Taymiyya, Ibn Al-Qayim et Al-Dhahabi l'ont traité d'irréligieux.


7596-1 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \