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Hildegarde de Bingen ou l’Harmonie du Monde

Hildegarde de Bingen est une femme exceptionnelle. Femme du XIIème siècle elle fut, femme d’aujourd’hui elle est.

En octobre 2012, elle est même la 4ème femme à être proclamée « docteur de l’église » depuis l’origine du christianisme (docteur sans « E », il ne faut pas exagerer non plus…).

Qui est-elle ? Quelle était sa vision du monde ? Pourquoi cette résonance aujourd’hui ? Autant de questions qui nécessitent de connaître le contexte de l’époque, son parcours avant de décrypter son message ou ce que l’on en comprend.

Dans ce texte, je ne détaillerai pas les visions d’Hildegarde bien que chacune amène un élément à sa vision du monde ; d’autant que chaque vision peut faire l’objet d’une planche. Je vous propose une approche synthétique de ma compréhension de sa vision du monde et de la recherche de l’harmonie telle que ses visions semblent la suggérer.

Hildegarde de Bingen est née en 1098, décédée en 1179. Elle a donc 81 ans : âge canonique s’il en fut pour l’époque. C’est la cadette d’une famille de la haute noblesse de dix enfants. Une fillette, certes privilégiée et pas tout à fait comme les autres car très jeune déjà (5ans, c’est ce
qu’elle dit dans ses écrits), elle a des visions, qu’elle cache et qui lui font peur. Sans doute cette intériorisation précoce va lui permettre de développer une vie intérieure riche et construite.

Son époque est celle d’un monde en marche. C’est le temps des croisades, le temps aussi des bâtisseurs (c’est à cette époque que l’on a construit Cluny par exemple et nombre d’autres abbatiales comme Cîteaux) qui vont renouveler l’observation de la règle de ST Benoît et permettre l’essor de la vie monastique.

Au XIIème siècle, le pape règne sur tout y compris sur la politique. La puissance spirituelle prime sur la puissance temporelle.

Elle entre au couvent à l’âge de 14 ans chez les Bénédictines, prononce ses voeux perpétuels entre 15 et 18 ans. A l’époque la majorité pour les filles est à 12 ans.

A 38 ans elle devient abbesse de son couvent. Au XIIème siècle, les femmes disposent d’une liberté importante. Le rythme de vie est celui de la vie moniale avec une alternance de moments de prières et moments de travaux : au lever du soleil, c’est le chant des laudes, au petit déjeuner c’est l’eucharistie, avec l’office de tierce vers 9heures, puis temps de travail jusqu’à l’heure de sexte à 11 heures avant le repas-A l’heure de none (vers 15heures) : travail à nouveau jusqu’aux vêpres avant le repas du soir puis temps libre. Ensuite réunion de chapitre (toutes les religieuses et l’abbesse). Enfin chants de complies avant le silence du repos.

A 43 ans, ses visions (qu’elle aura toute sa vie) sont consignées dans le SCIVIAS (SCI VIAS DEI : connais les voies de Dieu).

Par la suite, elle fonde, avec une vingtaine de ses nonnes, un nouveau couvent à Bingen, ce après être entrée en conflit avec son propre couvent mais avec l’aval du pape Eugène III car les moines voyaient d’un mauvais oeil le départ des nonnes : cela affaiblissait leur couvent. Ce lieu est situé dans une région magnifique, qui a inspiré les poètes (Heine – die Lorelei, les mythes et légendes allemandes). En 1147, elle fondera une nouvelle abbaye à Rupertsberg et en 1165 une autre à Elbingen.

Hildegarde est rigoureuse et considérée comme une autorité en matiére de foi.

Elle parle de sa vie comme « d’une course temporelle ».

Elle voyage beaucoup, prononce des sermons dans les églises du nord de l’Europe. Elle échange une correspondance abondante avec les grands de ce Monde qui sollicitent ses conseils (empereurs d’Allemagne, comte de Flandres, abbés des monastères, prévôts, simples moines…) et tout cela empreint de simplicité.

Son oeuvre est très importante et variée.

- Le SCIVIAS entre 1141 et 1151, qui comporte trois livres.
- Le liber vitae meritorum (livre des récompenses de la vie qui traite des pêchés et les vertus) entre 1158 et 1163.
- Le liber divinorum operum (livre des oeuvres divines) entre 1163 et 1174 avec plus de 70 cantiques ;
- Une création musicale de haute qualité entre 1151 et 1158, encore interprétée de nos jours. C’est une musique méditative, des chants poétiques.
- De nombreuses lettres qui permettent de comprendre sa vie et son oeuvre.
- Un traité sur la règle de ST Benoît.
- Des commentaires sur les évangiles.

Elle a également eu une grande activité de médecin et de naturaliste dont se sont inspirés les naturopathes de notre temps. Pour elle, l’Homme doit être en phase avec la Nature et c’est ainsi qu’il acquiert une bonne sante. Elle dit : « le corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient faire ses gammes ». Ces ouvrages nous entrainent d’ailleurs sur le registre de ce qu’on appellerait aujourd’hui la médecine douce.

L’alimentation tient une place prépondérante pour chaque individu qui doit suivre le rythme des saisons pour savoir quoi consommer et ce en fonction de son âge et éventuellement de sa pathologie. Mais un seul chemin pour elle : celui de Dieu...

Pour elle, Dieu est une énergie, comme une lumière qui emplit l’univers et le contient.

Comme le centre est partout, son Dieu rayonne à l’intérieur de chaque être et dans l’univers. De quoi nous interpeller, nous maçonnes… Dieu n’est pas une icône mais fait partie de chaque être qui, lui-même fait partie d’un tout indivisible.

En tant qu’abbesse, femme érudite et de caractère, elle a l’oreille de grands hommes ; Elle a lutté pour détacher son couvent de l’autorité masculine du couvent de Disibodenberg et elle revendique l’autonomie de son groupe féminin face à l’autorité masculine. Le combat pour la libération de la femme ne date donc pas d’hier.

C’est une femme qui s’intéresse beaucoup à la musique, source d’introspection, lien entre l’univers et le coeur de l’être. Pour elle, la musique est un moyen d’entrer en harmonie avec le cosmos. C’est un vecteur d’introspection. L’univers est régi par des règles tout comme la musique. La vie est une gamme sur laquelle chacun joue sa propre musique. Chacun est maître de son destin.

Ce qui me frappe dans la vie de cette femme, enfin dans ce qui nous en est parvenu et des écrits sur elle, c’est qu’elle baigne dans la lumière.

Elle recherche la lumière, elle est lumière pour les autres.

Elle dit :

Lorsque j’eus quarante-deux ans et sept mois, une lumière de feu, d’une extrême brillance, venant du ciel ouvert, fondit sur mon cerveau, sur mon corps, tout entier…

Elle entend des voix qui viennent du ciel, qui lui disent d’écrire et de dire ses visions.

Augustin d’Hippone a écrit le commentaire de la Genèse qui est la base de la théorie médiévale sur la vision. Il y a différentes catégories de visions : corporelles, spirituelles, intellectuelles. D’après lui, c’est le discernement qui doit faire jaillir la vérité de ces visions.

Avant le XIIème, les mystiques ne faisaient pas appel à cette forme de contact direct avec Dieu. C’est là le point clef, me semble-t-il, du rayonnement qu’a eu Hildegarde : son discernement. C’est une communicante, dirait-on aujourd’hui.

Hildegarde se définit donc comme une passeuse, une courroie de transmission entre le ciel et les hommes.

D’ailleurs elle attire des gens très connus ou inconnus qui viennent chercher auprès d’elle la paix du coeur ou la guérison du corps. En même temps, elle sait rester simple et humaine et surtout accessible : c’est sans doute ce qui fait sa force.

Ses visions sont originales, créatives, détaillées, suscitent le questionnement. Elles sont nombreuses et évoquent des concepts, qui nous parlent à nous maçonnes, comme celui du verbe incarné dans l’Homme, l’Homme qu’Hildegarde voit comme une simple enveloppe, un vêtement. Ou encore des références de son temps, mais qui nous parlent aussi, comme les miroirs, invention du Moyen Age considérés comme des outils qui reflètent la lumière et ceux qu’on admire. Tout cela baignant dans une belle lumière, peut-être celle que nous recherchons nous aussi ?

C’est une femme de foi, qui donne un nouvel éclairage au message de l’église, un éclairage moderne pour l’époque, innovant et donc interpellant pour ses contemporains.

Elle est une lumière animée de l’inspiration divine : c’est ce qu’on dira d’elle alors que le pape Eugène III lira une partie du scivias en l’année 1147và Trêves devant une assemblée admirative.

C’est une femme pour qui la création est un émerveillement permanent. Mais les hommes ne sont pas mûrs pour se nourrir de cette beauté qui les entoure, chacun a une capacité à accéder à cela mais le parcours de vie est personnel et chacun suit son destin. Elle décrit cela de façon imagée.

L’homme a la liberté de choix bien qu’il choisisse souvent la mauvaise option…

Elle compare le corps humain à un végétal « L’âme est dans le corps comme la sève dans l’arbre et ses facultés sont comme les rameaux de l’arbre ».

Elle s’est intéressée aux plantes pour leur aspect médicinal mais aussi pour l’aspect gustatif. Ces livres de médecine et de recette sont toujours prisés par les adeptes du new age et sur les rayons de recettes de cuisine du moyen âge : un vrai best seller !

Son approche de l’univers, elle l’a particulierèment exprimé à travers ses visions et les miniatures du manuscrit de Lucques. Il s’agit là de son 3ème volume.

L’Homme au centre de l’univers, c’est ce qu’elle nous décrit à la fois dans ses écrits et également dessinés dans ses miniatures. On y voit en effet, trois siècles avant le temps de Léonard de Vinci, un homme debout bras étendus se détachant sur le cercle qui symbolise le Monde. C’est un point essentiel qui nous parle, à nous maçonnes, et en même temps, je ne peux m’empêcher de penser qu’une fois de plus cette vision d’Hildegarde a été moins « médiatisée » si on peut dire que ne l’a été en son temps Léonard. C’est une femme : pas de chance…en même temps la poésie dont elle fait preuve, la sensibilité de son oeuvre, qu’elle soit musicale ou poétique : n’est-ce pas l’apanage de la femme qu’elle fut ?

Pour elle la vie humaine ne se réduit pas à une pauvre condition humaine, fragile et éphémère mais fait partie d’un monde où chaque chose est à sa place et où tout est imbriqué et répond à une même équation créée par Dieu. Il fait partie intégrante de la nature.

L’homme a un destin, certes, une capacité à choisir mais qui s’inscrit dans une harmonie universelle voulue par le créateur ou énergie suprême. C’est cette énergie suprême qui créée les étincelles (ou parcelles de vie) - ces étincelles qui se développent comme elles peuvent ou veulent sur cette terre ou l’enveloppe terrestre n’est que le costume d’une vie de passage.

L’homme est alors considéré comme un vecteur pour permettre à l’oeuvre de Dieu de s’épanouir.

Dans ses visions qui sont très colorées, lumineuses, les quatre éléments sont présents dans les différentes scènes qu’elle dessine.

Les passions de l’homme sont considérées comme des vents qui perturbent ou adoucissent. Elle dit même qu’aux quatre vents principaux correspondent quatre énergies au sein de l’homme : la pensée, la parole, l’intention et la vie affective.

L’énergie du monde se retrouve dans l’homme, avec des aspects positifs et négatifs : Hildegarde utilise d’ailleurs le terme de « viridite » (viridis : vert, vigoureux) pour parler de cette énergie qui fait se développer la nature et l’homme. L’âme est comme le vent, elle est présente et véhicule les bonnes ou mauvaises pensées de l’homme ou de la femme qui tous deux sont complémentaires et qui, à egalité, portent l’oeuvre de du créateur, dit-elle. Pour elle, l’homme est sur un chemin à la recherche de la vérité. Il est « la clôture des merveilles de Dieu ». C’est cette phrase qui clôt sa neuvième vision : homo est clausura mirabilium Dei.

Elle nous a transmis un héritage très large dans lequel chacun peut trouver écho… Héritage religieux, médicinal, musical, poétique, philosophique et mystique…

Sa foi en l’Homme et en son perfectionnement aurait pu en faire l’une des Nôtres.

Elle a transmis son savoir dans plusieurs domaines et apporté un éclairage certain sur l’évolution de notre Monde.

Son engagement fort contre l’obscurantisme s’est fait autrement qu’en paroles : c’est dans les actes du quotidien qu’elle s’est battue.

Au-delà des arts dans lesquels elle a pu exceller, c’est une femme qui a pris des risques (en s’opposant à ses supérieurs par exemple) pour soutenir ce à quoi elle croyait tout en restant humble et fidèle à ses valeurs.

Elle n’est pas restée entre les murs de son monastère, elle a parcouru l’Europe pour répandre ses valeurs, les présenter, argumenter et notamment à travers sa foi, faire comprendre que l’harmonie du Monde passe par la transformation intérieure de l’Homme -L’Homme comme
pièce de l’Univers, mais face à ses choix. Elle a su exister dans son temps et quelque part se glisser dans le nôtre en devenant intemporelle par la transmission de son savoir.

J’ai dit.

Bibliographie :

Le livre des oeuvres divines – Hildegarde de Bingen
Hildegarde de Bingen – Regine Pernoud
Hildegarde de Bingen – Pierre Dumoulin
Les remedes de sante de Hildegarde de Bingen –Paul Ferris.


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