Obédience : NC Loge : NC 22/02/2010

 

Que sont les héros devenus ?

Dans l'antiquité, les héros sont des créatures à mi-chemin entre les hommes et les dieux et possédant pour la plupart une part de sang divin, tels Héraclès (fils de Zeus et d'Alcmène) ou Persée (fils de Zeus et de Danaé) ou encore de Gilgamesh.

Comment et pourquoi les civilisations humaines construisent-elles des personnages si exceptionnels que leurs hauts faits demeurent dans les mémoires, alors même que les circonstances historiques s’effacent ? Thésée tue le Minotaure, Alexandre tranche le nœud gordien, Vercingétorix s’oppose à César, de Gaulle lance l’Appel du 18 juin… : le héros est d’abord un homme d’action. Il surgit lorsque la communauté risque de régresser vers le chaos, a besoin de refaire son unité ou de tenter l’impossible. Non dénué d’ambiguïtés, son statut est toujours paradoxal : dieu pour les hommes mais homme pour les dieux. Oscillant entre le religieux et le laïc, le héros participe de la condition humaine tout en la dépassant; il a besoin de la violence et de la guerre pour établir l’ordre et la paix, du chaos pour instaurer un ordre accepté par tous.

Cette part divine en eux explique leur force morale et physique alors que leur part d' « humanitude » implique et explique leurs faiblesses et l'incertitude quant à l'issue de leurs aventures.

Ce qui les meut est moins noble que ce qui agite les dieux ; il s'agit pour eux d'obtenir une purification qui éliminera leur part humaine, qui en fera des « dieux à part entière » et leur octroiera l'immortalité. Le demi dieu, c'est le héros idéalisé, vu depuis un présent dégénéré, grandi par la distance temporelle.

Héraclès ne meurt pas au sens humain, il est enlevé au ciel sur un nuage en une apothéose que les mythologies réservent à ceux que les dieux acceptent à leurs cotés et qui se nommera, plus tard et en un autre contexte, une « assomption » (latin assumere = accepter consciemment une situation, un état psychique et leurs conséquences).

C'est aussi le cas de Persée qui, avec Andromède et Cassiopée, coule dans l'infini des cieux, des jours et nuits paisibles après avoir endurer de rudes épreuves (se rappeler Méduse, terrible gorgone).

Ce catastérisme (être changé en astre) figure symboliquement l'ascension céleste du héros, son immortalité. Pour nous, pauvres mortels dépourvus de sang divin, la purification nécessaire serait beaucoup plus longue et difficile ce qui explique qu'elle revêtira une signification plus spirituelle que matérielle. Nous n'avons pas de sang à transfigurer, mais notre esprit, notre éthique se doivent d'évoluer, ce qui implique aussi du courage et les héros sont des modèles à imiter et leurs exploits, leurs victoires doivent nous inspirer quant aux devoirs qui nous incombent.

« Quand les dieuxveulent nous punir, ils exaucent nos prières ». (O. Wilde)

L'aventure mythologique du héros suit un itinéraire type :

Séparation-Initiation-Retour.

Le héros s'aventure hors de son monde habituel et découvre le surnaturel, merveilleux ou terrifiant d'où il revient victorieux, dispensateurs à ses semblables des bienfaits acquis. Par ces actes créateurs découlant symboliquement d'une mort au monde, le héros revient « re-né » empli de force fécondante et source de progrès.

Les héros sont qualifiés de « justes », la justice fait ainsi une discrète entrée dans l'histoire. Hésiode n'a pas héroïsé tous les héros guerriers car il aurait sanctifié la fonction guerrière elle-même or son idéal politique de « rois » protecteurs des paysans, sa volonté de créer des idéaux « valables pour tous » impliquent au contraire le rejet ou la transformation de la fonction guerrière. Ses Iles des Bienheureux ne sont pas un « paradis d' Odin » destiné aux guerriers, elles sont un paradis destiné aux « justes ». La théologie rejoint la politique.

Les héros sont plus braves parce que plus justes, ils connaissent la peur et peuvent opérer des choix (libre arbitre).

Le personnage doit incarner « l’universel dans le particulier », « l’individualité allégorique ou symbolique dans laquelle l'humanité se reflète ».

Il y a les héros tribaux ou locaux tels l'empereur Huang-Ti, Moise ou le Tezcatlipoca des Aztèques qui n'accordent leurs bienfaits qu'à un seul peuple. Les héros universels, Mahomet, Jésus, Gautama le Bouddha, apportent un message universel.

Ridicule ou sublime, grec ou barbare, juif ou aztèque, l'essentiel ne varie que fort peu : le héros est celui qui cherche et qui trouve, qui se trouve, révélation d'un même mystère, l'acte entre tous du héros étant de parvenir à la connaissance de cette unité (intérieur-extérieur) et de la transmettre. Les héros immortels sont entre l'épopée et les cultes. L'héroïsation cultuelle joue un rôle catalyseur. Ce sont les grands ancêtres de la conscience morale.

Les héros cultuels ne sont pas « héroïsés » à cause de leurs exploits de vivants mais à cause de l'efficacité qu'on leur reconnaît après leur mort. Le héros devient ce que son culte fait de lui, un être capable de prodiguer ce que, dans l'observance du rituel, on lui demande(en général une protection).

Mircea Eliade écrit : « la fonction maitresse du mythe est de fixer les modèles exemplaires de toutes les actions humaines significatives ».

La protection apportée par Athénée aux héros Héraclès, Achille, Ulysse, Ménélas, symbolise, selon Pierre Grimal, l'aide apportée par l'esprit à la force brutale et à la valeur personnelle du héros. Le héros lutte contre toute forme de banalisation, d'oppression, d'obsession : c'est Hercule contre le centaure, Thésée contre le Minotaure, forces primitives de l'instinct et de l'inconscient.

En occident, St Michel terrassant le dragon, gardien sévère des trésors cachés, symbole du mal et comme tel, l'adversaire qui doit être vaincu pour pouvoir y accéder. En occident, c'est le gardien de la toison d'or et du jardin des Hespérides (filles d'Atlas vivant dans un jardin de pommes d'or symboles d'immortalité).

Le Chant de la Perle est un hymne gnostique appartenant aux Actes de Thomas, un célèbre apocryphe chrétien. Il décrit l'histoire d'un prince d'Orient qui part à la recherche de la perle mystérieuse, cachée dans une grotte en Égypte et gardée par un « serpent sifflant » : c'est le récit initiatique par excellence, qui illustre parfaitement le cheminement du manichéen. Au début de sa prédication, Mani suit le courant des communautés chrétiennes créées par Thomas, l'un des Apôtres, où il fait ses premiers disciples. Mani s'est identifié à Thomas, dont le nom signifie « Jumeau ». C'est la figure de lumière qu'il rencontre à douze puis vingt-quatre ans. La quête de la perle symbolise le drame spirituel de la chute de l’homme et de son salut. Elle finit par signifier le mystère du transcendant rendu sensible, la manifestation du Dieu dans le Cosmos.

La légende de Siegfried confirme que le trésor gardé par le dragon n'est autre que l'immortalité.  Les dieux avaient aidé Siegfried. Étourdi de sa victoire, le jeune homme trempa ses lèvres dans le sang qui maculait l'épée dénommée Nothung. Aussitôt il sentit une étrange mutation s'opérer en lui : le langage des oiseaux, qui commentaient sa victoire, lui était parfaitement compréhensible. Alors Siegfried s'enduisit tout le corps du sang du dragon qui au contact sa peau commença à s'épaissir, se transformant en un cuir impénétrable aux armes. Toutefois, sans qu'il le sentît, une feuille de tilleul vint se coller dans son dos, isolant la peau et ménageant ainsi un endroit vulnérable.
Le héros s'enfonce dans les ténèbres (Jonas et la baleine), pour une mort nécessaire au triomphe du Moi sur les tendances régressives.

R\ M\ Rilke : « Tous les dragons de notre vie sont peut-être des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux. Toutes les choses terrifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours qui attendent que nous les secourions ».

La quête du St Graal exige des conditions de vie intérieure rarement réunies.

Il faut aller plus loin que Lancelot et Perceval pour atteindre à la transparence de Galaad, vivante image du Christ. C'est le drame de l'aveuglement humain devant les réalités spirituelles, car on est plus attentif aux conditions matérielles de la recherche qu'à ses conditions spirituelles.

Construction de soi en rassemblant ce qui est épars.

Sartre : « l'homme n'est pas la somme de ce qu'il a mais la totalité de ce qu'il n'a pas encore ».

La quête et le voyage sont omniprésents dans la légendaire héroïque (légende=ce qui doit être lu). De même que la révolte contre le père, symbole de l'autorité et du pouvoir établis : Lancelot « drague » la femme d'Arthur, Jésus doute du Dieu son père ; Persée fut la victime de son grand-père Acrisios qui le confia au hasard des flots dans un coffre de bois ; après maintes aventures (victoire sur Méduse), lors de sa participation aux jeux de Thessalie, il lança le disque, ce dernier déviant de sa trajectoire tuant un spectateur qui n'était autre qu'Acrisios, l'oracle était accompli !

Les voyages font partie des épreuves préparatoires à l'initiation, comme dans les mystères grecs, dans la Franc-maçonnerie et dans les sociétés secrètes chinoises.

Le voyage symbolique s'effectue aussi post-mortem (livre des Morts égyptien et tibétain) et représente la progression de l'âme prolongeant la manifestation humaine, le but supra humain n'étant pas encore atteint.

L’intuition de l’illimité est essentielle au sublime.

La lance et l'épée sont des attributs communs aux héros. La lance, symbole axial, phallique est le complément du chaudron, du vase. L'épée est en rapport avec l'eau (Excalibur) et avec le dragon ; rappelons-nous quelques épées célèbres : Durandal, Hauteclaire, Joyeuse ; symbole bivalent, elle sépare le bien du mal.

Après les épreuves, le héros est confronté au retour : Jason et les Argonautes, Ulysse dans l'Odyssée. Ce retour est souvent labyrinthique. Après bien des épreuves, une nuit épaisse enveloppa le bateau ; Jason supplia Apollon d'éclairer son chemin, un long trait de feu sillonna le ciel illuminant une île blanche où ils purent jeter l'ancre ; ils appelèrent cette ile « Anaphi », ie île de la révélation. En grec ancien, Ἰάσων / Iásôn, signifie « le guérisseur » !

Ce retour est une résurrection, un exemple pour les autres, un encouragement au dépassement de soi-même. Phase finale du cycle, éternité appréhendée comme sans fin ni commencement.

Les combats mythiques illustrent les errements et les doutes de tout homme, alternant élans spirituels et chute dans le pervertissement ; le mythe, par son contenu symbolique annonce un présent conflictuel à surmonter et le projet d'un avenir à réaliser. Le héros est le champion du devenir et non du passé.

« Il est plus facile d'êtrehéros qu'honnêtehomme. Héros nous pouvons l'être une fois par hasard ; honnêtehomme il faut l'être toujours ». (Pirandello)

Mais avec le temps, le mythologique devient profane et les anciennes images ne sont plus ni acceptées ni comprises. Les dieux de l'Olympe ne sont que des débauchés entourés de déesses perverses !

« Il n'était pas un des dieux qui n'eut mérité le bûcher s'il avait été jugé selon ses mérites ». (Racine).

Il en fut de même en Chine, où sous l'influence du Confucianisme, les anciennes formes du mythe se sont vidées de leur valeur originelle.

Lorsque la poésie du mythe cède le pas à la biographie, à l'histoire ou à la science, elle est détruite. Lorsqu'une civilisation réinterprète sa mythologie de sorte que la vie s'en échappe, les Temples deviennent des musées.

« A la premièrefissure dans l'idéal, tout le réel s'y engouffre ». (J. Rostand)

Aujourd'hui, tous ces mystères se sont affaiblis, leurs symboles n'intéressent plus notre psyché. Les sciences sont descendues des cieux et leur focalisation sur l'homme (anthropologie et psychologie) marque un transfert de l'étonnement humain. Ce ne sont plus ni les mondes animal et végétal ni la magie des sphères mais l'homme lui-même qui est devenu le mystère crucial.

L'humanitaire n'est-il pas en passe de devenir la nouvelle religion de l'humanité ? L'idée humanitaire n'est-elle pas en train de se substituer aux préceptes des religions traditionnelles pour devenir la nouvelle loi d'amour universelle ? Ce concept n'est-il pas devenu l'ultime moyen de trouver un sens à la vie ? Ou encore, l'humanitaire serait-il l'agent rédempteur d'un siècle qui a sécrété l'univers concentrationnaire ?

Le recul relatif des religions dans l'Occident chrétien et la disparition des idéologies qui entretenaient le sens du sacré au sein des communautés ont occulté la question du sens de la vie, particulièrement à une époque où prédominent les valeurs du profit, de l'argent, de la notoriété et de la recherche du bonheur matériel ; la morale laïque, comme les religions chrétiennes traditionnelles, ne répond pas au besoin de transcendance et d'idéaux supérieurs à la vie. En témoignent d'autres formes de spiritualité, le retour aux sectes, la redécouverte du bouddhisme, etc.

L'homme ne peut vivre sans transcendance s'il veut donner un sens aux expériences de l'existence, de la souffrance, de la mort, de l'amour, du bien et du mal. Mais cette transcendance, et c'est là un fait nouveau, ne serait plus celle d'un Dieu qui s'impose à nous, elle ne serait plus déduite d'une révélation, mais elle partirait de l'homme lui-même.

L'humanisme moderne donnerait-il accès à une spiritualité authentique enracinée dans l'homme ?

Au cours des siècles, le contenu de la révélation chrétienne s'est humanisée. Le respect de la personne humaine, le souci de l'autre, de sa dignité et de sa souffrance ne sont plus des principes dont le christianisme aurait le monopole. Est-il besoin même d'être croyant pour adhérer à la philosophie des droits de l'homme ?

Luc Ferry, dans son livre « L'homme-Dieu ou le sens de la vie », souligne la soif d'éthique qui caractérise notre époque et qui se traduit par la prolifération des organisations humanitaires, leur combat incessant pour le respect des droits de l'homme, contre le racisme et l'exclusion. L'éthique qui anime ces organisations implique toujours l'idée du sacrifice, mais l'auteur démontre que l'éthique laïque renforce l'idée du devoir, en ce sens que le sacrifice de soi ne s'exerce plus au nom de Dieu, de la patrie ou d'une idéologie quelconque, mais qu'il est « librement consenti et ressenti comme une nécessité intérieure ». Le dévouement trouve sa source exclusive dans l'homme lui-même, et le sacrifice - qui est manifestation du souci de l'autre - agit comme un indispensable contrepoids au seul souci de soi. Autrefois réservé à la divinité, l'amour s'est humanisé jusqu'à réconcilier égoïsme et altruisme.

Cette idée est partagée par Alain Finkielkraut, qui, analysant le XXème siècle dans son ouvrage « L'humanité perdue », voit dans l'humanitaire un des moyens de réparer les méfaits d'un siècle qui a créé l'univers concentrationnaire et rendu  meurtrière l'idée même d'humanité.

Finkielkraut fait écho à Ferry pour souligner que l'humanitaire moderne ne distingue pas le blessé de droite de celui de gauche : le sauveteur suit son premier mouvement qui est celui du cœur. « C'est désormais le cœur qui a raison de l'histoire et l'émotion qui retrouve ses droits ».

Cette quête du sens de la vie, cette recherche de repères moraux, ce bouillonnement d'idées autour de l'humanitaire sont des phénomènes essentiellement occidentaux. Les vraies victimes du « désenchantement du monde » se repèrent surtout dans l'Occident chrétien, et plus exactement dans les milieux catholiques européens Comme le dit Jean Daniel, « ni les musulmans d'Occident, Turcs, Marocains ou immigrés, ni les juifs de partout, ni même la majorité des protestants d'Amérique ne paraissent courir, angoissés, après leurs repères égarés ». Il convient de relativiser les choses et de se garder de tomber dans la généralisation.

Ce qui transforme finalement l’homme en personne, c’est sa qualité d’être libre. L’humain se définit par sa liberté, car c’est cela qui donne sens à ses actes : si le Bien et le Mal ont un sens, s’ils doivent, du moins, en avoir un, il faut  supposer l’homme capable de choisir entre eux. L’homme n’est homme que par sa liberté.

Le sage est celui qui parvient à vivre au présent, c'est-à-dire à dépasser toutes ses peurs qui viennent des deux maux pesant sur l'existence humaine : le passé et le futur. Pourquoi ? Parce que le passé nous tire toujours en arrière par des sentiments très puissants que l'on appelle « nostalgie », « regret », « remords », « culpabilité ». Au contraire, lorsque l'on n'est pas retenu par le passé, on se précipite dans le futur et ses illusions. C'est le mirage selon lequel tout ira mieux quand on aura changé de coiffure, de maison, de voiture ou de femme... Tout nous porte à une addiction au superflu présenté comme indispensable. Désirs qui prouvent nos manques et si chaque souffrance particulière a quelque chose de risible confrontée à la souffrance universelle, chaque souffrance particulière a quelque chose de sublime, parce qu'elle participe de la souffrance universelle.

La définition du sage grec est celui qui regrette un peu moins, qui espère un peu moins et qui aime un peu plus.

La question est en somme de savoir si dans notre univers culturel il y a place pour un merveilleux qui soit nôtre ou si le destin du merveilleux depuis le XVIème siècle est d'être une fois pour toutes le merveilleux des autres - que les autres soient les Anciens, les sauvages ou les enfants.

Si le merveilleux a partie liée avec la croyance, il devient factice quand on cesse d'y croire ; la merveille abandonnée, falsifiée, réduite à un clinquant ou à un vernis, n'a plus que le pouvoir d'abuser. L'histoire du concept de merveilleux est en grande partie une histoire du retrait du merveilleux. A partir du XVIème siècle, la place du mythe est occupée par le « grand code », la Bible, en attendant d'être envahie par la science. L'imaginaire n'est plus une voie féconde vers l'inimaginable, mais un obstacle importun sur le chemin de la pensée.

Le merveilleux est étonnement, il est d'abord perturbation du temps :

« Dans l'étonnement, nous sommes en arrêt » (Heidegger).

Pour accomplir notre véritable destinée, nous devons être guidés non par un mythe de notre passé mais par une vision de notre avenir.

« La croyance dans le bonheur à venir, a dit un philosophe, c’est plus que la moitié du bonheur présent ».

J'ai dit.

J\ N\


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