Obédience : NC Loge : Cassiopée 07/03/2014

 

Le Cantique des Créatures de François d’Assise

Laudes Créaturarum en latin, Cantique des Créatures en français, connu aussi sous le nom de Cantico di Frate Sole en italien ou Cantique du soleil en français (Wikipedia).

Préambule.

Religion dominante en Europe, l’Eglise était devenue une puissance qui s’attachait à faire respecter ses dogmes et aussi ses biens temporels. Elle était une puissance structurée et hiérarchisée. Elle ne supportait pas les courants qu’elle jugeait hérétiques.

De profonds changements, qui n’allaient pas dans le sens du savoir et de la vie intellectuelle conçus par l’Eglise, se sont propagés dans la société à partir du XIème siècle surtout en Italie.

Du fait d’une forte activité commerciale, l’Italie était le lieu du brassage des hommes et des idées. C’est dans la plaine du Pô et en Italie centrale que les nouvelles hérésies se propagèrent (1).

Avec le développement de l’urbanisation (2), de nouvelles classes sociales apparaissent et avec elles, de nouveaux besoins, de nouvelles façons d’aborder la vie et de l’organiser : rôle de l’état (Podestat), le droit, l’art…

Si le développement des villes entraînait la pauvreté, la richesse de l’Eglise ne cessait de s’accroître, les clercs (le clergé) vivaient dans le luxe et restaient attachés au latin qui n’etait plus parlé dans la vie courante.

L’opposition contre la toute puissance économique et philosophique de l’Eglise ouvrit la voie aux hérésies.

(Exposé sur la naissance des ordres mendiants et le concile Latran IV).

Au debut du XIIIème siècle, un laïc fils d’un marchand d’Assise, Giovanni di Bernardone, surnommé ou nommé « le François », fait accomplir par le christianisme (3) un ressourcement qui devait lui donner, pour longtemps, un autre visage.

D’origine aisée, il a voulu se dépouiller, se faire « mineur » (4), humble parmi les humbles, pauvre parmi les pauvres, tel le Dieu des chrétiens acceptant de devenir homme parmi les hommes – le « Très-Haut de l’Ancien Testament devenant le Très-Bas » (5). La pauvreté volontaire, l’humilité, la fraternité devinrent l’engagement de toute sa vie. Contrairement à une legende tenace, il ne se revolta pas contre l’Eglise comme Luther, ne fonda pas une nouvelle Eglise, mais, par son exemple et celui de ses compagnons, il a su renouer avec la vocation première du christianisme. L’Eglise a fait de la pauvreté une de ses vertus théologales, mais jamais sans doute avant François d’Assise celle-ci n’a été vécue avec autant d’enthousiasme et de joie. Le refus de la propriété et le rejet absolu de l’argent, du cloisonnement des hommes par la hiérarchie, du « fatras verbeux » des théologiens se sont accompagnés d'une adhésion entière à la paix, à la non-violence, au partage et à l'amour des autres.

Le Cantique de Frère SOLEIL ou des créatures.

« Le yoga spirituel de St Francois d’Assise » François Chenique DEVRY.

François aimait le chant, la musique. Sa jeunesse s’était nourrie des chansons de geste et des poèmes d’amour courtois que les troubadours français répandaient en Italie. L’idéal chevaleresque inspira ses premières vocations. Il sentira très vite au sortir de l’adolescence que cet idéal était trop humain et pas à sa mesure. Il courtisera Dame Pauvreté et servira le seul Seigneur digne d’attachement total.

François était d’ailleurs à demi français ou provençal par sa mère que son père avait ramenée de France (?) lors d’une tournée commerciale. Au baptême, il reçut le nom de Jean (6). On ne sait pas avec certitude pourquoi et comment il fut qualifié de « françois ». Le fait est qu’il sera connu sous le nom de François d’Assise. Est-ce une contraction de : « le françois d’Assise » ? Il est certain qu’il parlait le français.

Le français était pour François la langue de la poésie. Il y recourait dans les grandes occasions, surtout pour exprimer ce qu’il avait sur le coeur. En particulier quand il demandait l’aumône. C’est ce que nous dit Thomas De Celano par l’intermédiaire de Julien Green.

Les Laudes (7) de François ont été composées tout au long de sa prédication. La dernière, le Cantique des créatures, a été composée en langue populaire, en Ombrien, un matin de l’été 1225 après une nuit de vives souffrances. Pour apprécier ce chef-d’oeuvre, il faut comprendre les relations qu’il avait avec la nature. Il voyait dans la nature l’oeuvre du Créateur et le reflet de sa puissance et de sa bonté !

Pour commenter le Cantique des créatures, on peut se placer dans une perspective métaphysique (8) et dans le monde des symboles.

Le symbolisme est une science qui relève de la perspective métaphysique. Il étudie les relations des choses avec le Createur. Il s’efforce de dégager le reflet que chaque chose peut nous apporter du Créateur. Le Principe créateur (9) ayant tout crée par et dans son Verbe, chaque créature est un echo de ce Verbe. C’est ce qui permet de remonter de l’effet à la Cause, de la créature au Créateur comme nous le dit Thomas d’Aquin (10). Voir les choses créees sous cet angle ce n’est pas les considérer pour elles-mêmes mais considérer qu’elles ne sont réelles que dans leur relation au Créateur au Tout, a l’Un.

« Très haut, tout puissant, bon Seigneur, à toi sont les louanges, la gloire et l’honneur, et toute bénédiction. A toi seul, Très Haut, ils conviennent, et nul homme n’est digne de prononcer ton nom ».

François s’adresse à Dieu en termes bibliques. Dieu est le « Seigneur » que l’on sert et auquel on est lié par des obligations. Ce Dieu que nul homme n’est digne de nommer, François l’appelle Seigneur (YHWH Adonai) comme l’ont fait les Hébreux et les Chrétiens par la suite. Ce Seigneur est le Roi qui regit l’Univers. C’est a lui seul que sont dus la louange, la gloire, l’honneur et la benediction. La louange reconnaît et célèbre sa grandeur ; l’honneur est la reconnaissance de sa dignité et l’humble condition de la créature ; la gloire est le rayonnement de ses infinies perfections et le reflet de ces perfections dans les créatures ; enfin la bénédiction est la reconnaissance que nous lui devons pour la connaissance que nous avons de lui, de sa grandeur et de ses bienfaits.

Ces quatre mots : louange, gloire, honneur et benediction relevent d’une attitude « laudative ».

La Lauda est pour François le plus haut chant que la créature puisse adresser à son Créateur. Il mettait les paroles de ses Laudes sur des airs connus que les troubadours véhiculaient. La nouveauté ne manquait pas d’interpeller les foules. Les troubadours vehiculaient-ils la doctrine cathare ?

« Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement monseigneur frère soleil, qui donne le jour et par qui tu nous éclaires. Il est beau et rayonnant avec une grande splendeur, de toi, Très Haut, il est le symbole ».

Le symbolisme du soleil est fondamental dans toutes les traditions. Dans le symbolisme, c’est l’inférieur qui symbolise le supérieur. Apollon n’est pas le symbole du soleil, c’est le soleil qui symbolise la fonction « apollinienne » de la divinité.

Le soleil éclaire et réchauffe la terre, et toute vie sur terre ne subsiste que par lui. Sa lumière est le symbole de la connaissance et sa chaleur le symbole de l’amour. Le soleil vivifie tout sans jamais être diminué en rien. Le Principe donne vie à toutes les créatures sans se partager et n’est affecté en rien par cette création. Egalement, chaque chose sur terre est reliée au soleil par un rayon lumineux, chaque créature est reliée à Dieu par sa dépendance à l’egard de Dieu. Ce rayon est la descente (avatar) de Dieu en nous et en même temps, comme dit Jean, la voie qui nous ramène à lui (11).

« Loué sois-tu, mon Seigneur pour soeur lune et les etoiles, dans le ciel tu les as créees, précieuses et belles ».

Symbole de Dieu, le soleil est egalement symbole du Verbe. Le Verbe apparaît comme le Principe masculin de la création, en corrélation avec un Principe féminin : la Sagesse dans la Tradition juive ou la Vierge dans la Tradition chrétienne, qui a pour symbole la lune. La lune reflète la Lumière du soleil, elle est passive comme la Sagesse eternelle est passive par rapport au Createur dont elle est l’instrument.

La Vierge passive est fecondée par l’Esprit-Saint. Elle est productive comme les eaux ténebreuses de la Genèse sur lesquelles planait l’Esprit de Dieu. Dans l’Apocalypse de Jean, elle apparaît comme « une femme vêtue du soleil, la lune sous ses pieds et sur la tête une couronne à douze étoiles ».

Les étoiles constituent les signes stellaires dont l’astrologie s’est toujours occupée. Les douze signes du zodiaque ponctuent la marche saisonnière du soleil et de ses planètes. L’Astrologie considère qu’ils composent l’hérédité cosmique que chaque homme reçoit à sa naissance.

« Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent, pour l’air et le nuage, pour le ciel pur et tous les temps par lesquels à tes créatures tu donnes soutien.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour soeur eau, qui est très utile et humble, et précieuse et chaste.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu, par lequel tu illumines la nuit. Il est beau et joyeux, et robuste et fort.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour soeur terre notre mère, qui nous soutient et nous nourrit, et produit divers fruits avec les fleurs aux mille couleurs et l’herbe ».

Les quatre éléments de l’alchimie sont énumérés : l’Air, l’Eau, le Feu et la Terre. Les quatre éléments ne sont pas seulement ce que nous appelons du même nom dans le monde matériel : ils sont la racine subtile de ces éléments et leur combinaison donne les éléments du monde sensible. Le monde sensible perçu par les sens est le complement du monde intelligible perçu par la raison (12).

L’Eau est humide et froide. Elle constitue le milieu originel où la vie a pris naissance, et elle est le symbole de la réceptivité, et de la souplesse. De couleur noire au-dessus de laquelle planait l’Esprit de Dieu (Elohims comme le traduit A. Chouraqui puisque c’est un pluriel). Cet Esprit est le principe masculin qui féconde les eaux primordiales dans la Genèse comme il féconde la Vierge dans le nouveau Testament (13). Les Eaux produisent la vie sous l’influence de l’Esprit créateur qui est comme le rayon de soleil invoqué plus haut.

Les Eaux sont aussi les eaux de la grâce qui tombent en pluie bienfaisante et féconde l’âme comme la pluie féconde la terre.

La Terre est sèche et froide. La Terre est aussi un symbole cosmique d’où est tiré l’homme et où il retournera. La Terre est passive par rapport au Ciel dont elle reçoit l’influx créateur. Elle devient féconde. Elle est la mère de tout ce qui vit et elle nourrit tout ce qui vit.

L’Air est humide et chaud. Constamment en mouvement, il est le symbole de l’Esprit « qui souffle ou il veut » comme nous le dit Jean. L’Air a un aspect actif et masculin.

Le Feu est sec et chaud. Il est par excellence le symbole de l’état subtil qui se situe entre l’état grossier et l’intellect pur (14). Son importance était grande dans les cultes antiques. C’est sous une forme de buisson ardent que Dieu est représenté à Moïse. Les opérations de l’amour divin dans l’âme, sont souvent décrites à l’aide d’images où le feu joue un grand rôle. Le Feu qui transforme tout ce qu’il touche est le symbole de la grâce qui divinise. Dieu est un feu dévorant qui purifie l’âme comme le feu purifie l’or dans le creuset alchimique.

La strophe VIII du cantique n’est pas étudiée dans ce Travail. Pour indication, elle est à rapprocher des béatitudes de Matthieu. Je ne peux pas résister à l’envie de citer la traduction d’A. Chouraqui du dernier verset : « Jubilez, exultez ! Votre salaire est grand aux ciels ! » Salaire, c’est l’expression maçonnique pour remercier.

Ne reste plus que la strophe sur « la mort corporelle ». Dante a repris cette expression qui s’oppose à la « seconde mort » dans l’Enfer. Il avait d’ailleurs une dévotion particulière pour François d’Assise qu’il fait figurer dans le Paradis avec trois de ses compagnons.

Pour conclure ce Travail, je fais appel aux poètes.

Loué sois-tu pour notre soeur la mort – Christian Bobin in « Le Très-Bas ».

La morte di Francesco – Angelo Branduardi in « l’infitamento piccolo ».

J’ai dit V\ M\

F\ S\

Notes :
(1) A comparer à celles du IIIème siècle comme le manichéisme, l’arianisme, le gnosticisme…
(2) Les Communes italiennes comme Assise et sa rivale Spolète qui étaient administrées par un Podestat et des Consuls élus.
(3) Le mot christianisme est utilisé pour y inclure les schismes à venir.
(4) « Infinitamente piccolo » Angelo Branduardi.
(5) Christian Bobin.
(6) Une légende veut qu’il fut nommé Jean en l’absence de son père qui voulut, dès son retour qu’on l’appelle Français (François).
(7) En italien Laude.
(8) La métaphysique est une branche de la philosophie et de la théologie qui porte sur la recherche des causes, des premiers principes. Elle a aussi pour objet la connaissance de l'être absolu comme première cause, des causes de l'univers et de la nature de la matière. Elle s'attache aussi à étudier les problèmes de la connaissance, de la verité et de la liberté (Wikipedia).
(9) GADLU, YHWH Adonai ou Dieu.
(10) La subordination causale fournit à Thomas d’Aquin une voie vers Dieu.
(11) « Je suis le chemin et la verité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi ».
(12) La perception de la réalite (Platon).
(13) Evangile de Luc : l’Annonciation.
(14) A rapprocher des trois types d’hommes de la Gnose : hylique ou débutant, psychique ou progressant et pneumatique ou parfait.

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