Obédience : NC Loge : NC 23/09/1992


Le nom

Lorsqu'à la suite d'une anecdote vécue en loge, j'ai choisi de traiter ce sujet, je savais qu'il ne serait pas facile mais aussi qu'il serait passionnant. Dans l'un comme dans l'autre cas, je peux dire que je n'ai pas été déçue.

Je me suis rapidement rendu compte que je ne pourrais traiter du NOM, sans effleurer « Ce » qui ne l'était pas. Pavé mosaïque oblige ! ...Aussi d'avance j'invoque votre indulgence.

Dans le Grand Robert on trouve cette définition du NOM : signe du langage servant à désigner un individu et à les distinguer les uns des autres. (Gd Robert)

Le nom sert de référence. En désignant il situe.

Plus j'ai avancé dans ma recherche sur le nom, plus je l'ai considéré comme l'empreinte de l'Homme.

NOMMER pour les anciens babyloniens : c'est appeler à la vie. Un être ou une chose n'existe pas tant qu'ils n'ont pas reçu de nom.

EN MESOPOTAMIE :

« Lorsqu'en haut le ciel n'était pas nommé,
Qu'en bas la Terre n'avait pas de nom,
Lorsqu'aucun des Dieux n'était apparu
n'était nommé d'un nom, ni pourvu d'un destin
Alors les Dieux furent créés... »

Ainsi commence le poème babylonien de la Création.

On voit ainsi l'étroit rapport qui existe entre la dénomination et la création. Nommer c'est faire entrer dans l'ordre des relations humaines, c'est classer par rangs de comparaison.

Nommer est un acte accompli par l'Homme, il participe donc de sa volonté. Les animaux ne se nomment pas. On ne nomme pas n'importe comment. Je puis nommer ou ne pas nommer une chose donnée, qui me regarde, m'interroge en quelque sorte sur elle-même, sur sa nature ; cela ne se produit pas sans un concours volontaire de ma part. Je puis la nommer de cent façons différentes, la liberté théorique, ma liberté de choix reste toujours la même.

Il est néanmoins certain que l'homme n'est pas libre de nommer n'importe comment, il doit observer la chose, prêter l'oreille, si je puis dire à sa forme, sa couleur, son son, sa révélation en quelque sorte à lui-même.

Le Nom est une révélation de la Chose, et comme tel, la réponse à la question qu'elle pose ne peut être inventée. Le nom est la définition qui dépend de la chose, non du nommeur. En cela, la liberté que j'évoquais tout à l'heure est quand même relativement réduite.

Toutefois, une chose ou un être ne peut se nommer que par l'Homme et en lui car l'Homme contient en lui le nom de toute chose, il est le microcosme, l'être vivant à partir duquel s'établissent tous les substantifs. (Cf. la nomination des animaux par Adam (Gen.2.19). C'est l'homme qui parle, qui nomme : mais ce qu'il nomme lui est donné, révélé.

La dénomination est la connaissance initiale et élémentaire, la perception dans les choses et les êtres de leur sens, de leur idée et la fixation de ce savoir dans le nom que nous leur attribuons.

Pour Simone de Beauvoir « Le nom, c'est ma présence totale rassemblée magiquement dans l'objet » (La Communication).

De par son origine, sa genèse, tout nom est « commun ». C'est une dénomination, au sens premier : on octroie un nom. Il devient « propre » quand l'appellation adhère à son porteur comme prédicat (idée) permanent en tant que nom.

Ultérieurement le nom pourra évoluer, s'élargir, se restreindre ou se spécialiser : il aura une histoire. Mais à son origine, la différence entre le nom commun et le nom propre qui deviendra le patronyme est très peu perceptible. Encore que nous connaîssions des noms propres qui soient COMMUN !

Pour le monde celtique, le nom est étroitement lié à la fonction. Et de nos jours encore, venus tout droit du Moyen Age on retrouve des noms de métiers qui témoignaient à l'origine de la fonction qu'on l'on connaissait à celui qui portait ce nom là. (CHARBONNIER, BOULANGER, BOUCHER et autre MEUNIER etc...)

Toutes les traditions anciennes s'accordent pour enseigner que le véritable nom d'un être ne fait qu'un avec sa nature ou son essence.

Au Moyen Age, l'Art était anonyme. Il faut faire ici une différence entre l'ouvrier, l'artiste et le travailleur. Un ouvrier travaillait à la glorification de son oeuvre, on ne parlait pas de travail, dans lequel on trouve la notion de torture, et de gagne-pain que nous avions étudiée il y a quelques années déjà. Son oeuvre marquait son temps comme un témoignage. Aujourd'hui, l'individualisme forcené, surtout occidental amène l'artiste à signer son oeuvre, pour se mettre en valeur lui et non pas elle.

Les oeuvres anonymes se comptent par centaines. l'Anonymat traditionnel (qualitatif) est un anonymat d'élite qui s'oppose à celui (quantitatif) de la foule, de la masse. Il y a de grandes choses qui ne sont pas le fait d'un seul homme, les pyramides sont l'oeuvre d'un peuple.

Il n'est parfois pas inutile de se cacher derrière le masque de l'Incognito, ne serait-ce que pour apprendre à connaître les choses ou les faits sous un autre angle.

Ceux dont le titre ou la fonction sont lourds à porter, rêvent tous un jour de se cacher derrière le masque de l'anonymat, de l'incognito, pour redevenir eux-mêmes. Tant il est vrai que la fonction crée l'organe. De même se faire un nom, c'est sortir de la foule anonyme.

Lorsque le hasard de la Vie vous fait naître dans une famille qui porte un NOM célèbre, il est difficile, mais impératif de se faire un prénom si l'on veut se distinguer de ses propres ancêtres, de sa lignée. C'est une manière de ne pas tomber dans l'anonymat.

De quelqu'un que l'on connaît peu, on dit ne le connaître que de vue, pas de NOM.

Nom Profane et nom initiatique.

Il existe plusieurs sortes de noms. En particulier, il faut faire une différence entre le nom profane, et le nom initiatique.

Puisque l'initiation est une nouvelle naissance, l'initié doit théoriquement recevoir un nouveau nom. Dans les anciens rituels, on disait au moment de l'initiation, « Mon F\ ou Ma S\, car à l'avenir vous ne recevrez plus d'autre nom parmi nous ». Ce qui relie le NOM à la CREATION qui vient d'être donnée par la Consécration : « Au Nom et sous les auspices, du Supr\Conseil Universel Mixte », en vertu des Pouvoirs qui m'ont été conférés (notion de puissance, et d'Autorité à laquelle on se réfère), je vous crée, reçois et constitue.

Cette invocation est la reconnaissance par l'Homme d'une Vérité transcendantale qui le dépasse et dont il dépend. Le NOM contient la PUISSANCE et qui connaît le NOM possède la PUISSANCE.

Pour exister, il faut être nommé. Nommer quelqu'un, c'est plus ou moins le reconnaître. Que nous ordonne le V\ M\ après la consécration d'un néophyte ? « Je vous invite à reconnaître comme tel... »

Je parle au nom de...., c'est à dire en lieu et place ou en qualité de...

Le nom comporte en lui une puissance énergétique créatrice de l'individualité. De la personnalité. On ne peut vivre, exister sans nom. Non seulement il désigne, mais il situe dans temps et dans l'espace, il est révélateur de nos racines, il rappelle notre généalogie. Il faut pour être connu ou reconnu et surtout admis dans la société décliner son identité. Le NOM est un véritable passeport, c'est notre raison sociale.

On voit donc que le nom profane est essentiellement humain, c'est l'homme qui nomme. Mais en même temps, il limite en individualisant. Il est donc restrictif. C'est une enveloppe, une écorce dans le temps comme dans l'espace.

Pour René GUENON, le nom, même initiatique, est une limite pour l'être limité aux Petits Mystères. Dès que l'être passe aux Grands Mystères, il n'a plus de nom, ou bien il les a tous, puisque le nom qu'il se choisit lui est en quelque sorte accidentel puisqu'il peut en changer comme il veut.

Nommer quelqu'un c'est aussi lui donner une forme, une enveloppe. Le Nom et la Forme ne font qu’Un. Le nom comme la forme sont naissances. C'est pourquoi, au nom profane donné à la naissance à un nouveau-né, se substitue dans les sociétés traditionnelles, le nom initiatique qui lui, correspond mieux à l'individu qui le porte, car il est choisi en fonction des qualités humaines reconnues à l'individu qui a eu le temps de se former, de se transformer. On retrouve la notion de forme partout dès qu'il s'agit du Nom.

Pour Serge Boulgakov, dans son livre sur la philosophie du Nom, ceux qui passent au delà de la FORME, qui renaissent, peuvent choisir leurs individualités comme s'il s'agissait de simples vêtements. Ces êtres là n'auraient plus à proprement parler d'individualité propre car ils les auraient toutes. Ces individualités là, (ces noms là) ne sont plus alors que de simples vêtements.

Par là on comprend ce que le changement de NOM signifie vraiment. Changer de nom, c'est faire peau neuve. C'est le véritable dépouillement des métaux. C'est le changement d'état, de mode. C'est l'accession au monde supra-humain. L'individualité profane disparaît pour faire place à l'être nouveau.

Pour GUENON, l'être qui a dépassé la FORME, dont je parlais tout à l'heure, celui-là devient véritablement anonyme parce qu'en lui le Nom a dépassé la Forme, le Moi a été vaincu par le SOI.

Le nom et la forme sont des déterminations de l'individu et l'être qui atteindrait un état supra-individuel serait par la-même, dégagé de toutes les conditions limitatives de l'individualité.

Ne nous rapprochons-nous pas ainsi de l'Innommable-Inneffable ?

Le fait d'être l'Absolu interdit au Principe de porter un Nom. Il ne souffre aucune définition-limitation, il est au-delà de tout jugement. Il est transcendant.

Connaître le nom d'une personne donne un pouvoir sur cette personne, d'où la nécessité, l'importance de recevoir à sa naissance un nom favorable. Pour résister à la Tentation de Satan dans le Désert, Jésus nomme ses démons « Arrière Satan ».

Le Diable, ainsi « démasqué », identifié, reconnu est dompté, maîtrisé et perd toute sa puissance satanique, du moins pour un temps.

Dieu ne dit-il pas à Israël « Je t'ai appelé par ton Nom, tu es à moi » révélant le pouvoir magique que confère la connaissance du Nom.

Toute situation nouvelle implique un changement de nom : dans la Bible Abram devient Abraham lorsque Dieu fait de lieu le Père d'une multitude de nations, Saraï devient Sara, Jacob devient Israël (celui qui a combattu avec Dieu) après sa lutte avec l'Ange.

Il se crée une relation d'inter-dépendance entre le nommeur et le nommé. On s'aperçoit ainsi que le nom, en tant qu'empreinte, style, ou vêtement est essentiellement humain. Porteur d'énergie en un certain sens, c'est le nom qui porte une personne et non l'inverse.

D'après Jean, les 144 000 Elus de l'Apocalypse portent le Sceau de Dieu sur le front, ou sur la main.

Comment imaginer que le Nom de Dieu, du Principe comme on voudra puisse être soumis, dépendre de tous ceux qui voudrait bien l'invoquer. Il est impératif que le nom de Dieu soit ineffable et surtout inconnu du simple mortel.

Dans les textes hébraïques marginaux qui font état de Lilith, la première femme, ou plutôt la première Eve, on apprend que Lilith se disputa avec Adam à propos de la supériorité des sexes. Pour convaincre Adam, elle invoqua le Créateur en l'appelant par son Nom. Alors elle reçut miraculeusement des ailes et s'envola dans les airs en dehors du Paradis terrestre.

Le seul fait d'avoir connu et prononcer le Nom Divin lui donna sur l'Eternel un pouvoir qui fit qu'il ne put qu'accéder à sa prière.

Ce serait abaisser le Principe que le ramener à l'état Humain, ce serait lui enlever son autorité spirituelle. De même, imaginer que l'on puisse prononcer le NOM ineffable, serait le rabaisser à l'état Humain.

Les écrivains néo-testamentaires définissent le disciple comme celui qui croit en son Nom (Jean 1.12.,2.23,5.15)

Au moment de BABEL : (Genèse 11.14), voici ce que déclarent les bâtisseurs de la Tour : « Bâtissons nous une ville et une tour dont le sommet soit dans les cieux, et faisons nous un NOM, de peur que nous ne soyons dispersés sur toute la surface de la Terre ». La notion de Nom rejoint ici celle de Renommée.

Le nom fixe, évite la dispersion. C'est un alchimiste.

Le nom en tant que nom propre ancre dans un espace, dans un temps, il nous relie à nos racines. Et à la Tradition primordiale.

La personnalité, du latin persona : masque de théâtre, est littéralement ce qui se cache derrière, sous le masque de l'individualité. On naît individu, on devient personne. Cela commence avec le baptême ou la déclaration en Mairie etc... Toute dénomination est un jugement. Le nom a une influence sur l'individu. Le nom personnifie.

Pour savoir répondre au deuxième élément de la triple question, il faut savoir qui nous a créé (notion de paternité), engendré, il faut savoir d'où nous venons, quelles sont nos racines.

D'où l'importance retrouvée dans toutes les traditions jusqu'à aujourd'hui de dénommer par rapport à sa lignée : le fils de...dans la Bible, Ben ou Ibn en Arabe, sen ou son dans les pays du Nordiques, avec Andersen, Anderson ou même et chez nous comme la désinence « et », fils de, avec Martinet, Blanchet, en français, en espagnol « ez » correspondant à notre « et », on retrouve des gomez ou lopez ou autre sanchez en proportion considérable. De is en italien, De Médicis, De Laurentiis, De Angelis.

Il faut donc savoir se situer dans le temps. L'enfant à qui l'on pose la question pour la première fois, dira non sans fierté et avec raison, peu importe l'ordre son nom et son prénom. Il se trouve ainsi identifié, authentifié, il a un rang dans la société et surtout il s'est fait reconnaître comme untel, fils d'untel.

Bien qu'un nom soit donné à l'occasion d'une naissance, il va vivre de sa propre existence. Il exprime la substance essentielle et existentielle d'un homme. En un certain sens, le nom est la même chose que le Moi, sauf qu'il est concret, qualifié, alors que le Moi n'est individuel qu'en vertu d'une approche mystique de sa propre psychologie. De sa propre essence.

A la question : Qui est-ce ? il est répondu : c'est Moi. Démonstration du fait que si l'individu (indivisible au sens étymologique car plus petite partie d'un tout qui ne peut être divisée sous peine de dés-intégration) est un moi, il est, au même titre, un nom.

C'est si vrai que le nom est porteur de création et d'immortalité que dans nos mentalités pour tuer quelqu'un, il suffit de l'oublier. Oublier son nom, c'est le tuer. A l'inverse, y penser c'est le faire vivre. De même, graver un nom sur de la Pierre, matériau se rapprochant le plus de l'immortalité : c'est l'éterniser.

Renverser une statue, c'est affirmer sa volonté de chasser de notre mémoire la personnalité qui était sur le socle.

Etre comme naître sans nom est un désastre. Les nazis mettaient des numéros pour identifier leurs prisonniers tout en les humiliant. En prison également, le détenu n'est qu'un matricule, un numéro.

Un mot a un sens qui peut être traduit par un autre mot dans une autre langue, il n'en est pas de même pour le Nom, le nom a une signification et un sens unique, dans une langue donnée. Il ne peut être traduit, lorsqu'on le fait, on ne peut que s'éloigner de sa puissance énergétique intrinsèque. C'est l'application du fameux proverbe : Traduction - Trahison. Rien ne peut être substitué au Nom.

Le nom est donc unique, adapté à chaque individu, il permet la reconnaissance par tous de son identité, l'identité (du grec eidos = vision ou forme) c'est la manière dont on est vu, par les autres comme par soi-même.

C\ B\


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