Obédience : NC Loge : NC 01/2012


Si un Maître se perdait, où le retrouveriez-vous ? Entre l’Equerre et le Compas

Le Maître Maçon que je suis devenue, par la volonté et les enseignements des Maîtres de ma Loge et mes propres efforts, ne peut aborder ce sujet sans une certaine appréhension et, surtout, sans opérer, intérieurement, un retour élucidant sur le chemin qu’il a déjà parcouru dans sa quête d’Initiation.

Il est entendu, que pour moi, l’Initiation ne consiste pas en une accumulation de savoirs sur les plans livresque et intellectuel ; elle n’est pas, non plus, une quête prétentieuse puis une démonstration tapageuse d’érudition, mais, plus simplement, le résultat d’un apprentissage humble et patient du coeur, de l’acquisition, par un travail constant, d’un véritable Art de vivre, d’une méthode universelle éprouvée pour appréhender, en toute conscience, le réel et toujours trouver et occuper sa juste place au sein de tout ce qui est.

C’est donc, tout naturellement, que ma toute première démarche consistera, tel l’apprenti, que je n’ai pas cessé d’être malgré tout, à déchiffrer patiemment les termes de la proposition, afin de m’assurer qu’elle est à mon niveau et que je suis suffisamment outillée pour entreprendre le travail :

Si : ce mot introduit l’idée d’une éventualité, d’une possibilité, d’une impermanence ; pas celle d’une fatalité ni d’une fin.

Un Maître : qu’est-ce qu’un Maître ? De quel Maître est-il question ici ?

Se perdait : ce verbe transitif semble indiquer que l’action s’opère par soi, sur soi et même, en soi. Il indique, tout à la fois, un changement possible d’état, d’orientation, d’objectif, de finalité, par rapport à un engagement initial librement consenti et non entièrement assumé, par rapport à un point de départ d’un autre caractère ; changement qui peut avoir de multiples motivations conscientes ou non.

Où : cet adverbe de lieu me fait penser à un espace, mieux, à un environnement matériel ou symbolique.

Le retrouveriez-vous ? : cette question s’adresse à moi. Je la perçois comme telle ; elle m’installe dans la proposition et m’indique, tout à la fois, mon statut et ma place, au cas où je n’en aurais pas encore pris conscience. Elle me dit, par-dessus tout, toute l’espérance contenue dans cette proposition : ainsi, je pourrais le retrouver si je m’en donnais la peine ; j’en ai la capacité, ou du moins, le potentiel ; mais qui retrouveraije ?

Entre l’Equerre et le Compas : les termes, pris séparément, me sont connus ; pour autant, la proposition entière me parle-t-elle ? L’expérience vécue en Loge m’incline à penser qu’elle devrait. Le voile reste toujours à déchirer, encore et encore, avec patience, méthode et persévérance.

Après ce déchiffrage sommaire, la proposition m’est un peu plus intelligible. Je peux la reformuler et la rendre un peu plus claire pour moi, de la manière suivante :

Un Maître, c’est-à-dire, l’Initié par excellence, l’Homme véritable, relevé du tombeau de toutes les transgressions, entièrement restructuré, régénéré, cet homme qui, à l’aide des deux pointes du compas, a acquis la capacité de parfaire le cercle de ses devoirs maçonniques, cet homme-là, peut, malgré tout, se perdre. Dans cette éventualité, il saurait se retrouver, d’une manière très particulière et dans un espace très particulier, connus des seuls Maîtres Maçons.

Dans ce sens, la problématique m’apparaît, en fin de compte, être celle de l’Initiation véritable et de la place qu’elle assigne à l’Initié, le grade de Maître n’en étant qu’un aspect, très important, certes, mais une des nombreuses étapes sur le parcours vers le tout ; l’Initiation comme processus complexe venu du fond des âges, nourri, sans discontinuité par la Tradition, et ayant pour finalité souhaitable pour l’individu, engagé dans cette quête, de lui donner les outils et les moyens de se retrouver, luimême, d’une part, et de trouver, en toute lucidité, sa juste place vis-à-vis de la
transcendance, de l’univers, de ses semblables et de la postérité, d’autre part, place qu’il doit travailler à occuper réellement à chaque instant.

A la lumière de ce qui précède, je suis encline à me demander : suis-je un Maître Maçon ? Suis-je ce Maître-là ?

Il serait évidemment tristement prétentieux de répondre, de façon péremptoire, à cette question par l’affirmative.

Cependant, je l’avoue, volontiers, j’ai bien « vu » le cadavre de notre Maître Hiram, indignement enfoui. J’ai pris part, sans être du « complot », du moins je le pense, au drame de son assassinat. Je l’ai incarné par la suite, et j’ai reçu les trois grands coups de la transmission, puis j’ai été relevée à l’aide des Cinq points parfaits.

Au bord de la tombe, j’ai aperçu, dans l’obscurité, les marqueurs qui ont rendu possible la découverte de sa dépouille et son transfert en un lieu plus digne, ainsi que les outils de l’accomplissement.

Je n’aurais pas pu vivre tout cela, si, bien avant, je n’avais été reçue, jugée libre et de bonnes moeurs, déjà par trois grands coups, après une descente symbolique dans les entrailles de la terre. A cette occasion, l’Equerre et le Compas me furent déjà présentés comme deux des trois Grandes Lumières de la Franc-Maçonnerie, l’Equerre évoquant la matière, la terre, le Compassymbolisant l’esprit, le ciel.

L’Equerre était posée sur le Compas, de manière à en cacher les deux pointes. La matière dominait alors l’esprit, m’avait-on enseigné. Des outils me furent donnés pour travailler sur la matière et donc sur moi-même, matière essentiellement périssable, mais néanmoins, un remarquable condensé du Tout.

A cette occasion, je reçus avec reconnaissance, l’utile leçon que tous les hommes, par leur nature, sont égaux et dépendants les uns des autres. Plus particulièrement, mon esprit fut ouvert aux principes de la bienfaisance et de la charité universelle, principes qui m’enseignent et m’encouragent à rechercher la consolation de mon propre malheur en secourant et en soulageant mes semblables à l’heure de leur affliction ; toutes choses qui contribuèrent à orienter ma quête vers la recherche, dans l’humilité, de la vérité, de la justice et de la sagesse.

Poursuivant ma route avec détermination et persévérance, je fus remise en présence de l’Equerre et du Compas, dans une nouvelle configuration. Cette fois, les deux symboles étaient entièrement imbriqués, entrelacés. L’un ne dominait pas l’autre. Une nouvelle lumière fut offerte à mon regard, brillant à l’Orient, une Etoile irradiante à cinq branches.

Mon attention fut dirigée vers l’étude de la science par la voie des facultés intellectuelles ; les secrets de la nature, les principes de la raison, le fonctionnement du psychisme humain furent dévoilés à mon esprit avec pour leçon ultime, que l’équilibre en toute chose est toujours à rechercher, par une vigilance de tous les instants et des rétablissements aussi fréquents et réguliers que nécessaires. Comme le dit le Poète : « Rien n’est jamais acquis ».

Au grade de Maître, le tableau est tout autre : il y est fait appel à notre vécu, à tout notre vécu. Forte de toutes les acquisitions des grades précédents en termes de morale, de vertus et de raison, je fus invitée, par la méditation à appréhender la vie et par conséquent la mort qui est son autre pendant.

Au cours de la cérémonie, je suis passée de la posture verticale à la posture horizontale, puis ramenée à la première. Entre-temps, Neuf Maîtres ont fait autour de mon corps renversé et inversé, un parcours en suivant une figure géométrique rappelant le cercle, et dont, pour quelques instants, je figurais le Centre. Je me trouvais dans l’espace compris entre l’Equerre et le Compas disposés au sol selon le rituel. Ma colonne vertébrale, symbole de l’axe, était alors orientée Occident-Orient ; puis j’ai été relevée comme les Maîtres Maçons doivent l’être et mon axe s’est, à nouveau, confondu avec le Fil à plomb de la Loge, entre le plan du Pavé mosaïque et celui de la Voûte étoilée, complètement régénérée, recentrée et à ma place, en tant que nouveau Maître Maçon.

La place, ici, n’a pas seulement le sens d’endroit, d’espace. C’est la façon d’être, de se tenir, de communiquer, de percevoir l’autre, de vivre sur la terre, aujourd’hui. Ce sont des qualités de tolérance, de partage, de justice, de tempérance, de probité, de fidélité, de loyauté, de fermeté et de souplesse.

La place, c’est tout cela, élaboré et intégré à la vie quotidienne, au fil du parcours depuis le grade d’apprenti.

Nous sommes, résolument dans le domaine du concret, de la vie réelle dans l’univers réel. Un Maçon n’est pas un ermite, encore moins, un contemplatif ; il vit dans la cité avec ses semblables, soumis à la même réalité, aux mêmes règles ; et si, parfois, il paraît différent, c’est par ce qu’il l’est en réalité, ayant reçu ce que les autres n’ont pas ; s’il est différent, c’est par l’exigence d’exemplarité qui oriente sa vie et est devenue, avec le temps, sa seconde nature, sa véritable nature.

Toute sa démarche part de la générosité du coeur et elle y est installée sur toute sa durée.

Il ne perd cependant pas de vue son statut d’homme imparfait, donc susceptible de s’égarer.

Il a conscience également qu’il a été doté des outils nécessaires pour se retrouver, retrouver sa place, s’il lui arrivait de dévier de sa route, connaissant bien le caractère impermanent des choses de la vie.

L’objectif, c’était un changement qualitatif conscient ; la finalité, c’était l’Initiation, l’Eveil ; quant aux moyens, c’était le travail au quotidien, dans la rigueur et la persévérance.

Peut-on avoir vécu tout cela, avoir bénéficié de cette transmission, Tenue après Tenue, année après année, et ne pas être devenu ce Maître-là ?

J’ai dit

A\ S\ A\


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