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Les Maîtres secrets de Martinez de Pasqually

La question des initiateurs et des instigateurs de Martinez de Pasqually est restée un des points les plus obscurs du problème martiniste. Nous allons tenter, sinon de la résoudre complètement et définitivement, du moins d'apporter quelques éclaircissement inédits.

Il est fort probable que Martinez de Pasqually a imaginé l'histoire de l'aïeul, membre du Tribunal de l'Inquisition, détenteur de ce fait de documents saisis entre les mains d'hérétiques juifs ou arabes.

Selon cette affirmation, que rien ne permet de retenir, ces mêmes documents auraient été à la source de la conversion de son père à une doctrine hétérodoxe qu'il aurait ensuite enseignée à son fils. Il est infiniment plus logique d'admettre que, bien au contraire, nous devons lire entre les lignes, comprendre à demi-mot un langage de pure convention.

Alors, la vérité se rétablit d'elle-même, et nous sommes amenés à envisager l'hypothèse, plus ésotérique, de documents sauvés de l'inquisition, d'origine judéo-arabe, (ce qui renforce cela c'est justement l'origine portugaise de la famille, au pis aller espagnole de fraîche date), transmis et commentés par le père spirituel de Martinez de Pasqually ! En effet, le « maître », dans l'antiquité était dit, en grec, le patros, qui signifie généralement le père, et particulièrement le « père des initiés ».

Martinez de Pasqually (ceci a été à peu près établi par les historiens de l'Ordre et du propagateur) a été à Timor, petite possession portugaise des îles de la Sonde. Peut-être a-t-il aussi été en Chine, comme on le croit. Mais ce n'est ni en ces voyages, ni en un contact immédiat avec la sorcellerie vaudou, à Saint-Domingue, qu'il faut rechercher sa primitive initiation !

Jean Bricaud, dans un numéro spécial de la revue « Le Voile d'Isis », publié en 1927, a exposé l'histoire du mouvement rosicrucien, à partir des premières manifestations de la Fraternité des Rose+Croix, au début du XVIIe siècle. Résumons brièvement cet auteur, (et précisons que sa situation de haut-gradé de l'Ordre, de patriarche de l'église gnostique, le mettait à même d'avoir, soit par archives et documents, soit par traditions verbales, des renseignements de valeur), et complétons-le du résultat de nos investigations personnelles.

Dès le début du XVIe siècle, nous voyons fonctionner l'association secrète de la « Communauté des Mages », fondée par Henri Cornélius Agrippa, association qui groupait les maîtres contemporains de l'alchimie et de la Magie. Lorsqu'Agrippa arriva à Londres, en 1510. Il fonda, ainsi qu'il résulte de sa correspondance (Opuscula, t. II, page 1073), Une société secrète semblable à celle qu'il avait fondée en France.

Les membres étaient dotés de signes particuliers de reconnaissance, de « mois » de passage. Ces membres fondèrent alors, dans divers autres états de l'Europe, des associations correspondantes, dénommées Chapitres, pour l'étude des sciences « interdites ».

Si nous en croyons un manuscrit de Michel Maer, conservé à la bibliothèque de Leipzig, ce serait cette « Communauté des Mages » qui aurait donné naissance, en Allemagne, vers 1570, aux « Frères de la Rose+Croix d'or ». Plus tard, vers 1605, une confrérie mystique nouvelle avait adopté comme paradigme emblématique de ses tendances, la Rose et la Croix. C'était la « Militia Crucifera Evangelica », fondée dès 1598 à Nuremberg, par Simon Studio. Cette confrérie se réunit au début du XVIIe siècle, à la « Fraternité des Rose-Croix ».

A côté des études magiques ou alchimiques, études tant opératives que spéculatives, la plupart des frères poursuivaient également la réforme du Catholicisme, et tentaient de le ramener à sa simplicité et sa pureté primitives, tout en le pénétrant à l'instar des anciens gnostiques, les enseignements ésotériques traditionnels.

Le mouvement rosicrucien se nimba différemment, selon les états, les hérédités spirituelles, et la formation Scolastique, des adeptes. En Espagne, il était pus orienté vers un catholicisme romain, d'esprit plus large, et plus mystique aussi. Dans l'est de l'Europe, en Allemagne, ses propagateurs étaient au contraire acquis au protestantisme, tels Valentin Andreae et Michel Maïer. L'un des Chapitres rosicruciens est passé à l'histoire, c'est celui de Cassel, qui y fut fondé par le comte Maurice de Hesse-Cassel et dont Andreae et Maïer faisaient partie. Un autre, le « Palmier », fondé à Weimar, également. C'est en 1614-1615 qu'eurent lieu les fameuses manifestations publiques d'existence des Rose-Croix. L'effet fut considérable. Autour des Fama Fraternitatis et Confessio Fratrum Rosae-Crucis (Ratisbonne 1614), les savants profanes disputèrent à qui mieux !

Une scission entre les deux tendances rosicruciennes. C'est alors qu'en 1616, Michel Maïer, médecin de l'empereur Rodolphe II, (protecteur des hermétistes...), se rendit à Londres, où il prit contact avec Robert Fludd, qui organisa les adeptes d'Angleterre sur le plan rosicrucien. En France, la première manifestation eut lieu en 1623.

Nous renvoyons pour le détail à l'ouvrage de Sédir sur les « Rose+Croix ». Les difficultés du temps nécessitèrent une scission entre les deux tendances rosicruciennes. Deux groupes naquirent alors ; l'un, donnant la prédominance au mysticisme, à l'étude de la Cabale, de la théosophie chrétienne et de l'antique gnosticisme, s'adonna surtout aux exercices de la vie intérieure. C'est de ce groupe que sortit l'initiateur de Jacob Bohème, qui est un des « ascendants » de Claude de Saint-Martin.

Ce groupe rassembla les Frères de la Croix d'Or, ou l’Auris Crucis. Il fut le plus mystérieux des deux. Le second rameau, le plus nombreux, se consacra aux recherches expérimentales, à l'étude de la Nature, ce fut la Rosae Crucis.

En Hollande, en Angleterre (ou Francis Bacon, l'auteur de la Nouvelle Atlantide, - que l'on a pris parfois pour le programme de l'Intelligence Service ! ...) aida puissamment Robert Fludd, et fut, peut-être, en réalité, le vrai Shakespeare, comme certains historiens l'affirment), Je mouvement se développa rapidement. La tolérance des pouvoirs publics, acquis à la Réforme, lui évita d'ailleurs d'être amené à prendre cette attitude anticléricale qu'on observe dans les pays latins.

Attitude justifiée par les mesures de terreur prises par les pouvoirs publics des états catholiques, dès la connaissance de ce mouvement spiritualiste. C'est le second groupe rosicrucien qui fonda alors, peu après, l'Invisible Collège, édifié sur le plan décrit par Sir Francis Bacon dans la Nova Atlantis, et qui devait plus tard être reconnu officiellement par le roi d'Angleterre Charles II, sous le nom de Royal Society.

La Fama et la Confessio de Valentin Andréas furent traduites en anglais, en 1652, par Thomas Vaughan, l'auteur de l'Anthroposophia Theomagica et de plusieurs autres ouvrages d'occultisme. Bien qu'il s'en soit défendu.

Vaughan fut en réalité un des chefs de la Rose-Croix. (Wood, en son Athenae Oxoniensis, nous dit : « C'était un grand chimiste, un « fils du Feu » distingué, un physicien expert, et un Frère assidu de la Fraternité Rosicrucienne ».

Là se situe le nœud d'une énigme historique, la naissance de la Franc-maçonnerie spéculative Vers 1645 (1645-1646 furent deux années fécondes en matière d'associations occultes...), un certain nombre de rosicruciens avaient fondé une association ayant pour but avoué l'étude de la Nature, mais dont les principes, l'enseignement, devaient demeurer secrets, accessibles aux seuls initiés, et être présentés d'une manière purement allégorique.

Ce sont Elie Ashmole, Robert Moray, Thomas Warton, Georges Warton, William Oughtred, John Herwitt John Pharson, et William Lilly (l'astrologue). Les noms de quelques autres ne nous sont point parvenus. Afin de mieux dissimuler et son existence et son action, qu'il voulait purement occulte, intérieure, mystique, l'Ordre décida de ne pas demeurer indépendant.

Et suivant en cela l'instigation d'Élie Ashmole, il décida de s'intégrer dans un milieu moyen, lui permettant de subsister sans qu'on devine son existence. Suivant l’usage du temps, qui imposait à tout citoyen ayant droit de bourgeoisie en la ville de Londres, de faire partie d'un corps de métiers, comme membre accepté (c'est-à-dire honoraire), Elie Ashmole s'affilia à la Confrérie des Maçons constructeurs, placée depuis le Moyen-âge sous le patronage mystique de Saint-Jean. Il sollicita ensuite, pour la Société des Rose+Croix, l'autorisation de se réunir au siège de cette Confrérie des Maçons constructeurs, à Mason's Hall, in Mason's Alley, Basing Hall Street à Londres. Ce fut William Preston, en son ouvrage : « Illustrations of Masonry » (p. 140), qui nous révéla le subterfuge ! Et l'esprit rosicrucien, la force occulte du groupe, aidant, en 1717 l'Ordre mystérieux fondé par les rosicruciens anglais avait pris la tête de la Confrérie des Francs-Maçons, et en 1723, ses membres réussissaient à modifier l'antique structure des maçons opératifs en y adjoignant le grade de « Maître ».

Or, c'est dans la rituelle de ce grade que se révèle en toute son ampleur, l’action des Rose-Croix ! C'est dans le splendide déroulement de la réception à la « Maîtrise », dans l'émouvante mort symbolique du profane, préludant à la résurrection de l’Archétype, que nous retrouvons enfin la marque traditionnelle des antiques initiations, en même temps que la preuve de la survivance de la très vieille Gnose alexandrine.

Et, nous l'avons vu au début de cet ouvrage, c'est justement cette même Maçonnerie anglaise qui avait remis à Martinez de Pasqually, ou plutôt à son « père », la Charte de constitution lui permettant d'établir des Loges...

Qui pourrait alors nier le contact direct, incontestable, entre les Rose+Croix d'Angleterre, successeurs de Robert Fludd, de Cornélius Agrippa, et Martinez de Pasqually ?

Nulle critique de bonne foi assurément. Au début de son attachante étude, Jean Bricaud envisage les précurseurs éventuels des Rose+Croix.

La mystique fraternité a-t-elle réellement été fondée par l'insaisissable Christian Rosencreutz ? Remonte-t-elle au contraire à la Massénie du Saint-Graal, et par là aux Gnostiques anciens ? Est-elle d'origine plus immédiate, et doit-on considérer Paracelse comme son véritable promoteur? Existait-elle déjà en 1484 au Danemark, comme l'affirme Forluyn dans son De Gotharum Historia ? Peut-on attribuer sa fondation à Faustus Socin, comme certaines traditions l'affirment, ou eut-elle pour père Valentin Andreae ?

« Autant de questions que je n'essaierai pas de résoudre » nous dit Bricaud. Eh bien, nous allons avancer une hypothèse audacieuse ! Nous croyons qu'elle est, réellement, la survivance directe, ininterrompue, des grands courants hétérodoxes antiques et médiévaux, nous avons nommé les Gnostiques et les Cathares, Nous allons exposer en conclusion nos arguments.

Benjamin Fabre et le marquis François de Chefdebien de Saint-Amand, Franciscus Eques A Capite Galeato.

Dans ses « Disquisitions », publiées par l'écrivain antimaçonnique Benjamin Fabre (« Un « initié des Sociétés Secrètes Supérieures ») » le marquis François de Chefdebien de Saint-Amand, membre de la plupart des Rites Maçonniques de son époque, et connu dans les Ordres initiatiques contemporains (1753-1814) sous le « nomen » de Franciscus Eques A Capite Galeato, nous dit que Montpellier, patrie de Cambacérès, et une des villes fameuses de l'épopée albigeoise, fut en même temps une des villes de France les plus attachées aux sciences occultes et un des berceaux de la Franc-maçonnerie française. Et il nous rapporte l'épisode suivant, épisode des plus significatifs.

« Dès l'année 1723, Monsieur de Roquelaure découvrit une Secte très curieuse, dite des Multipliants, et apprit que les membres de cette fraternité tenaient leurs assemblées dans une maison appartenant à une certaine femme, dite la Verchand, dans la rue qui va de la Triperie, droit au puits du Temple », On s'empara évidemment des principaux membres de l'organisation, et on saisit leurs papiers.

Le catalogue de ceux de leur Siècle, nous dit d'Aigrefeuille, historien de Montpellier et cousin du marquis de Chefdebien, est daté du 6 Juin 1722. Il a pour titre : « Original des Noms et Surnoms des Enfants de Sion ».

Leur nombre se montait à environ deux cent trente-deux personnes, des divers lieux des Cévennes et des environs de Lunel. Les membres de la fraternité étant tous des artisans (donc rattachés au Compagnonnage...) et de pauvres gens du peuple.

On en eut des preuves convaincantes par leurs propres écrits, qu'ils faisaient la Cène, et que Jean Vesson, en qualité de ministre, l'avait souvent administrée, On trouva l'acte par lequel il avait élevé à cette charge, de simple tonnelier qu'il était auparavant, par l'imposition des mains de toute l'Assemblée. Le grand nombre de visions, de prophéties et de sermons, qui se trouva parmi leurs papiers, donna bien de l'exercice aux Commissaires, tant par la longueur des lectures que par les folies qui s'y trouvèrent. En voici quelques échantillons.

« Dieu m'a fait voir », dit Anne-Robert (c'est la même que la Verchand), la Parole Magnifique, en présence de quatre témoins. J'ai vu une grande Clarté et une Etoile, et le fil d'or ; et dans une autre plus grande Clarté, j'ai vu une Corde d'Or, et une Colombe, l'Esprit de Vie. Pierre Félix, Pierre Portalez, Suzanne Guérille, sont témoins que j'ai vu le Pnîais de Gloire, le 8 Septembre 1722. « Signé Anne-Robert ».

Une de leurs prêcheuses, parlant de l'Arbre de Vie, dont ils avaient la représentation en leur résidu (c'est ainsi qu'ils « nomment le lieu de leur réunion, ou résidence), s'explique en ces termes ; Je vous parlerai du premier Homme, nommé Adam, et d'Eve, sortie de son côté, dont mon premier point sera sur l'Arbre. Le second sera sur le Diable, en forme de serpent, le troisième sur l'Homme et la Femme. Jacob, dans un sermon prophétique, du 22 décembre 1722, dît ces paroles honorables pour l'Église Romaine : Dieu a béni et sacré du plus haut des Cieux les trois Sacrificateurs par le sel et l'huile de la Grâce. Il a choisi la Veuve pour représenter son Église, qu'il veut faire fleurir et triompher sur la terre. Ladite Église Romaine ayant demeuré veuve jusqu'à présent, et asservie au berger de l'Église Romaine ; mais il faut qu'elle soit abattue avec les bergers, et que sa honte se montre à la face de tout le monde, après avoir été cachée aux Rois et aux princes par science humaine ».

Le reste de leurs écrits contient mille extravagances dont ils faisaient auteur le Saint-Esprit. On trouve presque partout : Voici ce que dit l'Esprit Saint, voici ce que le Saint-Esprit « ordonne de vous dire ». Le même historien, d'Aigrefeuille, nous fait connaître l'issue de cette étrange affaire d'hérésie.

« Enfin, leur procès se trouva pleinement instruit vers la fin du mois d'avril, par les soins et la diligence du sieur Jérôme Loys, subdélégué de M. de Bernage, intendant, qui avait eu, depuis le commencement de cette affaire, un arrêt d'attribution pour les juges avec les officiers du Présidial de Montpellier. Le grand nombre de coupables sauva la vie à plusieurs : Pierre Gros et Marguerite Verchand furent mis hors de cause et de procès. Victoire Bourlette, Françoise Delort, Suzanne DeJort, Louise et Philippe Comte, renvoyés à un plus amplement acquis ; trois femmes, savoir Anne-Robert, dite la Verchand, Jeanne Mazaurigue, et Suzanne Loubière, furent condamnées à être rasées et emprisonnées pour le reste de leur vie dans une prison ; cinq hommes, savoir Jacques Bourrely, dit Paul, sacrificateur, âgé seulement de seize ans, Pierre Figarul, André Comte et François Baumes, furent envoyés aux galères ; Jean Vesson, comme ministre, Jacques Bonicel, dit Galantini, le premier des sacrificateurs, et Antoine Comte, dit Moïse, son collègue, furent condamnés, comme atteints et convaincus d'avoir tenu des assemblées illicites et contrevenu aux ordres de Sa Majesté sur la Religion, à faire amende honorable devant.la porte de la citadelle, et ensuite à être pendus sur l'esplanade, avec Marie Blainc, dite Marie-Marguerite, convaincue d'avoir fanatisé, et d'être la principale motrice de ces assemblées. Leur sentence, qui est datée du vingt-deuxième d'avril, fut exécutée le même jour, et peu de temps après. On rasa la maison où ils avaient tenu leurs assemblées, selon des articles de la sentence qui porte qu'elle ne pourra plus être réédifiée ».

Benjamin Fabre, écrivain bien-pensant, soi-disant chrétien, aurait pu s'étonner que des hommes et des femmes qui ne péchèrent que par un excès de mystique chrétienne, fussent mis à mort ou enterrés vivants dans des cachots ! Il aurait pu s'étonner du fait que les grandes courtisanes titrées qui, quelques années auparavant, se faisaient célébrer, nues, des messes sacrilèges sur l'abdomen, avec grand renfort d'égorgement de nouveau-nés ou d'enfants volés, n'aient eu pour châtiment que la disgrâce royale ! Non, il ne s'indigne nullement. Il nous dit simplement : « Nous avons retrouvé ces notes curieuses dans les papiers de l'Eques a Capite Galeato »... Comme on comprend alors la mentalité qui conduisait les incendiaires de Béziers et les massacreurs de Carcassonne ! ...

Les Enfants de Sion, dits Multipliants.

Le marquis de Chefdebien nous dit ensuite : « Ce ne sera pas sans surprise que nous reconnaîtrons dans cette Secte la source et le modèle de plusieurs usages, décorations, expressions et principes, qu'on retrouvera dans certains Grades de quelques Régimes Maçonniques. Les Multipliants n'étaient eux-mêmes que les imitateurs, les successeurs ou les disciples, de cette chaîne de novateurs, toujours brisée et toujours renaissante, et qui, sans cesse, a fatigué l'Eglise Romaine, sous le nom de Gnostiques, de Basilidiens, de Manichéens, d'Ariens, de Cathares, de Vaudois, etc. Revenons aux Multipliants. Madame la Comtesse de Bénévent, qui en ses premières années, a vu les chefs des Multipliants nous les dépeints au jour où ils furent arrêtés, comme de jeunes hommes de bonne mine, bien frisés, revêtus d'aubes blanches, coiffés de bonnets rouges. Elle a ajouté qu'une chaire, dont ces Sectaires faisaient usage, a été donnée à l'église Sainte-Catherine, de Montpellier. Chacun de nous pourra reconnaître, dans l'histoire de ces infortunés, l'origine de certaines couleurs, de certaines expressions, et des instructions allégoriques, dont quelques francs-maçons semblent avoir hérité ».

Les Enfants de Sion, dits Multipliants, datent de 1722-1723. Quelques années plus tard, note Benjamin Fabre, Montpellier se couvrit de Loges maçonniques fréquentées par les officiers, les magistrats, les professeurs et les étudiants de sa célèbre Université.

Cette ville devint même le siège du Directoire de l’Ille Province du Rite de la Stricte-Observance Templière, celle de Septimanie, dont le marquis de Chefdebien fut le représentant unique, au Convent Général de Wilhelmsbad ! Voici donc la survivance indiscutable des Cathares, ou tout au moins d'une secte approchante, retrouvée en plein pays albigeois, au XVIIIe siècle.

Or, Martinez de Pasqually a concentré toute sa vie ses efforts en cette même région. Nous le voyons tour à tour affilié, fondateur, modificateur, de loges maçonniques à Montpellier (Chapitre des « Juges Écossais »), à Toulouse, Marseille, Avignon, Foix, (Temple des Elus Cohen et loge « Josué »), Bordeaux. C'est à Montpellier que Martinez produit pour la première fois sa Charte maçonnique, délivrée le 20 Mai 1738 à son « père », par le Grand-Maître de la Loge de Stuart.

A propos de l'AGLA

Mais on n'a pas assez souligné que ledit père aurait eu alors soixante-huit ans, puisque, nous l'avons vu, il était né en 1671. D'autre part, Martinez est né à Grenoble, en 1727, concluent la plupart des auteurs. Son père aurait donc dû se trouver à Londres l'année suivante.

Ceci n'est pas improbable, mais néanmoins renforce notre hypothèse que le père spirituel de Martinez de Pasqually n'est pas Messire de la Tour de la Case, né à Alicante (Espagne), en 1671...

Un autre fait curieux vient encore étayer notre assertion. Martinez de Pasqually, en ses signatures ésotériques, use de ce qu'il appelle « nos caractères ordinaires ». Parmi ces paradigmes énigmatiques, figure ce qu'on nomme « le quatre de chiffré ». Et ce signe mystérieux figure fréquemment parmi les inscriptions retrouvées par O. Rahn dans les grottes du pays d'Aude, en pleine région légendaire de l'épopée albigeoise, dans les grottes d'Ornolac, de Lombrives notamment, inscriptions attribuées par tous les examinateurs aux Cathares qui se réfugièrent dans lesdites cavernes.

Lorsque les Cathares, survivance gnostique en plein Moyen-âge, furent apparemment disparus, le même « quatre de chiffre » fut alors adopté par une autre grande société de pensée, nous avons nommé l’Agla.

L’Agla fut une société ésotérique, groupant, à l'époque de la Renaissance, les apprentis, compagnons et maîtres des Corporations du Livre : libraires, graveurs, imprimeurs, papetiers et relieurs, ainsi que les cartiers, qui fabriquèrent les premières cartes à jouer et les premiers tarots.

Le « glyphe » collectif de cette vaste association était le « quatre ». Il figurait, accompagné de fioritures ou d'adjonctions distinctives, dans la « marque » particulière de chacun des maîtres de cette vaste confrérie.

Léon Gruel, en son ouvrage, a recueilli des centaines de ces signatures compagnonniques. Fréquemment, il surmonte un tracé secondaire, indiquant assez souvent une seconde association intérieure, à laquelle appartenait le signataire.

C'est ainsi que l'hexagramme, ou Sceau de Salomon, le sceau planétaire de Saturne, le monogramme de Marie, désignent une association s'occupant d'alchimie et d'hermétisme, alors que le cœur, tel que le figurent les cartes à jouer, désigne un autre rameau, dans lequel la Mystique, et plus particulièrement celle de la Cabale, était étudiée et pratiquée.

Et Martinez de Pasqually est un Cabaliste ! C'est à ce dernier groupe qu'appartint le Roi François Ier. C'est pour participer à ses travaux que ce souverain quittait une fois par mois incognito son palais du Louvre, seul, vêtu simplement en bourgeois parisien, pour se rendre rue de l'Arbre-Sec, chez les frères Estienne, jurés de la corporation des imprimeurs et libraires, également affiliés à l’Agla.

Dans le groupe des maîtres-papetiers, s'étaient perpétuées des traditions ésotériques dérivées primitivement des doctrines cathares et albigeoises. Par celui des maîtres-libraires ou imprimeurs, des enseignements issus du Zohar se répandirent, dès que l'imprimerie, l'invention nouvelle, eut profondément bouleversé le monde des enlumineurs. En effet, ces derniers avaient pour tâche principale de copier et de décorer des Livres d'Heures, des Évangéliaires et des Bibles. Ce qui leur était confié était-il toujours bien orthodoxe ? ...

Dans le ghetto des principales grandes villes, d'autres enlumineurs, juifs ceux-là, copiaient patiemment, sur les interminables rouleaux de peau les textes sacrés constituant la « Thora ». Des contacts s'établirent entre copistes juifs et enlumineurs chrétiens, contacts qui eurent à l'origine le souci et la curiosité professionnelle, louchant le secret de fabrication des encres, noires ou de couleur, celui de leur dépôt durable sur les fragiles supports ou les parchemins rugueux et durs, la préparation des divers « bols d'Arménie » destinés à supporter l'or et l'argent des enluminures, etc.

Des rencontres communes entre parcheminiers et imprimeurs, achevèrent d'unir l'antique métier de l'enluminure et l'invention nouvelle qu'était l'imprimerie. La presse à bras, facile à dissimuler, aisée à manier clandestinement, était pour les doctrines hétérodoxes un auxiliaire précieux de diffusion. Quantité d'ouvrages qui n'eussent pu décemment voir le jour dans un état catholique, ne pouvant obtenir le « privilège » royal de parution, étaient censés avoir été imprimés dans des états acquis à la Réforme, ou tellement lointains pour l'époque, que nul ne pouvait ou s'avisait d'y aller vérifier quoi que ce soit !

C'est ainsi que des villes comme Amsterdam, Edimbourg, Genève, eurent le parrainage d'ouvrages qui furent clandestinement imprimés en réalité à Paris, à Lyon ou à Bruxelles. On comprend, par cet aperçu, que tout ce qui était clandestin, hérétique, interdit, devait passer par les mains des imprimeurs, papetiers, graveurs et relieurs, si on le voulait diffuser ! Ces derniers se trouvèrent donc à même de connaître bien des enseignements ésotériques, interdits au vulgaire, et, en vertu de l'attrait du fruit défendu, de s'y rallier...

Ainsi naquit l’Agla, groupe ésotérique s'il en fut, qui recueillit à la Renaissance, l'héritage spirituel des Cathares et des Gnostiques médiévaux. Et voilà comment le « quatre ». Symbole cathare, devint celui de cette confrérie mystique.


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