Obédience : NC Orient de Paris 24/10/1964


T\ V\ et vous tous mes F\ en vos grades et qualités.
Le Grand Architecte de l’Univers, le Roi Salomon - Bâtisseur du Temple, Les Bâtiseurs de Cathédrales (Maîtres, Compagnons, Apprentis),
Les Textes, du Regius aux « Landmarks », en passant par les « Old Charges ».
Tous nous conduisent à l’interrogation, à l’étude, au travail sur nous même, sur notre passé et notre devenir.
Comment s’étonner alors que notre Ordre ait ressenti le besoin de créer une unité de recherche, une « Loge de Recherche », j’ai nommé.

Villard de Honnecourt

Mais une question s’est posée à moi : pourquoi ce nom, pourquoi « Villard de Honnecourt », quel sont les mérites de cet homme, susceptibles d’entraîner le choix de son nom, pour un atelier au programme aussi noblement ambitieux ?

La figure de Villard de Honnecourt demeure mystérieuse. Son nom pourrait indiquer son lieu d'origine, ou peut-être le monastère dont il faisait partie : en effet, Honnecourt, petite ville de Picardie, au bord de l'Escaut près de Cambrai, Saint-Quentin et Amiens, s’est formée autour d'une abbaye bénédictine. Seul son manuscrit, le « Carnet de Villard de Honnecourt », nous livre quelques indices qui permettent de le situer, car rien d’autre n’a subsisté de ses travaux.

Au XIIIe siècle, la Picardie est dans une situation privilégiée, au cœur de l'Europe, à un carrefour d'échanges économiques importants et se trouve au centre des foyers intellectuels. On pense que Villard a pu résider et étudier à Honnecourt, mais il a probablement aussi travaillé à l'abbaye cistercienne de Vaucelles.

En tout état de cause, c’est un homme aux multiples facettes et nous pouvons nous interroger :

Villard est-il : dessinateur, concepteur de plans, ingénieur, constructeur, architecte, maître d'œuvre, géomètre, inventeur, voyageur, observateur de chantiers et d'édifices, chef de chantier, clerc, intellectuel, savant ?

La réponse n’est pas évidente. Mais il ne fait aucun doute qu'il est un artiste habile et certainement, aussi, un de ces grands voyageurs du Moyen Age, nous devrions dire une « Commis Voyageur de l’Art, de l’Architecture et de la Géométrie ».

Il le dit lui même, « Je suis allé dans de nombreux pays […] », ajoutant au passage : « en aucun lieu je ne vis une tour telle que Laon ». Ses représentations des cathédrales de Laon et de Reims, ses plans des églises de Cambrai, de Vaucelles et de Meaux permettent de situer son activité pendant le premier tiers du XIIIe siècle, au moment de l'apogée du gothique.

Sans pouvoir établir de chronologie claire et juste, nous pouvons imaginer les pérégrinations avérées, probables ou éventuelles de Villard de Honnecourt, sans qu'il soit non plus possible de préciser s'il s'agissait de participations à des chantiers ou de déplacements pour étudier des édifices réputés, voire ce qu'on appellerait du tourisme culturel.

Il est probable qu'il soit allé à Meaux mais rien ne prouve qu'il ait été à Chartres. Sur son chemin vers la Hongrie, comme il le précise, il passe par Reims, ce qui l'aurait conduit à faire étape dans quelques monastères cisterciens et à visiter quelques églises telles que Clairvaux, Citeaux ou Morimond et expliquerait son intérêt pour le plan-type d'église cistercienne conforme à la simplicité d'origine.

Depuis le XIIe siècle, les cathédrales gothiques attirent les regards, animent les artistes et, au XIXème, comme au XXème siècle, des hommes comme François René de Chateaubriand, Victor Hugo, Joris-Karl Huysmans, Charles Péguy, ou les impressionnonnistes s'en sont inspirés dans plusieurs de leurs oeuvres.

Les questions suscitées par ces chefs-d'œuvre mystérieux sont nombreuses. De Chartres à Amiens en passant par Lausanne, qui, aujourd'hui, se souvient des couleurs éclatantes qui accueillaient les fidèles à l'entrée et à l'intérieur des cathédrales ? Que signifie ce prolifique décor ? Quel éclairage donnaient les vitraux d'origine, aujourd'hui disparus ? Comment ont été érigées, parfois en peu de temps, ces constructions aux dimensions et aux impressionnantes proportions ? Qui peut imaginer l'orgueilleuse flèche de Beauvais au XIIIe siècle atteignant 48 mètres mais qui s'écroula en 1284 ? Quelle impression, quelle émotion pouvait ressentir le fidèle du Moyen Âge qui entrait dans la cathédrale ? Les chantiers de ces cathédrales ne font ils pas penser à ceux de l'Égypte ancienne, aux chantiers des pyramides ou à ceux de l'Amérique moderne, aux chantiers des gratte-ciel ? Qui étaient les commanditaires et les bâtisseurs, qui se cachait derrière ces génies créateurs ? Quels étaient les techniques et les outils utilisés ? Ces constructions étaient-elle l'imitation d'un modèle donné ? Ou le fruit d'une imagination inspirée ? Et, dans ce cas, inspirée par quelle force ?

Les questions se bousculent au sujet du temps des cathédrales et le « Carnet de Villard de Honnecourt » arrive à point nommé pour livrer quelques pistes.

Homme du XIIIe siècle, maître d'œuvre et dessinateur, Villard de Honnecourt, nous a laissé ce « Carnet », ouvrage exceptionnel composé de notes et de croquis. La précision des schémas, la qualité des esquisses, l'exactitude des plans sont remarquables.

Le carnet ne traite pas seulement de la construction des cathédrales mais plus généralement des techniques de construction de l'époque ; on y trouve les plans de la tour de Laon, l'élévation intérieure des chapelles absidales de la cathédrale de Reims ainsi que des motifs décoratifs tels une rose rappelant celle de Chartres ou un pavage vu en Hongrie.

Les connaissances techniques se cachent souvent derrière des figures énigmatiques, cavaliers, visages humains ou figures animales qui sont autant de figures mnémotechniques que Roland Bechman, historien et architecte, passionné par cet étonnant Villard, s'est appliqué à déchiffrer et à interpréter. Roland Bechmann sans qui il m’eut été difficile de réaliser cette petite recherche.

Il nous serait pratiquement de travailler en profondeur sur ce cahier, preuve d'un savoir-faire multiforme, car c’est en jours, pour le moins, que nous devrions compter le temps à lui consacrer. Aussi ferons nous un simple survol de cette œuvre, en nous arrêtant sur ses traits les plus saillants et les plus proches de notre quête maçonnique.

Re-situons tout d’abord le contexte :

Depuis la fin du XIème siècle, l'émancipation des villes se fait au profit des marchands les plus fortunés, des notables. La ville devient symbole du pouvoir. En s'affranchissant de l'autorité féodal, elle apparaît comme un espace de libertés.

Deux pouvoirs s'y s'affrontent : la cathédrale ou l'église d'un côté, le beffroi ou le palais communal de l'autre, chacun cherchant à développer son autorité. Si les conseils se réunissent au début dans les églises ou dans la nef d'une cathédrale, les magistrats vont rapidement chercher un lieu visible et identifiable pour s'assembler et signifier leur indépendance.

Parallèlement, le développement de la cité, appelle une nouvelle forme d'enseignement et, à partir du XIIe siècle, le foyer rayonnant du savoir se situe en ville. L'enseignement des écoles-cathédrales prend le pas sur l'enseignement monastique. Les deux grandes écoles prestigieuses sont l'école de Chartres et l'école de Paris. Des maîtres renommés comme Abelard, Pierre Lombard ou Guillaume de Champeau y enseignent.

Au début du XIIIe siècle, certaines communautés scolaires cherchent à s'affranchir de la tutelle de l'évêque et donnent naissance aux premières universités. Celle de Paris obtient ses premiers statuts en 1215. Les plus grands intellectuels y professent comme Saint Thomas d'Aquin, Saint Bonaventure ou Albert le Grand. La quête de savoir emmène les étudiants de ville en ville. Au XIIIe siècle, on en trouve jusqu'à 10 000 dans le quartier Latin à Paris. Des collèges sont fondés pour les accueillir comme celui de Robert de Sorbon en 1257.

Cette avidité de savoir, qui s’est emparée de toute une génération, s’accompagne, du fait de l’origine éclésiastique des formateurs, d’une extraordinaire démesure dans l’expression architecturale de la ferveur religieuse.

Le style Gothique atteint sa pleine mesure grâce à l'emploi de l'arc brisé, plus résistant que l'arc en plein cintre. Son usage se généralise, ce qui permet d'accroître considérablement la hauteur des murs et d'alléger l'allure de l'ensemble.

Les verticales jaillissent du sol et montent vers le ciel, toujours plus haut, plus près de Dieu. Malgré ce goût pour la démesure, la recherche de l'harmonie est constante : la succession régulière des piliers et des arcs produit une impression d'équilibre et de régularité.

Les voûtes deviennent rectangulaires ou « barlongues », le plus souvent à quatre quartiers. Ceci permet de répartir le poids de manière homogène sur des piliers cantonnés (piliers à fût central cerné de quatre colonnettes engagées).

Les murs s'évident considérablement pour laisser place à de grandes fenêtres. Les ouvertures l'emportent sur les pleins et la lumière inonde ces vastes édifices ornés de sculptures et de miniatures, laissant cependant le septentrion dans une ombre protectrice.

Les tribunes, qui diminuaient la lumière, sont remplacées par des arc-boutants. L'élévation à trois niveaux se généralise. Les chapiteaux sont ornés de bouquets de feuillages sculptés.

Il est difficile aujourd'hui d'imaginer les conditions dans lesquelles travaillaient les hommes qui lançaient à près de cent cinquante mètres de hauteur les flèches de leur cathédrale. Ils n'avaient aucun moyen de calcul préalable et se basaient sur des méthodes empiriques dictées par l'expérience acquise sur des édifices bien moins ambitieux et sur la force de leur foi.

Ils se montrèrent parfois trop audacieux, présomptueux… Mais nous mêmes ne le sommes nous pas quelquefois ? Aussi les accidents n'étaient-ils pas rares sur les chantiers des cathédrales : ainsi, en 1267 la tour de la cathédrale de Sens s'écroule, en 1272 la flèche de Sainte Bénigne de Dijon, et, en 1573, la flèche récemment édifiée de la cathédrale de Beauvais.

Et notre Villard de HONNECOURT, homme de l’Art, Autodidacte brillant, parcourt le monde, note dans son carnet toutes sortes « d’astuces », de recettes ou d’inventions… Ceci va de la Baliste « lance flèches » Sans Recul (le modèle en a été construit et testé de nos jours !), au « Mouvement perpetuel » (mais Villard laisse transparaître ses doutes sur ce point…), en passant par de nombreuses recettes, telles que la mesure de distance d’un point éloigné et difficile à atteindre (Une pure merveille de simplicité Géométrique…), ou cette composition en forme de frontispice, intitulée le tombeau d'un Sarrazin.

De celle ci Villard nous dit :

« De tel maniere fut li sepouture d'un sarrazin, que jo vi une fois ». C’est-à-dire : « Ainsi était faite la sépulture d'un Sarrazin que je vis une fois ».

Cette page a particulièrement intrigué les commentateurs, car cette composition ressemble fort peu aux diptyques Gallo-Romains évoqués par Lassus et Hahnloser, qui interprétaient le mot « Sarrazin » comme désignant un païen, donc un Romain.

Ce dessin rappelle un peu ces frontispices d'ouvrages du XVIe et du XVIIe siècles consacrés à l'architecture, et comportant des objets symboliques, mais aussi certaines compositions dans des ouvrages médiévaux. On en a un exemple sur une gravure sur bois d'un ouvrage de l'éditeur Jean du Pré, datant de 1493 « Les Vigilles de la mort du feu roy Charles VII ».

Roland Bechmann, « fan » de Villard, a relevé dans le manuscrit des représentations précises de rituels encore en usage chez les Compagnons au XIXe siècle. Il s'est demandé si ce dessin n'avait pas un sens ésotérique qui en apporterait l'explication. Un compagnon du Devoir de Liberté le conforta cette hypothèse.

En effet, chez ces Compagnons, le terme « Sarrazin » désigne Hiram, architecte étranger appelé par le roi Salomon pour la construction du temple de Jérusalem. Un autre indice, qui dénote la discrétion, ou peut-être l'humour de Villard, est d'indiquer qu'il ne vit cette composition qu'une fois. Or c'est effectivement une seule fois - lors de son initiation - que le compagnon prend connaissance de tous ces symboles.

Ainsi, si cette composition évoque une sépulture, ce serait vraisemblablement celle de Hiram et ce dessin indiquerait que Villard pratiquait déjà des traditions qui se sont poursuivies jusqu'à nos jours, dans le Compagnonnage, comme dans notre Franc-Maçonnerie.

Alors, Villard peut-il être un de ces bâtisseurs ? Ses compétences, qui s'apparentent à celles des architectes contemporains, semblent rendre crédible l’hypothèse. Mais les prouesses des maîtres d'œuvre et leur renommée soudaine attisent les jalousies, en particulier celle du maître d'ouvrage. Est-ce pour cela que Villard n’a signé aucune œuvre ? Ou n’a-t-il jamais rien « réalisé » concrètement ?
Mais nous savons aussi que les « architectes » de la période du gothique primitif ne sont pas passés à la postérité même si leur talent est reconnu.

Cest pourquoi, avec la « montée en puissance » de leur confrérie, les maîtres d'œuvre veulent se fait un nom ! Le « Métallique » reprend force et vigueur, en dépit de la puissance de la Foi.

Au moment de l'apogée du gothique, les maîtres d'œuvre accèdent à un statut social important. Leur enrichissement personnel, leur renommée, leurs titres « universitaires » - l'épitaphe de Pierre de Montreuil indique qu'il fut « en son vivant docteur ès pierre » - en exaspère plus d'un. Le prédicateur Nicolas de Biard les critique dans un sermon prononcé en 1261, où il dit :

« Dans ces grands édifices, il a accoutumé d'avoir un maître principal qui les ordonne seulement par la parole et n'y met que rarement la main, et cependant reçoit des salaires plus considérables que les autres ».

Le maître d'œuvre s'éloigne de toute activité manuelle. Il conçoit les plans et fixe les devis. Les grands maîtres d'œuvre du gothique sont Jean de Chelles, Pierre de Montreuil, l'un des bâtisseurs de Notre-Dame de Paris, Robert de Coucy, Peter Palet, Hugues Libergié, Alexandre et Colin de Berneval. Ce sont des artistes, des savants et des spécialistes des questions techniques. Ils sont capables de défier les forces et les poussées, de les contrôler pour élever toujours plus haut des édifices à la gloire de Dieu, du Grand Architecte de l’Univers. Ils offrent le spectacle de constructions extraordinaires, éblouissant leurs contemporains.

Des inscriptions dans la pierre vont alors pérenniser, de façon très profane, ces hommes d’exception. A l’intérieur même de la cathédrale, le labyrinthe est parfois le moyen de connaître le nom des maîtres d'œuvre. Sur une gravure représentant le labyrinthe de la cathédrale de Reims, aujourd'hui disparu, quatre maîtres figurent : Jean d'Orbais, qui édifia le chœur en 1211, est représenté en haut à droite ; Jean le Loup, qui l'achève et débute la façade, est représenté en haut à gauche, tenant une équerre ; Gaucher de Reims et Bernard de Soissons, qui édifia la grande rose de la façade ouest, sont représentés en bas. Non loin de là, dans l'église Saint-Nicaise, à présent détruite, un autre grand bâtisseur reposait dans l'édifice qu'il avait construit. Sur sa sépulture, on avait gravé : « Ci-gît Hue Libergié qui commença cette église en l'an 1229 et trespassa l'an 1267 ». Dans le soubassement du transept sud de Notre-Dame de Paris est gravé de manière notable le nom de Jean de Chelles : « Maître Jean de Chelles a commencé ce travail le 2 des ides du mois de février 1258 ».

Le maître d'ouvrage est de plus en plus suspicieux vis à vis du maître d'œuvre. La question de la paternité artistique commence à se poser. Des désaccords apparaissent. Mais, loin de tout cet étalage de puissance et d’orgueil de plus en plus profane, l’astucieux, le discret, le brillant Villard de Honnecourt refuse de graver son nom dans la pierre… Il préfère se consacrer à ses recherches, à son art, à sa quête de progrès pour l’humanité.

Ainsi, écologiste aussi avant l’heure, donne-t-il dans son carnet plusieurs procédés qui répondent au souci d'économie du bois d'œuvre, problème déjà crucial à cette époque ! En effet, au sortir du XIIIe siècle, les forêts sur le territoire de la France actuelle ne couvrent plus que treize millions d'hectares, soit un million de moins que de nos jours. Et nous pourions continuer à travailler sur l’œuvre que Villard nous a laissé dans un résumé succinct mais transcendant :

le « Carnet de Villard de Honnecourt »...

7543-1-17543-1-2

Pour moi, je retiendrai tout particulièrement le « Tombeau du Sarrazin », dont l’examen ne peut que ravir un maçon en quête de symboles, mais je n’en dirai pas plus, car nombre d’entre eux ppartiennent au 3ème grade…et le « Labyrinthe », que notre Grande Loge de Recherche a choisi comme le « Logo » symbolisant le prodigieux talent du chercheur qu’a été Villard de Honnecourt.

J’ai dit V\ M\

J\ B\


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