Obédience : NC Loge : NC Date : NC


Le Dieu du Pasteur Desmons

Frédéric Desmons n’est pas un inconnu dans la franc-maçonnerie française. Inutile de réécrire
sa biographie. Rappelons seulement pour nos soeurs et frères qui l’ignoreraient que l’homme naît en 1832 à Brignon, petite commune française au pied des Cévennes, qu’il décide très jeune d’embrasser la carrière de ministre du culte réformé et qu’il suit les cours de la Faculté de théologie de Genève, fief du calvinisme. En 1855, il est reçu docteur en théologie et, à trente et un ans, le 8 mars 1861, il est initié au Grand Orient de France dans la loge : l’Echo à Nîmes. Personnage
de premier plan dans l’Obédience, il deviendra et restera Président du Conseil de l'Ordre, réélu statutairement pendant douze ans jusqu’à sa mort en 1910. Parallèlement, il mène une carrière politique. En 1877, il est élu conseiller général renonçant du même coup à sa charge pastorale (nous y reviendrons plus loin); il deviendra député de la troisième République et finira viceprésident du Sénat de 1902 à 1905.
Un parcours brillant dénotant un esprit ouvert, un sens profond de sa responsabilité, tant vis-àvis de ses paroissiens, de ses frères, que des citoyens d’une jeune République au sortir du Second Empire. Mais il y en eut bien d’autres que lui et quelles qu’aient pu être ses vertus, ce ne fut pas
la raison pour laquelle l’homme laissera une trace indélébile dans l’histoire de la maçonnerie française.

Sa déclaration de 1877, un paradoxe ?

Apparemment l’homme est un paradoxe, en effet. Qu’on en juge. Dès son entrée au Conseil de l'Ordre du G.O.D.F., en 1873, il constate et prend en compte la volonté de la plupart des loges de supprimer les références à l'existence de Dieu - donc à l’obligation de la présence du Volume de
la Loi sacrée sur l’autel des serments - et à l'immortalité de l'âme, s'opposant ainsi aux « conservateurs » de l'Obédience.

En 1877, il approuve la révision de l'article 1er de la constitution du Grand Orient de France et
annonce : « Nous demandons la suppression de cette formule parce que, embarrassante pour les Vénérables et les Loges, elle ne l'est pas moins pour bien des profanes qui, animés du sincère désir de faire partie de notre grande et belle Institution qu'on leur a dépeinte, à bon droit, comme une Institution large et progressive, se voient tout à coup arrêtés par cette barrière dogmatique que leur conscience ne leur permet pas de franchir.
Nous demandons la suppression de cette formule parce qu'elle nous paraît tout à fait inutile et étrangère au but de la Maçonnerie. - Quand une société de savants se réunit pour étudier une question scientifique, se sent-elle obligée de mettre à la base de ses statuts une formule théologique quelconque ? - Non n’est-ce pas ? - Ils étudient la science indépendamment de toute idée dogmatique ou religieuse. - Ne doit-il pas en être de même de la Maçonnerie ? Son champ n'est-il pas assez vaste, son domaine assez étendu, pour qu'il ne lui soit point nécessaire de mettre le pied sur un terrain qui n'est point le sien.
Non. Laissons aux théologiens le soin de discuter des dogmes. Laissons aux Eglises autoritaires le soin de formuler leur syllabus. - Mais que la Maçonnerie reste ce qu'elle doit être, c'est-àdire une institution ouverte à tous les progrès, à toutes les idées morales et élevées, à toutes les aspirations larges et libérales ».

Or, cette déclaration sort de la bouche d’un pasteur calviniste cévenol qui fut reçu Docteur en
théologie après ses études à la Faculté de théologie protestante de l'Université de Genève. N’eston pas en droit de s’interroger sur l’authenticité de sa foi ou bien alors a-t-on déjà affaire à un
homme politique cherchant un consensus alors que la loi de 1905 sur la laïcité en France n’a pas encore été votée ? Et, dès lors, la question se pose : Quelle peut être la raison qui le poussa dans cette attitude ?

Reprenons donc le détail de sa déclaration pour tenter de comprendre - sans vouloir toutefois
argumenter en faveur de l’une ou de l’autre de cette pratique mise en exergue dans les premières Constitutions maçonniques ayant jamais été écrites : « les Constitutions d’Anderson », datant de
1723. Ayons en mémoire cette partie du texte du paragraphe 1 des dites Constitutions : « … only to oblige them to that Religion in which all men agree, leaving their particular Opinions to themselves »(1) . Cette phrase est remarquable par son ouverture à la tolérance religieuse et par la souplesse de son interprétation. Elle témoigne des anciens désordres politiques et religieux que les Anglais étaient finalement parvenu à surmonter.

Que dit le texte de la déclaration de F. Desmons ? Tout d’abord : « La suppression de cette
formule ». Le mot « formule » peut surprendre. Il semble mal adapté à la situation, car il pourrait laisser entendre que la Bible n’est qu’une simple « formule ». Ensuite nous lisons : « Cette barrière
dogmatique » et, plus loin, : « Laissons aux théologiens le soin de discuter des dogmes.
Laissons aux Eglises autoritaires le soin de formuler leur syllabus » Ici encore on s’interroge.
Au sens strict, la Bible - qu’elle soit hébraïque ou néo-testamentaire - n’a rien de dogmatique.
Qu’est-ce qu’un dogme sinon le principe incontestable d'une doctrine ? Or, dans le Protestantisme (donc pour Frédéric Desmons), il n’y a pas de dogmes au sens où la théologie catholique romaine l’entend, mais concepts doctrinaux s’appuyant exclusivement sur les Ecritures. Et comme il n'y a pas unanimité entre les Protestants sur l’application uniforme de cette doctrine, il y a donc - en principe - liberté de pensée. Et c’est bien cette liberté de pensée que l’on retrouve dans le préambule des Constitutions d’Anderson. On se demande alors en quoi le Volume de la Loi Sacrée peut être « embarrassant pour les Vénérables et les Loges ».

Vient alors cette requête : « Nous demandons la suppression de cette formule parce qu'elle
nous paraît tout à fait inutile et étrangère au but de la Maçonnerie. » Se pose ici la question clé de cette déclaration : « Quel est le but de la Maçonnerie ? ». Jusqu’à mieux informé il s’agit d’une société initiatique (certains ajouteront philosophique). Comment soustraire alors d’une institution de ce type une référence spirituelle sans en dénaturer l’esprit ? Notons bien qu’il s’agit ici de spiritualité et non de religion et moins encore de confession.

Desmons enchaîne, et, par deux fois, répond lui-même « non » aux deux questions qu’il pose.


La première fait sans doute référence à l’Académie des Sciences de Londres, la Royal Society
(une société de savants), première des institutions scientifiques des « Lumières », étroitement mêlée à la franc-maçonnerie naissante à laquelle aucune forme officielle du protestantisme ne fut défavorable. Bien au contraire, cette société de savants et de philosophes travailla à l’unité de la Foi et de la Raison et, si un siècle et demi déjà sépare la date de la parution des « Constitutions » de celle de la déclaration de F. Desmons, l’esprit de tolérance et d’ouverture reste le même.

La seconde réponse démontre apparemment une méconnaissance flagrante, et étonnante de la
part d’un intellectuel, des dispositions prévues dans les Constitutions de 1723, lorsqu’il dit : « pour qu'il ne lui soit point nécessaire de mettre le pied sur un terrain qui n'est point le sien », (la
Théologie). Relisons ici le chapitre IV, paragraphe 2 des dites Constitutions : « Therefore no private pikes or quarrels must be brougth within the door of the lodge, far less any quarrels about religion, or nations, or state policy, we being only masons, of the catholick religion abovemention’d ; we are also of all nations, tongues, kindreds, and languages and are resolv against all Politiks, as what never yet conduc’d to the welfare of the lodge, nor ever will. » (2)

Il est donc bien explicitement recommandé de s’abstenir de toutes discussions religieuses, autrement
dit théologiques.
Rappelons au passage que le mot catholick du chapitre IV doit être pris ici dans son sens latin de catholicus, lui-même emprunté au grec  caktholikè ekklesia « église universelle » (Clément d’Alexandrie), donc de katholikos (général, universel). Nous ne sommes encore qu’en 1723. La première bulle papale sera prononcée sera prononcée en 1738 (3)

Le Protestantisme en France au début du XVIII siècle

Le Protestantisme n’est pas monolithique, nous le savons. Il se décline dans la pratique de nombreuses Eglises et Les Protestants français, qui sont toujours restés minoritaires dans le Midi de la France, se divisent eux-mêmes entre orthodoxes et libéraux, les orthodoxes (4) se recrutant plus généralement parmi la classe paysanne (rappelons que les Cévennes sont un pays pauvre), et les libéraux parmi les bourgeois, professions libérales, commerçants, etc. Il semble que la famille Desmons soit issue de cette seconde catégorie.
En 1832, date de la naissance de F. Desmons, cent cinquante ans se sont à peine écoulés depuis la révocation de l’Edit de Nantes (1685). Résonnent encore dans les oreilles protestantes les paroles de Mme De Maintenon : « Si Dieu conserve le roi, il n’y aura pas un Huguenot dans vingt ans » (5)

Vif aussi le souvenir cévenol des réactions aux persécutions des Dragons de Louis XIV face au refus obstiné de la plupart des Réformés de se soumettre aux injonctions royales.
Rien n’y fit en effet. Ni les Caisses de Conversions destinées à monnayer les retours à l’Eglise romaine ni les tentatives de négociations. S’en suit alors la répression, les atteintes à la liberté d’exercice de certaines professions, la restriction de celui de la vie civile (destruction des lieux de
culte, des écoles, etc.), et enfin les sanglantes expéditions au cours desquelles quinze cents irréductibles luttent contre des régiments entiers et deux maréchaux du roi. La répression est terrible, disperse les prédicants dans la montagne, au « désert », incarcère les relaps pendant que commence,
dès 1715 (à la mort de Louis XIV), la réorganisation de l’Eglise au synode des Montèzes et sous des cieux plus cléments, notamment à Lausanne où s’installe un séminaire sous la direction d’Antoine Court. On sort de l’enfer.
Toute l’absurdité, l’inutilité de ces événements sanglants sont sans doute aussi dans la mémoire du pasteur Desmons.

L’évolution politico-religieuse en France et la franc-maçonnerie

Si nous reprenons la chronologie des faits, F. Desmons naîtra deux ans après la Révolution de 1830 qui inaugure un nouveau type de monarchie, celle de Louis-Philippe, duc d’Orléans. La République se profilait déjà. Qui accompagne le monarque à l’Hôtel de Ville pour prêter serment
à l’issue des « trois Glorieuses ? L’inusable et claudiquant Marquis de La Fayette (il a 77 ans), porte-drapeau des Républicains et franc-maçon notoire dans toutes les mémoires.
Certes, les Cévennes restent lointaines et le peuple des campagnes moins sensibles aux événements historiques qui s’annoncent, mais c’est à Paris que se fait l’Histoire. 1848 (Desmons n’a encore que seize ans) voit la fin de la Monarchie de Juillet et, quelque temps plus tard (1852) l’arrivée du Second Empire, lequel s’effondra avec la défaite de Sedan en 1870 (Desmons a alors 48 ans). Rappelons qu’il fut initié dans la franc-maçonnerie en 1861.

Bien que le Second Empire reste très lié à l’Eglise catholique, Paris, ville des révolutions, est traditionnellement présentée comme un des premiers foyers de « déchristianisation » dans la France du XIX siècle. Cette évolution n’est sans doute pas étrangère à l’attitude future de F. Desmons, 16 ans plus tard.

Le livre d’Yves Hivert Messeca : « La Bible entre l'équerre et le compas »
(6) fait état d’une situation politico-maçonnico-religieuse qui peut se résumer ainsi : « Au milieu du XIX siècle, la presse maçonnique française accorde un fort intérêt au protestantisme, notamment à ses querelles doctrinales et ecclésiastiques. Globalement, les revues maçonniques oscillent entre critique et bienveillance. Toutes expriment cependant une certaine méfiance envers le protestantisme, religion « supranaturaliste », et les églises protestantes, en particulier la faction « orthodoxe ». Inversement, la presse maçonnique manifeste une sympathie certaine - voire une réelle admiration - envers les protestants, minorité persécutée. Elle soutient plus ou moins ouvertement le protestantisme libéral. Cependant, rares furent les maçons qui adhérèrent au protestantisme. Le philoprotestantisme maçonnique paraît être surtout le contrepoint de l'antipathie de plus en plus générale des frères à l'égard du catholicisme romain. »

Les classes populaires parisiennes sont en général assez hostiles au catholicisme, très lié au
régime impérial et aux conservateurs, et Desmons craint que le Second Empire ne provoque une vague réactionnaire dans toute la France menaçant la liberté de culte.
À la chute du Second Empire, la Commune (1871) décide en outre la suppression du budget des cultes, la confiscation des biens des congrégations religieuses. Les tensions poussent au massacre des Dominicains d'Arcueil et des Jésuites de la rue Haxo, tandis que les religieux des couvents
de Picpus et des Dames-Blanches sont inquiétés ou arrêtés sous divers prétextes. Les églises de Saint-Laurent et de Notre-Dame des Victoires sont perquisitionnées. On tente même d'incendier la cathédrale Notre-Dame de Paris !
Tel était le climat délétère de l’époque. F. Desmons en est le témoin.

Les oppositions religieuses dans les Cévennes
Pour mieux comprendre l’homme, il est nécessaire aussi de connaître le climat régnant en Languedoc à la fin du XVIII et au début du XIX siècle. Les témoignages sont révélateurs. Laissons parler ici André Chamson (7) qui décrit dans ses ouvrages les turpitudes commises par les deux factions religieuses en présence. Tout d’abord l’état de quasi-analphabétisme de la classe paysanne : « Si grand-mère, écrit-il, voulait m’obliger à parler français, c’est parce que cette langue était pour elle celle qui pouvait permettre à l’homme de s’entretenir avec Dieu ». Plus loin : « A Brignon (le lieu de naissance de F.Desmons), vers 1914, à l’école, on parlait français… Les seuls encore à parler patois étaient enfants arrivés fraîchement de la montagne » C’est dans ces communautés que se trouvent les « fondamentalistes ». On lit dans la chronique populaire des témoignages étonnants : « Au mas de l’aveugle dans un milieu très populaire où les filles n’apprenait qu’à lire : "C’était séparé entre catholiques et protestants, même à la fête votive, au bal… Et les guerres de religion, pardi qu’on en parlait ! […] Dans la Cévenne court le dicton :
"Las très pu métchantes maisos : le fèno, la cabro é lou capélan" : (Les trois plus méchantes langues : la femme, la chèvre et le curé). A Pignan, le glas venant à sonner, des voisins s’interrogent : "Co es mort ?… Degus, un hugenau !" (Qui est mort ?… Personne, un huguenot).

Parmi ces « enragés » se recrutent méthodistes, darbystes, quakers, baptistes et autres. Chamson
écrit dans Le chiffre de nos jours à propos de sa grand-mère : « Elle avait lu le "livre", laissé par le colporteur et pendant plus d’un demi-siècle n’en avait ouvert un autre. Elle le savait par coeur ». Ou bien ce souvenir d’Agustine Rouvière (lu dans les chroniques languedociennes) :
« Elle retrouvait son "livre" qui l’attendait chaque soir comme un ami qu’on retrouve au bout d’un chemin difficile ». Il n’est pas exclu qu’une foi sincère, profonde habite ces gens simples pétris du souvenir des persécutions encore récentes dans leur mémoire. Ceux-là n’avaient rien à voir avec les fanatiques.

Ces conflits cependant ne touchent pas une minorité de protestants et de catholiques libéraux.

S’annonce déjà une forme de laïcisme vers lequel glissent insensiblement un nombre de plus en plus important de leurs fidèles. Les Protestants libéraux, même minoritaires (moins de 30 % de la population en 1830) forme l’élite de la société et leur rôle social, économique et politique est  considérable. Depuis cette époque, le Midi est « ancré à gauche » et l’on remarque par exemple,
dès la fin du XIX siècle, la création de l’ « Association protestante du christianisme social » dont le fondateur fut Charles Gide (l’oncle d’André Gide). Apparaissent aussi d’importants mouvements coopératifs, les mutuelles, sociétés d’économie populaire, bourse du travail, etc. Rien n’endiguera plus la vague laïque qui viendra à bout des conflits religieux, voyant du même coup la fin d’actes isolés, de plus en plus rares, comme la profanation des tabernacles, les croix abattues et les insultes aux prêtres… Et cette situation débloquée évoluera lentement vers un consensus
entre les partis.

Une maçonnerie laïque

Les loges maçonniques jouèrent un rôle incontestable et important dans l’évolution du Languedoc qui resta toujours favorable au développement de la franc-maçonnerie. Les consensus entre les deux confessions du christianisme se créent. Les loges sont oecuméniques, rares lieux où Catholiques et Protestants forment la chaîne d’union. Elles seront les socles d’une réconciliation raisonnable et contribueront à sortir la société de l’obscurantisme régnant.
Ce qui, aujourd’hui, nous paraît évident ne l’était pas au début du XIXe siècle.

On verra ainsi se concrétiser l’idéal républicain et laïque, accompagné des habituelles outrances
verbales comme celles du discours du député de Béziers, Louis Lafferre (franc-maçon et Protestant), en 1898 (onze ans après la déclaration de Desmons) : « Nous sommes aussi antireligieux
qu’anticléricaux … Le véritable but poursuivi, c’est la chute de tous les dogmes et la ruine de toutes les Eglises ».
En effet, le risque est toujours grand de voir apparaître l’intolérance derrière la tolérance et le fanatisme d’un nouveau dogme dissimulé derrière l’antidogmatisme de circonstance.
« Transformer la charité chrétienne en charité socialiste », comme l’entendait Paul Crouzet, professeur au lycée de Toulouse, est vider la Charité de son sens : Comme si la Charité pouvait avoir une couleur…
C’est dans ce contexte social que Frédéric Desmons entre en scène. Ce pasteur réformé du Gard, homme dont la foi ne peut et ne doit être mise en cause, dénonce, en 1877, la contradiction fondamentale que contient la Constitution du Grand Orient de France, la plus importante obédience
du pays. D’un côté l’obligation de croire au Grand Architecte et, de l’autre, la reconnaissance de la liberté de conscience comme une valeur essentielle (contradiction apparente, répétons-le, si on lit à la lettre les Constitutions fondatrices de la franc-maçonnerie).
« En faisant supprimer la soumission au GADLU, Frédéric Desmons a séparé l’ordre religieux et l’ordre maçonnique », explique Michel Miaille, professeur honoraire à la Faculté de droit et Grand Maître de la Grande Loge Mixte Universelle. Encore une fois, nous sommes témoins
de l’obstination de beaucoup à confondre la croyance et la foi. Est c’est ainsi qu’est née la franc-maçonnerie libérale, indépendante de l’organisation officielle, la Grande Loge Unie d’Angleterre.

Il n’empêche. La confusion de Frédéric Desmons entre religion, voire confession, et spiritualité
saute aux yeux. Mais le positivisme d'Auguste Comte affirmant que l'esprit scientifique va, par une loi inexorable du progrès de l’esprit humain, remplacer les croyances théologiques ou les
explications métaphysiques, s’il reste une utopie, est à la mode. Le positivisme religieux que Comte expose plus tard ne l’est pas moins, mais correspondant davantage à « l’idée spirituelle » du G.O.D.F., négligeant du même coup l’éternel instinct d’adaptation des peuples à imaginer Dieu selon les lois de l’inconscient collectif comme héritage spirituel de l’évolution du genre humain qui renaît dans chaque structure individuelle. Relisons ici Henry Bergson : « Le cerveau ne détermine pas la pensée ; et par conséquent, la pensée, en grande partie du moins, est indépendante du cerveau. »

Un homme engagé dans le combat républicain

À côté de ses charges pastorales et maçonnique, Frédéric Desmons, dès 1877, commence localement une carrière politique. Elle le contraint à démissionner de son ministère pastoral (cf. supra), ce qu'il fait à regrets en 1881. Les charges de travail imposées par deux activités sont inconciliables.

Le combat pour la laïcité, la liberté de pensée, ne se limite pas à l’enceinte d’un
temple de province. De 1881 à 1894, Frédéric Desmons est élu député du Gard. Puis, de 1894 à 1909, il devient sénateur. Radical, il s’engage dans le combat républicain avec détermination. Il est aux côtés de Léon Bourgeois et d'Emile Combes (laïcité des institutions, séparation de l'Eglise et de l'Etat, loi sur les associations etc.). Desmons est au centre de l'affaire des fiches (épuration des cadres anti-républicains de l'armée). On peut le regretter. Cette mesure semblait toutefois inévitable dans le contexte de l'époque. En effet, on doit se souvenir que la République était un régime politique toujours contesté et qu'une très grande majorité des officiers de l'armée française ne faisait aucun mystère de ses convictions monarchistes et réactionnaires. S'assurer de la loyauté de l'armée était une priorité. D'ailleurs, Frédéric Desmons, jamais, ne regretta l'action entreprise par le Grand Orient de France. Aux yeux de beaucoup, cela restera la grande erreur de sa vie.
Épuisé après avoir tant servi l'Eglise réformée, la franc-maçonnerie et la République, Desmons s'éteint en janvier 1910 entouré de l'affection des siens.

Conclusion

Non, Frédéric Desmons ne fut jamais pas dupe. Trop intelligent, l’homme était pragmatique.
Théologien avisé, profondément croyant, humaniste s’il en est, il réalise que la condition de l’unité et de la cohésion de la première obédience de France est au prix d’une forme d’apostasie, rappelant peut-être celle de son coreligionnaire, le roi Henri IV, estimant que Paris valait bien une
messe.
Mais il apporte aussi la preuve que la France n’était pas l’Angleterre et qu’une obédience libre pouvait renoncer aux landmarks constitutifs de l’ordre.

Cela n’empêcha pas la Grande Loge de France de s’y conformer, laissant aussi la liberté de ses
opinions et de ses croyances à chacun des Frères, maintenant toutefois la présence de la Bible dans les loges, offrant le choix à ceux que cela « embarrassait », pour reprendre l’expression de
Frédéric Desmons, se diriger rue Cadet (8). Frédéric Desmons aurait pu rester un inconnu, un pasteur de province accomplissant la mission
que sa foi lui inspirait ; il opta pour une plus grande cause, celle d’être le chantre de l’affranchissement de la pensée, inspirant peut-être Henri Bergson quelques années plus tard, qui écrivit un jour : « Le seul mot qui m’exalte encore est le mot Liberté ».

Michel Warnery
Vice président du Groupe de Recherche Suisse Alpina

(1) seulement à cette Religion que tous les hommes acceptent, laissant à chacun son opinion particulière .
(2) C'est pourquoi aucune brouille ni querelle privée ne doit passer le seuil de la Loge, et moins encore les querelles religieuses ou politiques, car comme Maçons nous sommes seulement de la religion universelle mentionnée cidessus ; nous sommes aussi de toutes nations, idiomes, races et langages et nous sommes résolument contre toute politique comme n'ayant jamais contribué et ne pouvant jamais contribuer au bien-être de la Loge.
(3) Nous avons conclu et décrété de condamner et d'interdire ces dites sociétés, assemblées, réunions, agrégations ou conventicules appelés du nom de Francs-Maçons, ou connus sous toute autre dénomination, comme Nous les condamnons et les défendons par Notre présente constitution, valable à perpétuité.
(4) Le terme « orthodoxe » vient du grec orthós (droit) dóxa (opinion). C’est dans ce sens qu’il doit être pris ici.
(5) Rappelons que Mme de Maintenon, née Françoise d’Aubigné, dernière épouse « morganatique » de Louis XIV, est petite fille d’agrippa d’Aubigné, réformé, favori d’Henri IV jusqu’à la conversion politique du roi. Elle est la fille du second mariage de Constant d’Aubigné qui avait abjuré le protestantisme en 1618.
(6) Publié par la Société de l'histoire du protestantisme français, Paris..
(7)
André Chamson né à Nîmes en 1900 est historien, romancier ; il fut résistant dans les maquis du Lot, Directeur des Archives de France ; il sera élu à l’Académie française le 17 mai 1956
(8) 
Siège du Grand Orient de France, rue Cadet à Paris

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