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La chambre du milieu

J’ai appris que le terme « Chambre », héritage des Bâtisseurs, était déjà utilisé par les Compagnons. Ils parlaient « d’entrée en chambre » ; et les Maîtres, plus chevronnés, évoquaient « la Chambre aux traits » en référence du lieu où ils traçaient les plans et les gardaient en sécurité.

Pour leur part les orientaux parlent de « la Voie du Milieu » ou « le Chemin du Milieu ».

En F\ M\ la maîtrise ne saurait se conférer d’emblée, il faut acquérir les deux précédents grades, et cela demande un travail sur soi dont nous sommes toutes conscientes ; mais rassurée par le fait que la V\ M\ m’avait fait confiance en me révélant le mot de passe « TUBALCAIN » avant d’être accompagnée dans le Cabinet de Réflexion, j’étais assez sereine. C’est donc le cœur léger que j’ai suivi la S\ qui est venue me chercher pour la cérémonie d’élévation à la Maîtrise.

Mais là : le choc m’a coupé le souffle, embrouillé l’esprit…et je me suis sentie tout à coup perdue, émue…avec la même intensité qu’au jour de mon initiation ! C’était si inattendu ! L’obscurité a chassé la Lumière, la musique est lugubre, et du parvis : l’on me fait entrer à reculons ! Je me sens comme aspirée par les ténèbres, je ne vois plus mes S\ S\, et l’angoisse m’envahit. Mais heureusement l’étoile flamboyante brille devant moi : aussitôt je me raccroche à elle. Elle, au moins, je la connais : c’est un repère pour moi… Oui : mais ! ...je l’avais vue jusque là à l’Orient ! …pourquoi est-elle à l’Occident ? J’éprouve la sensation très bizarre d’être comme « passée de l’autre côté d’un miroir » !

Je ressens derrière moi un autre lieu, inconnu et sinistre.

La musique triste me pénètre et me donne l’impression d’être suspendue dans le temps : le mouvement me semble aboli ; quel désordre dans ma tête ! …J’ai la sensation d’être transportée dans un autre lieu que celui que je connaissais.

Invitée à me retourner,  je fais face à la souffrance : autour de moi c’est désolation, vision de deuil, de douleur. Je ne vois plus le Débhir, il est caché par un rideau noir lui aussi. Une petite lumière scintille faiblement derrière : pourquoi ?

Amenée devant notre T\ R\ M\ j’écoute la tragédie du meurtre de notre Maître HIRAM. J’apprends que tout comme Œdipe tue Laïos, ou Jésus est crucifié, HIRAM incarne l’honneur poussé jusqu’au sacrifice suprême.

Pourquoi suis-je soupçonnée de meurtre ? Je ne suis pas coupable : mon tablier est pur et sans tache ! Pourquoi donc ce nœud à l’estomac ? Peut-être parce-que si tous les ouvriers faisaient leur examen de conscience…, et quelle que soit leur application au travail : ils se sentiraient tous en partie coupables d’avoir parfois agit avec légèreté ?

J’enjambe le cadavre qui gît au milieu. J’exécute sans tout bien saisir. Mes pas décrivent des arcs de cercle qui évoquent le compas, plus tard : je penserais aussi au volume et à l’ouverture du compas…

Me voici étendue sur le sol, sous le drap noir mortuaire, entre l’équerre que l’on pose près de ma tête et le compas de mes pieds... J’entends le récit des recherches, et bien qu’innocente de ce crime, j’ai conscience de mes faiblesses !

La lecture allégorique du mythe qui suit montre en effet qu’Hiram, sous les coups, perd sa vie affective (cœur visé), sa vie physique (gorge visée), et sa vie spirituelle (coup final au front)… à cause de l’ignorance, de l’hypocrisie et de l’envie. Les 3 mauvais compagnons qui ont trahi leur Maître résument tout ce que nous devons combattre si nous aspirons à la Sagesse ! Leurs défauts (orgueil, vanité, suffisance, impatience…) nous démontrent si besoin était qu’il faut savoir attendre et prendre le temps nécessaire sur notre voie initiatique, faute de quoi notre construction est vouée à l’échec. Pouvons-nous prétendre n’avoir aucun de leurs défauts ?

Pour ma part, je pense humblement que non…ils sont hélas inhérents à la nature humaine ! …nous ne pouvons que travailler à les corriger !

Hiram a péri par les outils destinés au savoir et à la connaissance : il y a là dualité entre le savoir et la nature humaine ; cela démontre que des savoirs mal utilisés déconstruisent l’Homme, alors que bien employés ils servent à sa construction.

Dans la Chambre du Milieu s’est joué le meurtre fondamental : celui de notre Maître Hiram, et avec lui la perte des illusions…ce qui ne signifie pas la perte de l’espoir ! Hiram incarne un mythe : celui d’un Juste cité en exemple par la F\ M\, et le fait qu’il ait été mis à mort par la violence des passions doit nous amener à beaucoup réfléchir sur nos faiblesses humaines… nos métaux.

C’est peu de dire combien ce lieu est important puisque c’est là que la conversion proposée à l’esprit va se produire.

La 2ème SUR\ constate que « la chair quitte les os », puis la 1ère SUR\ que « tout se désunit », jusqu’à ce que la T\ R\ M\, aidée des 2 S\ S\ SUR\ me relève par les cinq points de la maîtrise. Renaissance née de la volonté et de la force unies par l’Amour.

La T\ R\ M\ me donne alors les syllabes du Mot Sacré, puis clame « que le G\ A\ D\ L\ U\ soit loué ! Le Maître est retrouvé. Il reparaît aussi radieux que jamais ». La Maîtresse que je suis sensée être devenue me semble si imparfaite et tâtonnante ! ...Mourir à ce qui est inférieur pour renaître à une vie supérieure, tel est le thème fondamental de toutes les initiations, et la Chambre du Milieu lui donne tout son sens.

La mort du Maître est créatrice de la naissance de la nouvelle Maîtresse et sa mort nous ouvre la voie spirituelle ! Fille de la Veuve, enfant de la mort, la Maîtresse se situe au point intermédiaire de la transformation, de la régénération, à mi-chemin entre « ce qui n’est plus » et « ce qui sera ».

La « Chambre du Milieu » : c’est le lieu où l’on tente, plus ou moins adroitement, d’unir Raison et Spiritualité.

La nouvelle Maîtresse se trouve symboliquement au milieu du Temple car c’est là que s’accomplit la transmutation des centres de Connaissance qui passent du cerveau au cœur. Elle se trouve au centre, entre l’Equerre et le Compas, donc : entre la matière et l’esprit.

Du cerveau au cœur, la Maîtresse continuera ainsi sa descente en elle-même pour y trouver son centre de gravité, son feu spirituel et purificateur qui brûlera les scories l’empêchant de rayonner. C’est en Chambre du Milieu que nous pouvons nous recentrer, entendre battre nos cœurs, qui, illuminés par nos intellects, tenterons de tout ramener à l’Essentiel.

Mais cette progression ne peut se faire seule, ni hors de toute tradition. Notre rite, nous aide également à découvrir des niveaux de conscience de plus en plus dégagés du matériel.

DANTE le décrit bien, je cite : « pouvoir ouvrir la chambre la plus secrète du cœur de l’initiée où demeure l’esprit de la vie ». Le centre est traditionnellement le point de départ de toute chose, le seul symbole qui puisse être donné de l’Unité Primordiale. Point d’ancrage d’où la Maîtresse doit s’élever car en passant de l’Equerre au Compas, elle a tracé un cercle dont « le centre est partout et la circonférence nulle part ». Elle avance vers l’abstraction, elle passe du tangible à l’intangible.

La Prudence est indispensable, et pour ce faire, elle doit se placer symboliquement au centre du cercle, car c’est de ce point qu’elle aura une vision circulaire lui permettant de mieux visualiser pour s’interroger sur son action tant dans le monde maçonnique que dans le monde profane.

L’instruction du 3° nous indique bien que le drame, comme l’enlèvement de Perséphone, le meurtre d’Osiris, la Passion du Christ, ou les coups ayant causé la mort d’Hiram, représentent la phase de descente aux enfers du fond desquels, impuissantes, il nous faut implorer la volonté Divine (A\ S\ M\ D\) et les puissances cosmiques (le Signe d’Horreur) pour pouvoir en sortir.

La légende d’Hiram et notre façon de la « vivre » n’a pu être inventée qu’au sens profond du mot « inventer » qui signifie « découvrir » : elle nous propose une méthode, un moyen de continuer notre chemin initiatique.

Le but doit être la participation au Grand-Œuvre de Mort et de Résurrection. Mais comme notre Maître Hiram : la Maîtresse sera seule face à l’ignorance, le fanatisme et l’ambition.

C’est en Chambre du Milieu, parmi les autre M\ M\, point de contact entre le sacré et l’être humain, que la nouvelle Maîtresse peut se régénérer, parfaire sa formation, améliorer le fond et la forme de ce qu’elle a à apprendre et à transmettre. Le retournement l’a faite changer de plan, et rendu possible l’évolution du « moi » vers les autres.

La mort faisant partie intégrante de la vie, il est bon que les M\ M\ s’en souviennent et n’oublient pas que toutes les œuvres humaines, même les plus nobles, les plus justes, sont condamnées à plus ou moins long terme à disparaître : l’éphémère est notre salaire, et nous devons donc relativiser nos actes… la modestie doit accompagner notre travail maçonnique : car il n’y a nulle gloire à retirer du devoir accompli ! J’ai lu et adhéré à la phrase trouvée un jour dans un petit livre de bouddhisme : « le Monde n’est qu’illusion, et pour accéder à la Connaissance ultime : il faut être sans illusion, ni sur soi-même, ni sur le Monde ».

Les M\ M\ se rassemblent en Chambre du milieu, cette sorte de caverne où se trame l’éternelle conspiration reconstructive, cet antre de Mithra où la lumière disparue renaît afin de reparaître plus brillante, ce tombeau du passé où l’avenir est en gestation. C’est aussi l’Athanor des Alchimistes dans lequel nos passions doivent être réduites en cendres pour redonner de la force à la petite flamme de spiritualité que nous avons toutes en nous.

La Chambre du Milieu est donc une sorte de laboratoire où s’opèrent des transformations infinies, intimes, et nous devons encore apprendre à surmonter les embûches qui jalonnent notre chemin.

Pour ma part, j’y cherche l’harmonie entre mon écoute, ma réceptivité, mes actions, et mes modestes possibilités…c’est là mon sentiment intime et incommunicable…mais nécessaire à l’évolution du « moi » vers les autres.

La Maîtrise n’est pas un état figé, c’est une dynamique vers un état de conscience de plus en plus élargi grâce à une remise en question permanente. Nous avons « 7 ans…et plus », ce petit « et plus » nous rappelle que le travail continue sans cesse, car plus nous avançons plus nous avons conscience de nos maigres acquits…

Cette remise en question permanente ne va pas sans difficulté ni souffrance, mais comme le disait déjà PLATON :

« S’initier c’est savoir apprendre à mourir ».

J’ai dit.

M\ S\


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