GLFF Loge : NP 15/05/2009


A la rencontre de Schiva

Il y a longtemps, je suis tombée amoureuse d’une statuette d’apparence indienne dont j’ ignorais le nom mais qui me fascinait. "C’est Shiva…et laisse le symbole vivre en toi" me dit  un ami hindouisant.

Je sais maintenant, après des recherches et un voyage en Inde, qu'un esprit occidental ne peut ni comprendre vraiment ni expliquer Shiva, ni  l'Inde ni l'Hindouisme d’ailleurs, pays et religion aux innombrables facettes. Leurs contrastes nous "dérangent." Peut-être sont-ils les indices exotériques d'une réalité ésotérique complexe ?

Quand Vishnou devient Rama ou Krishna pour ne citer que les plus célèbres, comment se repérer ? Jean Herbert estime à 300.000 le nombre de Dieux peuplant le panthéon hindou. Et chaque Dieu prend des noms multiples selon l'aspect considéré. Shiva porterait ainsi un millier de noms désignant des finalités souvent contradictoires  pour notre esprit occidental . Le terrible Rudra védique deviendra, entre autres, Shiva le Bienveillant, l'une des figures les plus importantes de l'Hindouisme, la plus ancienne, la plus mystérieuse, la plus ambiguë.

Shiva est sans doute antérieur aux Védas, les plus anciens textes sacrés que l'on connaisse, transmis oralement pendant des millénaires puis transcrits par les "Rishis" (les Voyants) vers 800 avant notre ère. Ces textes sont qualifiés de "transcendants" ou d’"auto-révélés" ce qui leur confère une qualité de vérité et de sacralité. Les Rishis (au nombre de 7) ont vu (je cite): « des réalités invisibles qui constituent la quintessence ou la réalité du monde »
Les Védas révèleraient ce qui constitue à la fois notre être et l’univers, microcosme et macrocosme, notion que nous retrouvons de façon similaire dans le  "ce qui est en haut est comme ce qui est en bas…" de la table d’émeraude.

Jean Herbert explique que : "la mythologie hindoue est une tentative pour fournir à l'Esprit humain un tableau de la Réalité Cosmique… avec ses rapports de causalité, ses origines et ses fins… Les Dieux symbolisent les forces cosmiques présentes à  la fois dans l'Univers et au sein de l'âme humaine" et ce, qualitativement et quantitativement. Nous pourrions donc dire, en un clin d'œil à Socrate "Connais les Dieux et tu te connaîtras toi-même et le monde".

Shiva fait partie de la "Trimurti", trinité hindoue composée de :
Brahma : le créateur
Vishnou : le conservateur
Shiva : le destructeur
les 3 principes de base inhérents au fonctionnement du vivant et à travers lesquels se décline le Dieu unique Ishvara à  ne pas confondre avec Bhrama, le créateur, et Bhraman qui représente l'Un, le Tout, l'Absolu, concept totalement abstrait et qui ne doit pas être traduit par un Dieu personnalisé.

Mais revenons à SHIVA
Ce Dieu  se décline lui-même en de multiples aspects. Il répète à un autre niveau les 3 fonctions de la Trimurti symbolisées par le trident et qui inscrivent dans le temps le processus de destruction/création.
Shiva signifie "le Bienveillant" mais également
Prathamaja : le plus ancien
Bhaskara : le lumineux
Bavara : le terrible
Rudra : le hurleur
Shankara : le pacificateur ….
-  Isha : le seigneur, que je ne peux omettre sachant que dans les langues orientales, Jésus se prononce "Isha" et qu'on pourrait aussi penser à Yahvé.

Il est bien sûr hors de question de nommer tous ces aspects des Dieux de façon exhaustive, je n'en ai retenu que 5 qui me semblent fondamentaux :
l'aspect destructeur (Rudra)
l'aspect recréateur (Shiva)
le principe universel, symbole d'unité (Ardhnarîshvara : l'hermaphrodite)
le souverain de l'univers, le roi de la danse (Nataraja), 
le souverain du yoga et maître suprême  (Mahayogi)

Reprenons le premier :  Rudra - Seigneur des larmes et Dieu de la mort.
Les "Linga Puranas", textes sacrés, le décrivent ainsi : "Il a trois yeux. Sa couronne est formée d'un serpent. Il est couvert de riches joyaux mais son visage est enduit de la cendre des bûchers funèbres. Il est entouré de fantômes, d'esprits malins, de sorcières et de démons. Revêtu d'une peau d'éléphant, des serpents et des scorpions lui servent d'ornement. Sa voix résonne comme le tonnerre. Il ressemble à une montagne de collyre bleu. On installe son image terrifiante près des bûchers funèbres ou dans les cimetières. Il tient à la main une tête tranchée et porte un collier de crânes"
Il détruit le Mal, les démons, les chaînes, les passions qui nous emprisonnent, les liens qui nous attachent à la terre, l'ego qui nous limite et nous empêche d'atteindre d'autres couches de notre être. Il préside à la destruction du Vieil homme et prépare ainsi l'homme nouveau, lumineux et réalisé. Il était peut être présent dans le cabinet de réflexion ! La mort n'est-elle pas une étape indispensable à toute renaissance ?
Le Destructeur contient en germe le Créateur, les principes de vie et de mort étant indissolublement liés.

2 : Shiva recréateur - "Linga" principe de vie
Le "Linga" ou phallus est le symbole de Shiva. Dans les temples dédiés à Shiva, on le trouve avant toute autre représentation, en tant que principe de vie, origine de toute chose. Pierre dressée, on le retrouve dans de nombreuses traditions : piliers, menhirs, colonnes… Le Dieu-père est une traduction puritaine du concept de principe créateur représenté par le Linga. Danielou nous dit : " Le sexe est l'organe mystérieux par lequel le principe créateur se manifeste en donnant naissance à un être nouveau… Le sperme qui contient en puissance tout l'héritage des ancêtres, les caractéristiques génétiques de l'être à venir est appelé "Binda", le joint limite. Il est le passage infime et mystérieux entre non-être et être. Le sexe est donc l'organe à travers lequel s'établit une communication entre l'homme et la force créatrice qui est la nature du divin "

Mais cette notion de sexe origine de toute chose doit être placée sur un plan purement symbolique dont le sens primordial n'est pas lié à la procréation physique qui se situe à un niveau inférieur mais à la jouissance en tant que moyen de contact avec l'état divin. Pour Danielou la jouissance est une sensation du divin. la paternité attache l'homme aux choses de la Terre, l'extase du plaisir peut révéler la réalité divine et le mener au détachement, à la réalisation spirituelle.
Il ne s'agit donc pas de procréer mais bien de créer l'homme nouveau et réalisé. L'union de Shiva et Parvati (son épouse) n'est pas procréatrice mais elle engendre la Connaissance, symbolisée par le troisième œil de Shiva qui, placé au centre de son front, entre les deux yeux, nous fait penser à notre delta lumineux encadré du soleil et de la lune.
Cette Union mystique de Shiva et Parvati, nous la retrouvons dans l'iconographie des temples dits érotiques. Les différentes positions ont une signification hautement spirituelle et non bestiale.
Dans le temple de l'île d'Elephanta on trouve une représentation de l'union du Masculin et du Féminin en la personne de Shiva lui-même dont le buste est celui d'un homme à droite, d'une femme à gauche. Ainsi se manifeste un nouvel aspect de Shiva : l'hermaphrodite.

3 : Ardhanarîshvara : l'hermaphrodite - Principe universel - Symbole d'unité -
Au début était la vibration primordiale "Nada", son produit par le Tambour de Shiva. C'est d'Adam, le premier homme que Dieu a créé la femme. Adam, comme Shiva, était homme du coté droit, femme du coté gauche, réunissant en un seul être l'hermaphrodite divin, les deux pôles de la Création, le Linga et la  Yoni, le ciel et la Terre. Pour procréer un monde extérieur à lui-même la divinité se divise et les deux pôles s'écartent. L'état de bonheur absolu disparaît et ne se recréera que par l'union des contraires et par l'amour." Le but final du Tantrisme propre à la religion shivaïte est de réunir en un seul corps ces deux polarités afin de retrouver l'unité initiale, synonyme de bonheur et d'Eden retrouvé. L'union mystique de Shiva et Shakti symbolise cette unité, le 2 recréant le 1, et leur union est volupté. C'est pourquoi dans de nombreuses civilisations dont l'Inde tantrique, l'androgyne, l'homosexuel, le travesti… ont une valeur symbolique et sont considérés comme des êtres privilégiés, sacralisés, incarnations de l'unité divine. D'où l'existence de pratiques homosexuelles attestées dans certains rites d'initiation, tantriques en particulier. Ces pratiques ayant pour but d'éveiller la Kundalini, énergie lovée au niveau du rectum, symbolisée par le serpent, attribut omniprésent de Shiva, qui, se déployant à travers les différents chakras, finit par s'unir à l'énergie cosmique pour provoquer l'Illumination au niveau du dernier chakra ou « SAHASRARACHAKRA »

4 : Nataraja : Le roi de la danse.
La représentation la plus parfaite et la plus séduisante de Shiva, roi de la danse, image de l'énergie universelle perpétuellement en action, se détruisant en se recréant telle la flamme de la bougie ou le feu qui anime le vivant sans cesse ressuscité.
Dans la danse rituelle encore pratiquée, lorsqu’une lumière située sur le cercle est éteinte, une autre est rallumée. Elle symbolise les existences et les cycles cosmiques. Shiva, ainsi, recrée indéfiniment la vie dans un  cercle de feu sans début ni fin, manifestation de l'énergie rythmique primordiale, de la totalité en action, mue par le feu du cœur flamboyant situé au centre, axe moteur de l'harmonie universelle qui unit la Vie et la Mort.
Mais comment l'homme, ni Dieu ni Démon et les deux à la fois, peut-il aspirer à la réalisation de son être profond? Telle la fleur de Lotus, socle du Nataraja qui, ancrée dans la vase s'épanouît dans la nuit , ouvrant ses pétales au ciel étoilé, l'homme initié, solidement ancré dans la terre, se reliera à l'énergie cosmique en suivant les préceptes du maître, Shiva. Ayant atteint l'illumination, il mettra fin à la roue du Samsara, c'est à dire des réincarnations successives, le cercle de feu devient alors ouvert.

5 : Mahayogi : le souverain du yoga et maître suprême qui enseigne les 3 voies de la réalisation
La Voie du "Sankhya", connaissance ou cosmologie, définit les lois du monde physique, expliquant le mystère de la création et de la structure du monde, l'unité de l'homme avec l’univers.

Celle du Yoga a pour objectif la maîtrise de l'homme subtil à travers un contact direct avec la nature profonde du Vivant grâce à des techniques appropriées. Apprenant à se connaître lui-même, l'être humain transcende peu à peu le plan physique délimité par ses sens et accède aux plans supérieurs, découvrant en lui des canaux subtils ou "Nadis" qui véhiculent les énergies le reliant au macrocosme et dont le "Prana" ou ether, véhiculé par le souffle est le moteur. Les pratiques du yoga tantrique permettent à la Kundalini, énergie représentée par un serpent lové en bas de la colonne vertébrale, de se déployer, traverser les différents chakras ou centres énergétiques pour atteindre, au-delà du troisième œil  le lotus aux mille pétales, porte de la connaissance absolue, de l'illumination. Partant des instincts les plus primaires de l'homme, la voie tantrique vise à les exacerber afin de les transcender.
La méthode tantrique reproduit dans l'homme l'histoire même de l'évolution. Elle utilise les fonctions physiques et les aspects apparemment négatifs, destructeurs, sensuels de l'animal humain comme point de départ, l'effet premier étant de réaliser d'abord la liberté dans le monde avant d'envisager une libération au-delà du monde. "

Nous sommes, nous, occidentaux, souvent choqués par des pratiques rituelles extatiques collectives visant à atteindre un état de transe. L'être déconditionné retrouve ainsi sa nature la profonde et la plus refoulée, la plus proche de la nature et du Divin.

La voie tantrique s'oppose, dans les conceptions hindouistes à la voie "sattvique" que nous connaissons mieux et qui utilise l'ascétisme, la vertu et l’intellect comme outils d'évolution, ce qui correspond mieux à notre conditionnement judéo-chrétien mêlé de cartésianisme manichéen… Mais nos propres sources sont-elles si éloignées ?

La polysémie de Shiva, l'ambiguïté du  mal intimement lié au bien ne reflètent-ils pas la complexité infinie du vivant qui ne peut se laisser décrypter par aucun raisonnement logique ? Elle ne peut qu'être approchée analogiquement par le symbole qui en exprime l'unité.

Vénérable Maîtresse, et vous toutes mes Sœurs et mes Frères,  j’ai dit.

J
\N\ E\

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