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La Mémoire

Dans quelques jours la France va commémorer l’Armistice de la guerre de 1914. Sous l’arc de triomphe se trouve la tombe du soldat inconnu dont la présence rappelle constamment les hommes tombés au combat. Il suffit de poser les yeux sur un calendrier, de lire sur les murs les plaques commémoratives, pour prendre conscience d’un fait : les hommes veulent garder la mémoire de certains événements, soit qu’ils les considèrent comme heureux soit qu’ils les jugent si horribles qu’ils tentent d’éviter leur répétition dans le futur en les gardant présents à l’esprit.
Nous en faisons de même dans notre vie personnelle ; ne nous rappelons nous pas avec émotion les événements qui ont marqués notre vie.

J’ai donc choisi de vous parler ce soir de la mémoire.

Par le terme de mémoire, on entend la capacité de retenir une idée, une image, un fait et de les mettre en quelque sorte en réserve soit dans son cerveau soit à l’aide d’un support pour pouvoir les restituer à n’importe quel moment.

Tout d’abord, nous verrons comment la notion de mémoire a évolué depuis l’antiquité, car ce phénomène a toujours intrigué les hommes.

La légende grecque veut que la déesse de la mémoire soit une Titanide née de l’union incestueuse de Gaïa (la terre) et de son fils Ouranos. Mnémosyne est la demi-sœur de Chronos, le temps. Il est vrai que mémoire et temps sont inséparables mais que comme tout frère et sœur, ils ont quelques fois des problèmes de communication ! Après neuf nuits d’amour avec le fils de son demi-frère, Zeus, elle met au monde neuf filles : les Muses. Ainsi poésie, théâtre, chant, danse, histoire, astronomie sont filles de la mémoire.

Au cours des siècles les philosophes se sont penchés sur ce phénomène.

Pour Socrate et Platon, la mémoire est une simple résurgence de connaissances acquises dans une autre vie, l’âme étant immortelle.

Aristote y voit une simple image mentale et bien qu’ayant étudié l’anatomie, il ne pense pas une seconde à la mettre la mémoire en relation avec le cerveau.
Pour Simonide de Céos, la méthode est essentielle à la mémoire. Pour la petite histoire, Simonide vivait de ses poèmes. Un certain Scopas l’invita à un dîner pour distraire ses invités mais refusa de payer le prix du poème et l’envoya chercher son salaire chez les Dioscures. A cet instant du dîner on vint prévenir Simonide que deux jeunes gens l’attendaient à l’extérieur. A peine était-il sorti que le toit de l’édifice s’effondrait tuant tous les participants. Simonide se remémorant avec ordre le plan de table, permit aux survivants de récupérer les corps de leurs morts. Il comprit alors que seule la méthode donne lumière à la mémoire et il plaça celle-ci sous l’autorité des jumeaux: mémoire divine, lumineuse du souvenir et son pendant mortel, l’ombre poussiéreuse de l’oubli.

Avec Saint Augustin, on commence à distinguer les différentes sortes de mémoire : mémoire sensible (celle des odeurs, des sons…) et la mémoire intellectuelle (celle de l’apprentissage, celle du réflexe…).

Pour Spinoza et Descartes « plus une chose est intelligible, plus on la retient facilement ». La mémoire doit pouvoir répondre aux questions simples : « quand », « où »…pour pouvoir ensuite répondre à des questions de plus en plus précises.

Au XVIII siècle Maine de Biran distingue trois sortes de mémoire : la mécanique (celle des répétitions) la représentative (le rappel du signe entraîne une idée claire) enfin la mémoire sensitive (le signe  entraîne une modification affective).

Dans « aventure de la mémoire » de Voltaire Mnémosyne dit aux humains après les avoir durement éprouvé en leur ôtant transitoirement la mémoire : « Imbéciles, je vous pardonne mais souvenez-vous, sans les sens, il n’y a point de mémoire et sans la mémoire, il n’y a point d’esprit ».

Tandis que les philosophes cherchent à comprendre le phénomène de la mémoire, les médecins cherchent à savoir où elle se niche et comment elle fonctionne.

Dans l’antiquité au deuxième siècle après Jésus-Christ Galien, le premier, établit la corrélation entre mémoire et cerveau contredisant Aristote. Mais les véritables corrélations entre mémoire et cerveau seront établies au XIX° siècle par les travaux d’anatomo-pathologistes et de neurologues comme Déjerine et Charcot qui découvrent que la reconnaissance ne se produit que si la perception peut être comparée avec une trace mnésique « engrammée » (codée) dans une aire spécialisée du cerveau.

Puis les psychanalystes et  les psychiatres s’intéressent à la mémoire.

Freud ne croit pas à son caractère « stable ». Pour lui les souvenirs se distinguent de la réalité parce qu’ils ont perdu toute connotation affective, d’où leur inexactitude. C’est lui qui le premier parle d’un processus intéressant l’ensemble du cerveau.

Mais c’est Bergson, médecin et philosophe, qui pressent la malléabilité de la mémoire liée à la multitude possible des interconnexions des neurones.

Quant au rôle de la sensibilité et de l’intellect individuel il est mis en évidence par l’Anglais Barlett. Dans son étude « Remembering » il fait étudier un conte à un auditoire dont les participants sont de milieu et de capacité intellectuelle différents. Il demande ensuite la restitution de ce conte à plusieurs reprises. En conclusion, si la valeur morale du conte est bien restituée, il y a autant de versions du conte que de participants à l’étude. Il en tire la conclusion que le rappel de nos souvenirs est influencé par notre tempérament, notre caractère et notre intellect; en extrapolant à la mémoire collective, il démontre le rôle de la subjectivité dans le récit historique.

Plus récemment avec le développement des nouvelles technologies c’est la science fondamentale qui a fait irruption dans les recherches sur la mémoire.

En 1972, Edelman reçoit le prix Nobel pour sa découverte de la mémoire immunitaire et il compare la mémoire au phénomène de sensibilisation immunitaire. La mémoire immunitaire est une mémoire acquise alors que la mémoire héréditaire est innée, déterminée par un code génétique.

Actuellement on sait que la mémoire est située dans l’ensemble de la structure cérébrale. Nos  cinq sens nous apportent des éléments qui sont analysés dans des zones spécialisées parfaitement connues aujourd’hui. Les cellules nerveuses sont  environ trois milliards et chaque cellule émet plusieurs milliers de connections avec les cellules qui l’entourent. Certaines structures cérébrales sont en rapport avec les zones spécialisées « sensitives » et en rapport entre elles. C’est grâce à ces structures que la mémoire existe.

Quand Proust déguste la fameuse madeleine imbibée de thé, ses papilles gustatives et son odorat portent leurs informations, chacune dans sa zone privilégiée, c’est alors que les interactions de ces centres font « tilt » et vont réveiller les souvenirs de son enfance le faisant revivre ses émotions d’alors.

Tout ce que je viens de dire concerne le processus intellectuel et physiologique de la mémoire individuelle.

Depuis le début de son  évolution l’homme a vécu en groupe. Animal de faible constitution, handicapé par des jeunes totalement dépendants, il a du lutter contre des prédateurs et l’a fait en groupe. La survie du groupe dépendait alors de la mise en commun des connaissances, des forces et des intelligences de chacun.

Vous allez me dire que la mémoire n’existe pas que chez l’homme. C’est vrai, même une cellule unique a une mémoire, mémoire génétique certes mais une mémoire. Quand l’œuf éclôt, le poussin, avant même que l’observation des autres volailles de la basse-cour ne fasse son éducation, commence à picorer sur le sol tout ce qui de près ou de loin ressemble à une graine. Le petit kangourou, ou plutôt la larve du kangourou, à peine sorti du vagin de sa mère, commence une difficile escalade vers la poche où il continuera son développement, scotché à la mamelle de maman.

Alors qu’est ce qui nous différencie du reste des êtres vivants ? La faculté de faire partager cette mémoire ? Mais non, les oiseaux migrateurs ne connaissent pas le chemin de l’éden, ils l’apprennent en volant avec le groupe, le petit chat apprend la propreté de sa mère, les petits fauves apprennent à chasser.

Ce qui différencie l’homme des autres vivants n’est pas la faculté de transmettre à ses descendants proches  mais la possibilité qu’il a de savoir transformer sa mémoire en traces matérielles à partir desquelles n’importe quel homme peut recréer une mémoire qu’il pourra faire sienne même s’il y a plusieurs générations entre eux. Ayant conscience de sa mort inévitable et de la disparition des monceaux de connaissances acquises qu’elle représente, l’homme a peut être souhaité, en laissant des traces, acquérir une certaine immortalité.

Dans la préhistoire, le langage permet mieux que la gestuelle, la mise en commun des informations. Apparaissent alors le conteur, qui enrichit sa mémoire des récits de sa famille, de son clan, de son village, qui raconte le passé lors des veillées et le chaman qui, lui, est la mémoire du sacré. Il connaît les remèdes, sait communiquer avec les Dieux. Malheureusement pour nous, cette mémoire n’ayant laissé aucune trace, elle est perdue pour nous.

Par bonheur pour le présent, l’homme ne s’est pas contenté de parler, il a dessiné. Nous avons toutes en tête des peintures rupestres ou des pétroglyphes.  Nous y retrouvons des animaux disparus ou des symboles qui nous parlent.
Le sacré avec le culte des morts nous raconte l’histoire de l’homme, ses techniques, ses armes, sa nourriture, ses vêtements. Tous ces vestiges étant autant de traces mémorielles que nous interprétons. Certaines coutumes comme le cannibalisme, qui s’est poursuivit jusqu’à très récemment, avait souvent pour finalité de conserver une mémoire des ancêtres en les intégrant « au sens propre » aux vivants.

La sédentarisation et l’élevage font découvrir à l’homme la nécessité de pouvoir mémoriser ses biens et on passe à l’écriture. Et oui, si on en croit les cunéiformes et les hiéroglyphes, les nobles écrits ont tout d’abord été de vulgaires relevés de cadastres ou des listes des possessions d’un propriétaire terrien. L’écriture apporte une fiabilité du rapport, autant le conteur pouvait être influencé par sa personnalité, son auditoire, autant l’écriture reste permanente dans son expression. Elle est fiable mais elle a un effet un peu pervers : l’inutilité « apparente » de l’effort de mémoire. Notre civilisation n’a rien fait pour éviter la disparition de l’effort de mémoire et combien de fois ai je entendu mes deux filles soupirer : « mais, maman, faut pas l’savoir par cœur, elle l’a bien dit la maîtresse... ».

L’écriture inventée, reste alors le support. De la paroi rocheuse de la caverne on passe à la tablette de cire (tablette de cire qui fut d’ailleurs une des premières métaphores de la mémoire) au papyrus, aux ostraca, au parchemin, au papier. Les écrits étaient au début assez confidentiels, car le peuple, analphabète dans sa majorité, n’y avait pas accès et les parchemins étaient la propriété de quelques privilégiés. Le clergé et une certaine frange de la noblesse monopolisaient l’écrit. Il faut noter le premier livre qui sort des presses de Gütemberg  est « la Bible ».

C’est donc l’alphabétisation qui va permettre au commun des mortels d’avoir accès à la mémoire collective. Actuellement les données et leurs supports sont pléthore, l’écrit est en réseau, le livre est un E-Book, le dessin est devenu photo numérique et même vidéo, le conteur s’est transformé en reporter de télévision. La mémoire collective du village est devenu la mémoire collective du monde. Cependant le support est un bien fragile, il s’abîme, se corrode, brûle, moisi et même, actuellement, les nouvelles techniques numériques permettent des manipulations indécelables, porte ouverte sur le mensonge sans risque.

Si le support est destructible ou manipulable, donc peu sécurisé, qu’en est il de la mémoire elle même.

Il y a là un problème :

Nous savons bien, à l’échelon individuel, que la mémoire n’est pas fiable. En dehors des sujets, dits « hyper mnésiques » qui ont le malheur de ne rien oublier, qui sont sans arrêt submergés par des souvenirs de petits riens inutiles et qui affirment qu’un « trop de mémoire » n’est pas un don mais plutôt un handicap, la plupart des gens se plaignent de la faiblesse et des lacunes de leur mémoire.

La mémoire est moins performante aux âges extrêmes de la vie. On n’a généralement pas de souvenirs avant l’âge de 5-6 ans et en vieillissant, la mémoire des faits récents diminue.
Quant aux faits marqués par des sensations trop fortes (dans le cas des incestes par exemple) ils peuvent être refoulés et disparaître où être masqués par un « faux » souvenir.
De plus, notre mémoire est souvent sélective, nous nous souvenons bien mieux des faits heureux que des faits malheureux.
La maladie peut, elle aussi, toucher la mémoire. La maladie d’Alzheimer transforme les individus qu’elle atteint en êtres déconnectés du réel. Quant aux accidents qui ébranlent la matière cérébrale, ils entraînent des amnésies partielles particulièrement pénibles pour les patients qui en ont conscience.

Cependant souvenons nous que déjà, dans le mythe, Mnémosyne était parente de Léthé, l’oubli, le fleuve des Enfers, lui même frère de Thanatos, la mort et d’Hypnos, le sommeil. Je vois pourtant l’oubli d’un meilleur œil car l’oubli peut être un filtre efficace en effaçant les petits souvenirs mais en respectant les grands.

Ce qui existe sur le plan de la mémoire individuelle se retrouve sur le plan de la mémoire collective : la fiabilité n’existe pas.

La masse des informations mise à notre disposition chaque jour par les médias (journaux, radios, télévision, Internet) est énorme. Or toute cette information est le terreau de la mémoire collective de demain. Une particulière vigilance doit être observée de la part des responsables, des décideurs, des courants de pensée afin de traquer dès l’origine la désinformation ; d’où l’importance du débat permanent et de la démocratie garant d’une approche au plus près de la vérité historique. Les médias peuvent être un moyen de pression invisible mais particulièrement actif pour certains gouvernements totalitaires. Souvenons nous des films de propagande réalisés pendant la dernière guerre, celui de 1936 entre autres sur les jeux olympiques de Berlin glorifiant une supposée race élue, des expositions antimaçonniques ou les affiches parlant de la menace du « Juif gouvernant le monde » réalisées par la France du Maréchal Pétain. Voyons le détournement d’une page de notre histoire en la personne de Jeanne d’Arc par le Front National. Rappelons nous également la Chine de Mao Tse Toung, les gardes rouges et la tentative de gommage d’une page de leur histoire par la destruction de la mémoire collective que représentaient les livres, les œuvres d’art et les monuments anciens.
L’utilisation de la mémoire des enfants en tant que futurs consommateurs est déjà visible dans les publicités quotidiennes mais encore plus accentuée dans les périodes encadrant les fêtes. Les intérêts financiers et, dans certains pays, les intérêts religieux peuvent utiliser cette mémoire collective dans des buts douteux voire même intolérables.   
         
J’insiste vraiment sur la vigilance indispensable à l’élaboration de cette mémoire collective car souvenons nous: après la seconde guerre mondiale, alors qu’on avait jugé pour la première fois de l’histoire des criminels de guerre, la Shoah était connue et reconnue par tous. Pourtant, dans les années 80, négationnisme et révisionnisme ont fait une entrée médiatique fracassante à partir d'une posture simple et efficace : c'est prétendument au nom de la quête de la vérité historique que se fondait leur démarche. Ce piège pervers a fonctionné à partir du succès potentiel que tout discours de contestation peut rencontrer auprès d'un public amnésique, fasciné et amusé par le scandale. Si toutes ici avons vécu cette époque, nous même ou par parents ou grands-parents interposés, qu’en sera t-il dans le futur. Si personne ne transmet la vérité comment les individus du troisième millénaire interprèteront il les données du net ?
Nous avons un DEVOIR de MEMOIRE pour que plus jamais ne puissent exister de telles choses.  

La mémoire collective a d’autres vecteurs que les médias. La terre elle-même par ses phénomènes géologiques a contribué à cette mémoire collective en conservant dans ses entrailles des traces fossiles (les sables d’Egypte et ses momies, les glaciers et leurs mammouths congelés, leur homme des Alpes, les enfants sacrifiés des Andes, la momie des tourbes nordiques).

Tout au long de l’histoire, des hommes ont vécu qui nous ont laissé des traces mémorielles sans même en avoir conscience. Quand nous visitons les ruines de Pompéï, nous entrons brutalement dans le monde de Pline l’Ancien, les constructions nous retracent la vie du temps de leur architecte. Les peintres, les poètes, les écrivains nous forcent à revivre leur époque. Pour parler d’un sujet futile, les couturiers et les modes nous font toucher du doigt des problèmes plus sérieux; à titre d’exemple, les robes transparentes au col gravé d’un « découpez suivant le pointillé » des merveilleuses nous rappellent la fragilité de l’existence dans une révolution où la moindre peccadille pouvait vous envoyer sur l’échafaud. Autre exemple les costumes austères des Amish ou le foulard de l’Islam marquent la pesanteur d’un système religieux mieux que toute parole.

Le cinéma, pas le film à grand spectacle hollywoodien, mais celui que nous allons voir dans les petites salles pour initié, est également un bon pourvoyeur de mémoire (« un été à la goulette » ou « Kadosh » nous renseignent mieux que les médias sur un vécu que nous ne partageons pas.)

Il existe actuellement des associations qui se font un devoir de transmettre de justes valeurs c’est le cas par exemple de « Mémoire 2000 » dont les quelques premières lignes du site Internet m’ont particulièrement touchée.

(je cite)
« Quelle mémoire? :
Notre mémoire : celle que nous avons reçue en héritage et qui constitue le fil conducteur des générations. Celle qui nous met en présence de notre inhumanité sans cesse redécouverte, en dépit des déclarations solennelles, des constitutions et malgré toutes les condamnations.
Mais pas seulement la nôtre ! celle de tous les hommes et de toutes les femmes, de tous les temps, sous toutes les latitudes, qui ont défendu la reconnaissance des droits de l'homme au péril de leur vie ou de leur liberté.
La mémoire, pour que l'histoire serve à quelque chose !
Pour qui ?
Pour ceux qui écoutent : nos enfants, les adolescents, ceux qui fréquentent l'école publique ou privée, à Paris ou ailleurs ; mais aussi ceux qui l'ont quittée et qui sont accessibles au dialogue avec des adultes qui ne sont ni leurs parents ni leurs professeurs. Ils ont tout à découvrir de ce que la télé ne leur montre pas et que pourtant elle pourrait fort bien leur montrer. Ils ont beaucoup à nous apprendre et nous avons encore beaucoup à leur donner pour qu'ils évitent plus tard nos erreurs et se souviennent de nos conquêtes et de nos espoirs.
La mémoire peut servir à la fois de monnaie d'échange entre les générations et de « préservatif » à l'humanité contre cette maladie qui s'appelle le racisme. 
» (fin de citation)

Il faut parler ici d’un fait récent, médiatique,  une émission de télévision d’un caractère exceptionnel : la retransmission du procès de Klaus Barbie que la chaîne Histoire diffuse depuis lundi dernier et ce pour 72 heures d’émission, et non seulement la chaîne télévisuelle le diffuse mais quiconque a un accès Internet peut aller sur le site : www.histoire.fr consulter ces archives. Ce témoignage, filmé en direct, permet à chacun d’appréhender « immédiatement » la valeur des témoignages et cela sera encore possible quand tous les participants auront disparu. C’était en France une grande première que de filmer un procès d’assise pour qu’il constitue un témoin dans l’histoire. Tout est parti de la loi votée le 11 juillet 1985 ; la loi « tendant à la constitution d'archives audiovisuelles de la justice », directement issue de la volonté de Robert Badinter, alors garde des Sceaux, d'inscrire le procès dans la mémoire de la France et de servir l'Histoire. Le procès Barbie est le premier à faire l'objet d'un enregistrement audiovisuel. Le procès de Eichmann l’avait été, en Israël mais n’a donné lieu qu’à une retransmission, de quelques heures tout au plus de documentaires incomplets dont un grand nombre de témoignages ont été coupés. Les procès de Touvier et de Papon ont également été filmés et seront aux aussi utilisés comme élément de mémoire de l’histoire.

D’autres tentatives pour parler de notre époque dans le futur sont également tentées, pour mémoire, le disque d’or gravé envoyé dans l’espace soit pour être récupéré par d’éventuels extra-terrestres ou pour revenir sur la terre après une longue course dans l’espace, l’instauration des fêtes commémoratives, la création de  musées de thèmes multiples et variés (musée de l’homme, musée de la découverte, musée de l’holocauste, musée de l’aviation et de l’espace…), les expositions autour d’un thème, les cimetières militaires (tel celui du champ de bataille de Gettysburg ou l’Ossuaire de Douaumont), enfin les visites organisées sur les sites des camps de concentration.

Un certain nombre de municipalités développent cette mémoire en envoyant des « collecteurs de mémoire » chez les particuliers et en faisant rédiger des livres à partir de leurs souvenirs et de leurs iconographies propres rendant ainsi aux personnes âgées le rôle de mémoire vivante et de référents que les anciennes civilisations leur accordaient de droit.

Pour nous enfin, membres d’une société initiatique la Mémoire est notre principal outil. La transmission maçonnique est une transmission orale. Les mots de semestre ne sont jamais écrits, ils circulent à voie basse dans une chaîne d’Union (mémoire vivante de la Loge) ; certains mots ne sont jamais écrits, eux non plus comme les mots sacrés, on se contente de les épeler  à l’oreille de celle qui nous les demande. Les formules comme celle que j’ai dite pour commencer ce travail ne sont elles non plus jamais inscrites en clair et nous nous contentons d’écrire une majuscule suivie de trois points pour représenter certains mots ? N’est-il pas vraie, mes T\ C\ S\ ?

Parmi les officières, deux siègent à l’Orient aux côtés de la Vénérable Maîtresse : l’Oratrice, qui est la Loi de la Loge et la Secrétaire, qui en est la Mémoire. Son travail consiste à relater par écrit tout ce qui se fait, se dit, se vote, se planche, se discute, se décide. Le rituel dit d’ailleurs « il en sera fait mention dans la planche de ce jour ». Tous les faits importants se retrouvent inscrits sur ces planches, de la présence matérielle des Sœurs qui assiste à la Tenue, à la plus haute spiritualité d’un travail.  

Lors de l’installation du nouveau collège, la Très Respectable Sœur Grande Inspectrice déclare à celle qui est choisie par la Loge pour tenir la charge d’Oratrice : « vous êtes la Mémoire de la Loge, vous engagez-vous à prendre note de tout de qui doit être retenu… ». Dans cette petite phrase je retiens quelques mots : « vous êtes, vous engagez vous, tout et doit ».  Nous avons coutume de direde la Loge : « trois la composent, cinq l‘éclairent, sept la rendent juste et parfaite ». La Secrétaire est une des 5 qui éclairent la Loge. La Mémoire est en effet une des lumières de la Maçonnerie. La Mémoire est un devoir auquel nous nous engageons envers l’Humanité. Mais il importe que cette Mémoire soit fiable (tout) et vigilante (doit) afin que nos valeurs, celles que nous nous sommes engagées à défendre, fut-ce au péril de notre vie, soient sauvegardées.

Dès le banc du septentrion, dans le silence nous nous imprégnons du savoir, du rituel, de la gestuelle, nous nous enrichissons des planches de chacune et du débat qui les suit. La Mémoire est l’élément commun aux trois générations maçonniques qui composent l’Atelier. Mémoire, chaîne d’Union entre le passé et l’avenir, elle soude et relie les générations. A chaque tenue nous accumulons des richesses qu’il nous faudra transmettre à celles qui vont nous rejoindre comme vous, nos aînées,  l’avez fait pour toutes celles qui nous ont précédées et comme vous le faites pour nous. Nous avons à « la Chaîne d’Union » la grande chance d’avoir sur nos colonnes quelques unes des Sœurs fondatrices de l’Atelier, elles même ont connu les débuts de notre Obédience (quand le convent tenait dans cette pièce !). Elles sont en quelque sorte notre Mémoire vivante tant au niveau de la Loge que de l’Obédience.

Alors, mes Sœurs exerçons notre mémoire avec vigilance pour que survive le groupe de la Maçonnerie Universelle.
J’ai dit

C\ C\


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