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Poliphile

Le SONGE DE POLIPHILE que les savants nommés l’HYPNEROTOMACHIA POLIPHILI est un texte édité à Venise en 1499 chez l’imprimeur ALDE MANUCCE. Il s’agit d’un texte rédigé dans une curieuse langue toscane émaillée de mots grecs, hébreux et latins, accompagnée d’illustrations gravées selon des dessins attribués à l’architecte ALBERTI et au peintre MANTEGNA. EN 1546 cet ouvrage a fait l’objet d’une édition illustrée de 169 bois gravés dûs au sculpteur Jean Goujon.

Ce livre devint très vite la Bible de tous les ésotéristes de l’époque. C’est un ouvrage divisé en deux parties. La première raconte la quête en songe de POLIPHILE, le héros narrateur qui poursuit, puis retrouve dans un décor de ruines, d’architectures antiques et de jardins, sa bien aimée POLIA.

Ce parcours peut se lire comme libre reconstitution des étapes des mystères d’amour auxquels Diotime faisait allusion dans le Banquet, depuis l’éveil à la vie amoureuse, de Poliphile, le héros, jsuqu’à l’épopsie, l’accès final, le dévoilement de Vénus dans sa fontaine de Cythère.

Le second livre fait alterner les discours de Polia et de Poliphile, mettant en parallèle le cheminement allégorique du livre I et l’évocation des amours contrariées des héros dans la Trévise du Quatrocento.

Au livre I, de longs passages descriptifs détaillent la structure des jardins, les costumes des protagonistes, les décors des palais, dressant le décor d’une antiquité idéale, référence onirique de vérité et de beauté, à laquelle auront recours les siècles suivants dans la constitution tant de leurs espaces architecturaux que dans le décor de leurs jardins.

Alois une question se pose : qu’est-ce que cet ouvrage véhicule de si important, et de si fondamental pour avoir servi de modèle à toutes les structures ornementales des jardins européens, et en quoi son message est-il encore proche de nous. Quelle est sa portée initiatique ?

Historiquement le SONGE DE POLIPHILE semble être l’oeuvre commune d’un groupe
de penseurs et de théologiens rassemblés autour des Papes NICOLAS V et PIE II PICCOLOMINI dans les années 1450, à l’époque de la prise de Constantinople par les Turcs. Alors les Savants grecs se réfugièrent en terre chrétienne, à Florence comme au Vatican pour tenter d’effectuer un rapprochement des doctrines orthodoxes et catholiques. Les deux pontifes, Nicolas V et Pie II caressèrent le projet de fonder une religion syncrétique universelle dont les rites remonteraient à l’Egypte pour célébrer la puissance de la Vie comme celle de l’Amour, moteurs universels de la Terre. Ces deux papes avaient chargé des artistes et écrivains de leur entourage de fixer sous une forme narrative l’essentiel de l’enseignement
millénaire venu donner un sens à la vie et un espoir aux générations à venir. Ces travaux auraient été condensés dans le manuscrit de l’HYPNETOROMACHIA POLIPHILI que la tradition attribue à Francesco COLONNA, et dont ALBERTI serait l'inspirateur, et sans doute l'auteur des illustrations de l'édition d'Alde MANUCCIO.

Le SONGE DE POLIPHILE est un livre fondamental et dangereux puiqu’il se veut le résumé et la synthèse de toutes les doctrines religieuses et ésotériques relatives à l’origine de la vie comme de son but. Ces doctrines sont arrangées pour former un récit qui est un voyage à travers des lieux inspirés, tous théâtres d’une cérémonie illustrant l’un des mystères de l’existence. Ce récit d’une histoire d’amour cache sous sa simplicité les secrets du monde et de la cosmologie ; il rapporte que l’alliance alchimique des éléments fondamentaux constitue le travail préalable à toute incarnation comme à toute initiation.

Comme cette histoire se déroule hors de toute hiérarchie sacerdotale et n’avait aucun aspect moralisateur qui puisse culpabiliser l’initié, ce discours représentait un danger réel pour les structures ecclésiastiques désirant asseoir leur autorité non pas sur l’amour ou sur la vérité mais bien sur la peur et sur la richesse.

D’ailleurs dès la parution du POLIPHILE ses auteurs sont immédiatement devenus suspects aux divers tenants d’un pouvoir spirituel en quête de pouvoir temporel. L’histoire du POLIPHILE est à ce titre exemplaire du camouflage d’une vérité essentielle sous un emballage ésotérique destiné à lui retirer toute crédibilité comme tout impact sur un public non averti qui s’arrêtera ­ou qu’arrêtera ­la forme allégorique de ce récit truffé de
citations dans un mauvais latin, dans un grec approximatif, débordant de descriptions alourdissant l’action ou détournant l’attention… Tout ceci était destiné à recouvrir d’un voile complexe et compliqué une vérité qui tient en un vers de Virgile « OMNIA VINCIT AMOR » ou encore le dernier vers de la Commédia « AMOR CHE MOVE IL SOLE E L’ALTRE STELLE ».

La quête ou le récit de POLIPHILE est en gros la suivante, et je regrette d’être un peu feuilletonesque pour vous raconter aussi simplement que possib. Le ce roman hiéroglyphique qui, à la première lecture apparaît comme un monstrueux bric à brac ésotérique où s’accumule l’ésotérique et où le symbolisme disparaît sous l’abondance du matériau occulte comme des
descriptions.

Au début du roman, POLIPHILE se débat dans le labyrinthe d’une forêt de branches barrant des sentiers sablonneux où grognent des bêtes sauvages. POLIPHILE pleure l’abandon de son amante POLIA, la Sagesse, et finit par s’endormir à la fin d’une nuit enfiévrée par le chagrin de la perte de l’aimée, POLIA, la LUMIERE DIVINE. A l’aube, le malheureux dormeur rêve. Il est conduit en songe dans une plaine silencieuse aux prairies fleuries. Là, au milieu de la prairie, se dresse un temple pyramidal placé sur 1410 gradins. Le Temple est surmonté d’un obélisque sur lequel est fichée une statue de la fortune tournant à tous les vents. Après avoir escaladé les 1410 degrés, POLIPHILE entrera dans le temple de la FORTUNE où l’accueillera la tête de Méduse, prélude à l’enseignement d’Athéna : cet enseignement logique représente l’initiation masculine ou dorienne. Puis POLIPHILE descendra dans le sanctuaire inférieur gardé par un dragon, le gardien du seuil comme des eaux de la vie dans un lieu consacré à l’apparition de la vie sur la terre.

En fuyant le dragon POLIPHILE trouvera une porte aux proportions provenant de la multiplication du carré par lui-même. (N.B. : c’est un carré long). Cette porte ouvre sur une salle dédiée à Vénus et à son fils Eros. Là deux mosaïques allégoriques composent le dallage de deux salles successives.

Dans la première salle, nommée l’Antre se trouve l’Allégorie du « Monde Marin » qui représente le premier homme surgi de la mer ; il se dirige vers le rivage alors qu’une flamme brûle sur un autel au bord de l’eau. En retrait, sur une colonne, un miroir réfléchit le soleil dont les rayons vont à la fois allumer une flamme et se perdre dans la mer. Il s’agit de l’évocation de l’origine marine de la vie : l’étincelle allumée par le feu du soleil suscite une cellule vivante en fécondant la mer. En surgissent poissons, algues, crustacées, premières apparitions du vivant.

La grotte suivante s’appelle l’Aula Abscondita, ou salle cachée. Son sol est recouvert d’une mosaïque représentant les Animaux du Nil. La scène reprend le récit du IIème Livre des Métamorphoses d’Ovide : tous les animaux du monde entourent Orphée chantant le mystère de la création ;  tandis que des prêtres portent un candélabre pour l’éteindre dans le Nil en renouvelant l’union du feu et de l’eau qui est à l’origine de la vie.

Après avoir médité en ces lieux profonds POLIPHILE finit par trouver au fond d’un dédale de grottes et de corridors souterrains « une petite splendeur luisante à travers un pertuis étroit ». Se précipitant vers cette lueur il trouve une ouverture qui lui permet de sortir de la pyramide. POLIPHILE emporte dans sa course le secret de l’apparition de la vie et le souvenir de
sa lutte avec le gardien du seuil.

Ensuite POLIPHILE s’engage dans un chemin menant à un verger enchanteur au seuil duquel figure la devise Semper Festina Tarde (toujours hâte toi lentement). A l’entrée du verger est endormie une nymphe que dévoile un satyre, illustrant encore le mystère de la vie.

POLIPHILE rencontre alors cinq jeunes filles, personnification des cinq sens. Elles lui demandent ce qu’il cherche avant de le mettre face à la devise « Connais-toi toi même ». Ensuite elles plongeront POLIPHILE dans un bain où un enfant nu et rieur l’asperge du liquide venu de son sexe, eau vive symbolisant la renaissance de l’esprit.

C’est en courant que les Nymphes conduisent maintenant POLIPHILE vers le Palais de leur Reine, ELEUTHERILIDE, la Reine du Libre Arbitre. Dans son Palais la Reine Eleutherilide fait introduire POLIPHILE dans la salle des astres où sont représentées les planètes et les 360 degrés du zodiaque parmi lesquels les âmes choisissent leur destin avant de se réincarner.

Ici POLIPHILE se trouve devant le symbolisme des incarnations successives, qui se précise par une promenade qu effectue POLIPHILE dans des jardins où règnent des climats variés, emprunts tantôt de douceur vénusienne, ou de violence martienne, et où se déroulent des péripéties illustrant le symbolisme des astres.

Pendant ce temps POLIA, l’aimée de POLIPHILE languit dans un couvent sous la férule de Diane. POLIA devra accepter son désir, et décider de vivre son amour avant de quitter la prison de la chaste DIANE  pour retrouver POLIPHILE dans un jardin où se trouve l’île de Cythère, où volent tourterelles où flottent les cygnes de Vénus au milieu de rosiers toujours
fleuris. Les deux amants ont retrouvé la belle amour, celle CHI MOVE IL SOLE E L’ALTRE STELLE, source de vie, fontaine de jouvence.

Les dernières lignes du roman sont :

NE SAIT IL PAS QUE CES JARDINS
DONNENT ACCES A D’AUTRES JARDINS
QUI S’OUVRIRONT D’EUX MEMES
SUR DES JARDINS INFINIS.

Quelle est donc la vérité cachée sous ce roman au symbolisme envahissant ?

Chacun de ses symboles doit être médité, et l’on est face à un beau roman d’amour, d’absences et de retrouvailles, évocation du lien entre amour et mort, destruction et génération, pertes et renouvellement.

POLILPHILE au cours de sa quête apprend qu’il doit descendre au fond de lui même pour trouver son unité et ses racines. Qu’en lui-même se trouve tout. Qu’il est libre de construire son destin, car seul l’amour doit le guider vers une incarnation dont il a les clefs et le choix.

POLIPHILE est revenu au polythéisme antique. Il a retrouvé les énergies créatrices de l'harmonie universelle. Dans ce discours païen POLIPHILE restaure les mystères et l'initiation. Il ne fait plus appel à la Révélation mais à l'Intuition qui passe par les sens pour vitaliser l'Emotion. C'est avec leur corps et leur âme que POLIPHILE et POLIA iront dans l'île de Vénus bâtir la Cité Idéale qui n'est pas la Cité de Dieu, mais bien la Cité de la
Félicité des Hommes.

Le livre paraît à Venise. Son auteur COLONNA est poursuivi dans la chrétienté entière. Mais en 1546 François 1er fait imprimer la traduction française du Songe de POLIPHILE. Tous les princes l'acquièrent. Après l'avoir lu les grands échafaudent dans leurs jardins  des fabriques
ésotériques et des grottes... Les bimbeloteries empilées dans ces jardins transmettent le message du Songe que ses lecteurs ne pouvaient pas dévoiler : le chemin initiatique n'a de validité que si l'émotion vient se joindre à la raison.

J'ai dit.

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