Obédience : NC Loge : NC 07/01/2013

 

Pourquoi l’église catholique condamne la Franc Maçonnerie depuis 1738

Pour comprendre l’acharnement antimaçonnique de la papauté romaine il faudrait remonter l’histoire européenne qui a vu naître la Franc maçonnerie au XVII° siècle avec son cortège d’esprit de tolérance religieuse offrant à chacun d’adopter la confession religieuse de son choix, de liberté de conscience pour chacun, de lutte contre les arrestations arbitraires et le pouvoir absolu du roi, de respect de l’opinion d’autrui et de l’égalité des hommes, sans oublier la recherche de la vérité scientifique et des lois de la nature en dehors des Saintes Ecritures.

De la pensée expérimentale et humaniste de bacon à l’esprit de tolérance et de liberté individuelle chez les anglais à la fin 17°s

L’histoire de l’Angleterre au 17°s (analysée par Paul Hazard dans « La Crise de la conscience européenne 1680-1715») nous révèle l’ « Enlightenment » (ou l’éclairage des esprits) résultant des influences successives des pensées de Bacon, Spinoza, Locke et Newton. Il s’agit d’une influence progressive sur l’émancipation des consciences des gentlemen envers l’obscurantisme, l’absolutisme royal et le fanatisme religieux.

Dès 1620, dans « Novum Organum », Francis Bacon diffuse sa nouvelle logique expérimentale pour interpréter la nature, au lieu de se contenter de la tradition des Saintes Ecritures. Il nous explique aussi comment l’Homme peut se perfectionner en purgeant son intellect des 4 catégories de préjugés qui formatent sa façon de penser, à savoir, son hérédité, sa culture d’origine, son ego et ses fréquentations. Chacun peut donc renaitre en un homme nouveau, libre, responsable et plus utile pour la société.

Ces nouvelles idées, enseignées à Oxford et Cambridge, influenceront le vote de l’Act d’Habeas Corpus de 1679 respectant la liberté individuelle ainsi que le principe d’égalité qui sera défendu par les philosophies des Lumières au 18° siècle en France.

En 1626, dans son dernier ouvrage « Nova Atlantis », Bacon définit ses nouveaux concepts de progrès, de gain de productivité et d’efficience comme les facteurs du développement et du bonheur de la société moderne. A cet effet, il propose la création d’« instituts de recherche » pour développer les échanges entre savants du monde entier en vue d’améliorer la vie en société. D’où la création en 1662 de la « Royal Society » regroupant les plus grands savants anglais autour de Charles II pour le conseiller dans sa gouvernance. C’est ce qui évitera au Royaume uni les convulsions révolutionnaires que connaîtra le continent européen aux 18° et 19° siècles.

Dans le même esprit, Bacon prône la tolérance religieuse comme permettant de regrouper les compétences complémentaires des diverses communautés d’une nation pour son plus grand bonheur. D’où, en 1656, la réintégration des Juifs en Angleterre (dont ils avaient été expulsés en 1290) sur ordre de Cromwell, dans le souci de renforcer l’économie anglaise, ruinée par 30 ans de guerre civile.

Après Francis Bacon, c’est Baruch Spinoza qui influença la pensée anglaise par son « Traité théologico-politique » de 1670. Il y soutient que la raison doit pouvoir s'exprimer indépendamment de la foi, en étant libre de toute censure religieuse. Puis, dans « L’Ethique », il démontre que la Cité de Dieu et le Roi de droit divin sont des conceptions erronées et nuisibles pour la société. Il soutient que l’homme, après avoir conçu un Dieu inaccessible, doit désormais concevoir un Dieu rationnel, fondé sur l’ordre harmonieux de l’Univers. Pour Spinoza, l’homme idéal pour diriger la société est le Sage qui veille à son harmonie au lieu de ceux qui règnent en la divisant et la ruinant.

Quant à John Locke, dans sa « Lettre sur la Tolérance » de 1689, il écrit que « personne n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’une autre », tout en ajoutant que « ceux qui nient l’existence d’une puissance divine ne doivent être tolérés en aucune façon ». Les « Constitutions d’Anderson » de 1723 le confirment en condamnant « l’athée stupide ». 

Mieux encore, dans « Reasonableness of Christianity », Locke estime qu’au fond, il n’y a pas de différence significative entre les diverses confessions anglicane, catholique, presbytérienne et luthérienne, leurs divergences n’ayant pas de sens devant Dieu. Et il attribue ces divergences confessionnelles au seul souci politique du pouvoir, cherchant à conduire et gouverner les hommes par le fanatisme religieux.

Enfin, Newton, auteur de la loi sur la gravitation universelle, réfute l’idée d’un univers réduit à une simple mécanique en rappelant que si la force de gravitation explique le mouvement des planètes, elle n’en révèle point l’origine. Il en conclut qu’il existe une puissance surnaturelle gouvernant toutes choses, mais sans religion précise, puisqu’il refusera de recevoir les sacrements sur son lit de mort en 1727.

Le brassage de tous ces courants de pensées, fondées sur la latitude donnée à chacun dans l’exercice de sa liberté de conscience, va déboucher à la fin du 17° siècle sur l’esprit « latitudinaire » des gentlemen anglais, ainsi défini par l’association catholique PRO LITURGIA : « Au 17°s, dans le monde anglican, sont apparus les "latitudinaires" qui, tout en étant rattachés à l'Anglicanisme traditionnel, estiment qu'au fond, les formes liturgiques ne sont pas déterminantes pour la foi, l'essentiel étant de croire. Ces latitudinaires sont lassés des querelles religieuses qui divisent les chrétiens en portant sur des détails sans importance au regard de la foi, ce qui contredit l'enseignement évangélique de l’amour de son prochain. En adoptant cette conduite latitudinaire, ils estiment pouvoir ainsi prier en paix, en respectant toutes les "sensibilités", l'essentiel étant d’être d'accord sur l'existence de Dieu en laissant à chacun le choix de sa liturgie ».

Or, c’est cet esprit latitudinaire qui va inspirer les « Constitutions » d’Anderson dont l’objet est de réunir des « hommes libres et de bonnes mœurs » au sein de l’espace œcuménique de loges maçonniques ignorant les tensions religieuses. Il s’agit là d’une conduite laïque qui va déferler sur l’Europe au 18°s, grâce à la position dominante de l’Angleterre après la mort de Louis XIV en 1715. Cela déplaît au Saint-Office chargé de veiller à la sauvegarde de l’orthodoxie catholique et de l’autorité du pape sur ses fidèles.

Les graves inquiétudes de l’église romaine face à l’idéologie latitudinaire venue de l’Angleterre anglicane

L’Eglise accuse les "latitudinaires" d’être des déistes, se contentant de célébrer le Dieu créateur de l’univers en négligeant l’importance du Credo du 1er Concile de Nicée de 325, qui avait instauré le pouvoir spirituel de la jeune Eglise chrétienne en condamnant Arius schismatique pour non respect du dogme de la Trinité, ce qui conféra au successeur de Pierre le tout puissant pouvoir d’excommunication. Aussi, le Saint-Office (ou l’Index) reprocha-t-il aux latitudinaires de négliger la Révélation, le Magistère, la liturgie et le rite, pratiquant une foi à géométrie variable, désintéressée des questions religieuses jusqu’à verser dans l'indifférence.

C’est bien ce qui inquiétait le Saint-Office qui y voyait une grave menace pour les fondements de l’autorité du pape et donc pour la survie du catholicisme. Cela inquiétait aussi le cardinal de Fleury, Premier ministre de Louis XV, et qui défendait la nature du pouvoir royal de droit divin, dont la légitimité repose sur l’onction de l’Eglise romaine. Et c’est ce qui associa ces 2 pouvoirs dans leur lutte commune contre toutes ces idées « modernes » de rationalisme, émancipation des consciences, liberté individuelle, respect de l’opinion d’autrui, le tout étant qualifié de « tolérantisme » par l’Eglise.

Par ce vocable, l’Eglise condamnait les latitudinaires comme considérant stériles les guerres de religion et comme contraires au message d’amour de l’évangile, l'essentiel pour eux, étant de croire en Dieu dans la liturgie de son choix. Le St Office condamna cette pensée « tolérantiste » comme menant au déisme, qui ignore les mystères de la Trinité, Incarnation, Eucharistie qui fondent l’autorité de l’Eglise.

En outre, la Congrégation du Saint-Office (ou l’Index, chargé depuis 1542 de veiller sur la pureté du catholicisme) n’admet guère que les loges maçonniques soient cet espace œcuménique interconfessionnel où règne la Raison, la Sagesse, les mœurs libertines et l’Ordre géométrique de l’univers défendu par Copernic et Galilée, et où le « Modernisme » rejette l’enseignement traditionnel de la foi, le pouvoir de droit divin tout en croyant aux vérités des sciences expérimentales (NB= c’est seulement en 1756 que le pape Benoît XIV acceptera la théorie de Copernic qui reconnaît que toutes les planètes tournent autour du Soleil, sans toutefois faire son Mea Culpa envers Galilée…).

Or, tout ce nouvel esprit « moderne » se retrouve dans l’Article 1er des « Constitutions » d’Anderson définissant la FM comme le centre d’union d’ « hommes de sociabilité, de cosmopolitisme et de culture universaliste », libres dans l’interprétation des Saintes Écritures, chacun guidant sa conduite dans un esprit de tolérance mutuelle, l’accord sur l’essentiel autorisant des divergences sur l’accessoire. Et, comme la G.°.L.°. de Londres, créée en 1717, avait pour ambition d’étendre au monde entier son modèle de fraternité universelle associé à cet esprit latitudinaire (qui avait permis à l’Angleterre de bannir l’arbitraire du pouvoir royal, en 1679 par l’Act « habeas corpus » et en 1688 par le « Bill of Rights » instituant le pouvoir législatif du Parlement), il est évident que cet esprit « moderne » pût inquiéter aussi les monarchies de droit divin.

L’inquiétude de l’establishment et des monarchies absolues face aux réunions de « Frimassons » sur le continent Européen

Dans la revue Socio-anthropologie, N°17, de 2006, P-Y Beaurepaire décrit la vie maçonnique du 18°s comme des cercles de gens cultivés qui, après leurs travaux rituéliques et symboliques, se réunissaient aussi pour profiter des plaisirs de la vie au lieu de se mortifier pour mériter le paradis céleste. Cependant des abus de conduite en public eurent lieu, à tel point qu’à Londres, en 1723/24, d’éminentes personnalités maçonniques, membres de la Haute Noblesse, de la Royal Society et du monde des sciences et des arts se réunissaient régulièrement, sous la loi du secret et du serment inviolables, pour faire des orgies, ce qui finit par révolter l’establishment anglais ainsi que des journalistes et pamphlétaires affamés de scandales. Il y avait eu, par exemple, plusieurs défilés maçonniques en grande tenue, à travers les rues de Londres, qui étaient dirigées par le G\M\, Duc de Wharton, connu pour ses frasques et ses mœurs dissolues. Et ces scandales finirent par décider la Cité de Londres à interdire ces défilés maçonniques en présence du grand public.

Heureusement qu’au cours de la décennie 1724/34, J.T. Desaguliers, fondateur de la G.°.L.°. en 1717, décida d’implanter la FM\ sur le continent européen où il se faisait inviter en tant que savant et S.G de la Royal Society, se contentant de confier la Grande Maîtrise à de hautes personnalités influentes. Il en profita pour diffuser les « Constitutions » et initier sur le continent des personnalités qui y diffusèrent la FM\.

Et voici qu’en 1735, le gouvernement des Provinces Unies interdit les assemblées de frimassons par crainte de complot de ces gens liés par un secret « impénétrable », alors qu’ils soutenaient le Prince de Nassau qui briguait la fonction de stathouder. En 1736, la ville de Genève, très calviniste, interdit l’ouverture d’une 1ère loge maçonnique à cause de ce secret inviolable, considéré ennemi de l’ordre public.

Ces assemblées de frimassons finirent par inquiéter les autres pouvoirs absolus de droit divin, notamment au Palatinat en 1737 et le cardinal de Fleury en France.

Pourquoi le discours de ramsay de 1737 effraya le cardinal de Fleury

Le cardinal de Fleury, précepteur du jeune roi Louis XV, fut chargé de diriger le royaume de France de 1726 jusque sa mort en 1743 à l’âge de 89 ans. Il était conscient du mauvais état de l’armée française, affaiblie par 50 ans de guerres sous le long règne de Louis XIV, qui ruinèrent la France. Aussi, par souci de sauvegarder la paix avec l’ennemi séculaire anglais, veilla-t-il à ne guère inquiéter le Roi d’Angleterre.

Or, le 21/03/1737, le chevalier de Ramsay, un aventurier écossais partisan du retour au pouvoir royal britannique de la dynastie Stuart, lui présenta son fameux « Discours » sur l’histoire de la Franc maçonnerie. Le cardinal fut choqué de son contenu et déclara aussitôt les réunions de « frimassons » comme « très dangereuses dans un Etat ». De plus, comme Ramsay était protégé par le prétendant au trône de Londres, Jacques III Stuart, réfugié en France depuis 1688 et donc ennemi du roi George II de Grande Bretagne, le Cardinal de Fleury le soupçonna de chercher à rallier la noblesse française à la cause stuartiste en faisant l’éloge de la chevalerie française ayant défendu les lieux saints aux côtés des Templiers que Ramsay déclare, sans preuve historique et par le seul fruit de son imagination débordante, être les ancêtres des « frimassons ».

En outre, ce « Discours » de Ramsay critique le roi britannique pour son intolérance qui aurait amené la fraternité maçonnique à trouver refuge en France en compagnie du roi Jacques II Stuart, réfugié en France, où le bon roi Louis XV accueille à sa cour les Francs maçons, avec bienveillance. Or, cette partie du Discours de Ramsay risquait fort de fâcher le roi d’Angleterre en poste à Londres…

Pire encore pour la stabilité du pouvoir royal de droit divin en France, dans ce fameux Discours, il est projeté que la fraternité maçonnique crée en France une « république universelle » qui rayonnera sur le monde de façon « universelle », alors qu’aux yeux du fervent cardinal, seule l’Eglise catholique peut se déclarer universelle. Cela faisait craindre au cardinal Premier ministre, qu’après avoir longtemps pourchassé l’hérésie janséniste sous Louis XIV, il serait amené à nouveau à lutter contre une nouvelle hérésie, la foi latitudinaire qualifiée de « tolérantisme », et qui est portée par la puissante FM\ soutenue par son alliance avec la noblesse et des hommes des sciences et des arts, et devenue de ce fait très influente à la Cour de Louis XV.

Face à tous ces dangers, le cardinal de Fleury, octogénaire, dut faire appel à son ami le pape Clément XII pour fulminer une bulle servant à sauver à la fois l’orthodoxie catholique et la monarchie absolue qui la soutient, cette bulle étant censée soumettre Louis XV, régnant à la tête de la fille aînée de l’Eglise.

Les motifs inovatiques par la bulle " In eminenti " du 24 avril 1738

L’esprit latitudinaire des gentlemen anglais visait à réaliser l’harmonie sociale que Francis Bacon avait placée au centre de sa philosophie humaniste. Il rejette le dogmatisme qui sème la division en condamnant tous ceux qui pensent différemment.

C’est bien l’esprit latitudinaire qu’adoptent les « Constitutions » d’Anderson en excluant les « athées stupides » et les  « libertins irréligieux » qui risquent de troubler la quiétude nécessaire dans le centre d’union d’ « hommes libres et de bonnes mœurs ».

C’est aussi pourquoi la 2nde édition des « Constitutions » du 25/1/1738, influencée par le druidisme ambiant en Angleterre, prône le déisme « noachite », sans engagement confessionnel précis, de façon à pouvoir réunir le plus de gentlemen de tous horizons, en ces termes :  « Un maçon s’oblige à observer la loi morale comme un vrai noachite ou fils de Noé … et s’il comprend bien le métier, il n’agira jamais contre sa conscience … il suffit de s’accorder sur les trois grands articles de Noé pour préserver le ciment de la loge ». 

Ainsi, le Maçon de 1738 n’applique guère les règles de comportement du catholique en ces temps d’intolérance et de guerres de religions. Il doit se conduire en citoyen laïque, présenté alors, dans le langage de l’époque visant la paix religieuse, comme un « noachite », prônant la religion de Noé qui rejoint l’esprit d’une religion naturelle sans fanatisme religieux, correspondant à l’esprit de l’ « Enlightenment » ou des Lumières de la fin 17° siècle anglais, prédisposant les gentlemen à une libre interprétation de la Bible à la lumière des nouvelles sciences expérimentales et de sa propre conscience. Et comme cette religion de tolérance, que l’Eglise romaine qualifie de tolérantisme, met l’accent sur l’éthique et la morale, cela suffit à la faire condamner par la Congrégation du St Office (en la mettant à l’INDEX) et à déterminer le pape Clément XII à excommunier les assemblées de « frimassons », comme le lui demandait le cardinal de Fleury, inquiet pour la stabilité de son gouvernement en France.

Ceci explique pourquoi la bulle « In eminenti » du 24/04/1738 débute par ceci : « Nous avons appris qu'il s'était formé une certaine société de Francs-Maçons, admettant indifféremment des personnes de toute religion, qui se sont établies certains statuts les liant entre eux et les obligeant sous les plus graves peines, en vertu d'un serment porté sur les Saintes Écritures, de garder le secret inviolable sur tout ce qui se passe dans leurs assemblées… Si leurs actions étaient irréprochables, ils ne se déroberaient pas avec tant de soin à la lumière... De là vient que, depuis longtemps, ces sociétés ont été sagement proscrites par la plupart des princes dans leurs États, qui les ont regardées comme ennemis de la sûreté publique. » 

Ainsi, Clément XII invoque-t-il d’abord la présomption de complot politique portée par des gouvernements politiques contre les assemblées de frimassons, pour ensuite les condamner de façon religieuse. Il invoque pour cela six « causes très graves »:

La supra-confessionnalité des assemblées maçonniques ;
Le caractère impénétrable du secret ;
Le serment sur la Bible qui en garantit l’inviolabilité ;
L’illégalité des sociétés maçonniques au regard des lois civiles ou ecclésiastiques ;
La proscription de ces sociétés  par « les lois des princes séculiers »
Leur mauvaise réputation

Cette bulle s’adressait d’abord au roi de France, « Fille aînée de l’Eglise », Louis XV étant en bonne entente avec de hautes personnalités maçonniques qui réussissaient à entraver l’action du cardinal de Fleury dans sa lutte contre les réunions de frimassons. En effet, cette bulle précise : « Nous, réfléchissant sur les grands maux qui résultent de ces sortes de sociétés… et de l'avis de plusieurs de nos vénérables frères Cardinaux, … Nous avons conclu et décrété de condamner et de défendre ces dites sociétés à perpétuité ».

Parmi les 6 motifs invoqués par cette bulle, 3 sont d’ordre moral, plaçant le croyant catholique en état de péché grave le privant des sacrements. C’est ce qui amena beaucoup de Frimassons à démissionner alors de la FM\. Il s’agit de :

le « secret impénétrable » qui empêche de confesser tous ses péchés à son confesseur ;
le « serment inviolable sur la Bible », jugé inadmissible en raison de sa « barbare formule » qui inspire la terreur, enfreignant le 2ème commandement du décalogue : « Tu n’invoqueras pas en vain le nom de l’Eternel en dehors de ce qui est vrai, prudent et juste » ;
la « mauvaise réputation », qui concerne les réceptions mondaines organisées par de hautes personnalités libertines, membres de l’Ordre maçonnique, comme le duc de Wharton à Londres, le duc d’Antin à Paris ou le futur Frédéric II de Prusse.

Outre ces 3 condamnations religieuses, la bulle invoque le motif de supra-confessionnalité des assemblées maçonniques, condamné par le Saint-Office (INDEX) sous le vocable de « tolérantisme », et consistant à recevoir en loge des hommes de toutes croyances, dont ces « latitudinaires » qui pratiquent un déisme noachite négligeant les dogmes catholiques, donc ennemis de l’orthodoxie catholique.

Quant aux 2 motifs politiques invoqués sur l’illégalité des sociétés maçonniques et leur proscription par « les lois des princes séculiers », ils sont inspirés par le cardinal de Fleury qui qualifiait ces assemblées de «  très dangereuses dans un Etat ». Ainsi Clément XII invite-t-il le roi Louis XV à traiter « ces sortes de gens comme ennemis de la sûreté publique et toujours nuisibles à la tranquillité de l’Etat ». Et Louis XV fut bien tenté d’exécuter cette condamnation des frimassons, mais le Parlement de Paris refusa d’enregistrer la bulle « In eminenti » qui n’eut donc pas force exécutoire en France, au grand dépit du cardinal de Fleury. Ce geste politique du Parlement annonçait, 2 siècles à l’avance, la loi de 1905 séparant l’Eglise de l’Etat.

Conclusion

Au début du siècle des « Lumières » (18°s) sur le continent européen, la pensée philosophique européenne était en quête de nouvelles vérités pour l’aider à libérer l’homme de l’étau de l’alliance du pouvoir temporel absolu du roi de droit divin et du pouvoir spirituel du pape romain condamnant toute latitude à la liberté de conscience.

L’esprit latitudinaire anglais de la fin 17°s inspira la 2nde version des « Constitutions » du 25/1/1738, qui se réfère à Pythagore, à la science des Egyptiens et des Juifs de Babylone, à la science des kabbalistes ainsi qu’à d’autres sciences ésotériques dont la connaissance se fait par des voies cachées échappant à la Congrégation du Saint Office (=INDEX). Or toutes ces sciences ignoraient le Christ !

Et cela va nourrir les condamnations répétées de l’Eglise contre la FM\ jusqu’au concile VATICAN II de 1962/65 qui chercha alors à adapter l'Église au monde moderne en intégrant la réflexion religieuse dans les nouveaux mouvements d'idées, comme l’avait fait, au XIII°s, Thomas d’Aquin en intégrant la réflexion de l’Eglise dans la logique et la dialectique aristotélicienne au lieu de raisonner par analogie comme il était de coutume depuis la chute de l’empire romain au V°s.

Et, grâce à la volonté révolutionnaire de Jean XXIII et de Paul VI, les travaux du concile VATICAN II donnèrent le nouveau Code de Droit Canonique du 23/1/1983, plus ouvert sur monde moderne à dominance laïque, sans plus faire état de la condamnation unilatérale de la Franc-maçonnerie en la rejetant dans le royaume de Satan. Seul, le Canon 1374 du Code de droit canonique de 1983 stipule : « Qui s'inscrit à une association qui conspire contre l'Église sera puni d'une juste peine ; mais celui qui y joue un rôle actif ou qui la dirige sera puni d'interdit ». Cela signifie que le Franc maçon qui ne conspire pas contre l’Eglise n’est pas concerné par cette condamnation. Quel soulagement par rapport au précédent code de droit canonique de 1917 et à toutes les bulles d’excommunication des Francs maçons depuis 1738, notamment celle de Léon XIII, « Humanum Genus » de 1884, reprochant aux Francs maçons de vouloir séparer l’Eglise de l’Etat en remplaçant les institutions chrétiennes par le naturalisme qui reflète les découvertes scientifiques modernes.

Le concile Vatican II a voulu tourner la page de la peur angoissante de l’Eglise vis-à-vis de la science expérimentale moderne qui avait démenties certaines vérités inscrites dans la Bible et relatives à la nature, héritées des philosophes de l’antiquité dont les rédacteurs de la Bible du 2° siècle étaient tributaires. C’est pour mettre fin à ce dogmatisme autodestructeur que Jean XXIII et Paul VI ont œuvré au sein de ce concile.

Malheureusement, à son élection en 1983, Jean Paul II nomma le théologien Joseph Ratzinger (qu’il avait connu comme conseiller en théologie du cardinal Frings au concile Vatican II) Préfet de la Sainte Congrégation de la foi qu’il créa en remplacement de la Congrégation du Saint-Office (ou Index), dissoute par Paul VI en 1965 en raison de ses abus de mise à l’Index et de sa désuétude. Et voici qu’aussitôt nommé, le Préfet Ratzinger s’empressa de déclarer à propos du canon 1374 qui semblait protéger la bonne foi des Francs maçons catholiques : « le jugement négatif de l’Eglise sur les associations maçonniques demeure inchangé, leurs principes étant considérés comme inconciliables avec la doctrine de l’Eglise ».

Comme ce jugement du passé déclencha les protestations d’un puissant mouvement de catholiques francs maçons, le Préfet de la foi adoucit son jugement en disant : « Les fidèles du Christ qui s’affilient aux associations maçonniques tombent dans un péché grave et ne peuvent donc accéder à la Sainte Communion ».

Cela laissa les FF\ catholiques indifférents jusqu’à ce que Ratzinger devienne pape Benoît XVI en 2005, ses paroles se retrouvant ipso facto revêtues du sceau de l’infaillibilité pontificale, décrétée par Pie IX en 1870 dans sa prison du Vatican pour le protéger du pire.

Désormais, le FM\ catholique, après avoir été soulagé de ne plus être excommunié à la suite du concile VATICAN II, se retrouve, depuis 2005, en état de péché grave, privé du sacrement de l’eucharistie, tant qu’il ne renonce pas à son affiliation maçonnique. Cela le discrimine du FM protestant, juif ou musulman qui est libre.

Ce jugement du théologien Ratzinger repose sur sa thèse émise le 18/4/2005, à la veille d’être élu pape Benoît XVI, affirmant que la pensée maçonnique soutient « la dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif, et qui donne comme mesure ultime de l’homme, son ego et ses désirs ».

Tout d’abord, certes ce jugement du théologien Ratzinger peut-il être vérifié au niveau de la pensée philosophique d’une partie des Francs maçons, mais non pas de tous les autres, majoritaires, qui sont sacrifiés par ce dogmatisme qui ignore la diversité des pensées indépendantes des Francs maçons, ce qui fait leur singularité parmi toutes les associations humaines.

Ensuite, ce relativisme dont Ratzinger accuse les Francs maçons ne concerne que l’appréhension des choses naturelles sur Terre et ne touche pas nécessairement aux croyances métaphysiques qui demeurent libres pour chaque Franc maçon, par respect inaliénable de la liberté absolue de conscience laissant à chacun le libre choix de sa religion avec la seule contrainte de ne pas faire de prosélytisme.

En somme, Benoît XVI ne tolère pas la liberté de conscience : c’est un fondamentaliste mû par un antimaçonnisme dépassé, marqué par le fascisme qu’il a connu et épousé dans son adolescence et dont il ne s’est pas réellement émancipé malgré les apparences : il lui manque de lire Francis Bacon et Spinoza pour purger son intellect de certains préjugés. Il ignore qu’au XVIII°s en France, avant la Révolution de 1789, environ 2.000 prélats catholiques avaient été initiés à la Franc maçonnerie.

Il ignore que  la FM\ n’est une philosophie de l’action de l’Homme vivant en société, où il doit apprendre par lui-même à user des outils maçonniques pour se perfectionner en vue d’atteindre un certain niveau de sagesse lui permettant d’agir en société pour concilier les contraires dans la tolérance. Il n’y est pas question de religion ni de politique.

Au fond, ce qui gêne ce théologien doctrinaire, c’est la liberté absolue de conscience du Franc maçon (très peu d’Initiés y accèdent d’ailleurs !), et qui, à ses yeux, porte en elle le germe du doute systématique risquant d’éloigner le croyant de la pratique de sa foi catholique fondée sur la soumission totale au Saint-Siège. Ce risque lui est insupportable, n’acceptant pas d’accorder une quelconque « latitude » de penser à ses ouailles par crainte qu’elles ne restent plus bêtement soumises.

Et c’est là encore que ce pape doctrinaire se trompe, car la Franc maçonnerie respecte les croyances métaphysiques de chacun à la seule condition qu’il ne fasse pas de prosélytisme en cherchant à imposer sa foi aux autres. Pour le Franc maçon, la foi religieuse demeure une relation verticale entre l’Homme et son Créateur en vue de son bonheur dans l’au-delà, tandis que son engagement maçonnique est horizontal, traitant exclusivement de ses relations avec les autres hommes en vue de servir l’humanité sur Terre. Il n’y a pas d’incompatibilité entre la verticale et l’horizontale.

En conséquence, le comportement dogmatique du Pape Benoît XVI nous rappelle la condamnation de Descartes dont le « Discours de la méthode » fut mis à l’Index en 1637, alors même qu’il ne cherchait qu’à prouver mathématiquement l’existence de Dieu à partir du doute systématique. Mais la Congrégation du St-Office avait trouvé cette méthode contraire à la rigueur de la foi qui ne doit pas connaître le doute systématique par crainte d’errance. Et cela força Descartes à s’exiler en Hollande.

Finalement, Benoît XVI veut faire confesser aux catholiques Francs maçons ceci : « Je pense, donc je suis hérétique ».

Et je lui dis « NON ! », car si je pense c’est bien parce que je suis un humain, et, qui plus est, « un homme libre et de bonnes mœurs ».  

NKM\


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