Obédience : NC Loge : NC Date : NC

 

Eglise, Religion et F\ M\

Nos sentiments ne sont pas ce que le monde profane et l'ignorant vulgaire s'imaginent. Tous les vices du cœur et de l'esprit en sont bannis, et l'irréligion et le libertinage, l'incrédulité et la débauche. C'est dans cet esprit qu'un de nos Poètes dit :

Nous suivons aujourd'hui des sentiers peu battus, nous cherchons à bâtir, et tous nos édifices sont ou des cachots pour les vices, ou des temples pour les vertus. La saine Morale est la seconde disposition requise dans notre société. Les ordres Religieux furent établis pour rendre les hommes chrétiens parfaits ; les ordres militaires, pour inspirer l'amour de la belle gloire ; l'Ordre des Free Maçons fut institué pour former des hommes et des hommes aimables, des bons citoyens et des bons sujets, inviolables dans leurs promesses, fidèles adorateurs du Dieu de l'Amitié, plus amateurs de la vertu que des récompenses.

(Le Discours du Chevalier de Ramsay)

« L'athée doit découvrir sa croyance, son fondement irrationnel, et commercer avec elle. Et du coup, nous, néo athées, nous pouvons demander aux croyants de devenir néo - croyants, c’est-à-dire d'établir un nouveau commerce avec leurs dieux ».

(Edgar Morin, Sortir du XXe siècle)

« Ce que nous sentons quand nous avons faim, c’est que la Genèse n’est point achevée, et qu’il nous faut prendre conscience de nous-mêmes et de l’Univers. Il nous faut, dans la nuit, trouver des passerelles ».

(Saint-Exupéry, Terre des Hommes)

Prologue

Tout ce qui se meut dans notre monde est fait de détails et de nuances. Rien n'est simple, si ce n'est pour l'esprit simpliste. Rien n'appartient absolument à un système, si ce n'est pour l'esprit systématique. « Tout ce qui est simple est faux, tout ce qui est compliqué est inutilisable » écrivait en substance Gide… Tel que posé, l’intitulé de la question, tellement vaste, requiert de délimiter les champs de nos investigations. En effet, de quelle « religion », de quelle « Eglise », de quelle Maçonnerie, parlons-nous ? La FM trouvant essentiellement ses origines et ses conflits dans la tradition judéo-chrétienne, il sera question parmi les 3 monothéismes, de la chrétienté.

  • « Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques religieuses relatives à des choses sacrées. Cette définition, selon Durkheim en distinguant les « choses sacrées » des attitudes qui s’y réfèrent, invite les hommes qui ont toujours eu, semble-t-il, le sens des choses sacrées et du divin, à un examen de ces croyances et pratiques » comme réalités évoluant dans l’histoire, et à découvrir qu’ils n’ont  pas toujours eu de système solidaire pour s’en occuper, et encore moins un conscience lucide de leurs propres attitudes à cet égard. Dans un sens minimal : c’est « ce qui relie ». Mais nous devons prendre conscience que nous sommes reliés à la vie, que la vie est reliée à la Terre, que la Terre est reliée à son Soleil, et que le Soleil lui­même est relié à cet immense cosmos…dans la question qui nous préoccupe ce soir, il sera donc essentiellement question de la chrétienté.
  • « Eglise » : étymologiquement, l’Eglise est une assemblée, plus spécifiquement de chrétiens (orientales, orthodoxes, catholique romaine, protestantes…). Instituée par le Christ, et récupérée par les catholiques (du grec Καθολικοσ = universel !), elle est à la fois une institution hiérarchique et une Théologie par le témoignage de la Sainte Ecriture, spécialement le Nouveau Testament. Ainsi, ni les religions juives et musulmanes, qui ne sont pas constituées en « Eglises », n’entreront pas dans nos considérations.
  • « Franc-maçonnerie » : les relations entre (ou conflits avec) la Maçonnerie au sens large, et les Eglises Chrétiennes ayant varié au cours de son histoire, en fonction des Obédiences et Rites, nous tenterons d’aborder la question de la Maçonnerie sur un plan général, avec quelques exceptions.

1 - Religio

Il est intéressant de noter que si la Grèce antique montre le point de départ de l’idée de religion, celle-ci prend corps chez les Romains : c’est bien le terme religio qui est devenu le nôtre, et qui feront surgir un certain nombre de lieux communs sur la religion qui marqueront toute l’histoire de l’Occident. En pleine crise de la république surgirent alors deux grandes idées opposées :

  • Religio d’après Cicéron : respect que ressent l’individu en face de tout être qui en est digne, du divin en particulier ; Cicéron souligne qu’il ne peut y avoir d’intégrité chez les êtres, ni de respect entre eux, ni de paix dans les cités s’il n’y a pas de religion et ce respect se manifeste par le soin apporté à participer aux rites et gestes traditionnels de la société.
  • Religio selon Lucrèce, analysant les maux qui lui sont dus, prétend qu’il s’agit d’un système de menaces et de promesses qui cultive et développe le fond craintif de la nature humaine, qui écrase l’homme et contre lequel, s’il est « noble et courageux », celui-ci se révolte et en triomphe grâce à la connaissance scientifique et à la sagesse philosophique.

Confrontation dramatique entre deux idées en apparence antinomiques, l’une louant la religion, l’autre incitant à son éviction et à son dépassement, qui traverseront les siècles et empoisonnent encore l’Occident, alors qu’elles ne parlent pas du même phénomène ! Ce que Cicéron veut conserver n’est pas ce que Lucrèce veut abolir !

2 – Aperçu de la Religion Chrétienne

2.1. Aspect Historique

C’est parmi les nombreuses sectes messianiques qui se développaient dans le monde juif au début de notre ère que s’opéra le regroupement des disciples de Jésus dans la continuité de ceux de Jean le Baptiste et sans doute des Esséniens. Contestée par les Pharisiens, rejetée par les Saducéens, la communauté des Chrétiens fut acceptée au sein du judaïsme jusqu’aux environs de l’an 65, date à laquelle se consomma une rupture inévitable, par accomplissement et dépassement du judaïsme, exprimée dès le début. Qu’on attribue son expansion aux chances historiques qu’on donne au christianisme l’Empire romain d’abord puis la civilisation occidentale n’empêche pas de lui reconnaître une universalité de principe qu’il s’est attribué dès l’origine, Asie mis à part.

Il faut également situer les premières expressions de la foi chrétienne dans les écritures du Nouveau Testament : Le christianisme n’est pas une religion du livre sacré ; Jésus n’a pas écrit et n’y a point incité ses Apôtres, même s’ils se sont, comme lui, abondamment appuyés sur les livres de l’Ancien Testament.

La première génération chrétienne n’eut point ses écrits propres : Après les lettres de Paul, entre 56 et 63, c’est seulement entre 70 et 95 que furent rédigés les récits évangéliques. Finalement quatre récits furent reconnus comme authentiques dans la Communauté : celui de Mathieu, celui de Marc, celui de Luc et celui de Jean.

Les premiers chrétiens avaient des Ecritures qui leur parlaient de Dieu ; dans leur culte ils entendaient Dieu leur parler. Religio ne faisait pas partie de leur vocabulaire…

2.2. La « Révélation »

Il est significatif que la révélation chrétienne se soit appelée « Evangile » (terme emprunté au vocabulaire du protocole de la cour impériale). La révélation de Jésus-Christ était l’« Heureuse nouvelle » manifestant une venue bienveillante de Dieu parmi les hommes, une lumière sur les origines et sur le terme, une source de renouvellement du projet humain. L’évangile n’était pas seulement une religion, ni doctrine métaphysique, ni éthique, mais tout cela ensemble. Si l’on essaye de dégager les traits constitutifs de cette originalité, on est amené à insister sur les trois aspects suivants :

  • Nouveauté du côté de Dieu : Sa puissance est d’amour, non de terreur ou de domination. Il est le Dieu très humain qui s’adresse à la liberté et au projet de l’homme. Il fait l’histoire avec l’homme au point de lui proposer un avenir absolu ; il est le Dieu de tous et non d’une clientèle choisie, ni d’une nation. Bergson nous dit « qu’à une religion nationale on substitua une religion capable de devenir universelle, à un Dieu dont la puissance s’exerçait en faveur de son peuple, succéda un Dieu d’amour et qui aimait l’humanité entière ».
  • Nouveauté du côté de l’homme : L’homme n’est pas seulement l’assisté ou le sujet de la divinité, mais le collaborateur et le fils. il est appelé à imiter Dieu par l’amour de la vie, de ses frères, de la cause de l’humanité entière. Sa faiblesse n’est plus accablante car il est aimé de Dieu qui met en lui son espérance et partage son projet. La moralité chrétienne dépasse ainsi le légalisme et on parlerait plutôt d’une mystique tant s’y trouvent réinterprétées et prolongées les exigences d’accomplissement véritable de l’homme.
  • Nouveauté du côté de la religion : Elle n’est plus commerce particulier avec la divinité au prix des « techniques » religieuses. Jésus est le seul médiateur toujours agissant entre Dieu et les hommes ; il dispense les hommes d’inventer des voies d’accès à Dieu, les libérant de la superstition, du mythe, de l’occultisme. C’est toute l’existence humaine qu’il faut accorder à l’action et aux intentions éclairées de Dieu car la distinction entre monde sacré et monde profane a éclaté.

Des Synoptiques, nous savons que Mathieu et Marc nous proposent  l’Evangile du « Fait et de la Lettre » et que Luc nous présente celui de l’« Ame ». Quant à Jean, il nous offre celui de l’« Esprit » (Clément d’Alexandrie) et de l’« Amour » dont la substance symbolique doit naturellement nous porter à en extraire les enseignements ésotériques qu’il contient (voir en Annexe 1 : « Esotérisme de St Jean »).

3. Tradition Chrétienne et Maçonnerie « OPERATIVE »

Le Christianisme peut se définir comme « une pierre d'achoppement et un rocher de scandale » [Matthieu XXI (44) et Luc XX (17)] La Maçonnerie, en raison de sa très lointaine origine traditionnelle et de ses particularités intrinsèques, ne saurait être inféodée à un groupe religieux déterminé ; ouverte en principe à toutes les religions, elle trouve sa justification dans le fait que l'art de bâtir est commun à presque toutes les traditions. Il remonte aussi au premier sanctuaire érigé par l'homme et procède dans son « inspiration » du geste originel accompli par le G\ A\ D\ L'U\. En tirant de la matière vierge l'ouvrage sacré, l'architecte primordial fixait dans les rites la mémoire de l’œuvre divine, selon une révélation évidemment « non humaine » Le « Métier » s'est incorporé, sans perdre son caractère, dans la religion par laquelle il servait la Vérité, et ce, en raison de circonstances providentielles de temps et de lieu. Il reçut même de la religion ses règles spéciales [« Ars sine scientia nihil» (saint Bonaventure)].

La Maçonnerie, celle de métier, peut être considérée à juste titre comme un corpus technique, doté d'un « art mystique » fait de symboles et de rites. Ce travail méthodique n'a pu s'opérer qu'en respectant son premier devoir : louer Dieu et Le servir droitement en élevant des Temples à sa mémoire. La Maçonnerie « opérative » est donc une potentialité spirituelle qui ne peut s'actualiser et porter fruit ailleurs que dans le domaine religieux. Il faut noter que la Maçonnerie connue et transmise par les opératifs, s'appliquait au Christianisme. C'est un élément qu'il ne faut pas négliger, puisqu'il fait partie des « fondements » indispensables à toute construction solide !

La bouleversante apparition du Christianisme devait avoir une répercussion profonde au sein des groupements de constructeurs et les pénétrer. Le Christ a repris pour son compte la parole des psaumes : « La pierre que rejetaient ceux qui bâtissaient est devenue tête principale d'angle [Matthieu XXI (42‑43), Marc XII (10) et Luc XX (17)]. L'emploi, en la circonstance, de termes proprement maçonniques, est assez significatif... Si l'on tient compte du rôle joué par la tête d'angle, ou clé de voûte, de sa situation particulière et « unique » dans l'édifice, de son secret de construction qui relève de la technique du compas et non de l'équerre, on conviendra que la phrase du Seigneur est lourde de sens... Désormais l'effort de « réalisation » maçonnique ne pourra s'accompagner d'une volontaire « ignorance » du Christianisme car « quiconque tombera sur cette pierre s'y brisera, et celui sur qui elle tombera sera écrasé» (1).

L'héritage des constructeurs occidentaux a donc fructifié en terre chrétienne. Il en reste une preuve grandiose : la cathédrale ! Certes, l'architecture n'est pas seulement chrétienne. Les guildes du haut Moyen Age sont filles des Collegia Fabrorum de la Rome antique et des corporations itinérantes du Moyen-Orient (et il restera quelque chose de ce nomadisme chez les Compagnons !).

En portant notre attention sur les organisations médiévales de constructeurs, leur rôle est à double niveau :

  • Sur le plan matériel : mettre à l'abri l'espèce humaine et contribuer à sa conservation.
  • Sur le plan spirituel : permettre le rassemblement des fidèles dans un sanctuaire incarnant et fixant les données et dogmes religieux, en parfaite concordance avec l'enseignement de l'Église, et moyennant l'aide d'une connaissance architecturale et cosmologique.

Mais comment oublier aussi le texte de prières insérées dans les « Old Charges » et manuscrits divers (l’Evangile de saint Jean, la Loge de Saint-Jean, les fêtes des deux saint Jean et les phrases des rituels tirées des Evangiles ?)

Comment le Christianisme peut-il inclure la Maçonnerie dans sa perspective ?

Avant tout, il est indéniable que le Christ, en tant que « Verbe » est le « Lieu des possibles ». Il englobe donc en Lui toute possibilité, et la démonstration métaphysique pourrait se suffire à elle-même. On aurait toutefois tort de sous-estimer les autres indications fournies par le Christianisme.

Ainsi le Christ, prêtre éternel selon l'ordre de Melkitsedeq, détient la fonction sacerdotale. Il est donc, comme le veut son titre de Christ Roi ou de « Roi du Ciel et de la Terre », le Maître, par excellence, de la « Voie Royale », et c'est à ce type de voie qu'appartient la Maçonnerie. Du reste les offrandes des Trois Mages manifestent, extérieurement, la remise des pouvoirs prophétique, sacerdotal et royal à Jésus-Christ. Par ailleurs, l'Enfant Dieu naît dans une famille d'artisans. Ce que l'on sait des trente premières années de la vie de Jésus, nous montre qu'il était charpentier [Marc VI (3)] Qui pourrait trouver des lettres de noblesse plus honorifiques pour le « métier » ? Tout ce qui concerne les événements de la vie du Christ est à méditer et ce n'est pas non plus sans raison, que les Evangiles [Matthieu IV (3), VIII (24‑28), XII (6), XXI (42‑44), XXIV (1‑2), XXVI 61, Marc XII (10‑11), XIII (1‑2), XIV (58). Luc VI (48‑49), VII (12 et 14), XV (28‑30), XX (17‑18), XXI (17)] les Actes, les Epîtres et l'Apocalypse [Actes IV (11) et VII (47‑51)] se sont servi du symbolisme inhérent à la construction pour exprimer les vérités divines. On en trouverait d'autres exemples encore en consultant la vie des Saints.

Les voies de l'Art Royal se sont honorées dans le Service du Christ et de l'Eglise. Elles ont assumé ce rôle de banquier capable de faire fructifier le talent. Ainsi les Rois Mages, partis d'Orient, vinrent déposer devant l'Enfant Dieu les attributs symboliques, [Matthieu XXV (27)] et Luc {XIX (23). non seulement de la Royauté, mais encore du Sacerdoce et de la Prophétie. Depuis la nuit de Bethléem, l'héritage des sciences sacrées n'a jamais été transmis autrement, et ce n'est pas par hasard que la condamnation du Christ a été prononcée par le Grand-Prêtre Caïphe, qui prophétisait [Jean XI (51)], et par Pilate représentant la  Royauté (4) Les pouvoirs traditionnels devaient donc se pervertir, jusqu'à servir la puissance de l'ombre, lorsque, passant près du Seigneur, ils refusaient de le reconnaître comme leur suprême et seul Principe.

Il est donc clair que l’œuvre magistrale, le Grand Œuvre, s'accomplit dans le service du Seigneur ; c'est le Temple idéal fait de pierres vivantes équarries par l'ascèse de la vie pieuse et la pratique d'un art sanctifié ; c'est le développement final de la « pierre cubique » selon la méthode d'un véritable exercice spirituel.

4. Les Ruptures

4.1. Pourquoi des ruptures entre L’Eglise et la F\ M\ ? :

L’Anti maçonnerie (voir historique de « l’antimaçonnisme », Annexe 2)

L'antimaçonnisme accompagne, depuis sa naissance, l'histoire de la Franc-maçonnerie ; mais les motifs de dispute et les lieux d'affrontements qui ont jalonné la vie de ce couple maudit se sont déplacés constamment en fonction des enjeux de société, religieux et politiques. La nature du lien entre les maçons, initiation et serment, le recours au secret, alimentèrent une opposition d'autant plus forte que les maçons eux mêmes se prévalurent du rôle et de l'efficacité de ce lien parfois bien au delà des réalités.

Eglise(s), Etat et Maçonnerie

A cause de la complexité des relations entre Eglise, Pouvoir et Maçonnerie, leurs interpénétrations au cours d’une Histoire chargée d’associations - dissociations Eglise - Etat ne sont pas chose aisée ; cependant, un certain nombre d’éléments peuvent être dégagés :

  • Aux origines de l'antimaçonnisme, la part du secret et celle du public ne fut jamais bien nettement séparée ; si les Grandes Loges se formèrent sur la base de documents écrits (les Constitutions d'Anderson parurent en 1723), les rituels appris par cœur et les tableaux de loge dessinés à la craie sur le sol et effacés après la tenue demeuraient en principe secrets.
  • La mise en place de ce réseau international qui ignorait les anciens clivages religieux ont inquiété les autorités. Les autorités catholiques romaines, pour des motifs politiques dans le royaume de Naples et de Toscane, virent dans les activités des loges l'occasion de redonner aux tribunaux d'Inquisition devenus inactifs une raison d'être.
  • Le secret de la société et le mélange d'adeptes de religions différentes, ne comportant pourtant aucune argumentation théologique motivée la condamnation pontificale de Clément XII, In Eminenti n 1738, confirmée par Benoît XV par Providas (1751), (voir en annexe 3 : « Eglises »)
  • Vers 1867 Mgr de Ségur fait le lien entre l'anti-maçonnisme du XVIIIeme siècle et les grandes manipulations d'opinion publique du monde actuel, il est contemporain d'un autre livre à succès : Le Juif, le judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens de Henri Gougenot des Rousseaux (1804‑1876). Ainsi se trouvaient mis en place, à la fin du Second Empire, les principaux thèmes des débats d'opinion jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.
  • En 1877, le G\ O\ D\ F\ abandonne l'obligation de la référence au G\ A\ D\ L’U\, et accueille les anticléricaux, les militants de la laïcité de l'école.
  • Au cours du XIXe siècle, l'Eglise catholique croyait reconnaître la main de la F\ M\ activant les mesures qui aboutirent au rejet du religieux dans la sphère des libertés individuelles, la sécularisation dans le monde anglo-saxon, la laïcité en France ou en Belgique. La thèse de l'unité du mal, la maçonnerie reprenant et résumant dans ses principes toutes les anciennes hérésies, constituait « la secte » par excellence.
  • En 1884, l'encyclique Humanum genus de Léon XIII, donna une expression dogmatique opposant « deux étendards », « deux Cités » du bien et du mal, invitant à « arracher le masque » de la société secrète.
  • D’une façon générale, l'argumentation résidait dans la distinction fondamentale entre la maçonnerie apparente, conviviale et bon enfant, et les « arrière-loges » où les véritables maîtres de l'Ordre donnent impulsion et direction aux activités des loges. Le nombre d'adeptes, était destiné à illustrer la gravité du péril social et cette masse manipulée apparaît comme nécessairement inconsciente.
  • En terre d'Islam l'antimaçonnisme était lié à des enjeux de société ; la méfiance domine en envers la maçonnerie, une organisation dont la tête était à l'étranger :
  • donnant une image de la modernité occidentale,
  • laissant craindre une adaptation de l'islam au monde contemporain.
  • et accusée de libéralisme par « infiltration maçonnique »

D’une Manière plus spécifique : Maçonnerie et Eglise, un Divorce à L’Italienne ? (ou plutôt « à la romaine » ?) (voir en annexe 3 « Eglises »)

Les pratiques maçonniques demeurent ancrées dans le relativisme né des Lumières, et par conséquent s'opposent au dogme enseigné par l'Église). Dès 1738, l'Église catholique romaine a condamné la franc-maçonnerie et menacé d'excommunication le catholique qui s'y engageait par :

  • la bulle du Pape Clément XII, In Eminenti en 1738, confirmée par Benoît XV Providas (1751), motivée par le secret de la société et le mélange d'adeptes de religions différentes, ne comportait aucune argumentation théologique.
  • en 1884 Humanum genus de Léon XIII et l'abandon, en 1877, de la référence obligatoire au Grand Architecte de l'Univers par le Grand Orient de France sont la confirmation pure et simple du complot que le souverain pontife dénonçait en invitant à la lutte : il fallait alors, selon les termes de l'encyclique, « arracher à la franc-maçonnerie son masque » !
  • En 1917 : violentes condamnations par le Code 2335 de droit canonique : « Ceux qui donnent leur nom à une secte maçonnique ou à d'autres associations du même genre qui complotent contre l'Église et les pouvoirs civils légitimes, contractent par le fait même une excommunication simplement réservée au Siège apostolique ». Pour le magistère catholique, « la franc-maçonnerie reste un danger pour le salut des âmes ».
  • Dans le Code de Droit Canonique promulgué en 1917, la Congrégation pour la doctrine de la foi persiste à considérer le catholique franc-maçon en état de péché grave…
  • en 1980, lors des débats préparatoires à la rédaction définitive du Code, la question est posée : « Faut-il conserver intact le canon 2335 du Code de 1917, qui prévoit expressément la peine de l'excommunication pour les membres de la secte maçonnique ? »
  • En 1964, le décret Unitatis redintegratio de Vatican II sur l’œcuménisme, consiste à ne pas priver des sacrements les catholiques dits « frères séparés » ; leur état de baptisé les rend, de droit, membres du Peuple de Dieu, et aptes à recevoir les moyens de salut attachés à ce statut. Le concile Vatican II a mis fin à la diabolisation de la maçonnerie, mais le nouveau Code de droit canon a maintenu l'interdiction de la double appartenance, laquelle est assimilée à une faute grave.
  • En 1983, dans le canon 1374, le terme « franc-maçonnerie » est absent de façon implicite du Code de droit canonique mais soulève la question des relations du fidèle catholique avec l'association qu'elle représente: « Qui s'inscrit à une association qui conspire contre l'Église sera puni d'une juste peine ; mais celui qui y joue un rôle actif ou qui la dirige sera puni d'interdit ». Même si ce n'est plus la problématique de l'excommunication, l'interdit sanctionne celui qui y joue un rôle actif.

Cependant, peu après la promulgation du Code de droit canonique, la Sacrée Congrégation émet une tout autre interprétation du canon 1374 : « Le jugement négatif de l'Église sur les associations maçonniques demeure inchangé parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l'Église et l'inscription à ces associations reste interdite ».

Alors, pour le catholique pratiquant, il serait interdit de « s’inscrire » (!?) en maçonnerie, même si celle-ci ne « conspire » pas contre l’Eglise ? S’il n’est pas capable de se sentir libre, sa conscience lui dictera peut-être de s’orienter vers les positions du Père Riquet (voit en Annexe 3, dans Riquet) : pour lui, les franc-maçon « irréguliers » d'aujourd'hui sont les héritiers plus ou moins directs des Illuminaten et méritent assez largement les condamnations romaines. Par contre, les francs-maçons réguliers, croyants et apolitiques, ne devraient pas subir les foudres des excommunications pontificales. M. Riquet en 1972, il obtient officiellement de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi que seuls soient excommuniés les membres de loges maçonniques qui complotent contre l'Église et les pouvoirs civils légitimes.

Plus encore, lorsque la nouvelle rédaction du Code de droit canonique (1983) supprime toute référence à la franc-maçonnerie, M. Riquet y voit un aboutissement de son travail. Lorsque, le 26 novembre 1983, la même Congrégation déclare que l’appartenance d'un catholique à la franc-maçonnerie demeure toujours interdite, il considère que cette déclaration ne concerne pas les maçons de la Grande Loge Nationale Française, l'appartenance de catholiques à cette obédience ayant été autorisée auparavant.

Pourtant, à propos des initiations de métier et de chevalerie, on pourrait penser que les organisations qui les détiennent et qui rendent un hommage tout spécial à Jean, ont répondu à une double fonction :

  • d'une part, maintenir une assise sacralisée, par le symbolisme et les rites de l'activité humaine considérée, de façon à faire de cette activité un support spirituel ;
  • d'autre part, utiliser certaines connaissances cosmologiques « réservées » pour permettre l'accomplissement historique de la Chrétienté.

Mais comment ces hommes, tout pénétrés de leur métier, acquis à l'évidence que le « Plan du Grand Architecte » est dans la plénitude formelle du Corps Mystique, auraient-ils imaginé une voie opposée à l'Eglise ?

L'enseignement de l'Art s'est conservé d'ailleurs dans les monastères. Les grandes figures d'Architectes, constructeurs d'abbayes celtiques, surgissent au sein des monastères bénédictins.

L'Architecture concerne le domaine cosmique, elle est « de ce monde ».

Le Sacerdoce, par contre, est dans le Christ, son royaume « n'est pas de ce monde » mais il contient de façon « éminente » et principielle le cosmos. Christus regnat. Le Christ est le Roi du Ciel et de la Terre, du Compas et de l'Equerre.

C'est en humble offrande que l'Art Royal apporte à l'Art Spirituel ses connaissances sacrées. Il reçoit en échange la bénédiction et l'impulsion divines nécessaires à la fructification de l'Art (5).

Les Constructeurs font à l'Eglise, don de leur science correspondante entre « Ciel et Terre », rapports symboliques des nombres, orientation rituelle, mise en concordance de certains courants subtils pour la répartition des sanctuaires, valeur des éléments telluriques, autant de « points de répète » ou bornes qui permettront à l'édifice futur de s'incorporer dans l'harmonie universelle du créé et de remplir heureusement sa mission. (6)

L'idée archétypale de l'édifice reste toujours le Christ. Les rapports dimensionnels, les contours et la sculpture traduiront plus spécialement l'intention religieuse contenue dans la première opération rituelle dévolue au Saderdoce : la Dédicace.

A propos des initiations de métier et de chevalerie, nous pouvons penser que les organisations qui les détiennent et qui rendent un hommage tout spécial à Jean, ont répondu à une double fonction :

  • d'une part, maintenir une assise sacralisée, par le symbolisme et les rites de l'activité humaine considérée, de façon à faire de cette activité un support spirituel ;
  • d'autre part, utiliser certaines connaissances cosmologiques « réservées » pour permettre l'accomplissement historique de la Chrétienté.

Mais lorsque « l'Art Royal » renie ce fondement et échappe à l'inspiration de l'« Art Spirituel », il s'engage sur le chemin des vanités : ratiocinations philosophiques, spéculations stériles et dangereuses, indifférence à l'égard de la Vérité, confondue avec la vraie et douce tolérance.

Voilà les fruits de l'arbre aux racines coupées. La confrérie devient un attachement sentimental au « clan ». Elle ne travaille plus à l'élection mais tend vers l'orgueil intellectuel. Elle ouvre la porte aux déviations de l'Art pour l'Art-forme de l'individualisme négateur [« Ars sine scientia nihil » (saint Bonaventure )] - ou aux faux spiritualismes. Ses forces vives sont alors à la merci de l'Ennemi, car lorsqu'une place est libre, l'adversaire l'occupe.

Pourtant, la Maçonnerie n’est ni une doctrine, ni un système !

On peut affirmer que la Franc-maçonnerie dispose d'un symbolisme, d'une transmission spirituelle assurée par les rites, et d'une « méthode de travail » particulière. Il sera juste de lui attribuer comme vertu, l'éventualité d'une ouverture de l'esprit chez ceux qu'elle assimile, et qui peut les conduire, « s'ils comprennent bien l'Art », à vivre intensément leur foi jusqu'à ce que certitude et foi soient une même chose illuminant la vue de leur cœur (tel est le sens de la « Gnose » selon Clément d'Alexandrie). La restitution de son caractère originel, par le travail « opératif », peut la réintégrer dans son vrai rôle traditionnel et lui assurer une finalité au-delà de toute expression puisqu'alors sont dépassées les limites de toute « expérience » et de toute dualité entre le sujet et l'objet. Son « secret », s'il est parfois une mesure de prudence est d'abord une discipline qui n'est pas sans profit. Plus encore, et surtout, il est le symbole de la réalisation intérieure proprement incommunicable et inexprimable.

Mais si on considère également la Maçonnerie sous sa forme obédientielle la moins imparfaite et la plus conservatrice, comme une société vénérable d'accès réservé, elle est composée d'hommes, elle ne saurait échapper à travers les individualités de ces derniers aux imperfections et déviations. Les dégénérescences de l'espèce ne sont jamais des phénomènes uniques dans le temps et l'espace, et elles n'enlèvent rien au fonds immuable, inviolable et « scellé » de la Tradition.

Selon Vuillaume, la Maçonnerie « aujourd'hui décolorée est encore une grande institution dont l'histoire excite la curiosité et sur laquelle on ne sait quel jugement porter. Les écrivains non Maçons en ont parlé peut-être avec trop de mépris et presque toujours dans l'ignorance de la chose. Les écrivains Maçons, les orateurs de Loges, en ont parlé avec enthousiasme et souvent avec des préventions qui leur ont fait manquer leur but».

Il ne s’agit pas de discuter les grandes vérités : dépôt divin du Christianisme, initiation artisanale, chevaleresque et peut-être religieuse de la Maçonnerie. Mais le simple bon sens veut que l'on s'abstienne de prophéties hasardeuses lorsqu'on parle de ces institutions riches d'un passé ancien, composées d'individus souvent très différents les uns des autres, et liés aux événements des temps par une multitude de vrilles enchevêtrées.

L’originalité de la Franc-maçonnerie par rapport aux autres associations et institutions humaines tient à sa nature de société initiatique et à ses « méthodes » de travail. Elle n’est ni une secte (car elle n’a pas de « doctrine » à imposer aux autres hommes), ni un parti (car elle ne cherche pas conquérir le pouvoir), ni une Eglise, car, si elle se veut universelle, son prosélytisme est limité et n’exclut aucune  croyance.

L’enseignement maçonnique n’est pas celui d’une doctrine, mais celui d’une méthodologie de la connaissance par le truchement des symboles : universels et intemporels, ils peuvent aider tous les hommes à mieux comprendre le monde sans imposer de préalable idéologique.

La Tradition Maçonnique n’est ni un système, ni une doctrine. Elle est le fil d’Ariane permettant de se véhiculer jusqu’à nous ; elle nous transmet le message d’un très lointain passé, celui de notre origine ; nous avons oublié cette unité créatrice, ce temps primordial, mais sans doute nos cellules nous incitent à rechercher avec nostalgie ces lois du monde que nous voulons interpréter selon le langage de notre époque.

Ainsi l’équerre, le compas, le Volume de la Loi Sacrée sont toujours unis sur l’Autel des Serments, dans la Loge traditionnelle ; ils sont unis comme sont unis des moyens et une fin. Car il s’agit, pour le Franc-maçon, avec ces outils symboliques, de tracer les plans d’un Temple et le bâtir selon la règle de la rectitude et de l’équilibre, la règle de l’Amour et de l’Amitié. Il s’agit de rassembler ceux qui sont divisés, de réconcilier ceux qui sont déchirés. Il s’agit de réconcilier enfin l’homme avec lui-même, dans l’équilibre et l’harmonie, par la recherche de la Vérité, par la pratique de la justice, grâce à la Connaissance et à l’Amour.

Le secret maçonnique, si souvent invoqué comme la volonté de cacher des actions malfaisantes, s’explique d’abord par la nécessité de conserver aux travaux la discrétion indispensable à leur poursuite sereine à l’abri de l’agitation du monde. Surtout, il ne fait que traduire l’impossibilité de décrire et d’expliquer à l’extérieur une réalité incompréhensible au profane. Il faut faire tout de suite une mise au point : le secret de la connaissance, ce n’est pas la connaissance d’un secret, c’est la connaissance d’une technique, d’un langage et d’une méthode.

5- Maçonnerie, Eglise Religion : Quelle Place pour la foi, à la G\ L\ D\ F, au R\ E\ A\ A\ ?

Notre Constitution rappelle, par les « Anciennes Obligations » que « Un MAÇON est obligé par sa Tenure d'obéir à la Loi morale et s'il comprend bien l'Art, il ne sera jamais un Athée stupide, ni un Libertin irréligieux » Ces « Old Charges » ajoutent : Mais, quoique dans les Temps anciens les Maçons fussent astreints dans chaque pays d'appartenir à la Religion de ce Pays ou de cette Nation, quelle qu'elle fût, il est cependant considéré maintenant comme plus expédient de les soumettre seulement à cette Religion que tous les Hommes acceptent, laissant à chacun son opinion particulière, et qui consiste à être des Hommes bons et loyaux ou Hommes d'Honneur et de Probité, quelles que soient les Dénominations ou Croyances qui puissent les distinguer; ainsi, la Maçonnerie devient le Centre d'Union et le Moyen de nouer une véritable Amitié parmi des Personnes qui eussent dû demeurer perpétuellement éloignées.

Allié au précepte « Un Maçon est un paisible Sujet à l'égard des Pouvoirs Civils, en quelque lieu qu'il réside ou travaille, et ne doit jamais être mêlé aux Complots et Conspirations contre la Paix et le Bien-être de la Nation, ni manquer à ses devoirs envers les Magistrats inférieurs » et à ce qui vient d’être dit au sujet des origines et de la religion chrétienne, ( en particulier les paragraphes…) il est difficile de comprendre pourquoi les pouvoirs et Eglise catholique ont réagi de la sorte, si ce n’est que parce que la haine de la pensée s'alimente à l'antimaçonnisme primaire qui se livre à une critique aveugle et violente de l'initiation et de son secret d'une part, de la conception maçonnique de la fraternité d'autre part (Michel Barat).

Il s’agit bien, de la part des religions, en particulier de l’Eglise catholique, d’imposer à ses adeptes une croyance obligatoire en des dogmes, par une foi qui exclut le doute et la raison, et qui par conséquent, ne peut permettre une lecture ésotérique de la Bible. Si l'initiation, contrairement aux sacrements, ne confère rien aux participants, elle est une mise en chemin sur la voie de la pensée et de la lumière qui ne peut indiquer la route qu'à l'homme « libre et de bonnes mœurs ».

Quant au secret, qui a tant perturbé les Eglises, il existe bien dans toute initiation, mais ce secret n'est pas à confondre avec un occultisme quelconque, la rétentiond’un savoir ou un désir de complot. Pourtant, la franc-maçonnerie du XVIIIe et XIXe siècles, ne craignait nullement de s'exprimer spirituellement et philosophiquement, tout en conservant le secret, c'est-à-dire l'intimité de l'initiation de chacun de ses membres. Pour nous, le « secret » n'est autre que cette incommunicabilité de l'essence même de l'expérience vécue.

Il existe donc aussi une parenté entre l'initiation et la foi. Ce qui est vécu lors des expériences initiatiques, n’est pas communicable. En ce sens, il est légitime de parler de foi maçonnique.

Cette foi maçonnique est-elle incompatible avec une foi religieuse ? Non, parce que, dans toute foi, il y a un doute profond, plus ou moins refoulé. Miguel de Unamuno a dit : « Ô foi, sans doute, tu n'es pas la foi ! » Cette idée se trouve aussi dans les Pensées de Pascal. Inversement, dans l'athée, dans le sceptique du moins, il y a, au fond, une foi ou une croyance. Il n'y a pas de différence radicale entre athée et croyant. Aujourd'hui, d'ailleurs, on ne peut peut-être se dire athée de façon forte parce que le mot est connoté comme antireligieux. Mieux vaudrait se dire plutôt sceptique par rapport aux religions révélées : on peut être à la fois rationnel et mystique, ayant une foi…

La foi, c'est-à-dire la constance et la vérité dans les choses dites et convenues », écrivait Cicéron. Autrement dit, la foi implique une adhésion ferme de l'esprit, mais pas à un dogme: elle est à la fois certitude qu'il existe quelque chose tel que la vérité, mais que cette vérité ne cesse d'échapper, quels que puissent être les efforts pour la cerner. Et la raison humaine, à savoir la raison d'un être mortel ne saurait posséder la vérité, laquelle ne peut être qu'infinie : le maçon la cherche, sans jamais savoir s’il la trouvera !

Ainsi la foi, quelle qu’elle soit (religieuse, maçonnique…) n’a pas un accès complet et plein à la vérité, quand la foi le prétend, elle devient dogmatisme !

Il y eu des croyants qui voyaient dans leur esprit deux monothéismes se contredire. Alors certains essayaient de fuir cette contradiction en se lançant dans le mysticisme, par exemple Thérèse d'Avila. Et d'autres se sont dit : « Les religions juive et chrétienne sont peut être fausses l'une et l'autre ». Et ils sont arrivés à douter.

C'est à quoi est arrivé Spinoza et quelques autres, justement au début du XVIIe siècle, qui ont du reste été excommuniés par la synagogue. Pour eux, puisqu'ils ne pouvaient plus croire en l'immortalité de l'âme et en un Dieu extérieur au monde - créant le monde, une sorte de Dieu architecte, ils ont dit, à la suite de Spinoza : « Le monde est Dieu, Dieu est le monde ». Ils ne pouvaient pas croire plus que le monde soit divin, parce que, dans l'idée de divinité, il y a l'idée de perfection. Or le monde est imparfait. Cette idée d'imperfection du monde se trouvait dans la gnose et dans la cabale. Puisque, pour que le monde naisse, il faut que l'infini se retire pour qu'il y ait une rupture de la perfection. Cette idée se trouve même dans notre théorie cosmologique actuelle du « Big Bang » : le monde est né dans l'imperfection ; il porte en lui un principe de corruption et de mort. Mais, dans cette imperfection, il porte la possibilité d'amélioration, non pas d’arriver à la perfection Et nous sommes dans ce monde. Ne pas croire que le monde soit Dieu ne veux pas nécessairement dire être athée, mais plutôt « religieux » dans un autre sens.

La théologie des premiers siècles, restée tout à fait traditionnelle en Orient, mais que l'Occident commence à retrouver aussi, obéit à cette contemplation divine qui ne peut pas être nommée. Dès que l'on nomme, on arrête dans nos concepts mentaux, on diminue, on emprisonne, et, bien souvent, on rend ce Dieu détestable.

Prononcer le nom de Dieu, c'est surtout l'enfermer. Ce n'est pas prendre un pouvoir, il n'y a pas de pouvoir à prendre sur Dieu. Mais, c'est l'enfermer, et donc le réduire. En Occident, nous ne l'avons que trop fait, c'est ce qui a rendu détestables bien des aspects de la théologie occidentale. Par suite, en Occident, beaucoup de personnes se disent « athées » parce qu'elles n'ont plus voulu entendre parler de ce Dieu détestable, enfermé dans des catégories réductrices.

Les distinctions de Riquet entre maçonnerie régulière et maçonnerie irrégulière posent, en fonction de l'orthodoxie catholique, des normes d'orthodoxie maçonnique (l'obligation de la croyance en un Dieu personnel). Ceci est contesté tant par des maçons libéraux (Marcel Ravel et Jacques Mitterrand lors du Convent de 1962 du Grand Orient de France) que par des commentateurs catholiques (Jean-Pierre Manigne dans les Informations catholiques internationales, n° 490, 1961). Les uns comme les autres lui reprochent de prendre parti dans des querelles intra-maçonniques. On ne peut toutefois nier que M. Riquet a contribué à rapprocher catholiques et francs-maçons. Il meurt à Paris le 5 mars 1993, quelques mois avant de fêter ses 95 ans.

« La Franc-maçonnerie proclame, comme elle a proclamé dès son origine, l'existence d'un Principe Créateur, sous le nom de Grand Architecte de l'Univers. Elle n'impose aucune limite à la recherche de la Vérité et c'est pour garantir à tous cette liberté qu'elle exige de tous la tolérance. La Franc-maçonnerie est donc ouverte aux hommes de toute nationalité, de toute race, de toute croyance. Elle interdit dans les Ateliers toute discussion politique et religieuse ; elle accueille tout profane, quelles que soient ses opinions en politique et en religion, dont elle n'a pas à se préoccuper, pourvu qu'il soit libre et de bonnes mœurs. (Déclaration de principes du Convent de Lausanne (Sept. 1875) du Rite Écossais Ancien et Accepté) Prononcer le nom de quelqu'un, c’est, d’une certaine manière, prendre un pouvoir sur lui ».

Notes :

(1) Ier Epître de Pierre II (8) et voir l'Epître aux Corinthiens III (10‑15) : « J'ai posé un fondement comme un sage architecte et un autre bâtiment dessus...car personne ne peut poser un autre fondement que celui qui est posé, savoir Jésus-Christ. »)

(2) « Ordonnances de la guilde des charpentiers de Norwich », Regius MS, 5e partie « Ars Quatuor Coronatorum » et 8e partie « Instructions religieuses ». « Manuscrit Cook » ‑ Conseil ‑ « Constitution de 1772 Londres ». Invocation, 1ere obligation et formule d'engagement. « Manuscrit Watson » ‑ Exercice et 1 ‑ devoir général ‑ « Constitution de 1723 ‑ Dublin ». Prière en fin des obligations.).

(3) « N'est-ce pas le charpentier ? En Israël, de nombreux scribes « instruits du Royaume des Cieux », exerçaient un métier manuel, l'un des plus nobles étant celui de menuisier ou de charpentier ». A l'époque du Targoum, il y avait un adage qui voulait qu'à l'occasion d'une difficulté d'exégèse de l'Écriture, l'on s'interroge ainsi : « N'y a-t-il parmi nous un charpentier ou fils de charpentier capable de résoudre ce problème ? »(cf. David Flusser, Jésus, pp. 2728, Ed. du Seuil, et Emile Moreau, Et le Verbe s'est fait Juif, p. 74, note 1, Ed. Resiae, 1980, préface d'André Chouraqui).

(4) Dans l'histoire d'Arménie, par exemple, on apprend que saint Grégoire l'Illuminateur, sous la torture fit cette réponse : « La force m'a été donnée, car j'ai prié le créateur de l'Univers, l'Architecte Constructeur des mondes visible et invisible ». Selon la tradition arménienne rapportée par Agathange et Moïse de Khoréen, saint Grégoire se promenait, le niveau de maçon en main. C'est lui qui présida à l'essor de l'architecture religieuse en Grande Arménie.

(5) A rapprocher de la pensée des Pères grecs sur l'apport des sciences profanes : « Beaucoup apportent en don à l'Eglise de Dieu leur culture profane, comme l'illustre Basile qui, après avoir accumulé au temps de sa jeunesse les plus beaux trésors, les consacre à Dieu pour qu'ils servent à l'ornement du vrai tabernacle qui est l'Église » (G. DE NYSSE, Contemplation sur la Vie de Moise)

(6) A noter que les centres religieux utilisent les ressources d'une géographie sacrée. Aussi les relais druidiques semblent-ils annoncer la venue des grands sanctuaires du Père des Moines d'Occident et qui s'élève sur un ombilic druidique, futur centre de rayonnement chrétien pendant la période carolingienne. Une étude intéressante pourrait être faite sur les répartitions des Abbayes ou Couvents (cf. la formule : « Bernardus valles, montes Benedictus amabat oppida franciscus, magnas lgnatius urbes », formule encore rappelée le 29-3-1969 par S.S. le Pape Paul VI lors d'une réception du Chapitre général spécial des Cisterciens réformés (Trappistes).

Bibliographie

  • Encyclopédie de la franc-maçonnerie, sous la direction d’Eric Saunier, Pochothèque.
  • Paul Poupard, Dictionnaire des religions P.U.F.
  • de Souzenelle, Le matin du septième jour, Alice Editions.
  • Edgar Morin, Nul ne connaît le jour qui naîtra, Entretiens d’Edmond Blattchen
  • G\ L\ D\ F\ Rituel du 1er degré.
  • G\ L\ D\ F\, Constitution et Règlements Généraux
  • Michel Barat, La conversion du regard, Albin Michel
  • Planches des FF\ Bruno Phelebon et M. Savoy
  • J. Tourniac, Symbolisme maçonnique et tradition chrétienne, Dervy-Livres

Annexe 1

L’ésotérisme dans l’Evangile de Jean

La compréhension et l’admission de l’Evangile Johannique ne peuvent donc être effectives que dans la mesure où est acceptée son écriture symbolique qui recouvre une interprétation profonde du sens de la vie par au-delà les irréalités d’un certain foisonnement de mythes et d’allégories (Bernard MARTINEZ).

L’écriture d’un texte, tout comme sa lecture, surtout lorsqu’il s’agit d’un texte sacré, peut être faite, certes, au premier degré qui est de la compréhension simple et directe puisqu’elle ne comporte alors aucun sens interprétatif caché ; mais elle peut aussi être réalisée au second degré quand son auteur à voulu lui assurer, d’une part une représentation « de façade », accessible au commun des lecteurs ou répondant à une expression dogmatique généralement acceptable et admise, et d’autre part une signification intrinsèque découlant, par l’intermédiaire d’un langage mythique ou symbolique approprié, d’une transposition voulue du récit et de la pensée littéralement exprimée.

Paul Diel précise : « Il est actuellement admis que l’Evangile de Jean est un texte symbolique. Malgré son ouverture nouvelle au symbolisme, l’exégèse théologique ne saurait pourtant admettre ce qu’implique véritablement une approche rigoureuse des images mythiques. Elle ne peut en user que dans la mesure où cela ne remet pas en cause les articles de foi et les dogmes fondamentaux (de l’Eglise) »… D’où la difficulté d’interprétation.

Ainsi, le quatrième Evangile, celui de Jean, s’il s’approche, comme les autres, de la forme de prédication destinée aux premiers chrétiens, a manifestement pour intention d’inciter le lecteur à découvrir le sens réel et profond qui se dissimule derrière le Prologue et les chapitres relatant les éléments qui jalonnent la brève existence de Jésus.

Tout au long de son récit, Jean accorde, au symbolisme dont il le pare, « l’expression d’une pensée intuitive et analogique qui se réfère à l’insondable profondeur de la vie ». A ce titre, le symbole, pour lui, n’a nullement pour but d’apporter une preuve logique, mais il doit déboucher sur « une conviction intuitive qui est la foi : La confiance inébranlable dans l’organisation légale du monde physique et de la vie »…

Si l’Evangile Johannique est bien celui de l’Esprit, il est également le message d’espérance et de joie. Ce message, qui apparaît en filigrane dans la trame de toutes les mythologies, précise à l’homme, de la manière la plus simple bien que substituée, qu’il peut dominer l’angoisse née de son ignorance du sens de la vie, triompher de ses tentations, de ses mauvais penchants et de ses passions, surmonter son goût inné d’une sublimation excessive de son imagination (« Gardez courage, j’ai vaincu le monde » Ev. XVI, 33). L’homme qui sait reconnaître sa médiocrité, lutter contre ses faiblesses, affronter les difficultés, peut entrevoir, au terme de son combat, ne serait-ce qu’un bref éclat de la vraie Lumière.

L’Evangile de Saint-Jean est aussi celui de l’« Amour » : Il nous engage à nous ouvrir à la bonté en ce qu’elle est le contraire de la haine. C’est à cette fin qu’il émet ce qu’il nomme son « nouveau commandement », celui de l’Amour, aboutissement de tout le quatrième Evangile : « Aimez-vous les uns les autres… » (Ev. XII, 34 et XV, 12).

Ainsi, la Bonne Nouvelle apportée par l’Evangile réside dans le fait que la mort de l’âme n’est pas irrémédiable, que sa résurrection est possible. La résurrection est donc le réveil de la capacité d’aimer, non point de manière sentimentale ou charnelle, mais spirituelle et ontologique. « Tant il est vrai que la Connaissance et l’Amour sont une même chose et que l’éveil, ou le réveil du « Surconscient » est seul de nature à nous en ouvrir l’accès ». (Jacques Trescases, Symbolique de la mort). La seconde mort, celle de l’âme, tant redoutée des Egyptiens, engendrée par le pêché, est définie à contrario comme la perte de la capacité d’aimer définie ainsi : « Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort…». (Jean, Epître 1,3)

Dans le Prologue, en transmettant un message de salut qui doit consoler l’homme de sa condition de faiblesse et de mortalité, l’Evangile de Jean veut surtout lui faire découvrir la sublime Lumière de la Vérité en le soustrayant à ses conflits intérieurs par un effort personnel et en l’aidant à passer de l’état de trouble qui l’agite à l’harmonie ressaisie de son Moi. La démonstration est alors faite que chacun de nous possède la potentialité de trouver et de parcourir le chemin qui doit mener vers la joie, vers la satisfaction essentielle, par la découverte de l’explication symbolique de la vie en évolution, cette vie qui est « la Lumière des hommes »

Cette certitude en recèle implicitement une autre : celle de l’ignorance pérenne de la cause interprétative de la création cosmique. Jean, dans un raccourci saisissant, affirme que « le Verbe était Dieu », signifiant de la sorte que l’esprit humain ne peut dissocier l’organisation spatio-temporelle de l’Univers et le mystère de son origine sans attenter à l’Existence elle-même. La notion de dualité s’efface devant la nécessité d’une complémentarité entre les deux aspects de l’énigme primordiale. Jean apportera en guise d’ultime interrogation, une nouvelle affirmation du mystère originel en s’écriant : « Dieu, personne ne l’a jamais vu » et de rajouter « Le Fils, celui-là, l’a fait connaître » ! (Ev., I, 18)

Saint Ignace d’Antioche parle du « Verbe sorti du Silence ». Ainsi le Silence peut être le Principe : la Parole n’existe que par le Silence, comme elle le manifeste également. Le Silence dont il est question est donc « Archétype », il est le « Principe » de la Parole…

Le Prologue de Jean présente donc une signification métaphysique et une signification éthique : Sous son aspect éthique, il présente Jésus comme le héros vainqueur, celui qui a surmonté le péché d’Adam. Plus essentielle encore est la signification métaphysique selon laquelle l’homme sanctifié est représenté comme l’apparition la plus évoluée de l’intentionnalité immanente de la nature, aussi mystérieuse dans son origine que manifeste par l’existence du monde organisé et que le mythe nomme « Verbe de Dieu »

Dans son sens le plus profond, le Prologue de Jean ne parle pas spécifiquement de l’homme Jésus en tant que réalité historique, mais du Christ, qui est un symbole, et du Fils Unique qui, lui aussi, est un symbole : « Le Christ est l’éternelle Vérité qui s’incarne entièrement par l’accomplissement de Jésus. Le « Fils Unique » est l’espoir évolutif actualisé par cet accomplissement, et qui concerne l’humanité entière ». (Paul Diel).

Annexe 2

Antimaçonnisme

I. Approche générale

Si la Grande-Bretagne, terre d'origine de l'institution, échappa longtemps à cette hostilité, la France, l'Italie, une bonne partie de l'Europe protestante et les Etats-Unis furent touchés dès le XVIIIème siècle. Les choses s'aggravèrent au XIXe siècle, avec la répétition des condamnations pontificales contre une institution qui cristallisait tous les maux de la modernité.

Les divulgations, même malveillantes, vinrent opportunément secourir la mémoire défaillante des maçons, tant en Grande-Bretagne qu'en France. Ainsi le « profane » Samuel Prichard dévoila tous les rituels en 1730 dans « Masonry Dissected », ouvrage qui devint un véritable manuel et inspira La Tierce en France (1742). Une telle situation favorisa la multiplication des libelles provoqués par les succès foudroyants de l'Ordre des deux côtés de la Manche, dans les milieux les plus en vue de la société, où l'on goûtait fort les révélations faites par d'anciens adeptes, et où l'on tournait aisément en ridicule leurs cérémonies. Cependant, les maçons laissaient aux jésuites ou aux jansénistes le premier rôle : L'Ordre des francs-maçons trahis...(1744), de l'indiscret abbé Pérau, cédait le pas à l'accusation d'infiltration, de caractère complotiste celle-là, de l'illuminé Nicolas de Bonneville. L'institution avait été pénétrée par les disciples de Loyola qui en étaient devenus les « supérieurs inconnus ». Les Jésuites chassés de la maçonnerie et leur poignard brisé par les maçons (Londres, 1788) connut d'ailleurs un grand succès dans la France gallicane qui allait, avec l'abbé Grégoire, député aux États généraux, bouleverser les rapports de l'Eglise et de l'État.

Les autorités politiques s'émurent très tôt en Europe de la mise en place de ce réseau international qui ignorait les anciens clivages religieux. Dans les pays protestants tout d'abord, les États généraux de Hollande, en 1735, interdirent les réunions de francs-maçons. Ce fut le tour du Conseil de Genève et de la France en 1737, puis de la Suède, de Hambourg et du Palatinat. Les autorités catholiques romaines, pour des motifs politiques dans le royaume de Naples ou en Toscane, virent dans les activités des loges l'occasion de redonner aux tribunaux d'Inquisition devenus inactifs une raison d'être. La condamnation pontificale de Clément XII, In Eminenti en 1738, confirmée par Benoît XV Providas (1751), motivée par le secret de la société et le mélange d'adeptes de religions différentes, ne comportait aucune argumentation théologique. Son effet demeura limité, en France notamment où le Parlement de Paris ne l'enregistra jamais.

Tout au long du XIXe siècle, l'Eglise catholique crut pouvoir reconnaître la main de l'Ordre activant dans l'ombre les mesures qui aboutirent au rejet du religieux dans la sphère des libertés individuelles, la sécularisation dans le monde anglo-saxon, laïcité en France ou en Belgique. La thèse de l'unité du mal, la maçonnerie reprenant et résumant dans ses principes toutes les anciennes hérésies, fondait cette résurgence de la « gnose éternelle » ; elle constituait « la secte » par excellence.

Si les accusations de l'abbé Barruel, ou de John Robison (Proofs of a Conspiracy..., Édimbourg, 1797) qui associait les Francs-maçons, les Illuminés et les sociétés de lecture dans un vaste réseau de conspiration contre la religion et les gouvernements légitimes, avaient tout d'abord provoqué la stupeur des nombreux émigrés maçons et provoqué la mise au point du plus illustre d'entre eux, Joseph de Maistre, dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg, elles firent néanmoins leur chemin. Le contrôle étatique des Bonaparte sur l'institution, le rôle des loges militaires dans l'expansion française en Europe et les séquelles de celle-ci sur la politique italienne du Saint-Siège donnèrent aux thèses complotistes un large écho dans l'opinion publique, notamment celle de Félix Montjoie qui articulait le complot autour de Louis-Philippe d'Orléans, Philippe-Égalité, Grand Maître du Grand Orient de France. L'activité des sociétés secrètes liées à la maçonnerie, carbonari italiens avec Garibaldi, Charbonnerie française impliquée avec quelques loges dans l'affaire des quatre sergents de La Rochelle, en 1821, « NéoTempliers » de Fabré‑Palaprat (1773-1838) dans les journées de 1830, semblait justifier cette attitude. Les maçons des pays latins, de leur côté, revendiquèrent la première place dans les luttes pour la démocratie et la modernité, associées à l'anticléricalisme militant. Le Grand Orient de France abandonna en 1877 l'obligation de la référence au Grand Architecte de l'Univers, et, surtout, accueillit largement les anticléricaux, les militants de la laïcité de l'école avec Jean Macé et ses amis de la Ligue de l'Enseignement. Elle revendiqua les premiers rôles dans l'éviction de l'Église de la vie publique. Aussi la littérature de polémique comme « Les Francs-Maçons »de Mgr de Ségur (1864) se contentait-elle de reprendre les auteurs maçonniques ou même l'Annuaire maçonnique en ajoutant ses propres commentaires.

L'autorité romaine suivit la pression populaire, multipliant les condamnations, blâmant Mgr Darboy (1813‑1871), archevêque de Paris, d'avoir enterré religieusement le prince Murat (1803‑1878), Grand Maître du Grand Orient de 1852 à 1861. L'encyclique Humanum genus (1884) de Léon XIII résuma les arguments et en donna une expression dogmatique opposant « deux étendards », « deux cités » du bien et du mal. Il invitait à « arracher le masque » de la société secrète. L'encouragement fut entendu par le journal La Croix qui en fit un de ses thèmes de combat et par les revues spécialisées. La Franc-maçonnerie démasquée de l'abbé de Bessonies (1859‑1913) livrait à la vindicte publique des listes nominatives de maçons et Taxil lançait la série de publications décrivant le diable jouant du piano dans les « arrière-loges ».

Cependant la tentative de réunir à Trente un concile « antisecte » fit long feu et le discrédit retomba sur les catholiques après que Taxil eut reconnu publiquement en 1897, la supercherie de la Grande Maîtresse luciférienne Diana Vaughan. Le Code de droit canon de 1917 reprit les interdictions antérieures, comme la Revue internationale des sociétés secrètes de Mgr Jouin (1844‑1932), entre les deux guerres, fit la transition avec l’antimaçonnisme politique du régime de Vichy.

La méfiance domine en terre d'Islam envers la maçonnerie, image de la modernité occidentale.

C'est par les escales, « les échelles du Levant », que la maçonnerie a pénétré la Méditerranée orientale avec les marchands venus de Marseille ou d'Angleterre, comme au Moyen-âge ; elle accompagna l'expansion commerciale européenne dans l'Empire ottoman arabe, en Grèce, à Istanbul même dès le XVIIème siècle. L'expédition de Bonaparte en Égypte, la conquête de l'Algérie par la France s'accompagnèrent de fondations de loges fréquentées par la bourgeoisie locale à côté des étrangers et des Juifs. L'émir Abd el-Kader, éminente recrue qui avait conçu une correspondance entre soufisme et maçonnerie, fut déçu par l'absence de préoccupations mystiques d'une institution généralement identifiée à une nouvelle forme de croisade. Cependant en Turquie, des milieux soufis, la confrérie des Bektachi en particulier, se firent les artisans de la révolution moderne.

L'antimaçonnisme se trouva donc lié à des enjeux de société : attitude à l'égard des Juifs, anti-sionisme, adaptation de l'islam au monde contemporain... L'intégrisme égyptien soupçonne tout « libéralisme » d'infiltration maçonnique. En Iran l'assimilation de la maçonnerie à la structure des confréries accentua l'inquiétude d'un rattachement à une organisation dont la tête était à l'étranger.

Sur l'autre rive de l'Atlantique, une certaine méfiance de l'opinion publique ne se démentit également jamais, bien qu'aucune menace d'interdiction d'inspiration politique totalitaire ni de système de religion unique n'ait existé. Elle est intégrée au fonctionnement « normal » de la société. Dès 1825 l'Ordre fut accusé de meurtre avec l'affaire Morgan, un maçon rejeté des hauts grades, qui publia une divulgation (bien anodine) puis disparut sans laisser de traces ; l'affaire fut l'occasion d'une exploitation politique. Dans les années 1840 John Smith développa sa nouvelle Église de Mormon dans Illinois, dans le cadre de loges maçonniques. Le Grand Maître de cet État ayant coupé court à l'entreprise, la brouille fut irréversible, les Mormons pensèrent que la maçonnerie avait trempé dans l'assassinat du prophète Smith et inspirait les persécutions contre la véritable Église de Jésus-Christ. L'incompatibilité entre le christianisme et la maçonnerie fut affirmée par certains milieux religieux protestants, tout autant que les Églises orthodoxes.

Le concile Vatican II a mis fin à la diabolisation de la maçonnerie, mais le nouveau Code de droit canon a maintenu l'interdiction de la double appartenance, laquelle est assimilée à une faute grave.

Dans des pays traditionnellement favorables à la maçonnerie, la Grande-Bretagne, par exemple, on voit se développer une méfiance nouvelle et l'obligation de déclarer son appartenance. En sens inverse, l'assimilation toujours possible avec les sectes a fait que certaines personnalités maçonniques se sont engagées en France dans la lutte contre les sectes, de façon à montrer clairement les frontières. Cependant, la situation n'est pas sans danger, puisqu'elle est liée à la réversibilité des arguments et à la rapidité incontrôlable des réactions de masse dans les systèmes de communication médiatiques contemporains.

II. Mgr de Ségur, chantre de l'antimaçonnisme (Paris, 1820‑7897)

Louis Gaston de Ségur venait d'une illustre famille de militaires et diplomates, ainsi Louis Philippe de Ségur (1753‑1830) que l'on trouve aux côtés de La Fayette pendant la guerre d'Indépendance américaine, puis à l'ambassade de Saint-Pétersbourg et qui fut élevé en 1822 à la tête du Suprême Conseil du Rite Écossais... Un fils rallié de façon spectaculaire aux Bonaparte fit carrière sous l'Empire, et son neveu, Eugène, le père de Louis Gaston, épousa Sophie Rostopchine, la fille du fameux gouverneur incendiaire de Moscou qui appartenait au cercle restreint mais très actif des Russes catholiques. À Paris, Sophie fréquenta le salon de Mme Swetchine (1782‑1857), amie du père Lacordaire, puis se confina dans la solitude normande où l'inconstance de son mari l'avait poussée. Ultramontaine, elle partagea son temps entre l'écriture et l'éducation des enfants.

Une vocation réelle mène Louis Gaston au séminaire de Saint Sulpice et Mgr Affre, archevêque de Paris, l'ordonne prêtre en 1847. Aveugle en 1855, il consacre sa vie militante à l'action sociale, l'apostolat ouvrier tout particulièrement, et à la lutte contre la secte qu'il fallait abattre pour en finir avec la Révolution française et les erreurs de la modernité que l'Église condamnait sans relâche : le Syllabus date de 1864.

Œuvre de combat, Les Francs Maçons, de Mgr de Ségur, parut en 1867 chez Tolra, à Paris. C'est un petit volume d'une centaine de pages, sans recherches historiques, ni théologiques, et qui est bien loin de l'érudition de Barruel. Cependant son succès fut considérable : 120 000 exemplaires furent vendus en 5 ans et l'on en était, 20 ans plus tard, à la 62e réimpression. Mgr de Ségur n'y avait pas changé une virgule même après la publication de l'encyclique Humanum genus de Léon XIII en 1884 et l'abandon, en 1877, de la référence obligatoire au Grand Architecte de l'Univers par le Grand Orient de France. Ces événements étaient la confirmation pure et simple du complot que le souverain pontife dénonçait en invitant à la lutte ; pour sa part, Mgr de Ségur n'avait pas attendu cette confirmation officielle pour « arracher à la franc-maçonnerie son masque », selon les termes de l'encyclique.

L'épine dorsale de l'argumentation réside dans la distinction fondamentale entre la maçonnerie apparente, conviviale et bon enfant, et les arrière-loges où les véritables maîtres de l'Ordre, directement inspirés par le principe du mal, différents des Grands Maîtres et autres hauts grades dont on affubla les princes au XVIIIème siècle, donnent impulsion et direction aux activités des loges. Le nombre d'adeptes (1 600 000 pour la France et 8 millions pour le monde), démesurément grossi, était destiné à illustrer la gravité du péril social et cette masse manipulée apparaît comme nécessairement inconsciente. Les descriptions d'initiation, épreuves et rituels, ainsi que celle de la structure institutionnelle étaient reprises de manuels maçonniques largement diffusés dans le public ; L'Histoire pittoresque de la Franc-maçonnerie de F. T. B. Clavel (1789‑1852), publiée en 1843, constituant sa source principale.

Les interprétations certes diffèrent : Ségur reprend de Barruel et de l'antimaçonnisme du XVIIIeme siècle l'assimilation de la maçonnerie hermétique et kabbalistique à la façon de Martines de Pasqually et de Willermoz à celle des matérialistes et rationalistes comme les « Illuminaten ». Tous sont unis par un ultime secret qui est la haine de Jésus-Christ tel est le sens du grade impie de Rose-Croix et la finalité du terrible serment dont Barrué avait prétendu avoir été dispensé lors de son initiation. II étend son assimilation aux carbonariitaliens et à la Charbonnerie française qui luttaient ici contre la Restauration et là contre le pouvoir temporel des papes et pour l'unité italienne. Mazzini, Garibaldi étaient tous maçons et l'un des chefs de la grande conspiration contre l'autel et le trône avait pu être identifié par la police romaine dans un Juif italien répondant au pseudonyme de Piccolo Tigre (Petit Tigre). Le réseau de la subversion étendait dorénavant son action à l'éducation des enfants, des jeunes filles et vers les femmes. La Ligue de l'Enseignement de Jean Macé, « figure impie » servant de masque à la maçonnerie, en était l'exemple le plus voyant. La lutte contre ce fléau social était donc le premier devoir d'un chrétien. Des dignitaires de l'Ordre, tel Jules Osselin, répondirent sur le même ton, énumérant les crimes de l'Église, de l'Inquisition à la Saint-Barthélemy. La polémique s'adressait désormais au grand public, évitant par exemple l'argument de la déchristianisation des rituels qui supposait leur caractère chrétien antérieur et les auteurs trop intellectuels comme le publiciste catholique Crétineau‑Joly (1803‑1875) dans L'Eglise romaine en face de la Révolution (Paris, Pion, 1859) ; elle glissa vers le terrain de la dénonciation pure et simple avec La Franc-maçonnerie démasquée de l'abbé de Bessonies (18591913) ou les diableries provocatrices de Léo Taxil. Le pamphlet de Ségur fait le lien entre l'antimaçonnisme du XVIIIème siècle et les grandes manipulations d'opinion publique du monde actuel, il est contemporain d'un autre livre à succès : Le Juif, le judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens de Henri Gougenot des Rousseaux (1804‑1876). Ainsi se trouvaient mis en place, à fa fin du Second Empire, les principaux thèmes des débats d'opinion jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.

III. L'antimaçonnisme en Grande-Bretagne

En Grande-Bretagne, les premières attaques apparaissent dans les années 1730 elles sont surtout destinées à satisfaire les curieux en leur livrant les prétendus secrets des loges. Les auteurs des « exposures », ces manuels qui révèlent le rituel des loges, ont essentiellement des motivations d'ordre lucratif. Samuel Pritchard vend très bien son Masonry Dissected (1730), en Angleterre, puis en France, où il est traduit. Ce succès commercial s'explique par la précision des révélations ; comme le rituel n'était jamais consigné par écrit, les maçons eux-mêmes achetaient d'ailleurs parfois ces opuscules afin de s'en servir comme aide-mémoire. Ils sont très précieux pour qui veut comparer les renseignements fournis par Pritchard et ceux qui sont donnés par les auteurs anonymes de The Grand Mystery of Freemasons (1724) ou The Mystery of Freemasonry (1730). Ces révélations n'ont donc pas véritablement un caractère antimaçonnique.

En revanche, un certain nombre d'auteurs se placent sur un plan moral et religieux. Ils reprochent aux maçons de se réunir en cercles fermés, à l'abri du regard des femmes, et de prêter des serments redoutables. En 1723, The Fremasons : an Hudibrastick Poem met en scène un ancien franc-maçon délivré de son serment par un prêtre catholique, qui se répand en propos antimaçonniques mais aussi antisémites. Si la bulle papale de 1738 n'intimida nullement les maçons britanniques, elle poussa sans doute un certain nombre de catholiques à parodier la Grande Loge d'Angleterre ou bien à écrire des pamphlets antimaçonniques. L'affaire Coustos permit à la Grande Loge d'Angleterre d'allumer un contre-feu et de montrer les horreurs commises par l'Inquisition portugaise. Dans son récit autobiographique, publié en 1746 et réédité à plusieurs reprises, John Coustos décrit avec force détails les tortures qui lui ont été infligées par l'Inquisition en 1742 pour avoir fondé une loge maçonnique à Lisbonne. II faudra attendre la fin du siècle pour que les catholiques renouvellent leurs attaques contre la franc-maçonnerie. John Robinson tente d'accuser les francs-maçons de complot révolutionnaire. Certes, dans Proofs of a Conspiracy (1797), ce professeur d'histoire naturelle à l'université d'Édimbourg et secrétaire de la Royal Society vise essentiellement les francs-maçons français. Comme Barruel, il s'évertue à montrer que les Illuminaten (Bavière) ont influencé les loges françaises, les incitant à comploter contre l'État et leur soufflant ainsi l'idée de la Révolution française. Si l'abbé Barruel épargne d'emblée les maçons anglais, peut-être en raison de son estime pour Edmund Burke, John Robison ne prend pas cette précaution.
Les francs-maçons britanniques sont d'autant plus vexés qu'ils accumulent alors les messages de soutien à la monarchie. Robinson fut contraint d'innocenter la franc-maçonnerie britannique dans la deuxième édition de son ouvrage mais le mal était déjà fait, ce qui explique que le comte de Moira, Grand Maître Adjoint, sortit de sa réserve pour mettre les choses au point dans une déclaration en tenue de Grande Loge, le 3 juin 1800. Il affirma que les loges britanniques n'avaient jamais fomenté le moindre complot et avaient toujours fait preuve d'une loyauté exemplaire envers les institutions du royaume : personne ne songea à contredire le comte sur ce point.

Au cours du XIXe siècle, rien ne vint troubler la quiétude de la Grande Loge Unie d'Angleterre et il faut réellement attendre le XXe siècle pour percevoir une nouvelle vague d'antimaçonnisme. Stephen Knight publie un ouvrage particulièrement fantaisiste, The Brotherhood, en 1984. Cinq ans plus tard, un journaliste de Channel 4, Martin Short, publie Inside the Brotherhood. Ces ouvrages sont des best-sellers, mais ils ne parviennent pas à entamer la crédibilité de la Grande Loge Unie d'Angleterre. Récemment, cette dernière a cependant dû faire face à des accusations plus graves, car plus difficiles à réfuter. Son caractère traditionnellement très conservateur a en effet rendu la franc-maçonnerie anglaise suspecte aux yeux des travaillistes. À la suite d'une commission d'enquête parlementaire, la Grande Loge Unie d'Angleterre s'est vue contrainte de transmettre la liste de quelques maçons haut placés dans la police et la justice et soupçonnés d'avoir indûment protégé quelques collègues et frères.

Annexe 3

Église[s]

L'Église catholique romaine a condamné dès 1738 la franc-maçonnerie et menacé d'excommunication le catholique qui s'y engageait ; la première bulle qui condamne la franc-maçonnerie est la constitution apostolique In Eminenti, du 28 avril 1738, promulguée par le pape Clément XII (Laurent Corsini) le 4 mai courant.

In Eminenti : elle a pour titre exact Condamnation de la société ou des conventicules vulgairement appelés a Liberi Muratori ou Francs Massons, sous peine d'excommunication encourue parle fait même, dont l'absolution sauf à l'article de la mort, est réservée au Souverain Pontife. Le texte rappelle que cette condamnation s'inscrit dans un mouvement plus général d'interdiction de la maçonnerie : « Car s'ils [les maçons] ne faisaient point le mal, ils ne haïraient pas ainsi la lumière, et ce soupçon s'est tellement accru que, dans plusieurs États, ces dites sociétés ont été depuis longtemps proscrites et bannies comme contraires à la sûreté des royaumes ».

Cette phrase expose le motif politique de la condamnation. Le pape, comme chef d'État, ne veut tolérer une association qu'il ne peut contrôler. Clément XII ne pouvait ignorer l'érection à Florence d'une loge anglaise, le relatif succès de l'institution dans la capitale toscane et l'attitude souvent anticléricale du frère Tomaso Crudelli (1703‑1745) ; il craignait en outre de voir s'affadir la foi des maçons catholiques.

Mais l'un des autres motifs de la condamnation est l'hérésie, même si aucune hérésie n'est explicitement formulée dans le texte. Il est vrai qu'aucun texte ne formule ou n'adhère explicitement à une doctrine contraire à la « sainte foi » pas même les Constitutions d'Anderson qui ne furent jamais mises à l'index par le Saint-Office. L'accusation d'hérésie est implicite car, d'une part, la loge réunit des hommes de toute religion et de toute secte et, d'autre part, les maçons prêtent un serment secret sur la Bible. Ainsi le secret apparaît comme un autre motif de condamnation : « Nous avons appris par la renommée publique qu'il se répand au loin, chaque jour avec de nouveaux progrès, certaines sociétés, assemblées, réunions, agrégations ou conventicules nommés de francs-maçons ou sous une autre dénomination selon la variété des langues, dans lesquels des hommes de toute religion et de toute secte, affectant une apparence d'honnêteté naturelle se lient entre eux par un pacte aussi étroit qu'impénétrable, d'après des lois et des statuts qu'ils se sont faits, et s'engagent par un serment prêté sur la Bible, et sous les peines les plus graves, à cacher par un silence inviolable tout ce qu'ils font dans l'obscurité du secret ».

Qui plus est, ce secret indéfectible échappe du confesseur. Le texte condamne aussi l'immoralité : « ...les sociétés, ou conventicules susdits, ont fait naître de si forts soupçons dans les esprits des fidèles, que s'enrôler dans ces sociétés, c'est, près des personnes de probité et de prudence s'entacher de la marque de perversion et de méchanceté.

Enfin, arrive le fameux motif secret : Réfléchissant donc sur les grands maux qui résultent ordinairement de ces sortes de sociétés ou conventicules, non seulement pour la tranquillité des Etats temporels, mais encore pour le salut des âmes, et que par là elles ne peuvent nullement s'accorder avec des lois civiles et canoniques ; et comme les oracles divins nous font un devoir de veiller nuit et jour en fidèle et prudent serviteur de la famille du Seigneur, pour que ce genre d'hommes, tels que des voleurs n'enfoncent la maison, et tels que des renards ne travaillent à détruire la vigne, ne pervertissent le cœur des simples et ne les percent dans le secret de leurs dards envenimés; pour fermer la voie très large qui de là pourrait s'ouvrir aux iniquités qui se commettraient impunément et pour d'autres causes justes et raisonnables à nous connues [...]. Nous avons conclu et décrété de condamner et d'interdire ces dites sociétés, assemblées, réunions, agrégations ou conventicules appelés de francs-maçons... On a beaucoup glosé sur les desseins du pape. Presque toujours sont avancées des raisons politiques, notamment la défense des Stuart qui venaient de perdre le trône d'Angleterre au profit des Hanovre, mais la formule en question n'est qu'une expression protocolaire de l'époque. Quoi qu'il en soit, In Eminenti a été fulminée principalement pour des motivations politiques générales.

La condamnation papale est assez vite connue, et reproduite ou signalée dans divers journaux en mai juin 1738. Le texte est sans effet en pays protestant et, en terre catholique, son accueil n'est pas toujours enthousiaste.

En France Fleury se garde bien de soumettre la bulle à la formalité de l'enregistrement par le Parlement de Paris. Lex non promulgata non obligat. Le texte est donc inapplicable dans le royaume. Le pouvoir a assez de difficultés avec la bulle Unigenitus envers les jansénistes sans se mettre les francs-maçons sur les bras. La réponse du 10 juin 1738 du secrétaire d'État aux Affaires étrangères, Amelot, au duc de Saint-Aignan, ambassadeur du roi à Rome, peut constituer une sorte de doctrine officielle française sur le sujet : La Cour de Rome applique si souvent cette peine [l'excommunication] qu'elle est aujourd'hui peu capable de retenir. Cette société avait aussi commencé à faire ici quelques progrès, le Roy a témoigné qu'elle lui déplaisait, et elle a cessé ».

Le ministre est optimiste sur l'effet répressif de la volonté royale. Malgré de nouvelles mesures prises par les autorités civiles entre 1740 et 1742, elle n'entrave pas l'essor de la sociabilité maçonnique, d'autant que Versailles ne tient nul compte de la condamnation papale. Sous l'Ancien Régime, les catholiques et un nombre certain de clercs romains (environ 4% des frères) se font recevoir en loge en toute sûreté civile et bonne conscience morale. II en est de même dans plusieurs États catholiques, notamment l'Autriche et les États de Savoie.

Bien que le Code de droit canonique promulgué en 1983 ne reprenne pas les violentes condamnations du Code de 1917, la Congrégation pour la doctrine de la foi persiste à considérer le catholique franc-maçon en état de péché grave : les pratiques maçonniques demeurent ancrées dans le relativisme né des Lumières, et par conséquent s'opposent au dogme enseigné par l'Église. Pour le magistère catholique, la franc-maçonnerie reste un danger pour le salut des âmes.

Lors des débats préparatoires à la rédaction définitive du Code, la question est posée, en 1980, au Conseil pontifical de rédaction et d'interprétation des textes législatifs de l'Église de Rome par les représentants de la conférence épiscopale allemande : « Faut-il conserver intact le canon 2335 du Code de 1917, qui prévoit expressément la peine de l'excommunication pour les membres de la secte maçonnique ? »

Rappelons les termes du canon 2335 « Ceux qui donnent leur nom à une secte maçonnique ou à d'autres associations du même genre qui complotent contre l'Église et les pouvoirs civils légitimes, contractent par le fait même une excommunication simplement réservée au Siège apostolique ». Confrontés à l'enjeu doctrinal en présence, les tenants d'une perception relativiste de la franc-maçonnerie affrontent les adeptes de la reconnaissance de l'altérité du catholique franc-maçon. Cette pratique pastorale, issue de l'ecclésiologie conciliaire de Vatican II (décret Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme, promulgué le 21 novembre 1964), consiste à ne pas priver des sacrements les catholiques dits « frères séparés » ; leur état de baptisé les rend, de droit, membres du Peuple de Dieu, et aptes à recevoir les moyens de salut attachés à ce statut. Nous avons retenu les interventions caractéristiques des enjeux doctrinal et ecclésiologique en présence.

S'appuyant sur les résultats des réunions menées de 1974 à 1980 par leurs représentants avec des dirigeants d'une obédience majeure en Allemagne, les évêques de la conférence épiscopale allemande déclarent que les fondements de la franc-maçonnerie contemporaine restent contraires au fondement de la vie chrétienne. II en résulte que l'Église a le devoir d'indiquer aux fidèles le danger encouru par la foi ; ce devoir implique de désigner par leur nom de telles associations. Par ailleurs, affirment-ils, le retrait de la mention de la maçonnerie du canon 2335 dans le nouveau Code rendrait difficile une réinsertion, alors que le maintien assurerait après sa promulgation son irréversibilité. L'appartenance à la maçonnerie reste incompatible avec celle à l'Église catholique romaine. En outre, l'idée de tolérance pratiquée par la maçonnerie s'exerce à l'égard des idées alors que l'Église recommande au catholique de l'exercer à l'égard des hommes. S'appuyant sur la volonté déclarée dès 1967 par les juristes romains de réduire les peines latae seatentiae comme le laissaient voir les schémas de 1973 et ceux du Code en préparation qui ne citaient plus la maçonnerie ni ne l'excluaient, rappelant le constat d'une sensible réduction du nombre des peines latae sententiae, l'expert désigné par la commission, le cardinal et professeur en droit canonique S. Gomez, o. p., insiste sur la nécessité de rendre cohérentes les positions juridique et pénale de l'Église à l'égard de la maçonnerie. Il souligne l'obligation que doit assumer le législateur, lorsqu'il s'agit de latae senteatiae, de déterminer précisément l'objet du délit afin que le coupable prenne avec certitude conscience du caractère délictueux de l'acte. Or, la variabilité du degré d'engagement du catholique dans la maçonnerie ne le permet pas. Pour lui, la formulation du canon 2335 ne produit pas la clarté nécessaire. Il rappelle que le législateur prévoit de laisser la responsabilité aux conférences épiscopales de légiférer latae senteatiae, si elles le jugent nécessaire. Il en conclut que si, en Allemagne, des raisons particulières imposent d'infliger des peines d'excommunication latae sententioe à des catholiques membres de la franc-maçonnerie, la conférence épiscopale nationale le peut. Cependant, la particularité de cette situation ne rend pas nécessaire d'étendre cette mesure à l'Église universelle.

Lors des deuxième et troisième sessions, le cardinal Seper, alors responsable de la Congrégation pour la doctrine de la foi, souhaite, sur la base des dommages graves produits par la maçonnerie au cours de la sécularisation, que soit laissée la mention de « secte maçonnique », mais éliminé le terme « machination ». Le cardinal Ratzinger, quant à fui, soutient la demande de la conférence des évêques allemands. Il indique que les conclusions tirées des enquêtes qui ont eu lieu, de 1974 à 1980, auprès des autorités maçonniques allemandes ne sont en aucun cas particulières à la situation de l'Allemagne. Les conclusions, émanant d'autres conférences épiscopales, différentes de celles des évêques allemands, sont, dit-il, mal informées : le relativisme est le noyau de toute notre crise de la modernité et de celle de l'Église catholique. Dans cette affinité entre les principes maçonniques et les éléments de cette conscience moderne qui essaie de détruire la foi, il voit dans la « secte maçonnique » le danger extraordinaire et incomparable à tous les autres, qui rend absolument nécessaire de la mentionner dans le canon. Il présente le système symbolique maçonnique comme opposé à la vérité de la foi catholique, et dénonce le secret maçonnique, en particulier celui qui entoure les trente degrés consécutifs aux trois premiers. Enfin, s'en prenant aux conclusions de l'expert, le cardinal Gomez, il qualifie son jugement de superficiel. Favorable à la nouvelle formulation du canon qui ne fait plus allusion à la franc-maçonnerie, le cardinal Henriquez souligne la diversité des comportements maçonniques observés dans le monde catholique.

Il serait dangereux et inutile de rallumer un conflit qui a pris fin et risquer de susciter d'inutiles inimitiés. L'excommunication actuelle est inutile, car elle n'empêche pas les très nombreuses adhésions de catholiques à la franc-maçonnerie. Le cardinal Castillo Lara fait siens les avis exprimés par le cardinal Henriquez. De plus, il souligne un point capital en droit pénal canonique : on ne peut prendre le risque qu'une exploitation publique soit faite du sujet qui a été visé parla peine. C'est-à-dire que l'on ne peut admettre le caractère exemplaire de la peine, ni employer celle-ci dans un esprit pastoral : la personne serait alors considérée comme un objet. La quatrième session est réservée aux votations : 58 sont favorables, 34 opposées à la formulation du canon 1374, telle que le Code de droit canonique le promulguera. Il ne sera plus fait mention de la franc-maçonnerie. La position tenue parle cardinal Henriquez, ancrée dans l'expérience vécue au Venezuela, au centre d'une collaboration pastorale avec des catholiques francs-maçons, a apporté à l'argumentation fondée en expertise du cardinal Gomez-à savoir qu'une Église particulière doit avoir la possibilité de légiférer à la suite d'une situation dont la gravité le justifierait-l'appui d'une pratique ecclésiologique réussie.

Toutefois, si le terme « franc-maçonnerie » est absent du Code de droit canonique promulgué en 1983, le Canon 1374 concerne, de façon implicite, les relations du fidèle catholique avec l'association qu'elle représente: « Qui s'inscrit à une association qui conspire contre l'Église sera puni d'une juste peine ; mais celui qui y joue un rôle actif ou qui la dirige sera puni d'interdit ». Si la nature de la peine n'est pas précisée, l'obligation existe de punir celui qui conspire contre l'Église. Et l'interdit sanctionne celui qui y joue un rôle actif. Ce n'est plus la problématique canonique de l'excommunication. Cependant, peu après la promulgation du Code de droit canonique, la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi émet une tout autre interprétation du canon 1374 : « Le jugement négatif de l'Église sur les associations maçonniques demeure inchangé parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l'Église et l'inscription à ces associations reste interdite ».

De plus, il est rappelé que les autorités ecclésiastiques locales n'ont pas compétence pour se prononcer sur la nature des associations maçonniques par un jugement qui impliquerait une dérogation à ce qui a été affirmé dans la déclaration de la Sacrée Congrégation. Clairement, cette position, strictement de nature dogmatique, vise à rendre nuls les avis, notamment celui du cardinal Gomez, qui ont conduit à l'adoption du texte du canon 1374. L'article paru dans L'Osservatore Romano, « Réflexions un an après la déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Inconciliabilité entre foi chrétienne et maçonnerie », reprend pour la commenter la déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi. La tradition de la création inachevée enseigne que les hommes sont les collaborateurs de Dieu. Le pouvoir autocréateur, que le franc-maçon croit réel et actif, est étranger à une conception chrétienne.

Une sémantique juridique nouvelle assure désormais aux relations du magistère catholique à l'égard de l'idée maçonnique le caractère d'ouverture que recommande l'ecclésiologie conciliaire de Vatican Il. La violente attitude d'exclusion a évolué vers l'adoption d'un comportement de communication fondé dans la catégorie sociologique de l'altérité. La reconnaissance de l'existence de l'autre peut être lue, par exemple, dans la sollicitation de la dénomination proprement maçonnique : utilisation du terme de loge; dans la nécessité, aussi, de connaître ses modalités d'existence en créant des groupes mixtes de travail (par exemple, en France, le Service Incroyance et Foi du père Tripier). La typologie des termes servant à définir le concept de l'ensemble maçonnique a suivi cette évolution. Le terme « secte » utilisé dans le Code de 1917, et dans le Dictionnaire de droit canonique de Naz, est devenu « association » dans le Code de 1983, puis « loges » dans le document publié par L'Osservatore Romano. Cependant, l'opposition du magistère catholique romain au prolongement philosophique et social de la modernité, que représente dans la diversité de ses obédiences la franc-maçonnerie, persiste de nos jours encore. En 1997, le cardinal Ratzinger a exposé quels dangers continue de faire courir au dogme de l'Église un vaste mouvement né des Lumières. Pour lui, la franc-maçonnerie, racine du relativisme, adhère pleinement à ce vaste mouvement qui considère l'Église comme une institution désuète.

Le maintien du catholique franc-maçon en état de péché grave pose la question de la validité des sacrements qu'il est en droit, et surtout en conscience, de solliciter et de recevoir. Rendant illisibles les lois canoniques en vigueur depuis 1983, les positions du magistère obscurcissent la possibilité qu'ont les Églises particulières, locales, de dire le droit avec toute la sérénité qu'impose la pratique de l'équité juridique.

RIQUET, Michel (Paris, 1898‑1993)

Michel Riquet est une figure majeure du dialogue entre l'Église catholique romaine et la franc-maçonnerie au XXe siècle. Pourtant, rien ne l'y prédisposait. Il grandit dans un milieu catholique, marqué par l'Action Française (son parrain est Louis Dimier) pour lequel la franc-maçonnerie est une société subversive dirigée contre (Église. Toutefois, son passage au petit séminaire de Versailles, dont l'évêque est Mgr Gibier, l'amène à des positions plus libérales. C'est là aussi qu'il rencontre Jacques Maritain auquel le lie vite une amitié indéfectible. En 1916, il entre dans la Compagnie de Jésus. En 1918, il reprend son noviciat interrompu par la guerre. Pendant ses premières années d'études, il élabore une théorie du droit de résistance aux lois injustes (Sa Majesté la Loi, 1925). Il collabore ensuite aux revues jésuites Études et L'Action populaire (cette dernière créée dans le sillage de l'encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII). Il prend fermement position contre l’Action Française dans la querelle qui oppose celle-ci au Saint-Siège, et incite Jacques Maritain à faire de même. Ordonné prêtre en 1928, il anime la Conférence Laennec à partir de 1930 et en devient le directeur en 1936. C'est alors la première rencontre de Michel Riquet avec la franc-maçonnerie il entretient, de 1936 à la guerre, des liens avec des francs-maçons des cabinets de Henry Sellier et Marc Rucart, ministres de la Santé publique et des Assurances sociales. En 1939, il fonde le Secours catholique. Dès septembre 1940, il rejoint la Résistance où il renoue des relations avec la franc-maçonnerie. Arrêté le 17 janvier 1944, déporté puis libéré le 29 avril 1945, il s'oppose à une épuration sans discernement des milieux ecclésiastiques. II collabore régulièrement au Figaro et à la Revue des Deux Mondes. De 1952 à 1967, il est aumônier national de la Société médicale Saint-Luc, Saint-Côme et Saint-Damien. Il est encore vice-président de l'Association française des amis des Nations unies, de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, de la Ligue contre le racisme (à laquelle il avait adhéré dès 1938), aumônier des écrivains catholiques, cofondateur et animateur de la Fraternité d'Abraham (qui entend travailler à la réconciliation des trois monothéismes abrahamiques)...

Farouche partisan de l'État d'Israël, il s'intéresse activement aux problèmes du Moyen-Orient, allant jusqu'à former un projet d'Etats-Unis du Levant. Durant toutes ces années, les relations tissées pendant la guerre se conjuguent avec la rencontre du père Joseph Berteloot (1881‑1955), autre jésuite artisan du dialogue avec la franc-maçonnerie, pour lui faire reconsidérer son hostilité originelle à l'égard de la franc-maçonnerie. L'amitié du commandant Gamas, ancien déporté, membre du Suprême Conseil du Rite Écossais et catholique fervent, contribue aussi à rapprocher Michel Riquet de la maçonnerie.

Le 18 mars 1961, avec l'accord de ses supérieurs de la Compagnie et de l'évêque du lieu, Mgr Rousseau, et accompagné d'Alec Mellor, il donne une conférence sur l'athéisme à la loge Volney de Laval, loge du Grand Orient de France présidée par Marius Lepage. Cette conférence provoque des remous au Grand Orient de France, des membres de cette obédience y voyant une tentative de récupération de la franc-maçonnerie par l'Église catholique. Marius Lepage est suspendu par le Conseil de l'ordre qui lui reproche de ne pas avoir respecté les règles de la tenue blanche fermée en autorisant la présence de deux profanes (A. Mellor n'était pas encore maçon). Lepage s'agrège à la Grande Loge Nationale Française. A partir de ce moment, M. Riquet entretient des relations quasi exclusives avec cette dernière obédience.

Dans la ligne de J. Berteloot, M. Riquet distingue un courant maçonnique anticlérical et politique d'un courant maçonnique religieux et apolitique qu'il juge seul authentique et digne d'intérêt. Il s'appuie sur les travaux d'Alec Mellor pour montrer que la franc-maçonnerie libérale est une déviation de cette maçonnerie moderne qu'Anderson et Desaguliers avaient établie dans la continuité directe des corporations chrétiennes de bâtisseurs et dans la fidélité à leurs landmarks. M. Riquet ne craint pas de se référer à Barruel auquel il consacre notamment un ouvrage (Augustin de Barruel : un jésuite face aux jacobins francs-maçons, 1989 ‑ il pense d'abord intituler ce livre « Le Père Barruel et le complot maçonnique »). Dans cette perspective, les francs-maçons irréguliers d'aujourd'hui sont les héritiers plus ou moins directs des Illuminaten et méritent assez largement les condamnations romaines. En revanche, les francs-maçons réguliers, croyants et apolitiques, ne devraient pas subir les foudres des excommunications pontificales. En effet, loin d'éloigner du Christ et de l'Église, ce type de maçonnerie s'en rapproche par ses rituels et sa fraternité. C'est la thèse qu'il expose avec Jean Baylot, de la Grande Loge Nationale Française, dans Les Francs-Maçons : dialogue entre Michel Riquet et Jean Baylot (1968).

Concrètement, M. Riquet met en œuvre cette appréciation positive de la franc-maçonnerie régulière en intervenant auprès de Mgr Etchegaray, alors secrétaire de la Conférence des évêques de France, puis en servant d'intermédiaire entre la Grande Loge Nationale Française et le Saint-Siège. Finalement, en 1970 officieusement et en 1972 officiellement, il obtient de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, alors présidée par le cardinal Seper, qu'elle avalise l'interprétation restrictive du canon 2335 du Code de droit canonique de 1917 : seuls sont excommuniés les membres de loges maçonniques qui complotent contre l'Église et les pouvoirs civils légitimes. Plus encore, lorsque la nouvelle rédaction du Code de droit canonique (1983) supprime toute référence à la franc-maçonnerie, M. Riquet y voit un aboutissement de son travail. Lorsque, le 26 novembre 1983, la même Congrégation déclare que (appartenance d'un catholique à la franc-maçonnerie demeure toujours interdite, il s'en désole, s'en inquiète et écrit à Rome, mais considère que cette déclaration ne concerne pas les maçons de la Grande Loge Nationale Française, l'appartenance de catholiques à cette obédience ayant été autorisée auparavant.

Les distinctions de Riquet entre maçonnerie régulière et maçonnerie irrégulière posent, en fonction de l'orthodoxie catholique, des normes d'orthodoxie maçonnique (l'obligation de la croyance en un Dieu personnel). Ceci est contesté tant par des maçons libéraux (Marcel Ravel et Jacques Mitterrand lors du Convent de 1962 du Grand Orient de France) que par des commentateurs catholiques (Jean-Pierre Manigne dans les Informations catholiques internationales, n° 490, 1961). Les uns comme les autres lui reprochent de prendre parti dans des querelles intra-maçonniques. On ne peut toutefois nier que M. Riquet a contribué à rapprocher catholiques et francs‑maçons. Il meurt à Paris le 5 mars 1993, quelques mois avant de fêter ses 95 ans.


7491-2 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \