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    Saint Colomban et le monachisme du 7éme siècle

Sous ce titre nous souhaitons nous attacher, à travers l’évocation d’un grand saint, à une étude sommaire des particularités du Christianisme Celte d’Irlande et aux conséquences de sa diffusion en Gaule et l’Europe du nord.

A cette fin nous traiterons les points suivants :
1- L’église d’Irlande :
    son substrat celte
    sa fondation et ses particularités
2- Saint Colomban la vie et la légende
3- Le monachisme irlandais et colombanien
4- Les apports dans le monachisme, l’église et la société européenne.
5- une brève conclusion nous permettra de voir ce que nous pouvons déduire de cet exemple pour aujourd’hui

1 L’église d’Irlande

Son substrat celte :
L’Irlande est une île, je ne vous apprends rien je pense ? Ce pays de légende est même « Ultima Thulé » la dernière terre habitée au large de l’Europe. Et son paysage ne ressemble à nul autre. Elle fut peuplée au premier siècle avant notre ère par les Gaëls, Celtes qui prirent le dessus sur un peuple lui même venu de l’orient, le peuple adorant la grande Déesse Mère Danann, les « Tuatha de Danann ». Cette déesse  intégrera d’ailleurs le panthéon celte. En dehors de l’archéologie nous avons le témoignage des navigateurs grecs ayant fréquenté ses côtes en ces temps pré-chrétiens concernant ces peuples.

L’Irlande restera isolée du continent européen pendant les quatre siècles où celui-ci connaîtra sa transformation la plus importante. Elle offre ainsi la particularité d’être restée totalement en dehors de l’empire romain.
Cette différence est importante car si la Gaule des 5ème et 6ème siècles est manifestement romanisée, tant dans ses structures civiles, religieuses que culturelles, « l’île verte » reste celte.
Or il n’est rien de plus opposé que ces deux cultures: l’une, la romaine, est « carrée », les habitations sont rectangulaires, l’architecture adopte des formes précises aux angles droits. Les dieux sont hiérarchisés, l’état et la société sont centralisés. Elle fonde des villes. La famille est de type patriarcal. Les hommes sont rasés et portent les cheveux courts. La monnaie y joue un rôle important.

L’autre est celte, c’est à dire ronde, chevelue et barbue. Les Celtes ont une vision circulaire du monde ; le temps est cyclique ; les maisons, les champs et les hameaux sont ronds. Le territoire n’a pas de limites précises (ce qui priverait les Celtes de leur sport favori : la guerre). L’état n’existe pas ; il y a plutôt une sorte de fédération de tribus en petits royaumes, eux-mêmes placés sous l’autorité symbolique et sans cesse contestée d’un grand roi. Celui du royaume du milieu. La femme joue un rôle de premier plan dans cette société ; elle combat avec et parfois devant les hommes ; c’est à elle qu’appartient la terre et la maison, elle peut choisir son époux, (le mariage est généralement à durée limitée). Le roi lui-même ne doit son titre qu’au fait qu’il est le mari de la reine. On y refuse l’usage de la monnaie et l’on méprise les villes. L’organisation sociale est basée sur la famille étendue, le clan. Le droit coutumier ne repose sur aucun pouvoir exécutif. Il perdure ne raison de son caractère sacré.
La répartition de la société se fait en trois classes traditionnelles ; sacerdotale, guerrière et productive.

Cette civilisation qui s’épanouit en symbiose avec la nature, est pourtant techniquement très en avance puisqu’elle utilise le verre, connaît la charrue à roues (alors que les romains et bien d’autres peuples ont des araires encore pour longtemps) et surtout elle a mis au point ce chef d’œuvre de l’artisanat qu’est le tonneau.
L’exemple de l’art nous suffira pour situer la différence ; l’art romain est très figuratif et présent dans l’architecture. L’art celte abstrait aux multiples volutes et entrelacs se trouve principalement sur les bijoux et les armes ; l’art roman en sera l’héritier direct.
Les dieux celtes sont des personnifications de forces naturelles ; tel Lug, suprême artisan dit le dieu « longues mains » qui est en fait un démiurge mettant de l’ordre dans le chaos. Il sera assimilé au Christ Pantocrator (voir à ce sujet l’iconographie romane où, comme à Vézelay le Christ en majesté est représenté avec des mains démesurément longues).

Mais chaque source, chaque arbre a son dieu propre ; le chamanisme est présent et efficace. Le culte se pratique dans la nature, face au soleil, au vent et aux étoiles.
Le druidisme, structure sacerdotale, est organisé en collèges. Un maître y enseigne oralement, selon un mode mnémotechnique particulièrement élaboré : on psalmodie en alternance de très longs et très anciens poèmes qui contiennent toute la mémoire du peuple celte depuis la cosmogénèse jusqu’aux généalogies. L’écriture est connue mais peu employée car seule compte la parole vive : la lettre fige le verbe et le fait mourir. Cette caste connaîtra, au début de notre ère un déclin du à l’abandon de ses traditions spirituelles au profit de la magie et de la divination, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle spiritualité : le Christianisme.
Les romains redoutaient, outre la violence de la femme guerrière, l’efficacité de la malédiction du druide. (César ne s’est-il pas vu attaqué par une forêt, les arbres étant guidés par un Druide).

L’organisation tripartite de la caste sacerdotale, la divise en bardes ovates et druides, sans que l’on puisse aujourd’hui savoir s'il s’agit d’une distinction hiérarchique ou correspondant à des spécialisations. (1)
Il est important lorsque l’on parle de la religion de « nos ancêtres » (2) de ne pas omettre la grande déesse mère Danann qui en est l’élément central emprunté, nous l’avons vu aux autochtones conquis, et que nous verrons resurgir dans le christianisme sous bien des formes inattendues. (Dame Anne est, en effet issue de Bretagne, et St Bernard en fera la Ste Anne mère de la Vierge qui n’a aucun fondement biblique).
La croyance en un au-delà accueillant les défunts et en la métempsycose complètent un peu ce bref aperçu d’une religion encore mal connue.

L’Irlande est un pays de pasteurs. Ce qui donne aux habitants, paraît-il, une propension à al rêverie Dans les villages on vit en famille et les moindres événements donnent lieu à de légendaires banquets, au cours desquels on goûte avidement, outre les nourritures terrestres, des mets spirituels : poésies, contes et chants. Les bardes transmettent ainsi les légendes et tout le savoir au peuple en s’accompagnant sur leurs fameuses harpes.
La spiritualité de l’Irlande doit beaucoup au génie propre du peuple celte que l’on décrit comme idéaliste, aventureux, enthousiaste et communicatif. Le christianisme s’épanouit naturellement en monachisme puisque cette structure religieuse préexistait. De fréquentes légendes nous rapportent l’histoire de collèges druidiques entiers se convertissant comme un seul homme, ce fait qui parait difficilement crédible a nos esprits modernes est pourtant dans la logique du temps et du lieu. La prise de position du chef spirituel suffisait pour que tout le groupe suive par obéissance

Fondation et particularités.
C’est généralement à Saint Patrick que l’on attribue l’évangélisation de l’Irlande. Né vers 389 à Daventry en Bretagne, (la grande), Celte romanisé, il fonde en effet dès 444 deux monastères à Armagh qui deviendra, plus tard le siège primatial. Il meurt en 461.
En fait des signes peuvent nous laisser penser que l’île verte avait déjà reçu le témoignage chrétien, notamment le nombre important d’abbayes existant au 5ème siècle.
il existe plusieurs hypothèses pour expliquer cela. L’une des plus couramment évoquées est celle de contacts avec l’Orient soit par le moyen du commerce régulier qui se faisait de longue date avec les navigateurs phéniciens, soit par les visites que les Celtes de la péninsule ibérique et les scotti d’Irlande se rendaient mutuellement.

Militent en faveur de ces suppositions :
  • Des similitudes de légendes pagano-chrétiennes (les sept dormants d’Ephèses entre autres)
  • Des similitudes liturgiques ; longues psalmodies etc.…
  • Une vénération particulière de Notre Dame
  • La célèbre exubérance ascétique
  • les apocryphes chrétiens avaient déjà suffisamment circulé à la mort de Saint Patrick pour que sa légende en soit largement inspirée (3)
  • Un étrange comput de la date de Paque basé sur le cycle lunaire, en désaccord total avec celui de Rome.

Une pièce de l’antiphonaire de l’abbaye de Bangor ne dit-elle pas au sujet de l’Eglise d’Irlande :
« Demeure pleine de délices
 Construite sur le rocher
 Vraie vigne
 Transplantée d’Egypte »
Le pélagianisme est assez exemplaire des rapports entre l’Irlande et le Proche Orient ; Cette hérésie qui se développe surtout en palestine et en afrique, entre 410 et 420, est très rapidement répandue dans l’île à tel point que l’intervention de Saint Germain se révélera indispensable dès 440.

Cette floraison d’ascétisme et de sainteté valut très tôt à l’Irlande le surnom «d’île des saints ». Bon nombre d’entre ces saints franchirent les mers au nom de l’exil pour Dieu, et évangélisèrent le nord de l’Europe. L’hagiographie de certains d’entre eux nous révèle qu’un de leur moyen favori de navigation est l’auge ou le sarcophage en pierre ; analogie intéressante avec la légende de Saint Jacques à Compostelle autre terre celte et le mythe oriental d’Osiris, le vert (4).
Il nous reste quelques règles de ce monachisme, ou plutôt des recueils de sentences pieuses et d’exhortations. Elles offrent un aspect original au regard des autres productions chrétiennes; elles adoptent parfois le style poétique et rimé des bardes.

Seule la règle de Saint Colomban a réellement le caractère d’une règle monastique. Ecrite à l’usage des moines gaulois elle est empreinte des traditions ascétiques irlandaises.
Une des particularités de ces moines est de mêler la culture profane et religieuse dans leurs travaux intellectuels. On leur doit notamment la mise par écrit et donc la préservation d’une partie importante du fond légendaire celte grâce auquel nous sommes en mesure depuis quelques décennies de reconstituer la spiritualité de ce peuple.

Tout à fait paradoxalement c’est dans ce pays celte que va être conservée la culture latine la plus pure. Le latin, langue officielle de l’empire romain n’a jamais été parlée en Irlande il s’agit d’une langue étrangère dont les moines vont cultiver l’expression la plus classique. Cet engouement va les conduire à reproduire bien des textes profanes et ainsi à sauver une grande partie de la philosophie grecque et latine. De plus dans ces monastères, on s’intéresse de près à des sciences considérées ailleurs comme profanes la grammaire la géométrie et la géographie. On y enseignait la sphéricité de la terre dix siècles avant Copernic ! La renommée de ces moines savants était telle que l’on venait de très loin pour en recevoir l’enseignement. Au titre d’étudiant l’on pouvait séjourner dans un monastère.
Toute l’église d’Irlande s’organise autour des nombreux monastères dont les pères abbés désignent les évêques parmi leurs moines. Tout naturellement, des pratiques, à l’origine propres aux cénobites, vont se communiquer au peuple tout entier. C’est le cas de la confession et de la pénitence. Le moine représentant un idéale de sainteté que l’on voudra imiter, la pratique du pèlerinage, (souvent jusqu’à Rome) se répandra parmi les laïcs qui voudront vivre l’exil temporaire pour Dieu.

Le culte des saints

Les deux Saints Jean, avec Pierre et Paul sont fort en honneur ; ils sont les seuls saints non autochtones à être fêtés dans l’église primitive d’Irlande, si l’on fait abstraction de Saint Michel. En effet le gardien d’Israël est le premier de tous et l’objet d’une ferveur particulière. Ce trait cultuel différencie l’église d’Irlande de celle romaine qui règne ailleurs et la rapproche des églises du proche orient. De plus nous savons bien que cette spiritualité johannique donne une couleur ésotérique particulière.

Le culte Marial

Solidement établi dès les premiers temps il occupe une place importante. De très anciens poèmes mentionnent le Christ comme « Fils de Marie », ils sont, au 6ème siècle, le prototype du Stabat Mater qui ne sera composé qu’au 13ème. Le Magnificat est chanté tous les jours dans les monastères.
Ces chants, ces poèmes célèbrent Notre Dame avec des images et des accents très orientaux. Le thème parallèle d’Eve et Marie est fréquent.

2_Saint Colomban : vie et la légende

La vie :

La vie de Saint Colomban nous est connue grâce à la plume zélée de Jonas de Bobbio, moine de cette fondation Italienne, qui, ayant suivi le père abbé dans ses pérégrinations, les mettra par écrit dès 640, soit 25 ans à peine après la naissance au ciel (c’est-à-dire la mort terrestre) de son frère bien aimé.

Né en 540 d’une famille du Leinester, Colomban est au dire de ses contemporains un grand et beau garçon au port altier. Il est instruit puisque, en bon barde, il connaît les arts, la poésie, l’histoire, la philosophie et le rythme. Il a étudié Virgile, Pline, Salluste, Horace, Ovide et Juvénal. En vrai celte il restera sensible toute sa vie à la poésie et à l’occasion saura produire une pièce en vers latin à la façon d’Horace. C’est un homme décidé dont on redoute le caractère.

Jeune moine il est formé aux écritures et à la vie spirituelle par un maître prestigieux, Sinell, au monastère de Claun-Inis. Puis à Bangor dans «la vallée des anges », sous la direction du célèbre abbé Comgall, il est dressé sous l’austère mais salutaire règle à la milice du Christ.
C’est à partir de ce monastère qu’il entreprend sa pérégrination pour Dieu. Cet exil volontaire, bien dans la tradition des moines irlandais le conduit en 575 à accoster, en compagnie de douze de ses frères dont il a pris la tête, en Armorique, près du village qui porte encore le nom de St Coulomb. De ce lieu, situé entre le mont Saint Michel et Saint Malo, il passe en Gaule et se dirige, à pied vers Rouen, puis à l’est par Noyon et Reims, il constate, selon ses dires que: « la vertu est à peu près inexistante ». En effet les invasions ont ramené le pays au stade de la barbarie la plus cruelle et c’est à peine s’il subsiste quelques rares foyers de Christianisme.
Chemin faisant, Colomban et ses compagnons prêchent et suscitent des conversions. Ces hommes étranges, pour les populations locales, ont un impact important. Leurs robes blanches, leur tonsure si particulière, l’austérité de leurs mœurs qui s’accorde à leur propos, interpellent les habitants des villes et des campagnes. Ce ne sont pas des inconnus qui se présentent à la cour du roi de Neustrie, Sigisbert. Leur réputation les a précédés. Il leur accorde l’autorisation de fonder un monastère ; ce sera Annegray. Ce lieu isolé est situé dans la vallée du Breuchin, près d’un village dont le nom rappelle à l’évidence qu’il est terre celte : Voivre (5). Là au pied des Vosges ils construisent les premières cabanes de branchages autour d’une hutte un peu plus grande ; l’église.

Peu à peu la colonie s’enrichit de vocations locales. La population a vite accepté ces moines épris d’extrême et d’absolu qui prêchent par l’exemplarité de leur vie, créant un contraste avec le clergé amolli de cette époque. De généreux donateurs se manifestent, procurant des vivres en cas de pénurie. Ils seront d’ailleurs payés de retour, Colomban ne dédaignant pas, à l’occasion de faire quelque miracle en leur faveur.
Ce premier site ne suffisant plus, un second sera érigé en 590, non loin de là à Luxeuil. Ici également le monastère sera fondé près des sources où la tribu celte des Séquannes rendait un culte aux forces chthoniennes. Peut-être même ce culte perdurait-il malgré la romanisation des lieux transformés en thermes ? Raison de plus pour y planter l’étendard du Christ : on utilisa les ruines d’un temple de Diane pour édifier l’église.
C’est à Luxeuil que séjournera le plus ordinairement l’abbé Colomban établissant des prévôts sur la fondation précédente.

Puis ce fut, vers l’an 600, la création de Fontaines. Également située dans une vallée, celle du Breuchot, petit affluent de la Saône, la nouvelle fille de Annegray sera confiée à la prévôté.
Dès cette époque, dans l’ensemble des trois monastères on dénombre environ trois cents moines. Ce rapide succès, encourage sans doute le saint homme dans son entreprise de redressement des mœurs. Pensant à juste titre que l’exemple vient d’en haut, il prend pour cible de sa prédication Thierry II qui règne sur la Burgondie. Ce dernier est encouragé dans sa licence par sa grand-mère Brunehaut qui en fait règne et ne souhaite pas voir son petit-fils épouser légitimement une jeune femme, peut-être ambitieuse, qui deviendrait la vraie reine. En face des grands, Colomban assume pleinement son rôle de prophète ; il ne mâche pas ses mots. Rejetant tout calcul diplomatique, il emploie le langage de la fermeté et de la morale. Il semble bien que ces éclats fréquents fassent partie de son ascèse. Thierry et la noblesse de son entourage reprochent à Colomban de leur interdire l’accès de son monastère : le respect de la clôture n’étant sans doute pas encore de règle en Gaule.

Les prélats du voisinage voient également ce donneur de leçons d’un mauvais œil. De plus ses pratiques originales ne s’accordent pas toutes avec celles de Rome dont pourtant Colomban se proclame le fidèle sujet. Outre la vêture et la tonsure, les moines Irlandais avaient en propre leur liturgie et surtout une date de la fête de Pâque différente. (6)
N’ayant pas, malgré deux lettres à deux Papes successifs, réussi à convaincre Rome d’adopter le seul comput valable selon lui, Colomban fut convoqué par le concile des évêques de Burgondie, réuni à Châlon en 603. Il répondit presque poliment en déclinant l’invitation et en faisant part de son étonnement qu’un si grand nombre de prélats se soient assemblés pour débattre de sa modeste personne. En bon père il leur conseille de se réunir plus régulièrement pour débattre des questions urgentes concernant l’église comme l’exigent les canons et qu’au reste ils devraient bien imiter plus fidèlement le Christ sur le chapitre de l’humilité.
Celte intégral, Colomban, abbé, c’est-à-dire faiseur d’évêques ne pouvait pas admettre que ceux-ci puissent le convoquer et de plus discuter son comput. Le concile considéra qu’avec un tel homme la prudence était mère de la paix et se garda d’insister.

Mais il n’en fut pas de même avec la reine Brunehaut qui fit émettre à son encontre un ordre d’exil. Conduit à Besançon, Colomban s’évada libérant au passage les autres prisonniers. On le reprit de nouveau dans son monastère où il était simplement rentré, pour, cette fois, lui faire regagner son île natale. Sous bonne escorte, il est conduit jusqu’à Nantes en compagnie de ses frères Irlandais de la première heure. Chemin faisant, il accompli quelques miracles, prêche et converti malgré  la défense faite au peuple d’entrer en contact avec lui. La petite troupe passe par Autun, Auxerre et à Orléans où la population, prévenue contre Saint Colomban, lui refuse la nourriture, il est accueilli chez un couple de Syriens dont une importante colonie réside en Gaule. On embarque sur la Loire jusqu’à Tour, ville de Saint Martin, pour lequel l’abbé nourrit une grande vénération. Étape obligatoire, donc pour un temps de prière sur les reliques du grand homme. En retour l’intercession de Saint Martin fera retrouver les bagages volés.
Arrivée à Nantes, la troupe séjourne le temps de chercher un bateau en partance pour l’île verte. Le navire trouvé, les moines embarqués, les soldats s’en retournent soulagés, sans doute d’avoir mené à bien leur mission. C’était oublier la complicité que Colomban avait nouée avec les éléments naturels et sa détermination à accomplir la mission que Dieu lui avait confiée. Les vents soufflent en sens contraire et les tentatives faites pour sortir de l’estuaire se soldent par un échouage de la nef. Les moines s’échappent et remontent vers l’est, évitant simplement les terres de Thierry. Rouen, Soisson, Paris, Metz, Coblence, Mayence, reçoivent la visite de la sainte troupe toujours prêchante. A Ussy il séjourne dans une noble famille dont le plus jeune fils Dadon deviendra l’évêque de Rouen : Saint Ouen. Est-ce à Rouen ou à Soisson que Clotaire reçut avec empressement le saint homme dont la réputation est maintenant bien établie ? Nous ne le savons plus. Mais toujours est-il que le rôle de conseiller politique ne fera pas oublier à Colomban son devoir d’apôtre. Il profitera de sa présence à la cour pour blâmer la vie scandaleuse que l’on y mène. Remontant le Rhin vers le lac de Constance, le prophète s’arrête à Bregentz pour fonder un nouveau monastère. C’est là que Saint Gall, le vieux compagnon de Bangor sera laissé pour évangéliser les Germains. Colomban lui léguera son bâton lors de sa mort ; la fameuse cambute des longues pérégrinations communes, témoignage matériel d’une filiation spirituelle et du devoir de continuer l’œuvre.

Colomban reprend sa route et passe en Italie où il est (peut-être) appelé par Agilulf, le roi des Lombards. Au passage, un autre de ses compagnons s’arrêtera pour fonder lui aussi : Sigisbert fit de son ermitage au pied du Mendels les prémices de l’abbaye de Notre Dame de Disentis.
Seul avec Attal, le saint moine arriva à Milan où il fut reçu par le roi en l’an 613. L’arianisme qui avait quasiment supplanté le christianisme romain dans toute l’Europe, (7) était particulièrement virulent dans cette contrée ; Agilulf lui-même professait cette erreur.
Colomban voit l’urgence de la prédication et décide de fonder en Italie. Ce sera Bobbio, du nom de la rivière au bord de laquelle s’élèvera l’abbaye.
Tel un nouvel Elie, assumant sa vocation de prophète, il écrit au pape Boniface IV afin de l’inciter à la fermeté envers l’hérésie. Cette lettre est un fleuron de la littérature chrétienne, rien n’y manque, style, poésie, humour et humilité ; un des passages les plus savoureux nous montre l’état d’esprit du Saint abbé : « Nous, Irlandais qui habitons les extrémités du monde... nul d’entre nous ne fut jamais ni hérétique, ni juif, ni schismatique... Pardonnez-moi si je vous ai dit quelques paroles offensantes pour des oreilles pieuses. La liberté native de ma race me donne cette hardiesse. Chez nous, ce n’est pas la personne, c’est la raison qui prévaut. L’amour de la paix évangélique me fait tout dire. »

C’est à Bobbio que Saint Colomban termine sa pérégrination terrestre le 23 novembre 615. Dans l’oratoire de son ermitage, dédié à Saint Michel, où il passait la plus grande partie de son temps, après avoir célébré une dernière fois l’eucharistie dans le calice de bronze (8) verdi par les ans, (celui-là même qui lui avait été remis lors de son ordination), il entre dans l’éternité. Il laisse une œuvre dont les effets changeront le visage et l’histoire de l’Europe.

La légende

Raconter la vie d’un Saint du VIIème siècle en s’en tenant strictement à ce qu’il est convenu d’appeler la réalité historique, c’est faire l’impasse sur une autre réalité, beaucoup plus importante aux yeux des générations qui nous ont précédées, nous léguant des légendes (ce qui doit être lu) afin que précisément, les événements parviennent jusqu’à nous, revêtus de leur signification profonde. Si de plus, ce Saint est Irlandais, c’est-à-dire Celte, cela reviendrait simplement à amputer l’histoire :
Colomban est natif de cette île (verte c’est ce que signifie le nom de l’Irlande en gaëlique) où aborda Joseph d’Arimatie, porteur de la  Sainte Coupe ayant recueilli le Précieux Sang du Christ. Cette coupe, le Saint Graal est comme chacun sait, taillée dans l’émeraude (verte) que l’Ange déchu, Lucifer, laissa échapper lors de sa chute. Ce qui confère à chaque Irlandais digne de ce nom un devoir spirituel particulier. Cette légende si cela en est une nous indique que l’Esprit avait préparé, dans cette noble terre quelques gouttes du sang du rédempteur c’est à dire le germe spirituel d’une nouvelle forme de la Tradition. Nouvelle dans son exotérisme mais éternelle dans son fondement.

La fidélité à sa mission guidera toute sa vie notre saint ; cette vocation lui est annoncée par une femme ermite dès son adolescence. Ce qui donne sens à sa vie, c’est en effet d’accomplir scrupuleusement la fonction pour laquelle Dieu l’a créé, dût-il, comme le continue la légende, passer sur le cadavre de sa mère pour franchir la porte qui le conduit vers son destin.
Ceci nous enseigne que certains hommes sont prédestinés à une tâche précise de toute éternité. Cette lignée qui commence sans doute avant la naissance d’Abraham passe par lui et par Elie (qui est, ne l’oublions pas, « le verdoyant ») Jean le Baptiste et d’autres qui sont comme Colomban héritiers de l’Esprit. Dans la tradition Bouddhiste on les appellerait « Tulcu » en Islam « Pôles ». Ils jalonnent le temps et sont les bornes de l’Eternité. N’oublions pas qu’Elie est pour les Musulmans et pour les Israélites, celui qui doit revenir à la fin des temps comme dans les Evangiles.

Un autre point important de l’histoire peut nous aider à comprendre la démarche spirituelle de cette époque et de ce peuple. Lorsque Colomban entreprend sa périgrinatio pro Deo, il le fait en compagnie de douze de ses frères. Il reproduit ainsi le modèle Christique. (Nous retrouverons ce symbolisme dans la quête du Graal.) Ce qui situe également son rôle au sein du petit groupe et la raison de l’obéissance absolue et volontaire de ses compagnons. Certains modernes objecteront sans doute qu’abdiquer sa liberté n’est pas digne d’un homme ? Il nous sera facile de leur répondre par cette définition de la liberté : « c’est l’acceptation volontaire d’une discipline » (Ph Pétain).

Le charisme de guérison est aussi une invite à situer dans la suite du Christ ceux qui le manifestent. Colomban possède à un haut degré ce pouvoir thaumaturgie, signe évident de sainteté, nécessaire pour convaincre les populations. Or il guérit tout ce qui se présente, peste et rhume...
Dans ce même ordre d’idées il est possible de placer les diverses multiplications de froment, de pain et de poisson qu’il accomplira, ainsi que les pêches miraculeuses réalisées sur ses indications par Saint Gall. Ce don est pour le moins utile dans cette période de grande famine. Il n’est pourtant, comme le montre l’exemple du Christ, que le symbole de la multiplication d’une nourriture spirituelle et le symbole du pêcheur d’hommes.
Pour ce qui est des rapports avec les animaux, il est possible d’y voir la trace d’une spiritualité accomplie. Toutes les traditions du monde véhiculent en effet que certains hommes parvenus à un haut degré de spiritualité sont en mesure de converser avec les bêtes, comme sans doute le faisait Adam en Éden, lorsque tout était Un.

Avec Saint Colomban il y a pourtant une petite modalité particulière : s’adressant au frère corbeau, s’en faisant obéir, il devient un nouvel Elie affirmant sa vocation de prophète et nous donnant ainsi une précieuse indication concernant sa lignée spirituelle. Puis il soumet les ours, leur faisant même porter le joug à la place des bœufs ; l’ours est en effet le symbole du roi dans la mythologie celte (Artus-Arthur), ce roi qui ne meurt pas. Or c’est en premier lieu vers les rois de son temps que va se porter l’action de redressement moral de notre moine; ses successeurs poursuivront sa tâche. Pour les convaincre il prophétise et ce que l’Esprit lui donne à dire n’est pas toujours le plus agréable à entendre. Ceci lui vaudra, comme Elie l’inimitié de la reine qui a jeté ses rets sur le pouvoir.
Lorsque, près de son ermitage Saint Colomban frappe le rocher de sa cambute (son bâton) et en fait jaillir une source, c’est à Moïse qu’il faut sans doute le comparer, et de fait son œuvre civilisatrice peut certainement l’assimiler au plus grand des conducteurs de peuples que l’Éternel ait suscité.
Bien d’autres faits hagiographiques mériteraient d’êtres étudiés plus en détail : le pouvoir sur la pluie et sur les vents entre autres. Mais ce haut pouvoir thaumaturgique, pour ma part me fait penser à une autre filiation, celle des druides, à l’archétype druidique Merdwin…

3_Le monachisme Irlandais et Colombanien

Ce sont souvent les aspects les plus durs, tels les châtiments corporels qui sont retenus comme singuliers de ce monachisme. Il est pourtant d’autres points qui méritent attention.
Les centres monastiques d’Irlande se sont formés à partir de la famille (muintir qui donnera moutier), de la tribu et du clan.
L’aspect extérieur du monastère celtique rappelle celui de la laure palestinienne :
L’organisation des communautés est en fait un groupement d’ermitages à l’intérieur d’une clôture autour d’une l’église (8). Elles sont sous l’autorité d’un abbé qui est avant tout un maître spirituel au sens fort. Cette autorité absolue est librement acceptée par ceux qui s’engagent à sa suite. Le rôle de l’abbé est considérable ; il est le chef du clan monastique, c’est-à-dire de la fondation et de toutes les filiales. Son nom a une large acception ; ainsi le pape est l’abbé de Rome et même le Christ est parfois nommé le Grand Abbé. Il est bien au-dessus des évêques qu’il a charge d’ordonner.

Les règles sont diverses mais la même sensibilité semble présider à leurs rédactions (lorsqu’elles sont écrites).
Les monastères sont le centre de la vie spirituelle locale. Ce sont également des foyers de vie culturelle ; outre les écritures sacrées, on y étudie les sciences profanes : la poésie, la musique. L’enluminure et la calligraphie y sont à l’honneur. Les légendes celtes seront pour la plupart sauvées par ces moines cultivés qui fourniront ainsi le seul matériel disponible pour reconstituer la culture et la religion de ce peuple.
Paradoxalement c’est à ces moines que l’on doit la conservation du latin pur. En Irlande on parle celte, contrairement à la Gaule où la langue vulgaire est un latin qui avec le temps et les invasions a dégénéré. Ils conserveront aussi le grec ancien et la philosophie de cette brillante civilisation.

La liturgie

Mais les différences avec le monachisme continental se situent à un niveau plus profond :
Toute la conception de la liturgie est différente et révélatrice d’influences non romaines ; les offices sont beaucoup plus longs, coupés de nombreuses prostrations et génuflexions. La psalmodie prime ; il n’est pas rare que le moine récite le psautier en entier chaque jour. Elle se fait en alternance. Une place importante est laissée à la prière, conçue comme un moment de paix extatique, de louange et de rapport avec le Créateur. Les litanies des Saints sont fréquemment dites, et constituent souvent le début de la messe conventuelle.
Les moines ont un rôle missionnaire qui les oblige à dire l’eucharistie dans les campagnes sur des autels portatifs, pour la communion ils se font aider des femmes qui distribuent le Corps du Christ.
Dans certaines liturgies irlandaises le prêtre se livre à une sorte de danse sacrée devant l’autel ; il avance et recule alternativement par trois pas en avant et en arrière. Le credo aussi est particulier.
C’est semble-t-il dans certains des monastères celtes que naîtra l’idée de la prière continue ; des chœurs de moines assurent une louange perpétuelle en se relayant.

Les fêtes

Nous avons vu avec la vie de Saint Colomban que la date de la Pâque posait problème. Ce n’était pas la seule car les gallicans avaient leurs saints propres et donc des dates pour les fêter. Ces fêtes se substituaient à celles du calendrier de Rome.
Les saints les plus particulièrement honorés étaient Saint Jean le Baptiste, Saint Jean l’Évangéliste, Saint Michel et saint Patrick.
Dans un des nombreux conciles où est évoqué le comput de la Pâque, celui de Witby en Northombrie (664), le porte-parole du parti romain se réfère à Pierre en tant que garant de la tradition de l’église de Rome. De l’autre bord, Colman représentant la tradition dite de Saint Colomban fait référence à l’église de l’apôtre Jean. La question du roi Oswiu, qui doit se faire une opinion, est éclairante sur l’état du problème : il demandera aux évêques en présence de lui indiquer qui de Pierre ou de Colomban a la préséance.
Au travers de ces détails on comprendra que nous sommes en présence d’une église qui se laisse inspirer par la spiritualité johannique. Elle présente donc un intérêt tout particulier pour les maçons…

Le devoir d’exil

Est-il né de la surabondance de vocations religieuses, (certains couvents d’Irlande et d’Ecosse comptèrent plus de mille moines) ou de la tendance des Celtes au voyage ? Il est certain en tout cas que ce fut le facteur le plus important de la christianisation du nord de l’Europe et de re-christianisation de la Gaule, du nord de l’Espagne et de l’Italie.
L’exemple de Columba (autre moine originaire d’Irlande qui ne sera pas canonisé) est significatif des coutumes en la matière. Ayant réuni douze disciples il s’agenouille pour recevoir la bénédiction de son abbé et invoquer « maris Stella », puis s’embarque et se laisse porter au gré du vent dans la direction que Dieu choisira, car Lui seul sait ou est le besoin. Il aborde ainsi dans un petit archipel à l’ouest de l’Ecosse dans l’île d’Y ou Hy, depuis connue sous le nom de Iova ou Iona. Il y plante ses cabanes, mais avant toute chose, pour bien marquer la prise de possession perpétuelle, un cadavre sera enseveli sur les lieux comme le veut la coutume. L’abbé demande à Odran de bien vouloir rendre ce service à la communauté et le saint moine par devoir d’obéissance rend sur-le-champ son âme à Dieu et laisse son corps à la fondation. L’église du monastère s’élèvera sur son tombeau.
Il faudrait pouvoir citer tous les Saints de cette église d’Irlande et de Bretagne qui débarquèrent ainsi durant quatre siècles environ sur notre continent, l’évangélisèrent et lui redonnèrent la culture et la civilisation. Parmi les plus connus citons Saint Malo, Brieuc Wandrille, Gall, Waast. Et chez les successeurs de Saint Colomban originaire du continent; Saint Ouen et Saint Eloi qui furent des conseillers du roi Dagobert.

La vêture et la tonsure

Autre point remarquable, pour les continentaux, les moines insulaires étaient vêtus de grandes robes blanches sur lesquelles ils portaient la cuculle, (telle que la porte encore de nos jours les Chartreux) en laine bourrue qui était, lorsque cela était possible, teinte en blanc.
Mais ce qui frappait le plus les Gaulois était sans conteste la tonsure particulière des frères. La mode romaine exigeait soit la rasure totale dite de Saint Paul, ou bien la couronne dite de Saint Pierre. Les Celtes eux, ne démordaient pas d’une tonsure en croissant, qui, partant d’une oreille à l’autre laissait les cheveux longs sur la nuque et un toupet sur le milieu du front. L’on disait que c’était celle de Simon le magicien et nul n’ignorait, en ce temps-là, que le dit Simon avait été le chef des Druides (qui effectivement portaient la tonsure incriminée).

L’ascèse

Le végétarisme est absolu, (à peine un peu de poisson les jours de fêtes et le dimanche) les jeûnes fréquents. Un seul repas journalier composé de légumes et de céréales.
Peu de sommeil et certaines règles autorisent les moines à dormir en marchant s’ils ne peuvent faire autrement et de n’aller au lit qu’en cas d’extrême fatigue. D’ailleurs on se couche tout habillé sur des paillasses. La propreté est par contre en grand honneur et l’on se lave très fréquemment. (9)
Beaucoup de travail, pas seulement intellectuel, car les frères essartent et cultivent les terres dont ils vivent et font vivre les pauvres. Obéissance inconditionnelle à l’abbé, maître spirituel. La pratique de la confession communautaire et de la pénitence par des châtiments corporels. La lutte contre le péché peut conduire certains à plonger en plein hiver dans des torrents de montagne et y réciter un psautier pour rafraîchir les ardeurs de la chair. Certains châtiments semblent ressortir d’une optique différente de la simple pénitence comme le sommeil (?) dans un tombeau en compagnie d’un cadavre (ce qui n’est pas sans rappeler certains écrits des pères du désert ou certaines pratiques initiatiques communes à toutes les Traditions ésotériques). L’usage journalier de la confession est très répandu.

L’hospitalité est un devoir sacré en pays celte et surtout dans les monastères. Il n’est pas rare de voir l’abbé en personne venir solennellement au devant d’un humble pèlerin, et ils sont nombreux dans ce monde itinérant. Tous sont reçus et font l’objet d’une attention particulière.
Il existe également des monastères féminins, mais en moins grand nombre. Ils ne cèdent en rien à la rigueur des abbayes masculines et certains d’entre eux seront également des foyers de sainteté, pour mémoire nous ne citerons que Sainte Brigide de Kildare (fin du Vème siècle).
Les moines pratiquaient aussi la vie solitaire, lorsque leur abbé, les aura jugés, sur leur comportement conventuel, dignes de mener cette forme de vie supérieure. Les anachorètes se retirent alors dans des grottes, des cabanes ou des îlots ; c’est le disert ou en breton le peniti. Ils passent sous le contrôle d’un disertach, supérieur des ermitages nommé par l’abbé. Cette anachorèse peut être temporaire ou définitive selon les cas.

4_Les apports dans le monachisme, l’église et la société européenne

L’action de ce monachisme celte importé sur le continent est considérable. Avec l’arrivée des moines insulaires dont Saint Colomban est la figure paradigmatique, c’est toute la civilisation qui va renaître.
Il faut se souvenir, en effet qu’après l’effondrement de l’empire romain, la partie occidentale envahie et ravagée par les barbares de différentes origines, était tombée dans le chaos et l’anarchie. Les luttes fratricides pour le pouvoir, le crime et la licence des mœurs étaient banalisés. L’église elle-même s’était pervertie dans cet environnement et le peuple des villes, le seul qui eut été vraiment christianisé retournait à ses coutumes païennes. Sur le plan culturel plus rien ne subsistait de l’antique héritage.

Les Irlandais avaient, nous l’avons vu, outre une grande connaissance des écritures sacrées, une vaste culture profane dont ils firent bénéficier ceux qui fréquentèrent leurs fondations. Ils enseignèrent également le beau latin classique perdu ailleurs et qui devint la langue européenne contribuant ainsi à l’unification.
Sur le plan de la moralisation des mœurs leurs habitudes des confessions assorties de lourdes pénitences appliquées tant au peuple qu’aux princes firent des merveilles, atténuant notamment les phénomènes de vendetta.
Une grande part de leur action se porta sur la classe dirigeante. Ils instituèrent également une justification du pouvoir royal par une onction manifestant le caractère sacré de la fonction de roi. (10) Ce fut un pas décisif dans le processus de civilisation ; le trône devenant incontestable, (au moins en théorie), et ne dépendant plus de la force, devint plus stable. Les successeurs de Colomban furent pendant longtemps encore les conseillers des rois et empereurs ; il n’est besoin que de citer Ouen et Eloi. C’est sous cette direction éclairée que se fit la grande réforme de Charlemagne.

Les Celtes christianisèrent les territoires germaniques et du nord de l’Europe, impénétrables à tout ce qui pouvait sembler Romain. Ils y implantèrent les mêmes structures civilisatrices.
Travailleurs infatigables, ils essartèrent de grandes surfaces donnant ainsi une impulsion salutaire à l’agriculture.
Leur entreprise de moralisation ne se limita pas aux laïcs ; sous leurs vigoureux exemples ce fut toute l’église qui fut régénérée.

En guise de conclusion

Vite adouci par la règle bénédictine le monachisme colombanien est pourtant la pierre de fondation de l’Europe :
C’est à Saint Colomban, et non à Saint Benoît, comme on a pu le dire récemment que nous devons la construction de l’Europe. C’est en effet à partir des monastères que va se développer l’agriculture. Ce sont les moines qui essartent les terres cultivées de la Gaule. C’est également à partir des Abbayes que va rayonner et s’accroître le savoir dans tous les domaines. C’est elles aussi qui formeront l’élite qui gouvernera. Or en un siècle à partir de Saint Colomban on dénombrera cent trente trois fondations de son obédience. De plus ces fondations sont, pour la plus part situées en gaule septentrionale. (A titre de comparaison les quatre siècles précédents n’auront donné à l’ensemble de l’Europe qu’une petite quarantaine d’abbayes et toutes situées au sud de la Loire.) Dès lors il est aisé de comprendre pourquoi la Gaule du nord fut le berceau de la civilisation européenne. C’est à partir de ces moines celtes que son rayonnement se fera sur le monde entier jusqu’à une époque récente.
Si, de nos jours encore, la lumière de Luxeuil éclaire tout œil attentif ; c’est que de Fontaines jaillira comme une eau de jouvence, Bernard de Fontaines, nommé plus tard, de Clairvaux. Saint Bernard, dont les moines instruirons et formeront bien des compagnons opératifs, sera également le parrain des Templiers.

A cinq siècles de distance, alors que le sel de la terre s’affadissait à nouveau, ce fut lui qui porta à son plus haut degré la réforme Cistercienne. Comme ses ancêtres celtes il fonda près des sources dans les vallées des monastères, foyers d’oraison et de labeur. Il mit la dernière main à une règle qui demeure aujourd’hui l’exemple de l’ascèse. Végétariens, vêtus de blanc, ses moines défrichèrent à leur tour de larges arpents de terre.
Son action moralisatrice déborda largement le cadre de l’église, réorganisant la chevalerie et prenant part à tous les débats de son temps Saint Bernard fit œuvre de civilisateur.
C’est sans doute pour bien marquer cette filiation que le dernier des bardes connu, Saint Malachie, vint mourir dans ses bras... Mais il me semble que le lien le plus fort entre Saint Colomban et Saint Bernard est, sans conteste d’avoir été tous les deux nourris au Sein Virginal de l’Etoile de l’éternel matin ; ils avaient la même vénération pour Notre Dame... Certains n’hésitent plus, aujourd’hui à dire que Saint Bernard et ces 33 compagnons qui prirent en même temps que lui l’habit étaient un collège druidique qui, constatant la fin de leur Tradition intégrèrent la nouvelle forme en marche.

Pour nous il est également important de savoir que le peuple d’Irlande se nome Scott et l’Ecosse est une terre que les Scotts ont conquise et nommée de leur nom, ils y implantèrent leurs coutumes et sans doute y préservèrent les influences initiatiques en provenance de Tyr la phénicienne dédiée aux mystères d’Isis, proches de ceux de Maître Hiram et du christianisme johannique.
Nous sommes aujourd’hui dans une phase que je qualifierai par l’euphémisme de « transitionnelle » et, autour de nous, la société ancienne laisse place à ce qui nous semble être un chaos. Les formes religieuses et initiatiques changent. Certaines structures perdent et leur âme et leur opérativité initiatique. Soyons persuadé que la Tradition une et pure transitera dans des formes nouvelles qui sont déjà nées. Les rituels les organisations ne sont que des vecteurs utilisés, un temps, pour cette transmission. Soyons de bons conducteurs, de bons outils du Tout Autre, lâchons prise le courant ne nous appartient pas.

Gardons précieusement enclos dans l’arche scellée de notre cœur, les germes de la Lumière dont aura besoin ce demain qui viendra sans aucun doute.
Tout comme les Celtes ont su intégrer le Christianisme en y voyant clairement ce que René Guénon nommait « la Tradition primordiale » intégrons le temps à venir sereinement, en restant fidèles à notre héritage.
Les structures passent, elles se vident avant de mourir et se décomposent de l’intérieur, la voie initiatique elle, dure depuis avant les siècles et durera bien au-delà. Car elle est l’appel de l’Eternel qui éternellement rassemble ce qui est épars et notre loge, ce soir n’est rien d’autre que la caisse de résonance de son verbe qui nous invite aux noces comme aurait dit Saint Bernard.

J’ai dit V\ M\

(1) Cette partie fait références aux travaux récents de J. Markal, M. Leroux et P. Guyomvach.
(2) Allusion humoristique à ce que l’école primaire française a véhiculé outre mer notamment sur un arrière fond de patriotisme exacerbé.
(3) « L’art chrétien de l’Irlande ancienne révèle une influence orientale...la conception du combat ascétique est typiquement orientale... Dans la règle de St Columban on trouve une vingtaine de citations de Jean Cassien, et il est certain que des œuvres chrétiennes venues d’orient furent connues en Irlande avant le 6ème siècle... » Dictionnaire de spiritualité t72 col 1973.
(4) Il est étrange de voir en effet que l’archétype légendaire du culte à mystères d’Osiris (qui voyagea d’Egypte à Tyr, une fois mort, dans son cercueil de pierre, sur les flots et fut retrouvé par Isis grâce à un arbre verdoyant signalant sa tombe) ait été réemployé tel quel dans la légende de St Jacques de Compostelle et celles de nombreux saints Celtes ainsi que dans d’autres mystères que nous connaissons bien.
(5) La Vouivre était le non donné à la personnification des forces chtoniennes souvent représentées par un serpent ou par un dragon. Ces forces avaient le double aspect génésique, de croissance et de mort, et de destruction.
(6) Il semblait impensable que la Pâque Chrétienne puisse coïncider avec celle des Juifs, ce qui était le cas avec le comput Irlandais au moins pour les années 600 et 603.
(7) On compte qu’à cette époque 80% du clergé chrétien était arien.
(8) Les prêtres Irlandais utilisaient des calices de bronze à l’exception de toute autre matière.
(9) On trouvera des ermitages, des églises et des clôtures de forme circulaire. Tel celui d’Abingdon où le monastère primitif mesurait 120 pieds de diamètre. Il comptait douze cellules et douze églises toutes circulaires. Ceci nous donne une idée de l’importance de la symbolique du cercle et du nombre douze pour les moines celtes.
(10) Les Celtes étaient les inventeurs du savon bien avant l’ère Chrétienne.
(11) Les premiers rois chrétiens oints le furent en Irlande, en Ecosse et au nord de l’Espagne par des moines Celtes. La Gaule dut attendre quelques temps.

Bibliographie :

Saint Colomban                        M. Henry-Rosier                     SPES, Paris 1950
Les moines et la civilisation        J. Decarreaux                          ARTHAUD, Paris 1961
Dictionnaire de spiritualité                                                         T 2, 1131/1133
Dictionnaire de spiritualité                                                         T 1, 626/627
Dictionnaire de spiritualité                                                         T 3, 1075
Dictionnaire de spiritualité                                                         T 5, 817/819
Dictionnaire de spiritualité                                                         T 7, 786/1973/2168
Dictionnaire de spiritualité                                                         T 10, 1373
Dictionnaire de spiritualité                                                         T 12, 707/918/968
Dictionnaire de spiritualité                                                         T 9, 1009
La primauté du pape                 K. Schatz                                 CERF Paris 1992
Traditions celtiques                   R. Ambelain                             DANGLES Paris 1987
L’épopée irlandaise                  G. Dottin, J Markal                   PRESSES D'AUJOURD'HUI
La civilisation celtique   F. Leroux, J Guyonvarc’h      OUEST FRANCE ED Nantes 1989
Les Druides                              F. Leroux, J Guyonvarc’h         OUEST FRANCE ED Nantes 1992
La femme celte             F. Leroux, J Guyonvarc’h         OUEST FRANCE ED Nantes 1991
La religion des celtes                 J. De Vries                               PAYOT Paris
Catholicisme                                                                             T 10, 1094


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