GLNF

Orient de Verdun

14/03/2011


Les Chemins de l’initiation et de Saint Jacques

Disciple, dit le Maître, pourquoi pleures-tu ?
Maître, répondit le disciple, je pleure parce que j'ai fait un rêve merveilleux !
Alors, dit le Maître, pourquoi cette tristesse ?
Maître, répondit le disciple, parce que je sais que ce rêve ne se réalisera jamais.

26 Janvier 2007, je suis là dans le cabinet de réflexion et je sais que mon rêve est peut-être sur le point de se réaliser.

Je suis là au milieu de symboles dont je ne saisis pas la finalité. Un homme m'a fait entrer dans ce réduit obscur en me demandant de remplir mon Testament Philosophique. J'entends confusément des voix et des coups de maillet et je sens que quelque chose se prépare dans ma vie.

26 Juillet 2007 me voici en haut du Col du Somport au poste frontière France Espagne et mon deuxième rêve va peut être se réaliser. Comme dans le cabinet de réflexion je suis seul et j'ai devant moi 836 km jusqu'à Saint Jacques de Compostelle que j'envisage de rejoindre à pied comme tous les pèlerins qui m'ont précédé.

Devant la feuille blanche de mon Testament Philosophique je suis un peu paniqué. Que dois-je écrire ? Etant encore tout imprégné du monde profane je ne comprends pas ce qu'on me demande. Je ne suis pas encore passé à trépas et je souhaite depuis très longtemps entrer en Maçonnerie. Le temps me semble éternel dans ce cabinet obscur.

M'aurait on oublié ? Et puis vient un homme qui me fait mettre dans une certaine vêture. Ensuite il me passe un bandeau sur les yeux, une corde au cou et me voilà dans les ténèbres de nouveau seul avec ma peur, dans l'attente de ce qui va se passer.

Il est tôt ce matin en haut du col du Somport. Devant moi l'Espagne et les montagnes d'Aragon qui descendent en pente douce vers la vallée. La brume s'estompe et je rassemble mon courage pour commencer ce pèlerinage, le sac sur le dos et ma canne à la main. Cela n'a pas été facile de quitter mon épouse, ma famille, mes amis et le confort de la vie quotidienne. Mais voilà, c'est parti pour 30 jours de marche.

Bien que toute ma volonté est d'aller vers ce but inconnu auquel j'aspire, comme au sortir du Cabinet de réflexion je suis anxieux. Serais-je digne et suffisamment fort pour arriver au terme de mon voyage à Saint Jacques ?

L'homme qui est venu me chercher dans le Cabinet de réflexion me fait monter des marches et arrivé devant ce que je pense être une porte, il s'ensuit un dialogue avec une voix venant de l'intérieur du temple. Je devine cette porte qui s'ouvre quelques fois pour poser et entendre des questions et des réponses.

Ensuite on me fait entrer en m'obligeant à me courber. Ça y est je ne suis pas encore Maçon mais je suis dans le temple. J'ai toujours cette peur au ventre mais je me laisse guider par la personne qui me tient fermement la main.

Sur le Chemin de Compostelle, c'est très simple, il suffit de mettre ses pas dans ceux qui nous ont précédés depuis des siècles. Il faut suivre les flèches jaunes qui sont peintes sur les pierres, les arbres, ou sur le sol. Le chemin de Compostelle se dit Camino en Espagnol. Il est 3 heures de l'après-midi et j'ai derrière moi vingt cinq kilomètres de marche. Je suis à Jaca et dans la ville je perds le Chemin mais je tourne à droite et le retrouve plus loin dans la campagne.

Pour le premier jour je suis fatigué et je voudrais m'arrêter, mais rien à l'horizon. Je n'ai plus d'eau, je traverse des forêts sur de mauvais chemins de pierres, et rien, personne, pas de fontaine rien que le soleil qui tape dur et cette chaleur qui me dessèche la gorge. Il me faudra faire encore 10 km pour trouver une auberge où j'arrive si fatigué que j'ai beaucoup de mal à monter les escaliers. Je m'endors si profondément que je passe l'heure du dîner. Est-ce toujours ainsi le Camino ?

Dans le Temple au cours de mon Initiation je m'accroche et me remet entièrement entre les mains de la personne qui me guide. Tout ce qui s'enchaîne va très vite et j'ai beaucoup de mal a suivre en essayant de comprendre. Quelqu'un me pose des questions et je m'efforce d'y répondre le plus sincèrement possible.

Et puis tout à coup on me retire le bandeau et je vois des hommes qui me font face une épée à la main pointée dans ma direction. C'est pour moi comme une nouvelle naissance, je vois un local avec ses décors, un officiant sur une estrade et tous ces gens autour de moi jusque là tellement silencieux que je ne soupçonnais pas leur présence. Je les regarde les uns après les autres, ils restent impassibles. On me remet le bandeau et me voici de nouveau dans les ténèbres.

C'est dimanche matin. De très bonne heure je quitte l'auberge où tout le monde dort encore et je reprends le Camino. Le Chemin suit la route et le soleil dans mon dos projette mon ombre devant moi. Des gens font du jogging et un pèlerin, le premier que je vois, me double en me souhaitant Buen Camino. Ce deuxième jour sera encore plus terrible que le premier. Il fait 45 degrés sous le soleil à 2 heures l'après midi et je n'ai plus rien à boire. Heureusement quelques kilomètres plus loin, dans un village abandonné j'entends le bruit de l'eau couler dans une fontaine que je finis par trouver. Plus loin perché sur une colline je vois le village où se trouve l'auberge. Le soir au dîner je retrouverai une dizaine de pèlerins dont celui de ce matin qui est français et qui s'appelle Philippe.

Maintenant je suis de nouveau dans les ténèbres mais j'ai vu la Lumière. Le rituel de l'Initiation continue et j'aurai encore un moment d'intense émotion. Le Vénérable Maître me dit de me retourner et je vois mon visage dans un miroir. Effectivement, mon pire ennemi peut être moi-même, mais la seconde fois où je me retourne je vois mon ami Jean-Jacques. Lui avec qui je travaille depuis 10 ans, à qui je confie beaucoup de choses de ma vie, il est là. J'apprendrai plus tard que c'est lui mon parrain virtuel. Qu'il en soit à jamais remercié car c'est de par lui que je suis devenu le Maçon que je suis.

Philippe le français a déjà fait le chemin de Compostelle. Il me parle de la magie qui s'opère sur le chemin. Pour ma part au bout du troisième jour je ne ressens aucune magie du Camino, rien que la souffrance d'une ampoule au talon et ce sac qui me déchire les épaules et qui devient de plus en plus lourd.

Toutefois au bout d'une semaine de marche en solitaire, cette magie à laquelle je ne croyais pas est venue tout doucement. Au début de mon périple je téléphonais chez moi et à mon bureau, incapable de me détacher de ce qui était ma vie d'avant. Maintenant la vie est devenue simple. Mettre ses chaussures tous les matins, reprendre son sac et continuer à marcher, mouvement quotidien du Levant au Couchant.

Ça y est je suis Maçon. On m'a mis le tablier et remis des gants ainsi qu'une rose pour mon épouse. On m'a fait asseoir au premier rang de la colonne du Nord. Je regarde en essayant de comprendre les décors du Temple, la vêture de mes nouveaux Frères, le Rituel qui continue comme une pièce de théâtre bien rodée.

J'essaye de comprendre mais encore tout en mon émotion de ce qui s'est passé j'ai beaucoup de mal à suivre.

Cherchez et vous trouverez.

Faut-il chercher à tout comprendre sur le Camino ? Le Camino m'apprend à vivre, au jour le jour, sans se poser de question. Le plus important c'est l'état des pieds afin de continuer de marcher. Le chemin est rude, mais la fatigue physique guérit de la lassitude morale. On se demande ce qu'on fait là à souffrir au lieu de rester bien confortablement chez soi dans ce petit monde que tout un chacun s'est forgé au fil du temps.

Devant moi un long ruban de chemin rectiligne. C'est le Camino dans une province qui a pour nom « La Mesata ». 30 km sans aucun village ni fontaine sur un chemin de mauvais cailloux avec en prime les moustiques qui insidieusement vous dévorent. En marchant je revois mon initiation en loge.

Je l'ai suivie mais en réalité je ne l'ai pas vécue. Tout est allé trop vite, mais comme tous mes Frères je revivrai cet instant magique quand j'assisterai à l'Initiation de mon Frère Emmanuel qui viendra plus tard nous rejoindre sur la colonne du Nord.

Après six mois de Loge, mon Frère deuxième Surveillant m'a posé la question suivante : « Est-ce que ta vie de Maçon t'a rendu meilleur ? » Je n'ai pas su répondre. Comme sur le chemin quand Philippe m'a parlé de la magie du Camino, je ne comprenais pas. Et puis lentement, l'Apprenti que je suis fait des efforts sur lui-même pour devenir autrement. J'essaie de me taire, de m'effacer, de faire taire mon égoïsme et d'être plus attentif aux personnes qui m'entourent.

Comme pour la magie du chemin dont me parlait Philippe, je prends lentement conscience de la solidarité et de la sollicitude de mes Frères.

Dans une ville du nom de Castrojériz à l'Albergue un pèlerin a écrit ceci « Quelle belle épreuve que d'aller vers la lumière dans la souffrance et la beauté du Chemin de St Jacques, que tous les hommes avec humilité prennent la voie de l'Amour dans le respect de Dieu ». S'il avait été Maçon il aurait pu ajouter « …dans le respect de nos Frères » et ceci aurait pu se lire dans nos loges.

Depuis plus d'un an je suis assis sur la colonne du Nord, silencieux et en face de moi je regarde bien souvent avec une envie non dissimulée la Colonne du Midi où sont assis les Compagnons. Quand pourrais-je aller m'asseoir à leur côté ? Traverser la Loge pour aller là-bas me semble aussi loin que d'aller à Saint Jacques.

Troisième semaine de marche, mon sac me semble de plus en plus lourd bien que je me sois délesté d'un tas de choses superflues que je pensais indispensables.

N'en est-il pas ainsi dans notre vie d'homme et de Maçon ?

Mon talon me fait souffrir. C'est la deuxième ampoule au même endroit. La flèche jaune m'indique la direction d'un chemin forestier, mais je décide de ne pas le prendre car je n'ai plus rien à boire. Je marche sur le côté de la route et je croise une autoroute en construction.

J'entends quelqu'un qui m'appelle et me fait signe. Je me retourne mais je suis seul, donc c'est bien à moi qu'il s'adresse. Nous allons à la rencontre l'un de l'autre et il me présente un sac ouvert au fond duquel je vois une boite d'aluminium pleine d'eau bien fraiche. Un trésor pour moi le pèlerin assoiffé. En espagnol je devine qu'il veut me la donner, mais la route est encore longue et je la prends dans mon sac en me confondant en remerciements en français.

Il me répond en espagnol et me tend une bouteille d'eau fraiche moitié pleine qu'il tient à la main. Bois me dit-il. Je n'en veux pas. Je lui fais signe qu'il doit la garder, mais il insiste. Alors je bois d'un trait le reste de la bouteille tellement j'ai soif.

Mon frère, je ne connais pas ton nom et il n'est pas certain que je reconnaîtrais ton visage, mais je n'oublierai jamais le plaisir qui se lisait dans tes yeux en voyant le pèlerin que j'étais boire si goulument. Que le Grand Architecte de L'Univers te remercie à jamais.

Un événement se passe dans ma vie d'Apprenti. Je dois lire la planche que j'ai préparé sur les Trois Fenêtres du Tableau de Loge. Me voici assis devant mes Frères. C'est un instant d'émotion que j'attends et que j'espère depuis deux ans. Je m'efforce de rester maître de moi bien que la peur de mal faire me travaille au plus profond de mon être.

Vous tous mes Frères qui êtes passés par ce chemin, souvenez-vous de cet instant.

Frappez et on vous ouvrira.

J'arrive dans une ville du nom de Santo Domingo de la Calzada. C'est un dimanche et toutes les auberges de pèlerins sont complètes. Je tente un essai dans un hôtel magnifique, mais sans doute que mon aspect physique ne correspond pas au style de la clientèle huppée de ce lieu car l'hôtesse me dit que c'est complet. Elle me donne l'adresse d'un couvent tenu par des sœurs Ursulines et après avoir trouvé, je cherche vainement l'entrée. Une dame d'un certain âge me demande en espagnol ce que je cherche. Je lui réponds en français et miracle, elle me répond en français qu'elle loge pour une semaine avec son mari dans ce couvent. Je lui explique que je viens de la frontière belge et que je n'habite pas très loin du couvent de l'Abbaye d'Orval. Alors cette charmante petite dame me dit de la suivre et après avoir longtemps parlementé avec la Mère Portière on me donne la plus belle chambre du couvent.

Merci ma Sœur, tu resteras toujours dans ma mémoire.

Voilà, je suis enfin arrivé sur les colonnes du Midi. Je suis devenu Compagnon de ma Loge après avoir effectué les 5 voyages rituels. Le Frère qui m'a guidé dans ces voyages m'a soutenu dans cette épreuve. Il était à côté de moi et j'avais toute confiance en lui. Je me laissais emporter dans ce monde nouveau pour moi sous le regard de mes Frères en leur grade et qualité. Le Vénérable Maître par ses paroles effaçait en moi la peur de ne pas être digne de la confiance qui m'était accordée. Autour de moi je ressentais confusément la chaleur de l'amitié de mes Frères m'entourer.

Assis maintenant en face de la Colonne du Nord je regarde mes Frères Apprentis et j'espère vivement qu'ils ne tarderont pas à me rejoindre.

30 jours de marche et me voilà arrivé à Saint Jacques de Compostelle. Je rentre dans la Cathédrale par la porte de l'Est et je remonte vers l'entrée. C'est l'heure de la messe et je regarde dans l'assistance si je vois un pèlerin rencontré sur le Camino. Mais non, soit ils sont arrivés depuis longtemps et repartis, soit ils sont derrière moi encore sur le chemin. Je sors et je vais m'asseoir au centre de la place de l'Obradorio. Je regarde cette magnifique Cathédrale dans un moment de recueillement du soir naissant.

C'est fini, le Chemin est terminé. Toutes ces souffrances, mais aussi ces moments de joies, les multiples rencontres, les soirées à l'auberge, les paysages magnifiques, tout ça c'est terminé. Demain nous reviendrons dans le monde profane au milieu de nos familles et nos amis en reprenant nos styles de vie d'avant.

Le pauvre Pèlerin pense qu'il avait pris le Chemin avec le but précis d'arriver à Saint Jacques mais en réalité ce qu'il ignore c'est que c'est le Chemin qui l'a pris.

Le chemin est le but, mais en vérité le but est le chemin. Comme lors de son entrée en Loge, le Profane pense qu'il est devenu Maçon mais en vérité la Franc Maçonnerie ne le quittera jamais.

Le pèlerin repartira un jour sur le chemin où sur les chemins avec l'espoir de connaître à nouveau cette fraternité qu'il a connue à travers les rencontres d'un jour ou d'un soir. Il essayera de retrouver cette simplicité de vivre, de boire, de manger, de dormir et de repartir au petit matin dans l'aube naissante à la rencontre d'un nouvel univers.

Il aura soif de rencontrer la vie tout simplement.

Comme en Loge, cette Fraternité ne quittera plus le Maçon. Il ira vers d'autres Maçons, avide de connaissance, à la recherche éternelle du Graal qu'il ne trouvera jamais.

Le Chemin est le but, le but est le Chemin.

J'ai dit Vénérable Maître

A\ A\


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