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Le Chemin de Saint Jacques

Si tu le veux vraiment, l'Univers entier favorisera la réussite de ton projet
Sois assuré qu'il y a autant de chemins que de cheminants.
Pars randonneur, tu arriveras pèlerin.
Fais le premier pas, le Chemin fera le reste.
C'est ce que dit la légende et la légende dit vrai.
En marche, ne pense pas. Médite.
Ne t'arrête pas. Ne reviens pas en arrière.
Aime ce que tu rencontres. Ne t'attache à rien.
Regarde, sent, écoute, ris, pleure, chante, souffre, jure…
Un jour la prière montera à tes lèvres.
Mange, bois, partage…l'envie te viendra de communier.
Connais l'épreuve de la terre, de l'air, de l'eau et celle du feu.
Laisse-toi dissoudre et consumer.
Sur le chemin, dans les vallées, sur les sommets, sois toi.
Ici on ne trompe que soi.
Au terme sois fier d'avoir pu réussir,
d'avoir dépassé tes limites,
d'avoir vaincu tes peurs, d'avoir...

Mais, n'oublie pas qu'il t'est arrivé d'être lâche.
N'oublie pas tout le reste…
Arriver…c'est renoncer !
Un proverbe chinois assure que :
« l'ombre du promeneur ne trouble pas le sable du fond de la rivière »
Qu'en est-il du pèlerin sur le Chemin ?
Qu'en est-il de l'homme dans le monde ?

Se préparer soigneusement pour renforcer la motivation
Se faire confiance à soi-même et penser que des millions d'autres l'ont fait avant soi et que beaucoup d'autres millions le feront encore. C'est ainsi que j'ai rencontré un gamin de 13 ans et un couple de Suédois de 77 et 72 ans. J'ai 60 ans et je suis proche du quintal.
Soutenir sa marche par un projet : sportif, culturel, touristique, religieux, spirituel, philosophique…tout est possible. Le mien était de retrouver tout au long de mon parcours le CHRISME symbole de l'antique Compagnonnage.

Choisir son chemin. Les classiques par Paris, Vézelay, Le Puy-en-Velay, Arles. Un inédit « la Route des Etoiles » en suivant la Voie Lactée (suppose d'avoir l'expérience de la marche de nuit en forêt, de la marche d'orientation à la carte et à la boussole et de ne pas craindre le bivouac « en dur »). Parti de Vézelay, j'ai rejoint Compostelle par  : Saint-Étienne, Le Puy-en-Velay, Mende, Castelnaudary, Foix, Aulus-les-Bains, le Port (col) de Salau (limite frontière Andorrane), celui d'Espot et le Parc National D'Aigüetortes, Pont de Suert, Campo, Ainsa, Fiscal, Sabinanigo, Jaca et le « Camino Frances ».

Tracer un itinéraire précis et construire son journal de marche. J'ai utilisé « Le guide de la France routière et Touristique » édité par Sélection du Reader's Digest, les cartes IGN au 1/100 000 et les Topo-Guides de la Fédération Française de Randonnée Pédestre. Pour l'Espagne les cartes françaises du massif pyrénéen et « El Camino de Santiago » édité par EL PAÏS AGUILAR (existe en français).

Le journal de marche doit être établi jour par jour. Noter : points de départ et d'arrivée, points de passage, lieux remarquables, points de repères, n\ des GR, chemins et routes, points de ravitaillement et d'hébergement (plusieurs en secours). Noter le kilométrage à parcourir ainsi que le temps de marche (pauses comprises). Se baser sur 20-25Km en moyenne et 7-9 heures de marche (en terrain moyen on compte en Km, en montagne en heures et dénivelé sur la base de 300 m à l'heure). En cas de marche de nuit disposer d'un « Planiciel » (facilite le repérage des étoiles et l'orientation).

Préparer ses hébergements. Hôtels économiques, gîtes d'étapes ou de pèlerins, Auberges de jeunesse, chambres d'hôtes, amis, relations, monastères, couvents, paroisses, agriculteurs, bivouacs, rencontres…tout est possible…c'est affaire de budget. Mis à part les gîtes d'étapes que j'avais inscrits sur mon journal de marche…j'ai fait confiance à ma bonne étoile. J'ai ainsi dormi au hasard de rencontres fraternelles chez l'habitant, dans des monastères, des paroisses, à l'hôtel, en chambre d'hôtes… Sauf en hôtel ou en gîte où le prix est déterminé…je me suis fixé la règle, toujours respectée, de laisser une « obole » au moins égale au prix d'une étape en gîte. Les hôtes apprécient et en font ce qu'ils en veulent (toujours le dire avant d'accepter l'invitation et le poser comme une règle de route).

Choisir le matériel. FAIRE LA CHASSE AU GRAMME DE TROP. Cinq éléments clés : chaussures, sac à dos, duvet, abri de fortune, chapeau large bords.
Chaussures doivent être « sérieuses » (mon choix 1/2 pointure de plus que le pied, chaussettes 1/2 pointure de moins que le pied pour limiter la formation des ampoules, éviter les chaussettes double peau, préférer le tricotage fin). Compter un investissement de F 800 à 1200.
Sac à dos 60-80 litres (mon choix : type armée française doublé imperméable, solide et léger - (dans les surplus militaires) - coût F 350).
Duvet ultra léger (mon choix : 5-700 grammes, limite à 0°, plus matelas pneumatique auto gonflable (poids 350 grammes) et couverture de survie) - coût environ F 800.
Abri de fortune (mon choix : deux ponchos militaires agrafables (utilisation en cape de pluie et abri de fortune - très utile en cas de coup de torchon)).
Pour le reste : deux shorts, deux chemises manches courtes, 3 slips, 3-4 paires de chaussettes, 1 veste blouson coupe vent doublée mais légère, 1 pantalon de ville léger, 1 serviette de toilette, savon non parfumé (les odeurs attirent les insectes), brosse à dent, dentifrice à mâcher, couteau type Opinel, sifflet, ficelle (fine, 10 m), quelques pinces à linge, mini trousse de couture, couverts de table, quart, poêle assiette (en alu), pharmacie légère (bétadine, aspirine, crème pour les pieds, aspivenin - Eviter crèmes solaires ou de beauté, anti-insectes, anti-transpiration, rasoir… et sur-peau pour ampoules (ça a failli me coûter un orteil)), lampe électrique frontale, boussole, sandalettes légères, guêtres ou sur-chaussettes...éventuellement téléphone portable (utile surtout sur parcours inédits). Budget global de F 3-4000 (hors portable). Pour la gourde le mieux me paraît être le sac thermo et la bouteille 1,5 litre plastique. Pour ma part, j'ai marché en short, chemisette et sur-chaussettes.
S'entraîner avant ou pas ? J'ai tendance à penser que ça ne sert à rien d'autre que de faire les chaussures.

S'assurer : Indispensable. Assurances personnelles plus assurance spéciale FFRP.
Adhérer à la Société des Amis de Saint Jacques, demander la Carte de Pèlerin qui permet de valider le parcours et d'obtenir, au terme, le fameux diplôme ou « Compostela ».
Bâton ou pas? Coquille ou pas ? Réponse oui. Ne pas s'embarrasser d'un « bourdon » lourd et cher. Mon bâton était une simple jetée de hêtre séchée sur ses extrémités au feu de bois (conserve la sève, donc la souplesse, et durcit les pointes). Tenu, le pouce sur l'extrémité supérieure, l'avant bras doit être horizontal. Si possible l'une des extrémités doit être fourchue (la fourche déroute les chiens agressifs et permet de fixer un serpent au cas où…). Normalement la coquille est l'attribut du pèlerin de retour. J'en avais fixé une sur mon sac à dos. Outre qu'elle me fut d'agréable compagnie, elle a attiré vers moi de nombreuses aides spontanées. Elle permet également de se signaler aux anciens pèlerins qui ne manquent jamais d'apporter un coup de pouce. Mon bâton et ma coquille sont les deux objets les plus précieux que j'ai ramené de mon voyage.

S'engager sur le Chemin
100% de préparation + 100% d'inconscience + 100% d'adaptation au terrain et aux circonstances.
Fais le premier pas dit la légende, le Chemin fera le reste. La légende dit vrai. Le Chemin offre tout et plus encore…mais rien n'y est jamais gratuit. N'y cherche pas de réponses ailleurs qu'en toi même.
Partir pour 1 kilomètre ou pour près de 2000 ?
Partir, et accepter d'être autre que ce marin de Gibraltar qui n'a jamais voyagé que par procuration, partir et ne plus être la sentinelle du Désert des Tartares.
Partir, et s'accrocher à la chaîne multimillénaire des pérégrins.
Partir et lâcher prise. Sortir de son confort, de ses habitudes matérielles et physiques, de ses schémas spirituels et mentaux, de ses certitudes. Se mettre en danger de nouveauté. S'en remettre à l'autre, aux autres plus qu'à soi-même.
Etre clair sur ses motivations. Etre humble face à la nature et à soi-même (on apprend vite à le devenir). Apprendre à dire oui et merci (là aussi ça vient vite). Si j'ai assez facilement franchi les Pyrénées, alors que je ne suis pas montagnard ; si je me suis assez bien sorti d'une traversée de sierra hasardeuse ; c'est à la douceur de la Nature que je le dois. Face à elle mes aptitudes personnelles ont été peu de chose.
Avoir toujours en perspective que le but c'est d'abord le chemin. Mais c'est aussi d'arriver…entier. Ecouter avec attention son corps et l'avis des gens du pays (surtout en montagne).
Savoir clairement ce qui est essentiel ou accessoire, ce sur quoi on peut transiger, ce sur quoi on sera ferme quoiqu'il en coûte.
Un pas + un pas…2000 Km…entre 4 et 5 millions de pas !
Ce premier pas, dans le petit matin lumineux et frais de Vézelay, après une extraordinaire soirée en compagnie des moines et moniales dans la basilique, après une courte nuit à l'Auberge de Jeunesse, après 40 ans de vie professionnelle… Qu'est-ce que je fais là et pourquoi ? Ces questions je me les pose encore. Mais…ce premier pas…à jamais gravé…
Fais le premier pas… ULTREÏA.

Pour bien marcher il faut V.E.N.T.I.L.E.R. Sauf altitude, coup de froid ou pluie une chemisette et un short suffisent. Garder le pull pour le soir. En ville, le soir, au restaurant, il vaut mieux être présentable (pantalon, chemisette, pull).
Toujours être I.M.P.E.C.A.B.L.E. Propre sur soi. Pas de tenue sale ou mal ficelée, de sacs ou objets brinquebalants. De la rigueur…c'est la clé d'accueils spontanés, ouverts et chaleureux. Il m'est même arrivé d'être spontanément pris en stop sur la route (souvent inévitable) par des dames seules. Etre propre c'est aussi ramasser ses déchets, éventuellement ceux des autres.

Bien se nourrir. Le matin petit déjeuner aussi complet que possible. Dans la journée fruits secs, fruits frais, pain, fromage, éventuellement un peu de jambon blanc. Le soir repas normal à base de sucres lents. Le vin c'est très bon - ne pas en abuser- la bière aussi (facilite l'élimination de certaines toxines). En marche boire de l'eau - entre trois et cinq litres par jour - refaire le plein aussi souvent que possible pour garder l'eau fraîche - éviter de s'approvisionner dans les ruisseaux et les torrents (risques de contamination même en altitude).
 
Les principaux dangers du Chemin : ils viennent de soi (fatigue, hors limites, chutes, imprudence, notamment le feu), des chiens (éventuellement avoir sur soi un bip à ultrasons qu'on trouve dans les armureries), et, sur la route, des automobilistes - toujours marcher à gauche pour faire face à la circulation - la nuit avoir une lampe électrique allumée. Attention aux poids lourds, leur vent risque de déséquilibrer. En forêt attention aux cavaliers, « vététistes » et autres motards verts, il est rare de les entendre venir. Sous la pluie, la tête dans la capuche du poncho on n'entend plus rien.

Vivre les joies et les peines du Chemin
C'est un Chemin extraordinaire fait par des gens ordinaires pour d'autres gens ordinaires. Mais :
Si tu n'es pas prêt à te réjouir de tout, de rien ; si tu n'es pas prêt à souffrir, à pleurer peut-être, reste chez toi, ne pars pas.
 
Comment te dire mes rencontres ? Comment te parler de ce couple de pharmaciens du Morvan qui a été mon premier accueil et de leur étonnante collection de dessins à la plume d'Henri Vincenot ; de cette rencontre avec des jeunes enfants en retraite de communion à AUTUN ; de ce caviste du Beaujolais et de son Brouilly ; des Soeurs du Couvent de la Paix à MAZILLES, si jeunes, si fragiles et si fortes qui m’ont ouvert leur porte pour une nuit ; de celles du Couvent de la Visitation à SAINT ETIENNE qui ont soigné mes pieds et leurs ampoules infectées ; des « Marcheurs à l’Etoile » qui m’ont reçu ; de cette famille des environs de Lyon qui m'a accueilli pour une soirée et une nuit, comme ça, au simple vu de ma coquille ; des Dominicains du monastère de L’ARBRESLES construit par LE CORBUSIER et à son étonnant oratoire en forme de pierre cubique à pointe ; de ce maire et de ses conseillers qui m’ont copieusement nourri dans un petit village du LARZAC dont l’épicerie venait de fermer définitivement ses portes ; de mes amis du CREUZOT, de SAINT AGREVE, de CASTRES, de LACAUNE, de CARCASSONNE, de FOIX qui m’ont accueilli, à ceux de PAU rencontrés sur le chemin et avec qui j’ai marché plusieurs jours ; de cet interne du service des urgences de CASTRES qui m’a refait des pieds neufs en une nuit ; de ce guide pyrénéen qui, sur mes indications, et pour le simple attrait de cette aventure, a étudié pour moi l'itinéraire de traversée de ces montagnes qui m'étaient étrangères ; de ces jeunes espagnols fous de montagne qui m’ont aidé à franchir un passage dangereux ; de ce médecin de PUENTA DE LA REINA à qui je dois peut-être de ne pas avoir laissé un petit orteil sur le chemin ; des moines du monastère de la MERCI à SARRIA ; de ces automobilistes qui m’ont permis de terminer des étapes quelques fois éprouvantes et bien longues ; de ces vieux espagnols qui sont simplement venus me toucher le bras en me souhaitant bon voyage, c’était pour eux une bénédiction car le pèlerin est un dispensateur de grâces. Il y a encore beaucoup d’autres mains offertes que je ne peux pas toutes citer ici. Elles restent chères à mon cœur.

Comment te dire aussi mes difficultés, mes peines ? Je me souviens que dans les Auberges de Pèlerins j'ai plus souvent entendu parler de performances kilométriques que de recherche personnelle. Comment réunir les conditions du repos et de l’élévation spirituelle dans des dortoirs de 60 à 80 lits où la toilette se fait au su et vu de tous dans la promiscuité hommes, femmes, enfants ? Je ne parlerais pas ici de ces gîtes d’étapes français où la crasse est telle qu’elle provoque d’abord un mouvement de recul, ni de ceux situés au diable, loin de tout, comme si le marcheur devait être relégué loin de ceux qu’on nomme les braves gens.
Bien sûr qu'il y a aussi des gîtes d‘étapes et des auberges de pèlerins remarquables par la qualité de l’accueil et de l’hébergement (pour mémoire les meilleurs : Auberge de Jeunesse de Vézelay et du Puy, gîte d'étape de Saint-Julien-Chapteuil, de Saint-Alban-sur-Limagnole, de Saugues, de Viala-du-Pas-de-Jaux, de Font-Bruno, d'Aulus les Bains, de Salau et de quelques auberges de pèlerins en Espagne).
Je pense aussi à tous ces passants croisés l’espace d’un instant et dont il faut subir sans réagir les moqueries ou à tous ces automobilistes plus près de m'envoyer au fossé que de faire un écart et qu’il m'a fallu menacer d’un coup de bâton dans la carrosserie pour préserver ma sécurité. Je pense à ces conducteurs de poids lourds qui assourdissent le piéton à grands coups de double ou triple tons  plutôt que de lui faire un appel de phares. Je pense à bien d’autres choses encore, mais à quoi bon ?
Je pense encore à tous ceux qui souillent la terre de leur seule présence en abandonnant en tous lieux, y compris dans les plus sacrés et dans les plus beaux, leurs papiers gras, leurs boîtes de conserves ou de boissons rafraîchissantes, leurs déjections. A tous les explorateurs du dimanche qui défoncent les chemins en 4*4 et qui empuantissent les bois les plus sereins de leurs gaz d’échappement. A ceux qui ne savent pas mettre leur «  bagnole » ailleurs que sur les sites les plus remarquables. Aux motards et « vététistes » qui confondent les sentes forestières avec des circuits d’enduro. La Nature, le Principe, Dieu fassent qu’un jour nos enfants et leur descendance n’aient pas à payer chèrement le prix de nos inconséquences présentes.

Le vrai du Chemin
Ou plutôt ce que j'en ai perçu
Comment te dire le vrai du Chemin ? Sur le chemin des étoiles, on redécouvre vite que la nature est un tout et qu’il y a des liens d’évidence entre le plus petit des insectes et la plus grande des étoiles. C’est ainsi que je suis surpris à déplacer le pied pour ne pas écraser un coléoptère, à sauver de la noyade une abeille, à ramasser soigneusement le moindre détritus, à faire le ménage pour les autres, à suivre les papillons ou les conseils chantés d’un oiseau, à observer les animaux des champs, à retrouver les amorces de chemins dans l’inclinaison des herbes ou dans les différences de leurs teintes. C’est ainsi que j'ai réappris à marcher en silence et à préférer les grands espaces à l’irrespirable atmosphère des villes...si belles soient elles.
Comment te dire qu'il te faudra gravir des côtes en formes de murs et dévaler des pentes abruptes. Parcourir des chemins enchanteurs et d’autres en forme d’enfers, remplis de petits cailloux instables. Avaler des kilomètres de bitume chauffé à fournaise par le soleil. Recevoir des trombes d’eau sur la tête. Cuire sous un soleil de tous les diables. Transpirer des litres de sueur au point d’avoir les joues et les lèvres brûlées par le sel. Connaître des déserts et des forêts profondes, des lieux propices à l’élévation de l’esprit, des églises et des monastères aux cloîtres et aux ombres rafraîchissants. Voir des villages riches et d’autres où la misère paraît omniprésente. Passer par là où, il y a quelques mois, tu n'aurais même pas imaginer passer. Croiser des hommes et des femmes, de toutes sortes : Français, Espagnols, Allemands, Danois, Anglais, Belges, Suisses, Italiens, de très riches et d’autres très pauvres. Beaucoup d’entre eux se feront accueillants au pèlerin que j'étais. Je ne peux pas tous les citer ici, leurs visages sont encore présents à ma mémoire.

Comment te dire la dissolution des illusions ? Illusion ma capacité à réaliser pleinement le programme que je m’étais fixé. Retrouver sur les églises romanes de mon parcours la présence du CHRISME. Il est vrai qu’en France aussi bien qu’en Espagne tous ces édifices ont subi beaucoup d’outrages entre les guerres et les restaurations qui jalonnent leur histoire.
Illusion mes 500 Km d’entraînement préalable qui n’ont servi ni a vraiment m’endurcir ni à m’éviter la souffrance des pieds qui est le tribu payé par tous les pèlerins. Illusion ma capacité a supporter la souffrance. Illusion ma capacité à parcourir beaucoup plus que les 25 Km quotidiens. Illusion ma capacité à tolérer les conditions d’hébergement réservées aux pèlerins.
Illusion ma capacité à accepter le mode de vie espagnol, à accepter l’étranger sur son propre sol. Mais aussi illusion ma capacité à voir dans les immenses plaines espagnoles autre chose qu’un morne désert sans intérêt historique, culturel et spirituel. Mais, peut-être ne suis-je pas fait pour le désert ?
Illusion ma capacité à accepter ce pauvre que j’ai rejeté un peu brusquement alors que je venais moi-même de recevoir. Bien sûr que j’ai regretté mon attitude, mais il était trop tard.
Combien d’autres illusions se sont ainsi dissoutes au contact du chemin ? Je ne peux pas tout relater ici. C’est là un débat entre moi et moi. De ce point de vue le chemin continue.
Comment te dire la joie, le bonheur.

Merveilles mes rencontres retrouvailles avec la nature souvent presque vierge.
Merveilles les paysages à couper le souffle.
Merveilles mes rencontres avec les hommes.
Merveilles les témoignages de leur travail.
Merveilles les dons reçus.
Merveilles le vin généreux et les nourritures terrestres qui reconstituent le corps.
Merveilles notre sœur l’eau, notre frère le soleil, notre ami le jour avec sa multitude de découvertes, notre amie la nuit et son cortège d’étoiles.
Merveilles les prières qui viennent aux lèvres du marcheur qui de touriste devient bien vite pèlerin.
Merveilles ce chemin extraordinaire fait pour des gens ordinaires.
Merveilles mes intuitions car je préfère ce mot à celui de visions, et pourtant...

Comment dire la perception que j’ai eu de la quadri -unité lorsque sous mes pas, et probablement en raison de la fatigue, j'ai eu l'impression que la terre se transformait en un cristal au cœur duquel une présence se tenait à la fois vierge, épouse et époux, mère et père, enfant et géniteur, matière et esprit ? Ne serait ce pas cela la notion de centre qui donne forme, vie, cohésion et sens aux différents symboles de la géométrie sacrée ?
Comment dire cette étonnante impression de communion avec tout l’univers ressentie alors que je m’efforçais de sauver de la noyade une reine des abeilles ? Est-ce cela la compassion au sens où elle est décrite par Bouddha ?

Comment dire cette impression ressentie d’être entré sur le territoire de la mort dans cette sierra déserte située entre Fiscal et Yebra de Basa où j’ai failli me perdre et où j’ai manqué d’eau pendant au moins huit heures sur une journée de marche qui m’en a pris 16 ? Bien qu’ici ma vie n’ait pas été mise en danger immédiat, je puis assurer que la présence de la mort est physiquement perceptible et qu‘elle a une « odeur » au sens où les anciens égyptiens entendaient ce mot.

Comment dire la rencontre avec les puissances de la nature autrement que par l’évocation de ce petit papillon qui me montre une source alors que j’étais assoiffé et de cet oiseau qui me guide par son chant sur le bon chemin alors que j’étais près de m’égarer ? Rencontre avec l’ange gardien... ? Peut-être ?

Comment dire ce que j’ai ressenti en vivant physiquement la différence évidente qu’il y a entre une perpendiculaire et une verticale? Sac sur le dos, il faut y aller voir et passer, par exemple, d’un Causse à l’autre, d'une montagne à l'autre.

Comment dire ce que m’a inspiré ma montée au col du Portarro et que je pourrais intituler « le voyage de l’âme » ? Partir en pèlerinage à pied c’est s’arracher de soi même, de ses biens, de ses habitudes, de son confort. C’est partir à l’aventure. C’est lâcher prise et s’en remettre à l’autre. C’est vaincre ses peurs ou au moins tenter de les maîtriser. C’est combattre l’angoisse à chaque instant. C’est plonger dans l’obscurité des forêts et des vallées et c’est remonter dans la lumière des sommets. C’est traverser des déserts arides et des plaines fécondes. C’est affronter la foule et la solitude. C’est peiner, souffrir et quelques fois pleurer. C’est aussi être inondé de joie et exulter de bonheur.
Et puis viennent les rencontres. Avec ceux qui attendent le pèlerin. Avec ceux qui ne l’attendaient pas mais qui l’accueillent les bras grands ouverts. Avec ceux qui marchent déjà. Il y a de ces rencontres lumineuses, il y en a aussi de sombres. Mes rencontres avec le démon, elles, resteront secrètes.
Partir, c’est accepter une petite mort. C’est aussi devenir libre. Au terme, mais à cet endroit je ne le savais pas encore, il y a cette extraordinaire cathédrale et le merveilleux sourire de Saint Jacques, quelle joie!... Là haut, sur ce col pyrénéen, il me semble avoir vu, au terme de son voyage terrestre, l’âme faire ce chemin sur lequel j’ai peut être trouvé la liberté de passer d’une rive à l’autre. Ame, esprit, conscience, qu’importe, nous poursuivons le voyage...  « ULTREIA ».

Et ce qu'il m'a appris
Comme la destinée humaine, comme le dernier et grand voyage, ce chemin extra ordinaire est fait pour des gens ordinaires.

Il a quelque chose d’héroïque, non pas que le pèlerin soit un héros, mais parce que le chemin conduit celui qui s’y engage vers le dépassement de lui même. Parce qu’il permet à celui qui s’y aventure d’actualiser en lui l’archétype du parcours de l’âme, de la conscience humaine. Parce qu’il l’engage sur la trace des millions d’hommes qui, avant lui et pour lui, ont forgé la civilisation. Parce qu’il est porteur de mythes et de légendes.

Il est religieux au plein sens du terme. Parce qu’il restitue l’homme dans ses racines. Parce qu’il l’inscrit au cœur d’une tradition universelle - celle du pèlerinage - connue de toutes les civilisations, de tous les temps, de tous les continents. Parce qu’il relie l’homme à la nature et par elle au Principe. Parce que sur le chemin, rien ne s’oppose au passage de la Lumière. Parce qu’il est voyage et reconnaissance du véritable « opus dei » sous la forme du travail de la nature et de celui des hommes. Parce qu’il est chemin de solidarité et de fraternité.

Il a quelque chose d’alchimique y compris dans ses manifestations les plus élémentaires. J’ai cuit sous le soleil, mais ne faut-il pas passer la matière au creuset pour la dissocier ? J’ai pris la pluie dense, mais ne faut-il pas plusieurs fois procéder aux lavures pour recueillir le sel? J’ai bu ma propre sueur, n’est-ce pas l’humidité des corps en présence qui est leur meilleur dissolvant ? J’ai même souffert quelques kilomètres avant Compostelle d’un gros ennui digestif, sans doute provoqué par des antibiotiques. N’était-ce pas là une ultime purgation pendant que les eaux du ciel procédaient au dernier lavage de cette matière - moi-même - peut-être un peu ennoblie par la route et ses épreuves ?

Il a aussi quelque chose d’initiatique. Parce qu’il éclaire l’être sur ses limites - mais il n’y a de limites que celles qu’on accepte ou qu’on s’impose à soi même -, sur les attitudes qu’il a vis à vis du monde qui l’entoure. Parce qu’il l’invite à renouveler et à élargir la perception qu’il en cultive. Parce qu’il remet l’homme au contact des éléments naturels et de leurs principes radicaux. Parce qu’il est apprentissage, celui de la route, compagnonnage, celui des rencontres. Parce que ce chemin, qui fait d’un touriste un pèlerin, conduit vers la maîtrise en obligeant l’homme à trouver en lui même les sources de sa spiritualité, de sa lumière. Parce qu’il est un immémorial chemin de sagesse. Parce qu’il réclame et insuffle de force. Parce qu’il témoigne de la beauté des œuvres de la nature et du travail des hommes. Parce que chaque pèlerin, mettant ses pas dans ceux de ses prédécesseurs, assure lui aussi, avec les vivants et les morts, la pérennité de cette œuvre.

Nous sommes là au cœur d'enseignements secrets.
Pour de nombreuses traditions initiatiques, dont l'antique tradition chrétienne, le néophyte, avant d’être initié, est dans les ténèbres. Il est admis pour avoir désiré la Lumière. Il est dépouillé d’une partie de ses vêtements pour rappeler le dénuement de l’origine, le cœur découvert en signe de sincérité, le genou dénudé en signe d’humilité. Il a le pied gauche déchaussé par respect d’un lieu qui est saint et privé de la vue par ignorance du chemin et du but, dépourvu de tous métaux en signe de désintéressement et de renonciation. Il fera plusieurs voyages destinés à lui montrer la route de la vérité, mais au début du chemin il ne verra rien qu’un esprit humain puisse concevoir, un voile épais couvre ses yeux. En recevant les prémices des enseignements il est mis sur la voie de la Vérité, il lui appartient de trouver la suite du chemin. Pour l’aider, le temple est orienté pour indiquer le point apparent d’où viennent la Lumière et le sens de sa progression. Par toute la terre et toute sa vie, il se consacrera à tenter de lever le voile de l’obscurité, à tenter de rassembler ce qui est épars et à répandre partout la lumière. L’initié fera d’autres voyages, verra d’autres étoiles, il passera des lignes droites aux grandes courbes et au cercle. Il ira sous le laurier et sous l’olivier, remportera des victoires sur lui même et connaîtra la paix et la fraternité, l’échec aussi et son amertume. Il marchera de l’étoile du matin jusqu'à l’étoile du soir. « ULTREIA », toujours plus loin. Un jour il reviendra pour poursuivre le travail sur la route du devoir.

Il suffit de regarder avec un peu d’attention les nombreuses statues de saints et de pèlerins qui jalonnent le chemin pour se convaincre que c’est assurément la voie suivie notamment par les deux saint Jacques et saint Roch, par de nombreux chemineaux emblématiques et par tous les pérégrins.
Il y a ainsi de nombreuses analogies entre la démarche initiatique et celle du pèlerin de tous les temps en quête lui aussi de la Lumière.

Parce que, et j'ai pu le vérifier en marchant aux côtés de quelques uns d'entre-eux, l’initié qui marche le chemin ne lui est pas étranger et le chemin ne le reçoit pas en étranger. En premier lieu parce qu’il est un chemin traditionnel du Compagnonnage des métiers dont les œuvres exaltent le Principe sous une double expression active et masculine - celle de Dieu Créateur créant -, passive et féminine - celle de la Vierge Marie, nature toujours vierge et cependant toujours procréatrice. Ces qualités, actives et passives, sont celles qui sont attachées aux colonnes de beaucoup de temples ainsi qu’à de nombreux outils symboliques.
Parce que, comme la démarche initiatique, la marche sur la route des étoiles est orientée vers la Lumière et vers toutes les directions du monde. C’est, par exemple, ce qu’enseigne le Christ au portail de Vézelay et dans d’autres lieux. C’est ce que montrent les différentes déambulations rituelles de la liturgie.

Parce qu’il est chemin de perfection qui mène celui qui le marche de la position de disciple - celui qui suit, celui qui apprend (Jacques le Mineur) - à celle d’apôtre - celui qui est envoyé, celui qui enseigne (Jacques le Majeur). C’est là l’évolution qui conduit de l’apprentissage à la maîtrise.

Parce qu’il est découverte, ou redécouverte, de la double nécessité d’une identité - non d’une égalité - et d’une continuité absolue et permanente entre le Principe et la manifestation. Identité, continuité, permanence...absolus sans quoi le Principe ne saurait être l’Universel. C’est ce qu'enseigne, me semble-t-il, la voie symbolique qui conduit, à travers l’étude des symboles, à re-connaître, dans la diversité, la présence du « tout-un ».

Parce que, comme la voie initiatique, comme la voie monastique, comme la voie du devoir, comme celle des entreprises humaines c’est un chemin difficile sur lequel on ne peut s’engager qu’au risque de se perdre. Prend-il des risques celui qui ne se complaît qu’aux douceurs des petits chemins de plaine ? Et quel est le risque de celui qui cherche la Lumière vers les sommets ?
 
Parce qu’il est douceur et violence. Comme la communauté initiatique ou religieuse, comme l'entreprise c’est un cocon propice à la réflexion, à la recherche de l’harmonie, à l’échange fraternel entre celui qui chemine et le monde qui l’entoure. C’est aussi un lieu d’affrontement, de combat. Contre soi-même, contre la nature et les éléments, contre les autres aussi pour préserver son propre espace. C’est quelques fois le lieu de l’urgence où l’action prime en attaque et en défense.

Je pourrais encore poursuivre. Mais ici, avant de conclure, je préfère laisser parler le Chemin à travers une phrase empruntée à une documentation trouvée sur la voie des étoiles : « Le pèlerin, dit ce document, reviendra du « Finis Terrae » (la fin des terres) proche de « Compostelle » (le séjour après la mort) avec la certitude qu’il y a abordé l’annonce de l’infini, de l’au-delà de l’océan et qu’il y est un peu préparé... Il n’a plus dès lors qu’à attendre que l’étoile vienne se fixer au lieu du départ pour le grand voyage, le vrai ».
Entre mai et juillet 1997, j’ai mis mes pas dans les pas de millions de pèlerins. J’ai vu leur œuvre unir le ciel et la terre. Nulle part sur le chemin je n’ai vu l’empreinte de leur nom. Que ce témoignage soit l’hommage qu’à travers l’espace et le temps leur rend un pèlerin moderne. Ils ont écrit un livre qui, pour être muet dans ses apparences, n’en est pas moins le témoignage vivant et toujours actuel de la Tradition.

Alors « ULTREIA », plus loin, toujours plus loin. Ce n’est pas parce que le prochain est au bout de notre main qu’il ne faut pas aller le trouver au bout du monde. Ce n’est pas parce que le Principe est partout qu’il ne faut pas aller le chercher ailleurs.

Si tu m'as bien suivi…comprends


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