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Les Vieux


Il y a quelques temps, au décours de l’une de nos tenues, a surgit l’image de petits vieux, alignés en rang d’oignons à l’entrée d’établissement, et semblant ne rien attendre, ou plutôt de n’attendre que la fin.
Mon propos de ce jour est de tenter de démontrer qu’il y a autre chose, et que la vie et la projection sont là, jusqu’à l’ultime instant.

J’ai été accompagné dans cette réflexion par Raymond, prêtre orthodoxe de 74 ans ; Edmond, maître maçon de 77 ans et Jeannine, veuve de militaire de 84 ans, actuellement en établissement de retraite. Qu’ils trouvent ici l’expression de ma gratitude.

Les «vieux» désignent, dans le langage populaire, les parents, ceux de la génération précédente, avec une légère connotation d'usure, de décrépitude. Mais ce peut être également un terme d'affection si on y adjoint un déterminant possessif : «mon vieux», «ma vieille ».

Les vieux ne sont pas les anciens. Les anciens sont des rouages indispensables en charge essentiellement de la transmission. Même si ce sont des non actifs économiques, ils gardent une dimension d’actif, et ceci indépendamment de leur âge biologique. Le gouvernement l’a parfaitement compris en proposant aux séniors d’arrondir leurs fins de mois, et ceci aux dépends de l’embauche en amont de jeunes, qu’il faudrait payer intégralement.
Dans les îles du Pacifique, on faisait monter les vieux au cocotier afin de montrer leur résistance ou de les éliminer comme improductifs. Nous, nous ne les éliminons pas. Ils représente l’aboutissement d’une civilisation, voir de la civilisation, mais j’y reviendrai.

Les vieux sont au delà de la transmission. Atteint dans leur intégrité, ils doivent compenser et décaler leurs objectifs. En termes technique, ils ne peuvent effectuer un ou plusieurs actes élémentaires de la vie, comme par exemple se laver, se vêtir, se nourrir ou se déplacer.
Le temps a passé, trop vite, beaucoup trop vite, « pour un vieillard de 80 à 88 ans, le temps ne semble pas plus long que pour un enfant de passer de 10 à 11 ans. En effet dans les deux cas, l’âge a été multiplié par 1,1. Or, c’est ce taux d’augmentation qui est spontanément perçu. Pour tenir compte de cette caractéristique de notre perception, il est préférable de mesurer l’âge par le logarithme du nombre d’années, 1 pour l’enfant de 10 ans, et 2 pour le vieillard de 100 ans. Celui-ci n’est donc que 2 fois plus âgé que celui-là ». (Albert Jacquard).

La mort est devenue une compagne quotidienne, car elle a déjà emporté nombre de proches. Ce n’est plus une ennemie car elle est devenue la conclusion logique non souhaitée, mais acceptée d’une existence qui par moment semble longue.

L’adaptation à notre monde est déjà difficile en pleine intégrité, alors porteur de handicaps elle paraît alors insurmontable.
La monnaie a changée, le téléphone, instrument que l’on a découvert vers l’âge de 30 ou 40 ans, est maintenant dans les poches des gamins de 7 ans. Le TGV qui nous amène à Paris en moins de 3 h, éloigné, si éloigné de la locomotive à vapeur. On est relié au monde, mais au détriment de la proximité, il n’y a qu’à se remémorer le nombre de petits villages ou arrivait le train dans les années 1950.

Cette adaptation passe par une phase initiale d’acceptation, sans nécessairement chercher à dominer, et par la poursuite d’un projet personnel, hors le temps et l’espace, qui est du domaine de la spiritualité. Tous les moyens pour s’en approcher sont valables : la persévérance dans l'exercice physique ou bien la constance de l'activité intellectuelle, que ce soit dans la production comme dans l’appropriation.

Puis peut arriver un moment ou le corps ne suivant plus, la dépendance provoque l’obligation d’une transplantation dans un milieu protégé. Il faut alors qu’ils acceptent la disparition du toit qui les a abrités, protégé, symbole de leurs efforts, témoin de leurs joies et de leurs peines. Après l’acceptation, l’angoisse de la mutation surgit puis se matérialise quand ils intègrent une chambre qu’ils savent être leur dernière demeure. Il faut alors la compétence de l’ensemble des accueillants pour les rassurer. L’ambiance doit être calme et apaisante, mais aussi dynamique afin d’entretenir un projet de vie, des objectifs, et une projection vers demain.
Cette projection devant être centrée sur eux même car leur œuvre est terminée : ce sont leurs descendants qui sont voués à de grandes tâche et en charge d’assumer l’évolution de la succession et de la transmission.

Eux sont au delà, dans une autre société avec d’autres règles. Ils sont notre luxe, ils sont beaux et improductifs, ce sont des œuvres d’arts fragiles à respecter. Devenir gardien du musée où ils demeurent dorénavant peut se révéler d’une richesse inouïe, car la peinture que l’on voit n’est toujours que l’apparence dissimulatrice du dessein d’une vie qui appartient déjà à l’histoire. Ils demeurent et sont notre caution bienveillante. La confiance qu’ils nous accordent en dépit de nos maladresses et insuffisance est une leçon de respect, car ils acceptent notre droit à l’erreur.

Si notre vieux se retrouve déstabilisé, amoindrie par une perte de repères imputables au changement de lieu de vie, et/ou à un accident de santé, le risque de glissement vers le néant est alors considérable. Il faut alors chercher et retrouver l’impalpable fil virtuel cognitif et le dérouler avec douceur. Les moyens sont simple : toujours commencer par valoriser l’acquis en lui donnant des tâches accessibles, voir utiles et si possible créatrices. Il peut alors progressivement retrouver un nouveau lien sociale, une dignité et une raison d’être.

Le sentiment d’abandon initial fait alors place à un sentiment de sécurité dans une communauté vivante et protectrice. Ils acquièrent la sérénité de vivre sans soucis, sans fatigue après une vie plus ou moins laborieuse, heureuse ou peut être pénible, triste, tourmentée… Enfin pour eux, la paix…Ce sont des hommes et des femmes libres et de bonnes mœurs, l’ordre ne devraient il donc n’ouvrir ses portes qu’à ceux qui sont proches du tombeau ?

La résidence pour personnes âgées doivent constituer des lieux de vies protecteurs. Ce ne sont plus les endroits sordides et lugubres ou la maltraitance était de rigueur, l’insalubrité et les négligences multiples la règle, le confort matériel et moral inexistant. Ces « mouroirs » ont, je l’espère, définitivement disparus. En tout cas, la loi les interdits. Avec un petit peu d’amélioration, en jonglant avec les normes sanitaires et de personnel, dans la limite de l’acceptable se situent les « asiles de vieux ». Ils devraient aussi être fermés, mais souvent les contingences locales les maintiennent en l’état par faute de solution alternative. Avec le respect des normes en tout points, ce qui va faire progresser le confort, l’hygiène, la nourriture et la qualité de l’accueil, on trouve les « maisons de retraite ». Avec une volonté de mieux faire, et l’alliance des volontés politiques et privées, on arrive aux « résidences » : le confort progresse, les lieux sont modernes, les espaces s’élargissent, la propreté, la clarté donnent satisfactions. La nourriture est améliorée, voir recherchée, par des cuisiniers professionnels. Les tables sont bien dressées, avec couverts et vaisselles correctes. Partout la décoration, les peintures et l’harmonie des couleurs sont agréables. Le service est attentif, aimable et respectueux. Le lieu est digne d’une population évoluée et plait à celles qui n’ont jamais trouvés ce niveau de confort antérieurement.

Ces résidences doivent devenir la norme et le refuge de nos vieux quand ils ne peuvent plus se suffirent à eux mêmes, et quand la famille, malgré l’amélioration des maintiens à domicile, ne peut plus les garder avec elle dans des conditions dignes et acceptables par tous. Elles sont l’illustration de la charité, ce sentiment qui nous fait pencher sur les misères et les malheurs de nos semblables pour essayer de les en délivrer ou de les consoler. Ce sentiment qui implique le partage par l’égalité et le nivellement illustrés par le niveau, symbole que nous nous sommes appropriés. C’est l’acceptation et la dignité devant la vie.

J’ai dit

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