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La solitude


L'homme a toujours été un animal grégaire. Initialement, ce regroupement avait pour but d’assurer la survie de l’espèce, dans un environnement hostile. L’organisation sociale a, depuis, été basée sur le groupe.

Dans la majorité des régions du monde, le groupe de référence reste le village qui, lui-même, est composé de quelques familles. Cette structuration a conditionné les usages de chacun vis à vis de son environnement et de son entourage.
Les concentrations ont été longtemps restreintes et, selon les régions, la population demeurant dans les villages représentait 80 à 90% de l'ensemble de la population. En France, il reste encore 20.000 communes de moins de 500 habitants.
Mais, depuis un siècle, la tendance évolue très vite et nombre de pays voient déjà leur population urbaine dépasser 50% de la population totale.

Est-ce seulement, le désir avoué de profiter des avantages de la ville, qui pousse les hommes à toujours plus se regrouper ? Ou est-ce, aussi, le sentiment de solitude qui nous fait fuir les "déserts" ruraux, d’où ont déjà disparus ce qui en faisait la vie et le charme comme les cafés, les petits commerces et même les écoles ?
Qu’est-ce que la solitude ? Si l’on s’en tient à la définition du dictionnaire : " la solitude est la situation d'une personne qui est seule, de façon momentanée ou durable ".
Mais ce n’est pas aussi simple, car il n'y a pas, un seul type de solitude, mais plusieurs, selon le vécu de l'individu par rapport à ce qui provoque son sentiment de déréliction.

La solitude par rapport à l'environnement
La solitude par rapport à l’environnement est la situation la plus familière. C’est un état involontaire qui se caractérise par l’éloignement des lieux habités. Il s’agit plutôt d’un isolement. Ainsi, le berger en montagne, le nomade au Sahel ou toute personne dont l’activité nécessite sa présence dans des lieux peu fréquentés, sont isolés, mais n’éprouvent pas forcément, ni constamment, une impression de solitude.
Ce sentiment peut aussi s’éprouver dans des endroits qui dégagent une atmosphère gênante, voire angoissante. Ainsi, lorsque Verlaine parle " du vieux parc solitaire et glacé " il ne décrit pas un lieu réellement isolé, mais un lieu où l’homme n’a pas sa place ou, plus simplement, ressent une certaine hostilité de l’environnement comme dans une forêt où les sons sont étouffés, ou encore, la nuit où nous ne pouvons qu’imaginer ce qui nous entoure. C’est un des aspects négatifs de la solitude. Ce sont nos sens qui sont atteints.

Pourtant, nous éprouvons parfois du plaisir à nous promener en forêt ou dans un endroit calme, retiré et parfois même sauvage. C’est l’aspect poétique du retour à la nature, aux origines, d’un endroit non pollué par une présence qui nous émeut. Ainsi, celui qui a séjourné dans le désert en garde une image fascinante. " Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c’est qu’il cache un puits quelque part ".

La solitude par rapport à la société
La solitude peut aussi se définir par rapport " aux autres ". Nous évoquons souvent la situation de l’ermite, de celui qui a choisi la vie érémitique ou monacale. Mais, il s’agit d’un isolement volontaire, où le but est de se retrouver avec soi-même et de faciliter ainsi, une introspection ou toutes spéculations intellectuelles pour lesquelles une retraite momentanée est profitable.
Cette solitude là, n’a rien de négatif. Bien souvent, celui qui la pratique passe même pour un sage.

Moins positif, est le choix de celui qui refuse de vivre au sein de la société telle qu’il la ressent. " Les autres " ne correspondent pas à l’idéal qu’il imagine et il préfère s’en tenir éloigné pour ne pas être perturbé ou même pollué. Dans ce cas, la réaction de la société est beaucoup moins positive, il passe pour un misanthrope, un sauvage ou un ours.
Mais la solitude la plus douloureuse est involontaire. Il suffit de se sentir ignoré, voire rejeté par la société. C’est la solitude des marginaux, des inadaptés et des exclus, de ceux qui ne trouvent pas leur place dans la société. Cette situation pourra se traduire par une passivité et un retrait menant jusqu’à la rue, à la " zone ", ou même à la situation de S.D.F. ou encore de clochard.

Cela peut être, plus couramment, celle des adolescents qui n’ont plus le statut d’enfant et le confort qui l’accompagne, mais qui ne se reconnaissent pas dans les schémas qui leur sont proposés par nos structures sociales. Il y aura, au contraire, réaction plus ou moins violente vis à vis d’un système qui impose des clichés qui ne correspondent pas aux projets qu’ils se sont construits.

La tendance actuelle serait moins agressive, puisque les jeunes restent beaucoup plus longtemps dans le cocon familial. La non-intégration dans le milieu du travail ne suffit pas à justifier cette attente. La vie associative ou la bande n’apportent plus suffisamment de réponses à ce sentiment qui n’est pourtant pas nouveau, puisque Molière disait déjà " La solitude effraye une âme de vingt ans "

La solitude par rapport à son entourage
La solitude peut aussi être éprouvée par rapport à son entourage immédiat.
Quand ce n’est pas tout simplement un dérangement mental plus ou moins grave (l’autisme par exemple), cela peut être la réponse à un besoin d'identification ou même à une saturation par la présence oppressante d’un entourage omniprésent.

Un enfant introverti, qui participe pas suffisamment aux jeux ou qui se complaît dans la lecture sera déprécié par son entourage. Le sentiment n’est pas vécu alors par l’intéressé, mais par ceux qui sont frustrés que l’on n’ait pas besoin d’eux. C’est une infirmité dans les sociétés comme celle des États-Unis où l’appartenance au groupe est jugée indispensable pour un épanouissement normal.

Cette réaction négative se retrouve vis à vis des célibataires. Les noms d’oiseaux qui leur sont adressés ne se limitent pas au sobriquet de vieux garçon ou vieille fille. Pour persuader les récalcitrants de convoler, la bible est évoquée pour affirmer que " Mieux vaut vivre à deux que solitaire " tandis qu’eux se défendent par des dictons comme " Mieux vaut être seul que mal accompagné ".
Nous constatons que non seulement l’homme n’aime pas être seul, mais qu’il n’apprécie pas ceux qui s’en accommodent. La solitude, comme l’amour, la peur et autres sentiments difficiles à faire partager, sont au fond de nous et conditionnent notre comportement social.

La solitude par rapport à soi-même.
La solitude est encore plus éprouvante vis à vis de soi-même. C’est alors un état, un moment, même une seconde de la vie, où tout s'arrête, où plus personne n'existe et où on se retrouve face à soi-même. C'est ce face à face qui est terrible.
Ainsi, la rupture, le divorce, le décès d'un être aimé, une terrible nouvelle, sont des événements où nous pouvons sombrer dans la solitude la plus totale. Nous subissons, la remise en cause totale et définitive des projets que nous avions élaborés pour la suite de notre vie.
On se sent aussi seul, au moment d’un choix, pour lequel rien ne vient conforter clairement et définitivement LA bonne décision, comme choisir untel ou unetelle, tel emploi ou tel autre, telle voie ou telle autre.

On est absolument seul, au moment d’un choix important qu'il soit volontaire ou contraint, car un choix est toujours un sacrifice.

Alors ?
Cet inventaire, même s’il est loin d’être exhaustif, nous montre que, s’il n’y pas une, mais des solitudes, il n’y a pas, non plus, de solution unique, susceptible de les traiter toutes.
D’ailleurs, existe-t-il une solution ? Nous pouvons en douter.
Pourtant, si nous y regardons de plus près, il existe un certain nombre de cas dont nous pouvons cerner la source et envisager d’y apporter un début de traitement, à défaut rémission, sinon d’une guérison.

La plupart du temps, cette solitude part de soi. Il ne sert à rien de fuir la campagne pour se réfugier parmi la population des villes. Nous changeons l’environnement, mais nous ne changeons pas le problème. Beaucoup ont éprouvé une plus grande solitude au sein des grandes cités que dans leur village d’origine.
Avant de pouvoir envisager d’être intégré parmi les autres, il est indispensable de s’accepter soi-même et accepter ses propres contradictions. Ce n’est pas par hasard si le premier travail de l’apprenti est de dégrossir la pierre. L’essentiel de son effort va consister à se connaître, identifier sa personnalité, autant dans ce qu’elle a de positif, que ce qu’elle peut aussi avoir de négatif.

Il ne suffit pas de valoriser ses qualités, il lui faut aussi maîtriser ses imperfections à défaut de les gommer ou d’en corriger les défaillances.
Il est dit qu’" Il faut s'aimer soi-même, pour pouvoir aimer vraiment les autres ".
Le fil à plomb nous a tous guidés dans notre descente en nous-mêmes. Il nous a aussi accompagnés dans notre renaissance. Mais il n’a pas empêché d’être parfois bien seuls, lorsque nous pouvions douter de la possibilité d’arriver enfin quelque part.

Mais, ce n’était que le début du chemin. Avant de pouvoir partager, il faut avoir autre chose à offrir que ses angoisses et ses doutes. " L’autre " n’est ni entièrement semblable, ni totalement différent. Nous avons beaucoup plus de choses en commun que d’oppositions. Nous ne sommes pas le pavé blanc et lui le noir.
Il éprouve le même type de sentiments et nous ne pourrons guère l’aider en ne lui apportant que nos craintes et nos désespoirs en partage. Si le malheur des uns pouvait faire le bonheur des autres, cela se saurait depuis longtemps.
La solitude, ça n'existe pas, dit une chanson. C’est pourtant un sentiment auquel nous nous efforçons tous d’échapper en meublant nos craintes des vides physiques, mentaux ou émotionnels. Nos sens ne doivent pas perdre le contact avec ce qui nous entoure, soit par isolement, soit par saturation.

La pratique des arts et des sciences va enrichir notre intellect et nous permettre d’acquérir les bases de notre compréhension du monde et de notre réflexion. De trouver notre place.

Ce n’est pas non plus un hasard si les voyages du Compagnon l’amènent à honorer et à rappeler l’exemple des bienfaiteurs de l’humanité. Une vie ou, plus simplement, des moments consacrés à œuvrer pour l’amélioration de la condition et de l’égalité sociales, pourront s’avérer un excellent antidote à la solitude. Ceci est d’autant plus probant lorsque nos actions ne cherchent pas uniquement à obtenir la reconnaissance des autres, et sont leur propre couronnement.
La glorification du travail, énoncée lors du cinquième voyage, rappelle que, outre tout ce qui précède, notre société attribue une grande importance à notre participation à son fonctionnement, non seulement dans son rôle productif mais, aussi, dans sa part de création. C’est aussi un rappel que la solitude atteint irrémédiablement celles et ceux qui n’ont pas de travail et, donc, pas ou peu de raisons d’espérer.

J’ai disserté ici, il y a quelques temps de la Géométrie. Ce soir c’est à la Gravitation que je ferai référence en tant que force unissant les Maçons.
La fraternité et ses manifestations extérieures comme nos accolades, les chaînes d'union et autres signes de reconnaissance marquent notre besoin de rester proche les uns des autres ET de l’exprimer.
Nous craignons que la solitude ne vienne rompre la longue chaîne de la solidarité humaine. C’est le malaise qui est ressenti, lorsque l’un d’entre nous, déclare qu’il souhaite ne plus revenir partager nos travaux. C’est parfois, au moins aussi troublant, que le passage d’un Frère à l’Orient éternel, car c’est, le résultat d’un choix réfléchi. Aussi, un soulagement parcourt les colonnes lorsque cette décision n’est pas définitive ou qu’elle n’écarte pas la volonté de s’intégrer à un autre atelier.

Toute cette émotion relève du domaine initiatique. C’est ce vécu, lui aussi, qu’il nous est impossible de communiquer au profane qui s’interroge. De la même manière que nous ne pourrons jamais faire totalement comprendre notre émoi à l’écoute d’une pièce de musique ou lors de la découverte d’un tableau.

Nous pourrions être seuls parce que nous n’avons plus assez de mots pour exprimer notre émotion. Pourtant, nous n’avons pas de sentiment de solitude, parce que nous savons que ceux qui nous entourent éprouvent le même genre de sensation.
Après avoir appris à nous assumer, nous apprenons à assumer les émotions que nous partageons avec les autres. Nos rituels, qui passent pour des mascarades aux yeux de nos détracteurs sont autant d’occasions de communier dans l’ardeur qui nous unit.

Lors de l’initiation, le miroir nous a rappelé, à l’instar de Valéry qu’" Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie ". Apprenti, nous avons, dans le silence, appris à écouter l’autre et l’admettre. Compagnon nous apprenons à aller vers lui et partager nos travaux et ce respect mutuel qui nous enrichit tous et nous permet d’emboîter nos pierres pour contribuer à la perfection de l’édifice.

La solitude n’est pas une situation mais une émotion.
Sa prévention n’est pas dans notre organisation mais dans notre comportement.

J’ai dit Vén\M\

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