Obédience : NC Loge : NC 21/09/2010


Equilibre et déséquilibre

Je voudrais vous convier à une expérience. Pouvons-nous, l’espace d’un instant, regarder ensemble le fil à plomb qui nous fait face ? Et laissons nous aller quelques secondes, dans le silence… Une question me taraude, mes F\ F\, et vous aurez la courtoisie de me donner votre réponse à la fin de la tenue : l’équilibre du fil à plomb a-t-il provoqué en vous un déséquilibre ?

Loin de me limiter à la simple et rudimentaire approche mécanique de ma planche, il m’a fallu chercher en quoi ces deux notions étaient complémentaires, à la fois dans leurs significations symboliques, mais aussi et surtout dans les effets réels que cela engendre dans ma vie de Maçon. Car il s’agit encore et toujours de ne jamais oublier que le Travail commencé au-dedans doit être poursuivi au dehors.

Je me suis demandé en premier lieu si les équilibres et déséquilibres étaient conscients ou non, subis ou désirés. Prenons appui sur les voyages de la cérémonie d’initiation. Le premier est vous en conviendrez déstabilisant car nous sommes privés de la vue. Marche incertaine, bruits, et pourtant le déséquilibre renforce la volonté de progresser, avec l’aide fraternelle d’un futur F\. L’analogie avec les tumultes de la vie profane et ses multiples tentations est évidente, et les déséquilibres sont subis, nous ne maîtrisons rien du tout ! Le premier échec ne doit pas rester sans deuxième chance : le deuxième voyage, plus facile, mais toujours avec l’aide d’un F\, se fait plus calmement, mais les déséquilibres, connus à cette étape, ne sont toujours pas maîtrisés. Nous sommes à ce moment conscients des dangers, mais nous ne sommes toujours pas capables de résister par nous-mêmes aux déséquilibres engendrés par la société. Là commence le Travail intéressant pour le Maçon en devenir. Le déséquilibre devient semi voulu, parfois semi contrôlé et l’initié peut réfléchir et prendre ses décisions. Vient alors le troisième voyage : l’initié subit l’épreuve du feu mais le déséquilibre induit par la flamme ne le dérange plus. Le déséquilibre amorcé est voulu : il devient synonyme de conscience de la réflexion.

Nous pouvons associer à cette progression dans la reconnaissance de son équilibre intérieur le calice d’amertume, la pointe du glaive sur la poitrine, le bandeau, ou la porte basse : ce sont autant de symboles du rituel subi lors de la cérémonie d’initiation, mais qui avec la réflexion engagée par l’Apprenti, dévoilent au fur et à mesure la force créatrice des déséquilibres physiques et spirituels.

Il reste maintenant à réfléchir comment les équilibres et déséquilibres peuvent être utilisés par le Maçon, sans perturber sa démarche. L’Equerre nous aide à inspirer des idées de justice et d’équité, le Niveau vise au nivellement des inégalités arbitraires et la Perpendiculaire nous oblige sans cesse à élever le niveau social. Pour le Maçon, il n’est pas évident de garder l’équilibre dans l’espace défini ainsi. Le Cercle, nous rassure par sa symétrie, et pourtant, nous voulons amorcer la spirale, synonyme de déséquilibre dans un monde à deux dimensions, mais qui doit être équilibrée dans l’espace ! Comment enclenchons nous la spirale ? La recherche maçonnique peut s’apparenter à une recherche d’un équilibre personnel en interaction avec les équilibres de l’Humanité : chaque pierre s’ajuste aux autres pour construire un monde meilleur. Hors, je m’amuse du paradoxe qui est le nôtre : afin de nous ouvrir aux autres, et ainsi s’enrichir de nos différences, nous acceptons de prendre le risque d’être déstabilisés par des idées nouvelles. Mes FF\, nous recherchons le déséquilibre !

Oswald Wirth a écrit : « Nos efforts ne peuvent aboutir qu’à des solutions provisoires, destinées à apaiser momentanément notre soif de curiosité. Mais bientôt nous concevons la vanité des réponses dont nous nous étions contentées, et nous cherchons toujours sans nous bercer jamais d’illusions en croyant que nous avons trouvé ». L’Apprenti se demande d’où il vient, le Compagnon qui il est, et le Maître qui il sera. Il y a du mouvement dans ces questions. Il y a du déséquilibre inhérent à la démarche maçonnique. Nos degrés, sortes de paliers éphémères, apparaissent comme des moments de répit, des instants d’équilibre, et souvent nous nous en contentons. Ces équilibres fragiles ne peuvent pourtant pas se satisfaire à eux-mêmes. Mais alors, qui de l’équilibre ou du déséquilibre est la cause ou la conséquence de l’autre ? Y a-t-il une antériorité ou une postériorité de l’un par rapport à l’autre ? Et surtout, est-ce que nous maîtrisons à un instant donné les causes et les conséquences des équilibres et déséquilibres ?

Reprenons un instant le Fil a Plomb. Est-ce l’équilibre apparent du fil qui nous plonge dans une introspection, que je visualise comme une chute vertigineuse sans voir le fond ? Ou est-ce parce que je sais la signification du Fil à Plomb que j’y associe la chute ? Plus je travaille, plus je savoure le mouvement uniformément accéléré provoqué par ce fil immobile ! Et puis, à y réfléchir, doit-on se poser la question de qui a été avant l’autre ? Faut-il subir ou initier le déséquilibre, pourvu que l’on soit conscient que cela va arriver ? La rupture de l’équilibre est une démarche volontaire mais nous connaissons tous des situations supposées contrôlées ou contrôlables qui ont dégénéré. Inversement, des évènements fortuits provoquent en nous des bouleversements si profonds qu’ils nous bonifient. La question primordiale est dans le bénéfice que l’on peut retirer, et dans son mode d’acquisition. Cela passe obligatoirement par une remise en question de soi, et celle-ci ne sera efficiente que si elle est reconnue comme véridique et réelle. Il faut donc accepter le déséquilibre, passage obligé vers un potentiel état d’équilibre.

La méthode maçonnique propose à celui qui veut avancer une démarche faites de temps de recherche, d’étude, d’introspection. Les équilibres succèdent aux déséquilibres, et inversement. La différence entre le Maçon et le Profane relève principalement de la prise de conscience de ce va-et-vient permanent : il est désiré, voulu, réfléchi et parfois contrôlé. Au final, peu importe si le chemin et plus important que l’arrivée au sommet de la montagne, chacun d’entre nous a son but, et son chemin. Nous nous rejoignons tous autour de l’idée commune de la volonté de progresser. Les équilibres et les déséquilibres sont alors pour nous Maçons les paliers et les chemins de notre Travail à l’amélioration de l’Humanité : la maîtrise progressive du déséquilibre permet alors l’espérance de l’équilibre final.

Vénérable Maître, j’ai dit.

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