Obédience : NC Loge : NC 06/10/2011


Le pouvoir, les pouvoirs et la Cratophilie

Le pouvoir s’exerce par l’entremise d’un homme ou d’une assemblée d’hommes. Nous admettons communément que sa mission est d’assurer la cohésion sociale, le développement et la prospérité de l’Etat.

A quoi tient donc le pouvoir ? A une transmission de l’autorité ? À des raisons psychologiques ? À sa force de domination vis-à-vis des autres formes de pouvoirs ? Faut-il parler Du pouvoir ou Des pouvoirs ?

Le pouvoir, dans son acception première, désigne une capacité qui est en puissance et peut passer en acte : l’eau a le pouvoir de se transformer en glace sous l’action du froid ; un regard langoureux a le pouvoir de faire naître le désir ; on parle de pouvoir pour désigner les prodiges des yogis de l’Himalaya, tout comme tout ce qui relève de la magie.

Le pouvoir est un symbole de puissance. Il est donc convoité par ceux, en politique, entre autres, qui ont un désir de reconnaissance qu’ils peuvent exprimer : une volonté de puissance, celle de dominer d’autres hommes.

Le pouvoir politique se forme historiquement à travers un processus par lequel il se dote d’une autorité devant le peuple vis-à-vis duquel il s’exerce. Cependant, suivant la caution d’autorité qu’il reçoit, il prend une signification différente ; il faut donc comprendre comment le pouvoir se légitime. On distingue communément trois facteurs de légitimation du pouvoir :

La tradition, la religion et le charisme.

Dans une société traditionnelle les pouvoirs sociaux et politiques sont confondus. Le Chef, le roi, incarne ce pouvoir. La coutume veut que le dauphin soit roi parce que cela s’est toujours fait ainsi ! C’est la coutume, la tradition, qui dit qu’il est juste qu’il en soit ainsi. La force des habitudes fait passer pour une Loi ce qui a toujours été pratiqué jusque là. C’est ainsi que l’on sacre le dauphin, enfant roi, par simple filiation, sans autre légitimation du pouvoir que l’autorité de l’éternel hier, dans l’éternel présent.

La tradition a son autorité propre. Elle est « référence » dans la mémoire des Hommes. La tradition donne au temps une continuité, une permanence. Le passage du temps instaure la pérennité des usages et leur donne une validité immémoriale.

Dans le même sens, la religion, loin de s’opposer à cette conservation de « l’hier », vient ajouter le poids de son autorité à la tradition. Elle joint au pouvoir une valeur sacrée. Elle conçoit, elle impose, comme un postulat, que ce pouvoir vient de Dieu.

Attenter à la tradition, c’est attenter à un ordre sacré, c’est un blasphème. Dans ce cas le souverain traditionnel concentre sur lui le pouvoir politique auréolé du prestige du culte.

Aux yeux des individus de cette société, il apparaît comme étant beaucoup plus qu’un homme. Il incarne un pouvoir divin et c’est cette « aura » du pouvoir sacré qui le rend respectable et non pas la seule contrainte qu’il exerce sur eux. On attribue au souverain des pouvoirs magiques, comme pour les prophètes religieux. La religion rassure les peuples. Elle conforte les hiérarchies établies. Elle le fait si bien qu’elle tend à faire de l’ordre établi un ordre sacré, qui ne saurait être changé sous peine de profanation. La distinction entre pouvoir temporel et spirituel est fondue en une seule et même entité entre les mains du représentant souverain. Il est regardé comme le chef et représentant de dieu sur terre. Notons que la tradition n’implique pas, en fait, tel ou tel régime en particulier.

A notre époque, en Occident, cette forme de pouvoir n’est plus au premier plan, comme dans d’autres continents. Il n’en reste pas moins que la puissance de la tradition est considérable.

La rigidité des traditions et leur corruption appellent la nécessité des révolutions. Le déclin de la tradition et la montée de l’individualisme a favorisé une troisième forme de légitimation du pouvoir que Max Weber dénomme « le charisme ». L’origine pourtant du charisme est religieuse : il était la grâce que dieu accordait à un élu, ce qui lui conférait un pouvoir extraordinaire. Il n’en reste pas moins l’idée que certains hommes sont appelés à être des « héros de l’histoire », des conducteurs d’âmes, des sauveurs.

Par charisme on entend le pouvoir qui émane du rayonnement d’une personnalité. Le pouvoir charismatique fait accepter l’idée que la volonté personnelle d’un homme peut s’identifier avec la volonté de l’état, comme s’il incarnait l’esprit de la nation.

S’il est indéniable que cette forme de pouvoir a toujours existé, et qu’il y a eu à toutes les époques des chefs charismatiques : César, Lénine, Staline, Mussolini, Hitler, Mao, Castro, ou encore plus prêt de nous De Gaulle, Mitterrand, Sarkozy qui détiennent, en fait, tous les pouvoirs et que ce chef suprême, ce leader, ce führer, cumule les trois légitimations de ce pouvoir : tradition, religion et charisme, acquiert alors une légitimité, non plus en fonction de la coutume, mais plus pour des raisons psychologiques, parce qu’il est perçu comme emblématique à travers la figure d’un chef charismatique.

Il reste cependant à discuter dans quelle mesure ce genre de fondement peut se suffire à lui-même. S’il est courant que beaucoup d’électeurs votent plus pour une personne que pour ses idées, cela n’a pourtant rien de rationnel. Cela ne pourraît l’être que si le charisme était celui d’un sage.

Dans la pratique, le pouvoir excessivement personnalisé peut être, et est, abusif justement parce qu’il est personnalisé. Hitler et Mussolini surent parler aux foules, là c’est le cerveau émotionnel qui prédomine toujours sur le cerveau néocortical celui de l’intellect.

Ils manipulèrent les émotions, non la raison. Aujourd’hui encore nous sommes dans le même schéma. Pourquoi croyez-vous que régulièrement on nous stigmatise sur l’insécurité et l’immigration, pourquoi dans certaines écoles aux USA on enseigne le créationnisme au lieu de l’évolutionnisme ?

L’idéologie n’est qu’émotion, elle est sans raison. (Rita Lévy Montalcini)

Le pouvoir moderne de nos démocraties doit être régulé par un fonctionnement reconnu qu’assure le jeu des institutions. C’est le seul qui corresponde à l’état « démocratique ».

Le pouvoir qui fonde l’état démocratique moderne occidental est un pouvoir de droit. Sa légitimation vient du consentement collectif dans des lois admises. Cela implique que celui qui exerce le pouvoir de droit, n’en n’est pas propriétaire, mais seulement dépositaire.

Cette distinction ne peut pas être marquée par la légitimation de la coutume et du charisme, comme le souverain qui est ressenti comme propriétaire du pouvoir.

Seulement voilà : qui veut être « chef » aujourd’hui n’est pas très différent de ses prédécesseurs. Qui veut être « chef » aujourd’hui encore, cumule toujours, dans son désir de pouvoir les trois formes citées plus haut, pour atteindre son but.

Il est presque toujours, pour ne pas dire plus, atteint de la maladie la plus redoutable, du plus petit au plus grand, dans tous les sens du terme, de « Cratophilie ».

Qui sont ces prétendants au trône, du chef de service au chef de l’Etat ?

Ce sont des gens qui jaugent et qui méprisent, qui jugent et qui condamnent, qui toisent et qui passent en levant le menton. Ce sont des gens qui, à défaut de nous gouverner, voudraient gouverner nos pensées. A défaut de nous mener sur le chemin, voudraient nous indiquer la marche à suivre.

C’est notre Frère Daniel Béresniak qui a inventé ce mot de : cratophilie. Pierre Roudy, lui, avait inventé le mot : caméroquets, c'est-à-dire : des gens qui aboyaient comme des roquets et qui, pour se faire bien voir des faux grands de ce monde, adoptaient leurs couleurs. Daniel, lui, est allé plus loin.

La cratophilie ou l’amour du pouvoir, atteint les hommes et les femmes de gauche comme de droite, et toutes sortes d’autres hommes et femmes, à tous les niveaux de la société, voire même parfois dans nos rangs aux étages supérieurs, dès qu’il y a un cordon jaunâtre ou autre à porter, indifféremment comme on attrape un rhume ou le choléra.

Elle est une pathologie narcissique. Elle peut être grave, aveuglée, rendre le sujet fou et stupide. Même dans ses manifestations les plus légères, elle provoque des comportements aberrants. Sans compter qu’un cratophile dépend toujours d’un autre plus puissant ou mieux placé que lui.

Après avoir travaillé selon l’art, porté par son parti, son lobi, par ceux qui y ont un intérêt ou qui le croient, le candidat est élu.

J’ai été élu démocratiquement dit-il, j’ai été porté par les suffrages !...

Alors, l’image qu’il veut donner de lui-même, est celle d’un Cincinnatus qu’on aurait arraché à la tranquillité bucolique de ses travaux champêtres pour sauver l’empire. Il s’agit d’un Cincinnatus légendaire, parce que la véritable histoire du vrai ne coïncide pas exactement à cette version.

Ainsi nos sociétés démocratiques, civilisées, avancées, reproduisent à peine autrement les anciennes sociétés basées sur la tradition et reproduisent, à peine autrement, des comportements archaïques et les thuriféraires de toutes les représentations prêtes à penser, vivent le plaisir de compter parmi les élus et nourrissent l’estime d’eux-mêmes du mépris des autres, les incroyants, les hérétiques, les schismatiques, les apostats.

Et le cratophile triomphant devient un clerc. Il partage avec son clergé, l’ensemble de ses pairs, le monopole du sens, le pouvoir exclusif de trancher en matière de vrai et du bien. Il est dans les hauteurs d’où vient la lumière, il bénéficie de la croyance selon laquelle plus on monte dans la hiérarchie et plus on s’approche de la lumière. C’est la croyance des cléricaux : Le clérical dit : « le maître a parlé » ou « Rome a parlé, la cause est entendue », et les cartophiles pontifient, et leurs caméroquets acquiescent et font des effets de plumes, vilipendent ceux qui critiquent, ces déviationnistes. Et la Commedia dell’arte reprend des forces.

Ils vivent l’unité dans le conformisme au lieu de vivre l’union dans la diversité. Voilà comment l’on devient intégriste du sens ; « la parole est perdue ».

Le vrai doit s’effacer devant le recevable. L’intégrisme idéologique n’est pas une opinion. Il doit être considéré comme une pathologie parce qu’il procède d’un mal être, comme une béquille pour ceux qui n’arrivent pas à s’aimer.

Comment comprendre la psychorigidité de ces gens qui ont tout compris, qui ont les réponses dernières. Quels que soient la religion ou le milieu idéologique, ils n’acceptent qu’une seule réponse contre toute évolution et discussion. Leur développement ces derniers temps est remarquable. Pourquoi :

Quand il y a du mal être, on peut particulièrement manipuler les gens en leur donnant un « bouc émissaire » : l’altérité. Diviser les gens, leur donner l’idée qu’ils font partie des élus face aux réprouvés et ainsi alimenter une violence contre les communautés.

La violence nourrit l’économie ; il lui faut de plus en plus de pauvres pour nourrir de moins en moins de riches et il est nécessaire de diviser la société, cette masse de gens en fractions ennemies qui se battent au profit de puissances politico-financières, qui ne peuvent qu’y gagner. L’idée de notre République une et indéfectible de liberté d’égalité et de fraternité, n’est plus. Nous vivons désormais dans un monde en noir et blanc.

Comment expliquer que l’on ne peut pas réduire une identité à une appartenance ! Peut-on parler sans pontifier. Comment lutter contre l’idée que l’on est sur terre parce que l’on doit racheter des fautes, les fautes des anciens, parce qu’on devrait expier pour préparer son salut, car tout ce qui va mal viendrait de la désobéissance aux ordres de dieu ? Ce principe pèse la parole à l’aune du statut de celui qui parle ! ...plutôt que de la peser à l’aune du sens.

Se jouent alors des rapports de domination et de sujétion, hypostasiés à ce ballet qui définit les fonctions, exprime les allégeances, confirme les rangs et les statuts. Or, chacun devrait s’efforcer de vérifier le sens. (Surtout en maçonnerie a l’aide de l’équerre et du compas).

La morale, la vraie, elle, demande des explications au mal pour établir des valeurs, et le mal vient de l’ignorance et non de la désobéissance.

Au lieu d’un monde en noir et blanc, qui rassure et qui évite les questions, peut-on décrire un monde en clair-obscur même si cela est plus compliqué ? On peut même évoquer un monde, autrement, également en noir et blanc : la lumière du savoir et de l’instruction ; face aux ténèbres de l’ignorance qui est le mal absolu. Ainsi on casse le principe d’autorité qui affirme que la vérité est déjà dite par le père « tout puissant ».

Apprendre a toujours vérifier, en développant l’esprit critique, c’est aller contre l’endoctrinement des intégristes du recevable.

Refuser l’idolâtrie, c’est refuser la servitude. Toutes les servitudes.

On peut aisément le comprendre à la lecture de certains textes du dix-huitième siècle : « Ramener les hommes à leur égalité primitive par le retranchement des distinctions que la naissance, le rang, les emplois ont apporté parmi nous. Tout maçon en loge est gentilhomme ».

Et comme l’a dit un célèbre kabbaliste du mouvement hassidisme du 18eme siècle Nahman de Bratzlav : « ne demande jamais ton chemin a qui le connaît, tu ne pourrais jamais errer ».

Pour ceux là, c’est le débat qui crée une culture comme le dira plus tard Montaigne : « transmettre ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu ».

Concernant la violence, elle est inhérente à l’intégrisme, dans la mesure où elle se nourrit de la haine de l’autre. Les représentations idéologiques manifestent les pulsions agressives du groupe (images racistes) et aussi ses besoins d’admirer et de se dévouer pour le Guide Providentiel, l’idole.

L’idéologie donne au groupe conscience d’une identité et est une arme de propagande et de lutte. On prend pour une vérité l’envie d’appartenir au groupe des élus faces aux réprouvés. L’évolution économique et politique avive des tentions sociales. Les processus économiques qui régulent la circulation des biens déstabilisent le théâtre du monde ou chacun se voit jouer un rôle déjà écrit par le père. C’est alors qu’il faut reformuler les réponses aux questions essentielles. Mais attention, on ne veut pas de réponses qui éclairent, non, on veut des réponses qui réchauffent.

Regardons comment naissent et vivent les mots fascisme, intégrisme, pour explorer l’espace qui relie les pulsions et les désirs aux idées et aux comportements. Marianne leur fait peur. Elle est associée à l’idée du complot jacobin révolutionnaire. L’idée et la naissance des droits de l’Homme supposa le développement et l’organisation de forces sociales politiques et religieuses qui considéraient la liberté comme perverse et néfaste. Œuvre de sectes qui par leurs idéologies révolutionnaires, portaient atteinte aux fondements de la société de l’ancien régime dans notre société occidentale mais aussi dans le reste du monde.

L’exemple du régime de vichy, pas si éloigné de nous, perdure encore aujourd’hui. Le peuple est un troupeau qui doit obéir sans discuter. Roma locuta, causa finita. Le parti a toujours raison, il ne peut pas se tromper et autres balivernes du même cru. Ce travail reste à entreprendre et il faut l’entreprendre si nous voulons construire des résistances et mettre en place des prophylaxies contre la contagion de la peste émotionnelle.

Toutes les idéologies fondamentalistes et intégristes, sont des prêts-à-penser, qui prétendent posséder les réponses dernières à toutes les questions. Ils ont une représentation du monde en noir et blanc et se regardent comme investis de la mission de rétablir un ordre ancien, un paradis perdu. Ils se lovent dans la mythologie millénariste qui promet la victoire du bien contre le mal. L’image des croisades et des guerres saintes investit l’imaginaire, se substitue au questionnement et procure de la légitimité à la violence.

Le guerrier est valorisé, la discipline et le sacrifice sont montrés comme les voies qui purifient, une catharsis qui renforce la cohésion du groupe pour l’autorité patriarcale ; un machisme, un vécu de la virilité qui entretient la confusion entre virilité et brutalité. Tous ces traits de comportement indiquent clairement la nature d’un problème psychosomatique au niveau de la puissance sexuelle.

C’est ainsi que les cratophiles gèrent leurs frustrations. Dans le grand théâtre du monde, qu’ils imaginent, ils jouent le rôle du héros salvateur. Car ce sont bien celles-ci qui les conduisent au déni de la réalité et au fantasme de la pureté. L’autre étant forcement porteur de souillures contagieuses.

Pour nous, Francs-Maçons en général, cela ne signifie pas que nous suivions sans demander d’explications ou de comptes à nos Moïses modernes, ou à ceux qui se prétendent comme tels. Ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas capables d’admirer untel ou untel, mais nos admirations ne sont jamais ou ne doivent jamais être aveugles. Nous ne savons pas mettre chapeau bas sans nous demander pourquoi et comment nous mettons chapeau bas.

Ce travail il faut l’entreprendre parce qu’il faut examiner attentivement le mal pour enrayer ensuite l’épidémie. Si nous nous contentons de condamner, nous nous comportons comme ces dévots qui, au Moyen Age, luttaient contre la peste en priant, se flagellant et en l’excommuniant. Nous avons la parole, elle est une arme et un outil. Faisons là entendre. Nourrissons là de réflexions éclairantes, nous parviendrons peut être à enrayer ces dérives totalitaires.

J’ai dis V\ M\

J\ P\ E\


7458-4 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \