Obédience : NC Blog : Solange SUDARSKIS Date : NC


Inondations ou la Fantastique Mâchecroute
Que de larmes versées en ce siècle par les intempéries

Au moyen-âge, sous le pont de la Guillotière, un animal féroce hante les remous du Rhône : la Mâchecroute. C’est un dragon. Son effigie est monstrueuse, ridicule et terrible aux petits enfants ; ayant les yeux plus grand que le ventre et la tête plus grosse que tout le reste du corps, avec d’amples, larges et effrayantes mâchoires bien édentellées, tant au-dessus comme au-dessous ; lesquelles, au moyen d’une petite corde cachée dans le bâton doré faisait l’une contre l’autre terriblement cliqueter. C’est Rabelais qui la décrit ainsi en 1548 dans un chapitre du Quart Livre. Dans le bestiaire imaginale de la pensée analogique, le spectre du dragon hanta les rives de nos cours d’eau durant au moins 12 siècles, jusqu’à l’aube de la révolution industrielle. Imaginé par les sociétés pour se doter d’une interprétation commune et cohérente de la nature, le dragon incarne les eaux-vives, les crues, les inondations dans le violent coup de queue et le tribut qu’ils prélèvent sur les hommes et le bétail, mangé par le dragon, c’est à dire noyés par les eaux.

Le long du Rhône, le monstre a pour nom : Mâchecroute à Lyon, Tarasque à Tarascon, Drac en Arles, Coulobre à Cavaillon. On l’appelle Graouilly à Metz et de tant d’autres noms à faire peur sur les rives de toutes les rivières du pays.  
 
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Graouilly  - 13éme siècle

Graouilly - 19éme  siècle

Tarasque - 15éme xiècle


L’Histoire retient des inondations mémorables, je vous en rapporte quelques éléments du tableau chronologique des phénomènes météorologiques de Darnajoux :
Celle de  l’an 280,  de 579, qui ravageront Lyon, celle de 821 où les plus grands fleuves, le Rhin, le Rhône et la Seine sont gelés. Les chariots les traversent comme sur des ponts pendant plus d'un mois. Ensuite une terrible débâcle se produira.
Les effets d’un l'hiver de 7 mois en l’an 874 sont désastreux. Les animaux domestiques, l'espèce chevaline surtout, succombent en grand nombre. Le froid,  la famine et l'épidémie qui succéderont à ces frimas enlèveront presque le tiers de la population.
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Notons les crues de 1501 et celle de 1510 
: La Guillotière est entièrement détruite par ces inondations.
1801, 1756, 1812 Les habitants éprouvent des dégâts considérables.
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7457-1-4Cette litanie de dates n’est pas étonnante car à y regarder de près, le Rhône a tant de bras sur la rive gauche qu’il ne peut qu’inonder cette zone dès que son niveau augmente.

Marie des Terreaux, très connue à Lyon à cette époque et qui vécut de 1811 à 1832 est une humble fille douée de l'esprit prophétique ; elle vit d'avance les événements de la chute de l'Empire et de la Restauration, ainsi que ceux de la révolution de juillet 1830 et de février 1848. Quant à Lyon, elle avait, dans une de ses visions, entendu dire, jusqu'à trois fois, que le quartier des Brotteaux périrait à cause des crimes qui s'y commettent, ce lieu étant une autre Sodome et le repaire de la révolution.

Alors, parlons en des bas-fonds et de la boue car ces mots sont à prendre aussi au sens figuré.
Au milieu du  19ème siècle, une population s’est agglutinée autour des nouvelles usines crées vers 1830 dans la ville suburbaine de la Guillotière, une population venue essentiellement du Dauphiné. Les lyonnais estiment, alors, que ce quartier est la lie de leur ville, une sorte de dépotoir. Un observateur social de l’époque, qui fait une enquête sur la population ouvrière en France écrit sur le quartier de  la Guillotière : "Là campe la partie la plus nomade de la population de Lyon ; là se sont donné rendez-vous les gens tarés et sans aveu, en un mot les éléments viciés qu’une grande agglomération d’hommes renferme presque toujours en son sein. Les maisons soumises à la surveillance spéciale de la police s’y pressent dans les rues basses qui longent le fleuve."
Le grand dictionnaire Larousse du 19ème siècle en rajoute à l’article Lyon paru en 1873 : A Lyon, comme dans toutes les agglomérations, ils existent des éléments mauvais et corrompus. Mais ce n’est point parmi la laborieuse population de la Croix-Rousse qu’il faut les chercher. Là, ce qu’on trouve, à peu près partout, c’est l’ordre, le travail, l’esprit de famille. Les repris de justice, les gens sans aveu, les paresseux qui ne veulent pas demander au travail les moyens d’existence, les hommes impurs, que le plus souvent la police soudoie dans le but d’amener des émeutes destinées à justifier des mesures compressives, cherchent généralement un refuge dans les repaires immondes de la Guillotière."
Le quartier de la Guillotière  est très peuplé, sa croissance est incroyable. Elle passe de 7000 habitants en 1815 à 18000 en 1829 puis à 20000 en 1830, en 1846 30000 et déjà 100000 en 1860. Ozanam en parle en disant "chez les barbares" ; "chez les sauvages" disent d’autres, ou encore, comme l’écrit un prêtre de Lyon : "des hordes sauvages et des troupeaux de tigres animés d’une fureur de désorganisation et d’instinct de frénésie sanguinaire".

Les kangourous et les apaches sont les voyous de la fin du 19èm siècle. Gérard Chauvy rapporte les enquêtes d’un confrère de cette époque qui trace un portrait type du kangourou du Bois-Noir : il en existe de deux sortes : jeunes  désœuvrés, déclassés, inaptes au moindre travail, rebelles à la moindre discipline, enclins à tous les vices. Le premier échelon en quelque sorte où se recrutaient les plus doués, ceux jugés dignes d’appartenir à la vraie confrérie des kangourous chevronnés. Ceux-là travaillent par groupe de dix, vingt, parfois cinquante. Ils observent leur victimes qu’ils encerclent, isolent, pillent ou violent.

On trouve chez Proudhon une analyse de ce vocabulaire employé tant à Paris qu’à Lyon :"Les mots communément employés et qui reviennent avec une telle insistance en ces écrits, expriment le caractère véritablement racial des antagonismes sociaux à Paris, à Lyon. C’est en termes de races que les groupes sociaux se considèrent, se jugent et s’affrontent."
En vérité, la vie à la Guillotière est terrible de misère. Les pauvres, et les pauvres sont très nombreux, n’ont, faute de travail, que quelques moyens de gagner de quoi survivre. On peut évoquer leurs pratiques à travers le règlement de 1870 de l’école cléricale du Prado fondé par l’abbé franciscain, le père Antoine Chevrier qui veut que les jeunes qui se vouent au sacerdoce s’exercent au travail des pauvres. Ils doivent :
-          Aller chercher des grésillons pour se chauffer
-          Aller chercher des chiffons pour acheter du pain.
-          Aller chercher du fumier de cheval
-          Ramasser les morceaux de charbon qui tombent des voitures
-          Balayer les rues, la boue ;
-          Aller chercher pour un sou de pain, un sou d’huile, de vinaigre
-          Aller demander de l’ouvrage dans les ateliers, les magasins
-          Aller demander l’aumône : os, papiers, grolles
-          Aller faire la quête pour avoir des livres, du papier
Comme aujourd’hui en Argentine ou ailleurs, la misère pousse les enfants et parfois les adultes qu’elle touche vers les décharges pour recycler les déchets des plus riches.
 
30 octobre 1840, 2 heures du matin :
la Mâchecroute menaçante ressurgit de ses remous. Le Rhône déborde, ses rives ne le contiennent plus : 2 heures du matin, une trouée d’environ 100 mètres se creuse dans la digue de la Tête d’Or et les flots du Rhône, longtemps contenus par cet obstacle récemment bâti, se ruent impétueusement par cette ouverture et s’étendent au loin dans la plaine. Les Charpennes, la cité du Rhône, la Buire, la Mouche, la Guillotière, sont vite recouverts par les masses d’eaux qui, en se précipitant, renversent toutes les constructions qui se trouvent sur leur passage. C’est un horrible spectacle que celui de ces maisons minées par la force du courant, disparaissant dans les eaux et écrasant dans leur chute toute la maigre fortune de leurs malheureux habitants…L’autorité municipale de la Guillotière s’occupe activement, organise les secours. Plusieurs généreux citoyens s’empressent de la seconder. Les forts sont cernés de toutes parts et les troupes qui y sont enfermés, sans vivre, sont exposées aux horreurs de la faim. L’autorité militaire s’empresse heureusement d’organiser un service de bateaux pour les approvisionner et c’est ainsi que Fort La Mothe aurait pu voir accoster des bateaux  sur ses contreforts.
Dans la nuit de samedi à dimanche, 4 artilleurs, surpris près de la digue de la tête d’Or, trouvent refuge sur le toit d’une maison non loin de là et y passent la nuit. Le commandant du poste, inquiet sur le sort de ses factionnaires fait venir un marinier, nommé Huchard, il l’engage pour retrouver les artilleurs, lui promettant pour récompense la somme qu’il fixera « la mission est périlleuse, mon commandant ! Aussi j’irai pour rien, mais pour l’argent, non !

Au milieu de ce cataclysme effrayant les plus beaux traits de dévouement et de courage ont lieu.

Un accident grave vient s’ajouter à l’horreur de ces scènes de désolation, dès le soir de cette fatale journée de 1840. L’eau, ayant pénétré dans les tuyaux conducteurs de gaz, la Guillotière et les Brotteaux se trouvent dans une complète obscurité. On n’entend plus alors, pendant les longues heures de la nuit, que le bruit sourd des flots, les cris de détresse des malheureux qui appellent en vain et le murmure monotone de la pluie qui tombe par torrents.
Le fleuve se précipite avec fureur à travers les avenues de Noailles, de Créqui, de Gramont et de Vauban.
Les maisons sont renversées. On voit, au point du jour, le Rhône entraînant pêle-mêle, des bois de toute nature; bientôt s’y mêlent des meubles, des effets mobiliers : tout annonce de terribles dégâts. Le Rhône, arrivant derrière la Guillotière, est forcé à un brusque retour; des courant rapides s’établissent dans les rues perpendiculaires.
9 heures du soir, un de ces courants débouche sur le cours Bourbon par la rue de l’Epée, fait crouler avec fracas une maison située à l’angle. Deux barques, chargées de femmes et d’enfants, sont un instant dérobées à la vue par la poussière qui s’élève, les barques réapparaissent heureusement quelques instants plus tard. Vingt maisons tombent au alentour du gazomètre; une maison de 5 étages ne conserve qu’un pan de mur.
10 heures du matin, les eaux s’élèvent toujours et se présentent en même temps, sur la place du pont de la Guillotière, par le cours Bourbon, la rue St Clair, la rue Moncey et la rue de Chartres.
Une fois que le haut du pavé de cette place est atteint par les eaux que vomissent à la fois ces quatre bouches béantes, elles se confondent toutes et se précipitent dans la grande rue de la Guillotière qui, dès lors, devient un lit pour le courant rapide du fleuve.
Le Rhône franchit le mur du fond du bas-port vers la Vitriolerie et à 4 heures de l’après-midi le Rhône se jette avec impétuosité dans le quartier de Béchevelin. Un fort courant prend alors la direction de cette brèche. Les pièces de bois que le fleuve entraîne s’y précipitent. En un instant l’entrepôt de charbon est emporté.
31 octobre 1840, 2 heures de l’après-midi
Le Rhône s’arrête. Il est arrivé à 5,57 mètres au-dessus de l’étiage, au pont Morand. Il a renversé près de 450 maisons (1800 disent certains). La plupart des constructions, élevées sur les terrains envahis n’avaient qu’un mètre de fondation en pierre, surmontés de murs en pisé que l’eau détrempe et fait fondre en les atteignant.
 
Ecoutons quelques Scènes de désolation rapportées par Kauffmann :
"Quelques uns des malheureux qui habitent des maisons à moitié détruites opposent de la résistance à ceux qui viennent les chercher et refusent de les suivre. Deux des bateliers improvisés trouvent un homme sur le seuil d’une maison déjà en ruine; ils le pressent de venir avec eux. Où voulez-vous que j’aille ? dit le malheureux.
Ma femme vient d’être emportée par le courant, mes deux enfants sont noyés ! ce n’est pas la peine de vivre comme ça, je reste ici » Les bateliers en s’éloignant voient la maison s’écrouler sur lui.
Un citoyen dévoué parcourt le cours Bourbon avec deux bateliers dont les efforts viennent difficilement à bout d’empêcher la barque de se briser entre les arbres; ils vont recueillir les habitants dans les maisons envahies par les eaux. Vous avez donc peur ? leur crie un homme confiant dans la solidité de sa baraque, ou plein d’une fatale insouciance ou cachant le désespoir sous l’apparence de la sécurité. Il faut s’éloigner sans lui. Le lundi matin, le même citoyen et le même batelier parcourent le même cours, examinant les désastres. Voyez-vous la maison où nous sommes venus avant hier ? - Oui, elle est tombée - et l’homme ? - Il est là. – Comment là ?- dans ce trou, quand les eaux décroîtront, nous trouverons son cadavre.
Sur le chemin de la Tête d’Or, un vieux tailleur allemand, nommé Hermann, habitait avec son chien une petite cabane de bois, haute comme une guérite, qu’il avait planté là, derrière la haie. Dans la nuit, son chien se met à aboyer et saute sur le lit. Hermann, réveillé en sursaut, entend un bruit étrange, s’élance de sa couche et se trouve sur le plancher, les jambes dans l’eau. Epouvanté, il monte sur la table qui chavire, il grimpe sur sa commode, le toit est si bas que le pauvre vieux de 70 ans, tout courbé, touche le plafond avec son dos. La commode est mise en mouvement par l’eau qui croît toujours. Hermann tombe, se jette à la nage, s’accroche dehors à la haie. Le courant l’emporte, il nage tant qu’il peut et atteint un arbre, l’étreint avec force et demeure là, en chemise dans l’eau, jusqu’au matin à huit heures que le nommé Dumont vienne le sauver avec son bateau. La cabane, sans être démolie était passé dans le chemin devant chez Dumont et l’avait ainsi averti.
L’issue des histoires n’est pas toujours aussi heureuse. Beaucoup périront.
Le nombre de maisons écroulées par l’inondation de 1840 s’élève à plus de 250 dans la seule commune de la Guillotière, sans compter celles qui ont été fortement endommagées par l’eau et que l’on sera forcé de démolir.
La France est sollicitée pour offrir du secours aux malheureux inondés, cela vaudra à la ville de Lyon le surnom de ville des aumônes
Le désespoir n’a que peu de consolation mais il inspire.
 
Ecoutons quelques vers de la poétesse Marceline Desbordes-Valmore (1786 – 1859), extraits de ceux écrits en décembre 1840 sur l’Inondation de Lyon de cette-là.
C'est un coin du déluge, un fléau dans son cours;
C'est un peuple qui meurt, et qui crie : Au secours!
Un reste de soleil animait la nature,
Et de Lyon la triste égayait la toiture.
Les vieillards prédisaient pourtant de sombres jours;
Car les Alpes fondaient, et l'eau montait toujours.
 De pauvres artisans retardés dans la rue
Ont vu causer le Rhône avec la Saône accrue,
Et voilà qu'au milieu d'une nuit immobile,
Deux fleuves mugissants ont traversé la ville.
Voilà que l'eau s'étend où l'homme avait marché,
Et qu'un peuple s'éveille en ce linceul couché.
Le torrent qui détruit le pied de sa demeure
Lui répond : C'est la mort! Quand il demande l'heure;
Plus loin, on entendit sous un pont qui croula :
Arrière, peuple, arrière! On ne marche plus là!
Mais l'homme, dans sa force, est partout refoulé;
Chaque rue est un lac où l'abîme a roulé.


Quelques vers plus loin Marceline Desbordes-Valmore achève le poème ainsi :
 
 La prière a monté : Lyon ne mourra pas!  Dernier vers à rapprocher des prédictions de Marie des Terreaux qui, dans ses prophéties annonçaient : Notre-Dame de Fourvière doit obtenir miséricorde pour le reste de la ville.

7457-1-6La dernière grande crue à Lyon fut celle de 1856 qui causa des dégâts énormes dans le territoire de la rive gauche, en pleine période de construction, et qui entraîna la mort de dix-huit personnes dans la commune de la Guillotière provoquant ainsi la visite sur place de l'empereur Napoléon III.
Pour comprendre l’importance de ce nombre de morts, relativisons par rapport à la population de New York, proportionnellement cela correspondrait à 1260 personnes pour ce quartier. La Saône se maintint presque complètement à l'intérieur des quais pour la plupart nouvellement construits, sauf entre le pont la Feuillée et la passerelle Saint-Georges et vers la rue Port-du-Temple (jusqu'à la place des Célestins) mais ne traversa pas la Presqu'île. La prière, la madone peut-être, comme certains ont voulu le croire….
Cette inondation demeure une référence et fut à ce titre abondamment commentée.
 
Nous retiendrons pour l’illustrer quelques cartes topographiques.
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1.      La carte topographique du cours du Rhône entre le Parc (près de Seyssel) et le pont de Donzère présente l'étendue de la submersion au plus fort de la crue les 31 mai et 1er juin.  Cette carte a été levée et gravée à l'échelle du 1:10 000e par les soins de l'administration des Ponts et Chaussées par le service spécial du Rhône, en quelque sorte " à chaud ". Ce document est un chef d’œuvre de dessin et de précision; il comporte l'indication sous forme d'un pointillé de la limite de l'inondation de 1856 : elle a été dressée surtout pour cela. Mais en la consultant, on a la désagréable surprise de constater qu'une seule feuille, celle qui représente le centre de l'agglomération, ne comporte pas cette indication. L'origine de cette fâcheuse lacune nous est inconnue ; il y a là un petit mystère. Les deux autres feuilles situées à l'amont et à l'aval du centre sont, quant à elles complètes, de telle sorte que l'on est renseigné sur Villeurbanne, sur le sud du 7e arrondissement actuel, Vénissieux et Feyzin.
2.      Passons à la Carte topographique de Lyon et de ses environs, à l'échelle du 1:40 000e, en hachures, de facture proche de la carte d'état-major au 1:80 000e, dressée à la demande de Gustave Bonnet, ingénieur en chef de la voirie de la ville de Lyon, par de Dignoscyo fils, gravée par Rembielinski. Se trouvent indiquées en surcharge, à la main, par une couleur bleue les zones de la submersion par le Rhône en 1856 et par la Saône en 1840.
Ce document, lui, représente l'inondation de 1856 dans le centre de la ville. On trouve encore aujourd’hui, à propos du contournement de l'actuel fort Montluc par les eaux, une marque de la crue sur le mur oriental du " château-fort " central de l'ouvrage.

7457-1-8-    A remarquer que la plaine de la rive gauche n'a pas été entièrement recouverte par les eaux. Il apparaît que les axes constitués par les rues nouvelles sont hors d'eau : c'est le cas de la place et du cours Morand, jusqu'à la place Kléber, et naturellement du cours des Brosses (Gambetta) jusqu'à la place du Pont, la gare de la Guillotière à peine édifiée, enfin de la digue du quai de Serbie (d'Albret). Ces zones non inondées servirent de bases pour les sauveteurs en barques qui sillonnèrent la rive gauche lors des secours. Mais elles furent des obstacles à l'écoulement des eaux et déterminèrent des courants venant du nord-est.
-    Sur la rive gauche du Rhône la limite de la crue de 1856 est nettement plus à l'ouest que sur la carte annotée de Dignoscyo, laquelle est juste; le fort de Villeurbanne-Montluc a été inondé, le témoin situé sur le fort l'indique expressément comme on l'a vu plus haut; l'inondation a atteint les marches de l'église Saint-Louis.
 
Les formes de l'écoulement des eaux au cours des  inondations de 1840 et 1856 :
Lorsque l'on examine les modalités de la submersion au cours des inondations il nous semble nécessaire de distinguer ce que l’on appelle l'inondation passive de l'inondation active. Dans le premier cas les eaux montent et submergent mais n'exercent pas de pression sur les obstacles : maisons ou digues. Les matériaux transportés, c'est-à-dire surtout des arbres, n'ont pas de vitesse. Dans ce type, les dégâts sont plus faibles sauf dans le cas de matériaux comme le pisé; ce dernier trempé dans l'eau perd naturellement toute consistance et se désagrège comme un morceau de sucre. Les maisons de la rive gauche d'origine rurale étaient construites dans ce matériau et n'avaient un soubassement en pierre que de quelques centimètres ou au mieux décimètres. Aussi dès 1840 le maire de la Guillotière Jacques Bernard prend un arrêté réglementant la hauteur minimale de ce soubassement en fonction de la hauteur atteinte par les eaux. On le renouvellera après 1856.
L'inondation active est celle dans laquelle les eaux ont du courant sur le Rhône en crue. Elles peuvent atteindre ou même dépasser une vitesse de 10 kilomètres à l'heure et transportent rapidement les débris dont elles sont chargées. Dans ce cas, les troncs d'arbres sont de véritables béliers renversant tous les obstacles. On comprend que la loi de 1857 toujours en vigueur sur la protection contre les crues des agglomérations situées dans les zones inondables réglemente sévèrement les plantations dans le lit majeur des cours d'eau.

Dans le cas qui nous occupe ces courants intervinrent surtout dans deux situations bien distinctes.

Pendant la crue elle-même, de violents courants furent surtout perceptibles sur la rive gauche et cela pour plusieurs raisons. La rupture des digues amont (Vaulx-en-Velin et surtout celle en terre des Charpennes) canalise dans un premier temps les eaux du nord-est vers la Guillotière.
Ensuite la disposition du relief de détail provoque un rétrécissement très net des zones basses au promontoire Saint-Louis la Madeleine qui se rapproche du Rhône vers le pont de la Guillotière. Enfin, une zone de points bas est matérialisée par le cours de la Rize encore totalement à ciel ouvert à cette date.
En ajoutant encore l'effet de barrage du cours des Brosses, on comprend que de violents courants se soient développés dans tout le secteur au nord et au sud de la Grande Rue de la Guillotière.
Il n'est pas étonnant dans ces conditions que ce sont les maisons de cette zone qui subirent le plus de dégâts et que les victimes y furent les plus nombreuses.

En fin de crue, intervint le phénomène dit " des eaux claires ". Lorsque le débit commence à diminuer la puissance de transport du cours d'eau diminue aussi et les courants abandonnent la plus grande partie de leur charge; ils n'en deviennent que plus " agressifs " et leur force s'exerce avec de forts phénomènes de creusements et ravinements. Il en fut ainsi à l'aval, dans le secteur des Rivières, le Gerland actuel. Mais le phénomène fut limité par rapport aux événements de 1840 car la Saône était, on l'a vu beaucoup moins haute en 1856. En 1840 au contraire, la Saône était toujours très haute au bout d'une semaine alors que le Rhône avait baissé rapidement au bout de trois jours, de telle sorte que la rivière se dirigeait vers le fleuve à travers la Presqu'île, ravinant les rues et déterrant les morts des cimetières. En 1856 la Saône se maintint presque complètement à l'intérieur des quais pour la plupart nouvellement construits, sauf entre le pont la Feuillée et la passerelle Saint-Georges et par la rue Port-du-Temple (jusqu'à la place des Célestins) mais ne traversa pas la Presqu'île.

7457-1-9La prière, la madone peut-être, comme certains ont voulu le croire….

Afin de parer à ces récidives du fleuve, on entreprit la création d’une digue réellement insubmersible qui protège le quartier depuis plus de 150 ans. Elle forme un arc de cercle de Villeurbanne au parc de la Tête d’or. On procéda également à une surélévation des quais, complétée en 1950. Il faut dire que l’Europe sort d’une phase de refroidissement débutée cinq cents ans plus tôt et qui provoque, à la fonte,  des crues spectaculaires.

Seules les infiltrations et quelques rues inondées à Gerland ont été déplorées lors des crues de 1924 et 1944. 
Aujourd’hui la structure des égouts empêcheraient le phénomène et seule une crue supérieure à celle de 1856, théoriquement possible mais fort improbable, pourrait de nouveau affecter la Guillotière.
Le développement de la technique vint supplanter les anciennes et indomptables représentations des causes des catastrophes, et nous a fait oublier la médiation des images comme celle du dragon.
 
Cependant, «  Lorsque notre ciel à torrent se déverse en pluies ses larmes »,  j’interroge les visionnaires en plagiant Voltaire :
 
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes:
"Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes"?
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants?
La Guillotière, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Qu’Ainay, que la Croix Rousse, plongés dans les délices?
La Guillotière est abîmée, et l'on prie à l’église.
 
Tsunami, déluges, inondations nous délivrent un message. Si Dieu sait tout, voit tout, peut tout et donne à chacun selon son mérite, pourquoi prier ? L’alliance d’un Dieu avec les forces du mal pour vérifier la loyauté d’un être en lui faisant tort est immorale. Croire en un Dieu assurances-tous-risques, un Dieu qui règne sur tout et que l’on peut séduire par des sacrifices et de bonnes actions est un leurre infantile. Quelle religion peut espérer bâtir une foi sur des cadavres, sur des catastrophes. Si je voulais croire en un Dieu-juste-qui-agit-dans-l’Histoire, je devrais conclure que les bourreaux sont les bras agissants de ce Dieu qui éprouve la foi, Hitler un de ses serviteurs. Dieu meurt à chaque fois qu’il ne sauve pas ses fidèles en péril et cette mort est une bonne nouvelle parce que ce Dieu est une imposture des clercs qui choisissent d’imposer dans leur loi ce qui leur paraît être le bien et le mal. Les religions, lorsqu’elles ne forment qu’un ensemble de contraintes et d’obligations dont le but est de plaire à Dieu, ne conduisent qu’à l’illusion d’un bonheur de soumis qui tire son plaisir du plaisir supposé de Dieu, un Dieu menteur qui avait promis à Noé, « les eaux ne seront plus pour le déluge, pour détruire toute chair (genèse, 9,15). La passivité de ce Dieu, au cours des catastrophes naturelles nous révèle que Dieu n’est ni providentiel, ni acteur du monde. La mâchecroute est un signe qui clame : tout ce que vous croiriez d’un Dieu qui punit ou qui protège est faux.

Alors existe-t-il un Dieu autre, autrement ? Mais cela est une autre interrogation.

Solange Sudarskis

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