Obédience : NC Loge : NC 10/09/1998


François Rabelais fut-il un Initié ?

Lorsque j’ai décidé de rédiger une planche sur les références initiatiques de l’œuvre de François RABELAIS , il m’a été dit que celui-ci ne pouvait faire l’objet d’un travail en loge ,car il n’a jamais été un initié, ni non plus un F\M\

 
Mais est-il nécessaire d’avoir été initié suivant nos rites pour connaître les symboles et les secrets des sociétés ésotériques , et s’en servir pour écrire son œuvre ,surtout si l’on est un esprit curieux comme le fut RABELAIS.

Paul NAUDON,écrivain majeur en F\M\ L’a démontré , disant :Des clefs maçonniques se retrouvent  dans toute l’œuvre de RABELAIS, ajoutant : Il est des
Nôtres, maçon sans tablier.

Cela posé, je vais maintenant présenter François RABELAIS.

Il faut savoir que sur sa naissance et le début de son existence il est difficile de se faire une idée précise.
Certains auteurs le font naître en 1483, d’autres en 1488.
Si l’on s’en tient à ces dates, RABELAIS aurait eu 40 ans lorsqu’il se disait « ADOLESCENS » dans une lettre écrite à son ami Guillaume BUDE en 1521 et qu’il commençait  ses études de médecine.
Après de minutieuses recherches et de comparaisons avec l’œuvre, son biographe, Abel LEFRANC, situe sa naissance en 1494, en précisant le 4 Février (date de la naissance de Gargantua) ; cette date a été admise par presque tous les auteurs, ce qui a suscité des festivités en 1994 pour fêter le 500 éme anniversaire de sa naissance..

Il passa son enfance dans le Chinonnais  auprès d’un père avocat et fonctionnaire du roi ; on ne sait rien ou presque de sa mère, les femmes étaient chargées , à cette époque , d’élever les enfants.

Dans sa prime enfance, en Touraine, il court les bois et les plaines avec les garnements de son âge, certainement des petits paysans, puis selon toute vraisemblance, reçoit  l’enseignement des jeunes bourgeois de son temps, »le CURSUS STUDIORUM » , le  TRIVIUM d’abord ( Grammaire, rhetorique et dialectique) puis le QUADRIVIUM ( Arithmétique, Géométrie, Musique et Astronomie)
Et à 14 ans son père décide de le confier à un monastère pour en faire un moine.
Il commence donc une vie austère qui lui pèse, mais malgré tout , son goût pour les études le conduira à connaître le latin, qui est la langue des intellectuels  et de l’église, mais aussi le grec et l’hébreu, ce qui lui ouvrira l’esprit  sur les choses mystérieuses  par l’étude de la Kabbale.
La Sorbonne , toute puissante à l’époque , ayant interdit les livres et l’étude du grec, il continuera, avec des amis ,a étudier cette langue.

Il deviendra moine, chez les Cordeliers d’abord, à la Baumette près d’Angers, puis il est prêtre et frère mineur au couvent du Puy Saint Martin à Fontenay le Comte . Il restera franciscain  12 ans , il acquerra une forte culture, mais se rendra suspect par sa passion du savoir.
Il rencontre chez les franciscains ,Pierre AMY, un helléniste qui devient son ami , et il correspond  avec guillaume BUDE  qui l’entraîne à fréquenter  des magistrats et des juristes lettrés comme TIRAQUEAU,BOUCHARD et AMAURY.

En 1523, AMY s’enfuit de Fontenay à la suite de la confiscation des livres de grec sur ordre de la Sorbonne ; et RABELAIS quitte les franciscains ,avec l’autorisation du pape, pour entrer  chez les Bénédictins de l’abbaye de Saint Pierre de Maillezais, dont l’évêque Geoffroy d’ESTISSAC, fait de lui son secrétaire et surtout assure sa protection,.

En 1530, il est à Montpellier où il est immatriculé  sur le registre des étudiants de la faculté de médecine le 17 Septembre ; cela sans avoir demandé l’autorisation de ses supérieurs ; il est reçu bachelier le 1er Novembre, il avait donc , certainement, commencé ses études ailleurs.
Pour preuve, nommé médecin en 1532,il part exercer  son métier à l’Hôtel Dieu de Lyon. Il trouve à Lyon un climat favorable à l’humanisme qu’il professe, mais surtout, Lyon est la capitale de l’imprimerie, dès 1532 il y édite des publications  savantes  avant d’y publier, sous le pseudonyme d’ALCOFRIBAS NASIER (anagramme de François Rabelais) son premier livre : PANTAGRUEL, qui deviendra , plus tard, le second livre de sa saga.
 
En 1534 il part accompagner, en qualité de médecin, l’évêque de Paris, Jean du BELLAY, envoyé par François 1er, en mission auprès du pape ; peu après son retour ,fin 1534 ou début  1535, il publie son GARGANTUA, qui sera le premier livre  de ses histoires  très « horrificques ».

Durant l’année 1534 l’affaires dite des « PLACARDS » avait ouvert une période de persécutions  contre les suspects d’hérésie, en Février  1535, RABELAIS juge prudent  de disparaître et quitte son poste  à l’Hôtel Dieu de Lyon , sans prévenir, car ses livres sont considérés comme hérésiarques  par la Sorbonne qui a déjà condamné le PANTAGRUEL. On pense qu’il s’est réfugié en Poitou, près de Geoffroy d’ESTISSAC.
En Juillet il est à nouveau à Rome avec Jean du BELLAY ;sur la route, faisant étape à Ferrare, ils avaient rencontré  Clément MAROT et d’autres exilés qui s’y trouvaient près de la Duchesse Renée de France.

Jean du BELLAY l’ayant reconnu  d’un esprit propre à tout faire, le laisse à Rome où il se chargera des affaires , qu’il traite avec adresse en profitant pour faire lever par le pape  l’accusation d’hérésie lancée contre lui ; celui-ci l’autorise à exercer la médecine à condition  de n’utiliser ni cautère ni bistouri.
Pendant son séjour en Italie, il apprend l’Arabe.

Il revient en France où il est nommé chanoine de Saint Maur des Fossés, il y reste peu et retourne  à Lyon, où il enseigne l’anatomie , puis il va à Montpellier où il se fait une grande réputation en enseignant  les « PRONOSTICS » sur le texte  grec d’HIPPOCRATE.
Les poètes et les Humanistes le célèbrent, Etienne DOLET écrit : «  Il est la gloire et l’honneur de la médecine « 
Il est engagé au service du frère du cardinal Jean du BELLAY, Guillaume et restera à ses côtés jusqu'à la mort de celui-ci en 1543, il est son médecin, mais aussi son conseiller, son attaché littéraire et surtout son ami.

En 1546 il est contraint de s ‘enfuir à Metz après la condamnation du TIERS LIVRE par la Sorbonne, il y exercera la médecine, mais il vit médiocrement, au seuil de la misère, il écrit à son ancien maître, Jean du BELLAY, pour lui demander une aide, celui-ci l’emmène à Rome une troisième fois en 1548, il y rencontre des alchimistes et des gens de mestiers qui lui communiquent  des secrets ésotériques.

A Metz il avait commencé la rédaction du QUART LIVRE, qu’il publie en 1552, l’ouvrage est aussitôt censuré par les Sorbonnards.
 Il avait également commencé l’écriture du CINQUIEME LIVRE, et les notes pour la documentation dudit, mais il ne l’achèvera  pas.

IL mourra, curé de Meudon, en 1553,comme pour sa naissance la date de sa mort restera incertaine.

J’ai été un peu long sur ce chapitre, mais il aide à comprendre la suite.

L’ŒUVRE                                                          

Pour parler du symbolisme de RABELAIS  il faut se reporter dans le contexte de l’époque. Les Humanistes et les intellectuels du XVIe étaient habitués, pour diverses raisons, à s’exprimer par le symbole ,les poètes et les écrivains, tous, utilisaient le langage du symbolisme pour cacher sous l’anecdote des vérités secrètes et graves ou raconter des histoires grivoises sous un conte anodin.
Le problème c’est que nous pouvons passer à côté de ce langage sans le comprendre.
L’ambiguïté de Rabelais, et de son style, est qu’il est souvent le résultat de la prudence, car ses livres étant souvent interdits, il tentait de les rendre anodins, mais humaniste, il déguise son savoir sous le masque de la farce populaire. Alors que d’autres auteurs comme ERASME ou BRAND rédigent leurs écrits en latin, lui emprunte , délibérément la langue vulgaire, le Français, parlé par le peuple, je pense qu’il voulait être compris de celui-ci et lui dénoncer les travers des grands ; comment aurait-il pu le faire en latin, compris seulement par les lettrés et les gens d’église ? Ce qui explique, je crois, le côté populaire de Rabelais qui lui est souvent reproché par les cuistres. Les architectes de ce temps, Philibert DELORME, FILLANDIER, les peintres ou les sculpteurs, les poètes ou les écrivains utilisaient le langage symbolique et, souvent, sous des dehors grivois ou polissons ou un conte anodin, ils cachaient des vérités graves ou secrètes ; les gens du moyen – âge adoraient ces énigmes, Rabelais en abuse. Ses récits sont un tissu de piéges et d’embûches, à nous de les dépister.

Une question reste mystérieuse, c’est celle des rapports que pouvait entretenir l’écrivain avec les gens de « Mestiers », initiés des loges de maçons ou de charpentiers opératifs.

Le métier manuel en ce temps là était une réalité vivante, une école du savoir pour l’homme, qui le reliait aux principes ésotériques, Rabelais comme ses anciens frères de la règle de Saint François d’Assise, au couvent de Fontenay, etait un traditionaliste hermétiste, ce qui l’a, certainement, conduit à s’intéresser aux traditions ésotériques pratiquées par les gens de métier.
Dans son œuvre il ne décrit aucun travail manuel, mais l’observation des métiers, de leurs procédés, font partie de l’éducation du jeune Pantagruel.

Rabelais admire les décorations des églises, des palais, les orfèvreries, les peintures mythologiques. Philibert DELORME, architecte et sculpteur, qui appartient aux associations corporatistes, l’élite des métiers, est son ami.
Ce goût du beau et du travail bien fait ne saurait venir simplement d’un savoir inné, il dérive très certainement de connaissances hermétiques acquises auprès des opératifs. Les signes hermétiques, éparpillés au travers des récits de son œuvre, ne sauraient venir de quelques sociétés secrètes  étrangères à ceux-ci.
Parmi tant de symboles, d’allusions aux légendes et aux rites il faut reconnaître ceux qui viennent des gens de métier, c’est à dire la plupart.
Il se rencontre dans le Pantagruel, beaucoup de paroles ou signes de reconnaissance de la même famille que ceux du compagnonnage et de la F\M\.
François Rabelais a, plus que certainement, fréquenté les gens de métier, et en les fréquentant il a du leur apporter beaucoup, mais il a du en recevoir un grand enseignement symboliste.
Etant passé dans l’ordre des Bénédictins, très proches des Cisterciens, constructeurs et protecteurs des compagnons du moyen – âge, experts en toutes sciences utiles au bâtiment, il fut certainement, dans leur moments de loisirs, leur instructeur très écouté et peut-être même leur chapelain, et pourquoi pas, un des premiers "« Maçon Accepté » ?
Rabelais a pu aussi, au hasard de ses pérégrinations vagabondes, pour fuir les exclusions lancées contre lui par les pouvoirs constitués, être reçu par des loges de métier, qui elles aussi, étaient parfois en butte aux interdits de l’église toute puissante et donnaient souvent asile aux pourchassés ; et à ces occasions recevoir quelques précieux enseignements ésotériques comme les allusions, abondantes dans le Pantagruel, le donnent à penser, allusions qui permettent de pencher aussi en faveur de l’initiation aux secrets des associations compagnonniques très développées au XVIe siècle.

Ceci pour situer les origines de l’initiation possible de RABELAIS.

Lisons maintenant l’œuvre.

N’y a-t-il pas au départ un curieux indice par la division en cinq livres  de l’ensemble du récit, en correspondance avec certains symboles du compagnonnage et de la F\M\ Et l’un des héros ne s’appelle-t-il pas Pantagruel, avec la racine Penta : cinq ?

La plupart des nombres sacrés, pentacles géométriques, des couleurs ou objets à signification mystérieuse, des paroles et des signes rituels procèdent de connaissances ésotériques, comme dans les religions anciennes dont le christianisme gêna la propagation par des interdits et en raison du manque de souplesse de leurs pratiquants qui ne surent pas, comme les opératifs, s’abriter à l’ombre des cathédrales.(je vous donnerais, une autre fois, une planche sur ce sujet.)

Les détails initiatiques, les langages, les gestes, les légendes n’étaient pas livrés aux profanes ; au moyen âge il n’y avait pas de livres pour les divulguer, tout était transmis oralement et sous serment, il était dangereux d’être parjure, on risquait la mort, et pas seulement symbolique comme chez les F\M\ Modernes. Il serait naïf dans ces conditions, de demander à Rabelais , s’il a été initié, de nous offrir des morceaux de rituel complets et exacts. Il ne pouvait le faire sans risque et sans se mettre à l’index des gens qui lui avaient fait  confiance en l’initiant ; indépendamment d’y laisser la vie, exécuté par un fanatique, il y en avait à cette époque, il pouvait être certain que ses écrits auraient été sabotés par les ouvriers imprimeurs affiliés à l’AGLA, leur compagnonnage fraternel, dont il était ,peut-être membre.

Nous reconnaissons les déformations qu’il a données aux textes et les lacunes voulues en comparant avec les rituels qui sont à la disposition de tout lecteur,même s’il n’est pas initié.

Dans sa thèse sur Rabelais, publiée en 1972, l’universitaire Catherine CLAUDE écrit : « Je crois tout à fait probable que Rabelais n’a pas ignoré la Maçonnerie, et que l’on peut trouver, souvent, une symbolique maçonnique dans son œuvre, et même, bien que j’ignore à peu prés tout de la F\M\, il me semble qu’un Rabelais , à la fin du moyen âge, a fort bien pu être maçon quand la F\M\ était un compagnonnage, mystique certes, mais qui conservait, souterrainement, des traditions que l’église reniait ; donc, je crois volontiers que Rabelais a pu émailler son œuvre de signes maçonniques. »

Voyons maintenant quelques flagrantes similitudes  des récits avec les rituels de nos sociétés initiatiques.

Tout d’abord :
Les principaux personnages de l’histoire comportent dans leur nom, soit un ou plusieurs G voir : GARGANTUA, GARGAMELLE, GRANDGOUSIER, PANTAGRUEL, PANURGE ; ce G guttural se transforme en C dur, ayant la même valeur phonétique, avec BADEBEC  ou  BACBUC. On peut voir le G dans Géant, Ogre, Goliard, mots très utilisés dans l’œuvre.
Or ce G, que les grecs écrivent avec une équerre pour GAMMA ,les phéniciens pour GHIMEL et les Hébreux pour YOD, évoque pour le F\M\ l’un des outils primordiaux  nécessaire à l’apprenti pour équarrir sa pierre.
N’est-il pas étrange que dans la division en cinq livres, les trois premiers présentent les personnages et les deux suivants nous fassent participer à la Quête . Ne retrouvons-nous pas les chiffres qui caractérisent les deux premiers grades de la F\M\; en se rappelant qu’à l’origine il n’existait que deux degrés dans les sociétés de compagnonnage.

Dans le prologue de Gargantua, l’auteur vous propose de rompre l’os pour sucer « la SUBSTANTIFIQUE MOELLE « , cela ne rappelle-t-il pas les conseils donnés aux apprentis de se servir des symboles pour découvrir la lumière que ceux-ci voilent.

Sitôt né, Gargantua ne crie pas « Mi …Mi… » comme les autres bébés, mais : « A BOIRE , A BOIRE « ,invitant tout un chacun à faire comme lui, à boire à la source de la connaissance, d’ailleurs dans la suite Pantagruel partira, avec Panurge, pour consulter l’oracle de la Dive Bouteille. Dans nos rituels n’invitent-on pas les apprentis à boire à la source de la vérité, et ne donne-t-on pas à boire la coupe d’amertume lors de l’initiation ?

Les couleurs de Gargantua sont le Bleu et le Blanc.
-         BLANC couleur de la révélation lié au phénomène initiatique, couleur du baptême’, couleur de celui qui, après la mort initiatique, renaît, se relève victorieux de l’épreuve.
Couleur solaire, le BLANC, est le symbole de la conscience diurne.
BLEU, couleur de nos loges, symbole de vérité, couleur à travers laquelle perce la lumière ; Rabelais écrit : « Tous les hommes sont réjouis la par lumière. » Nous retrouvons, plus loin dans le récit, des références à d’autres couleurs qui sont caractéristiques  d’autres grades en maçonnerie.

Concernant l’éducation de Gargantua, l’auteur explique : « Quand à son éducation par Ponocrates, tout le monde sait qu’il commença de faire oublier à son élève ce que les précédents précepteurs lui avaient enseigné…. », ne procède-t-on pas à la même chose avec l’apprenti, lorsque le V.M. dit, à la fin de l’initiation : « IL convient donc que vos impressions d’autrefois soient oubliées, vous êtes appelé désormais à une vie nouvelle, réalisez votre perfectionnement en commençant dans la voie de la connaissance. » Le sens maçonnique est à peine dissimulé par l’auteur.

Au chapitre XIX du Pantagruel, on voit Panurge s’expliquant avec Thaumaste par gestes. Si nombre d’entre ceux-ci ne sont que grimaces sans intérêt, ils commencent
Néanmoins par échanger des signes compagnonniques, par équerre, bras levés, mains ouvertes pouce en équerre ou doigts joints, comme signe de foi, d’honneur, pénal, de détresse ou d’horreur. Il est absolument impossible de ne pas voir dans ces attitudes une connaissance éprouvée de rituels secrets contenant les significations de ceux-ci.

A noter également au chapitre XVIII du Ve livre, comment des paroles de tuilage, des signes de topage ou de reconnaissance entre frères d’un même rite, méritent d’ être relevés. Je cite :
-         Compère de quel pays est la venue ?
-         Cousins nous sommes Tourangeaux, répond Panurge.
-         Que dites vous Entéléchie ou Endéléchie ?
(Endéléchie est continuité, Entéléchie est Perfection intérieure)
Dans la compagnonnage, Compère est une appellation du présumé initié à éprouver ; l’interpellé répond par un des termes :Frère ou Cousin, indiquant, par ces mots qu’il a reçu la lumière.
En fait il s’agit de donner le mot juste.
En F\M\ L’apprenti que l’on tuile répond : « Je ne sais ni lire ni écrire, je ne sais qu’épeler ….. »
Les compagnons et les Maîtres peuvent répondre par leur mot de passe.
Depuis la bible ce genre d’épreuve est courant dans les fraternités initiatiques, et Rabelais introduit dans son récit, après l’accolade, un épisode des Ecritures (Juges XII – 5-6) quand un des compagnons demande à Panurge s’il a eu peur au tuilage ; celui-ci lui répond : « J’en ai plus eu que jadis eurent les soldats d’Ephraïm quand les Galaadites furent occis et noyés pour en place de dire SHIBBOLETH dire SIBBOLETTE. »
Nombre d’entre vous comprendrons qu’il faut vraiment être initié pour savoir cela, et que ce ne peut être une coïncidence
Mais il y a tant de coïncidences dans ce récit qu’il me faudrait un livre entier pour les relever toutes ;je citerai pour mémoire :l’abbaye de Thélème, ou les habitants sont pliés à la règle du : « Fais ce que voudras », ce qui ne veut pas dire fais n’importe quoi, mais réfléchis avant de dire ou d’agir et ce que tu feras ou diras sera fait de ta pleine volonté . il y a aussi le voyage vers le pays de la Quinte Essence ,pour obtenir l’oracle de la Dive Bouteille, qui indique qu’il faut aller au fond des choses, rechercher la quintessence pour découvrir le pourquoi ou le comment ,l’oracle. Dans le palais de la Quinte Essence se trouve une porte sur laquelle est gravée une sentence : « In Vino Veritas », dans le vin la vérité, non pas parce que lorsque l’on est sous l’emprise du vin on dit des vérités, même si elles choquent, non, mais parce que dans la Dive Bouteille, c’est à dire l’esprit de l’homme il doit y avoir la vérité ou un moyen de la trouver, d’ailleurs l’oracle de cette Dive Bouteille est : TRINCH, trinque en allemand, c’est à dire échange avec l’autre ce qu’il y a dans le verre, le vin de la connaissance.

Mais surtout, il y a dans le prologue du TIERS LIVRE une allusion très directe  à ce que nous recherchons, Rabelais y écrit : « Pour les gars du génie, pionniers et bâtisseurs de remparts, je ferai ce que firent  Neptune et Appolon, à Troie, sous laomedon, ce que fit Renaud de Montauban sur ses derniers jours, Je mettrai à bouillir  et je servirai les MACONS . » Quoi de plus explicite que cette phrase ?
Dans le TIERS LIVRE, il dit aussi : « Je ne construit que Pierres Vives, Ce sont Hommes. »

Quand à la visite au pays de Quinte Essence et à l’admission dans le Temple de la Dive Bouteille, elle se fait par un escalier à deux puis à trois et quatre degrés, et nous y retrouvons une description proche de l’organisation de notre atelier, avec ‘’La Lampe Admirable’’ que l’on peut comparer à notre Delta, les colonnes, les luminaires, la voûte peinte avec la figuration des planètes, le tapis mosaïque et le rite ambulatoire autour de la fontaine(source de vérité), celle-ci a une margelle heptagonale avec un bassin circulaire inscrit dans l'heptagone, aux sept angles de la margelle sont sept balustres de pierres précieuses correspondant aux sept planètes et sur chacune une statue correspondant aux sept métaux : Saturne pour le plomb, Jupiter l’étain, Phoebus l’or, Mars l’airain, Venus le cuivre, Mercure l’hydragyre (mercure liquide) et la Lune l’argent.
Toutes ces correspondances étant d’ordre Alchimique et Kabbalistique.

Après avoir obtenu de la Dive Bouteille le mot TRINCH, Panurge eut de BACBUC,la pontife du temple, l’explication de ce mot ; elle lui dit : « Vous avez eu rapidement  le mot de la Dive Bouteille, alors allons consulter dans le chapitre de la Glose l’interprétation de celui-ci. » Et dans le quart livre des Sentences elle puisa dans l’Apologue d’Esope : « Il n’y a pas de roi sous le ciel qui puisse se passer d’autrui, il n’ est pauvre qui puisse se passer du riche, et maintenons  que ce n’est pas rire qui est le propre de l’homme, mais BOIRE, je ne dis pas boire simplement, car les bêtes boivent aussi, je dis boire du vin bon et frais, notez amis que de vin, divin on devient, et qu’il n’y a pas d’argument aussi sûr, ni d’art de divination moins fallacieux. »

Panurge répond : TRINCH donc ! !, c’est ce que vous dit le cœur transporté d’enthousiasme.

En réfléchissant à ces paroles on retrouve les recommandations qui sont faites au nouvel initié pour l’inciter à consulter son rituel et boire à la source de la connaissance initiatique.

Le mot de la Dive Bouteille, TRINCH, sur lequel on a beaucoup glosé et que les disciples d’Epicure peuvent envisager au premier degré, faisant de Rabelais un laudateur de l’ivrognerie ;est une idée philosophique, surtout à cette époque où des humanistes tels BUDE ou ERASME exprimaient le désir de boire à toutes les sources du savoir, et pour Rabelais celle du ’’Gay Scavoir’’ bien avant NIETZCHE.

Dans le Ve livre, publié en 1562, et pour en revenir à des similitudes avec la maçonnerie ; dans une phrase, Rabelais a laissé un mot en blanc : « Quand leurs études addoneront et labeur à bien rechercher par une imploration de Dieu souverain lequel les Egyptiens nommaient (……..), c’est à dire, en leur langue : l’abscons le mussé, le caché, et par ce nom l’invoquant le suppliaient à eux de se manifester. »
Un exégète de Rabelais  a pu retrouver le mot laissé en blanc ; il s’agit d’AMON.
Or, dans un manuscrit  maçonnique Anglais de 1686 qui reprend les Old Charges, le même mot est aussi laissé en blanc. On y parle du roi David, de Salomon du temple d’Hiram et de son fils (…….) Amon ou Aymond, curieusement le mot laissé en blanc a été remplacé ou substitué par GRECUS dont on ne connaît pas la signification.
 
Lors de la descente dans le temple de la Dive Bouteille descendant un escalier tournant de deux puis trois et quatre degrés, Panurge demande :Est-ce ici ?
-         Combien de degrés avez-vous comptés ? dit la Magnifique Lanterne
-         Un, puis deux, puis trois et quatre ! répond Pantagruel
-         Combien cela fait
-         Dix
-         Par la même tétrade pythagorique multipliez ce qu’avez résultant, dit la lanterne
-         Ce sont Dix, Vingt, Trente, Quarante
-         Combien fait le tout
-         Cent
-         Ajoutez le cube  premier, ce sont huit (23) ; au bout de ce nombre fatal nous trouverons la porte du temple. Et notez que c’est la vraie psychogonie  de Platon tant célébrée par les académiciens.
Remarquons que 100 plus le cube premier, soit 8 donnent l’angle supérieur du Delta de nos Loges. Rien n’est anodin vous dis-je !

Rabelais s’intéressait aussi à l’alchimie et son premier livre, paru à Lyon en 1532 était signé ‘’ Maître ALCOFRIBAS NASIER ; Abstracteur de Quintessence’’. Il y a dans cette anagramme de son nom des dessous alchimiques, car dans la langues des Gaults, des Goliards ou des Clercs du moyen âge, Alcofribas  se décompose en ALCOF et RIBAS, Alcof :l’antimoine et Ribas : ribaud, amoureux ; NASIER c’est le nez, soit : Alcofribas Nasier serait : ‘’LE NEZ AMOUREUX DU PLOMB DES PHILOSOPHES.’’ Est-ce un clin d’œil à ceux qui cherchaient à rapprocher l’Alchimie et la Kabbale du christianisme en ces temps de Réforme ?

Toutefois je voudrais revenir à mon premier propos concernant l’appartenance ou non de Rabelais à la F\M\ ou au compagnonnage ; on ne sait pas vraiment s’il a été initié et, si oui, dans quelle loge. Je dirais, seulement, que nous ne savons pas non plus dans quelles loges ont été initiés les grands maîtres d’œuvre qui ont conduit les travaux des grandes cathédrales, tels : Villard de Honnecourt, Jacob Van Landhut, Sinclair de Roslin, Ingerlam ou Gautier de Meulan, et pourtant, c’est certain ils étaient des initiés, il ne pouvait en être autrement.

Dans les Cahiers de la R.L. Villard de Honnecourt N°22, Jean URSIN,dans un travail sur la maçonnerie opérative et les membres associés, écrit sous la rubrique :’’Rabelais maçon accepté’’ : Ainsi Rabelais affirme sa qualité de maçon accepté, sans discussion possible, et cela dans la première partie du XVIe siècle. Sa référence au Temple de Salomon est symptomatique ; on aurait aimé qu’il explicite ce qu’il entend par :’’Faire bouillir pour les maçons.’’ ; enfin nous ignorons à quelle loge il fut accepté.

Sans faire de Rabelais un F\M\ comme l’affirmait Joséphin PELADAN, il faut bien remarquer que celui-ci etait un initié, sinon un grand initié. Initié aux secrets de la Kabbale, de l’Alchimie, des cercles Platoniciens et Pythagoriciens, des ateliers et des loges de maçons opératifs. Si nombreux sont les signes et allusions qui abondent dans l’œuvre que l’on peut, sans se tromper beaucoup, l’envisager comme un itinéraire initiatique.
En conclusion on peut dire que Rabelais a été influencé par trois aspects de l’ésotérisme :
   -1  LA KABBALE, liée à l ‘alchimie, dont un mouvement a été particulièrement actif au XVIe siècle et dont les représentants importants furent Pic de la Mirandole, Ficin ou Agrippa. Certains étaient des juifs convertis et d’autres eurent des ennuis avec l’inquisition.

  -2 La F\M\ OPERATIVE : Il est sûr que Rabelais a fréquenté les loges opératives, il l’avoue à mots couverts, il a été admis comme ‘’auditeur de leurs célestes écrits’’.
Nous savons que nous devons sortir de nos loges et retourner dans le monde profane pour y répandre la lumière comme les Pantagruélistes le font en sortant du Temple de la Dive Bouteille.

  - 3 LA PHILOSOPHIE NEO PLATONICIENNE, a laquelle il faut rattacher Rabelais, et qui fut, en Europe et surtout en France dans les années 1530, 1550, le courant d’une renaissance spirituelle essentielle. Cela nous éloigne d’un Rabelais athée et libre penseur que certains universitaires du début du XXe siècle ont voulu en faire.
Cette renaissance spirituelle fut essentielle dans l’histoire des Sciences et des Arts, elle s’exprime dans les idées de Platon, le verbe de Saint Jean, dans les nombres sacrés de Pythagore, loi des nombres et harmonie de l’Univers.

Il y a chez Rabelais une extrême originalité qui entraîne une difficulté et une pluralité des lectures, mais Rabelais disait qu’il faut toujours essayer de résoudre les contraires.

Le lecteur de Rabelais, lecteur de bonne volonté, doit devenir un gentil ‘’Egousseur de Fèves ‘’. IL nous faut donc ègousser soigneusement la fève si nous voulons approcher la vérité ‘’mussée ‘’ derrière la gousse grossière. Nous autres maçons sommes habitués à aller chercher la vérité sous le symbole, à utiliser le langage symbolique pour exprimer nos concepts.

Je terminerai ce travail en citant le tout début du prologue de Gargantua dans lequel Rabelais écrit : «  Dans le banquet de Platon, Alcibiade faisant l’éloge de Socrate ;le déclare semblable aux ‘’Silènes’’ »,et il explique : « Les Silènes sont des petites boites aux formes diverses, ornées de figures amusantes et frivoles pour inciter les gens à rire, à l’instar de Silène maître de Bacchus. Mais à l’intérieur on conserve de précieux ingrédients, comme l’ambre, l’amome, le musc ou des pierreries ou autres choses de grande valeur. Socrate était laid et contrefait, et selon Platon, vous n’auriez pas donné une pelure d’oignon pour celui-ci ;mais il cachait un divin savoir, une merveilleuse vertu et une sobriété sans égale. En ouvrant une Silène vous pouviez y trouver un céleste et inappréciable ingrédient, une intelligence plus qu’humaine, un incroyable détachement envers tout ce pourquoi les hommes veillent, courent, travaillent, naviguent et se battent.
Ceci me rappelle  V . I . T. R . I . O . L
VISITE L’INTERIEUR DE LA TERRE EN RECTIFIANT TU TROUVERAS LA PIERRE CACHEE.

Ta pierre de laquelle tu débarrasseras les impuretés, en ouvrant ta boite et en y cherchant tes qualités et ton amour d’autrui, tu trouveras la Lumière.

Rabelais adorait inventer des mots, il nous en a laissé de nombreux, l’un d’entre eux qu’il a forgé du grec : les ‘’AGELASTES’’ signifie : ennemis du rire, ceux qui fuient le rire.
Je vous souhaite de n’être jamais des Agelastes.

Faites comme Rabelais, aimez les hommes et vouez leur votre vie et votre amour, vous deviendrez, comme lui, des humanistes.

J’ai dit.

A\ B\

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