GLDF Loge : NC - Orient de Reims 04/2008


Œdipe Roi
 
Vous ayant exposé l’an dernier une planche sur un des texte fondateurs de la FM à savoir le Régius, qui en montre l’incroyable modernité, j’ai choisi ce midi,  d’aborder le mythe d’Œdipe.
Cette approche, je ne l’ai voulue ni littéraire, ni psychanalytique, n’en ayant pas les moyens intellectuels, mais simplement en la relisant à l’aune de notre quotidien.
Des nombreux auteurs ayant abordé ce thème, entre Sophocle, Voltaire, Corneille, Gide et Cocteau, j’ai choisi la Machine Infernale de Cocteau.
 
La première question qui vient à l’esprit est celle du génie des Grecs, nos Anciens, pour nous avoir donné d’emblée les mythes dont se nourrit toujours notre pensée.
Sans cesse renaît sous un éclairage neuf, ce qui semblait avoir été dit, de façon définitive par les grands tragiques de l’Athènes du V° siècle avant J.C.
Inlassablement, chaque époque ajuste à sa sensibilité leurs fables inépuisables :
     - Noblesse et passion de la période classique
     - Raisonnement et politique de l’âge des Lumières
     - Paroxysmes romantiques du XIX° siècle
     - Pour en arriver aux multiples avatars de l’ère contemporaine.
 
Ainsi, dépouillés de leurs ornements antiques, les personnages sont présentés comme des gens simples, comme ceux que nous rencontrons tous les jours : Jean Giraudoux pose dans Electre les conséquences dramatiques d’une exigence d’absolue vérité inaccessible et Jean Anouilh humanise la grande Antigone en une pauvre enfant agressive et mal dans sa peau.
Tous thèmes sur lesquels la méthode maçonnique nous invite sans cesse à travailler.
 
Cocteau tire du drame d’Œdipe, cheval de bataille de la psychanalyse, un titre pour sa pièce :
La Machine Infernale !
Nous sentons bien dans ce titre la férocité inconsciente qu’on ne peut ni convaincre, ni arrêter, ainsi qu’une menace d’autant plus effrayante qu’elle a pour origine une force invisible née des ténèbres et de la malveillance.
Comme l’annonce l’auteur, je cite :
« une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l’anéantissement mathématique d’un mortel »
Je rappelle que les dieux infernaux sont, dans la mythologie grecque, les dieux du monde souterrain où descendaient tous les morts, les bons et les méchants.
Ces dieux n’étaient ni bons, ni méchants, même s’ils faisaient peur.
Ils n’avaient rien à voir avec le Diable, tortionnaire des damnés de l’Enfer Chrétien ; ils étaient plutôt les maîtres d’un au-delà triste, sans vraie lumière.
La pièce comporte un court prologue déclamé par la VOIX, qui fut celle de Cocteau lors de la création an 1934, suivi de 4 actes.
Ce prologue révèle les rouages du drame.
Tout d’abord par l’oracle d’Apollon qui annonce aux parents :
« il tuera son père,il épousera sa mère »
et au fils :
« tu tueras ton père et tu épouseras ta mère »
La machine est en route qui va sans cesse ramener le fils vers ses victimes.
L’ignorance entretiendra les illusions :
Œdipe, fils du roi de Thèbes, adopté par le roi de Corinthe, se croit son fils légitime, il se soucie peu du vieillard qu’il tue dans une banale querelle de circulation, c’est en quelque sorte un fait-divers.

La ville dont Œdipe obtient la royauté en épousant la reine, lui est totalement étrangère ; on retrouve là l’ignorance.

De plus la reine n’a aucune raison de douter de la mort de son fils puisqu’elle est infanticide, effrayée par le destin horrible qui attendait cet enfant.
Le nom même donné à Œdipe à cause de ses pieds enflés et qui nous est parvenu dans le terme œdème ; on dirait aujourd’hui, qu’il «  a la grosse tête » dans sa prétention à se jouer des dieux ; surtout quand il faut que les dieux s’amusent à jouer avec leur proie.
Ainsi les dieux inventent l’oracle qui, au lieu de les éloigner,  pousse les hommes au parricide et à l’inceste.
Ils envoient le fléau du Sphinx sans lequel Œdipe n’aurait jamais songé à Jocaste ;
Ils compliquent les noces monstrueuses par des années prospères et une belle descendance ;
Et font apparaître la peste qui exige qu’on chasse l’étranger à la cité.
Et lorsque La Lumière est faite, Jocaste se pend avec son écharpe rouge et Œdipe se crève les yeux avec la broche de sa femme pendue.
Je crois utile de rappeler que le mot Sphinx descend d’une racine grecque qui signifie étrangler !
 
Sophocle dans la pièce d’origine, nous montre un Œdipe en roi respecté, aimé de son peuple, époux heureux, père comblé par quatre beaux enfants, tous ces signes d’une évidente réussite basculent tout à coup dans un dénouement tragique qui agite notre sentiment d’injustice et notre indignation.
Autour de nous, des parents, des amis connaissent eux aussi ce genre de revirement de situation ; bien sûr ils ne sont ni parricides ni incestueux, mais qu’on-ils faits pour en arriver là ?
Les dieux grecs infernaux sont –ils encore cachés dans les cieux pour se jouer des humains ? Ou les humains, gonflés de prétention croient-ils encore pouvoir se jouer des dieux mythiques ?
Avançons  dans la pièce.
Le premier acte raconte l’épisode du Sphinx, monstre posté non loin de la ville et qui tue tous les jeunes gens qui s’aventurent dans les parages.
Les deux gardes qui veillent sur les remparts ont diverses interprétations :
« c’est un truc de prêtres … »
« c’est un vampire qui vous suce le sang… »
le plus jeune,  déclare : « c’est une femme avec une belle poitrine et qui couche avec les jeunes gens …on la rencontre et on meurt d’amour… »
Nous retrouvons une litanie de fantasmes immémoriaux, propres à enflammer les imaginations.
S’ajoute le fantôme du roi Laïus qui ne parvient pas à avertit sa femme du danger, elle qui est immédiatement séduite par Œdipe.
On peut remarquer que le nom du roi Laïus évoque bien un discours confus et incompréhensible.
 
Suit l’épisode célèbre du Sphinx.
En fait,ce monstre  fatigué de tuer est une jeune fille prête à tomber amoureuse du prochain joli garçon qui passera et à se sacrifier pour le sauver…
Et c’est ce qui va se passer, Oedipe sous la torture demande grâce et apprend le secret de l’énigme :
« qui va à quatre pattes le matin, sur deux pattes le midi et sur trois le soir ? »
C’est l’homme qui enfant marche à 4 pattes, puis adulte sur 2 jambes et avec une canne à la vieillesse !
N’ayant pas compris l’amour du Sphinx, ni son dévouement, Œdipe revient joyeux avec la dépouille de sa victime et épouse Jocaste.
Mais le chien Anubis veille au complet accomplissement de la prophétie de l’oracle qui condamne Œdipe et Jocaste.
La Sphinx renaît sous la forme de la déesse Némésis.
On retrouve dans ces deux personnages, la mythologie égyptienne, Anubis présidant aux sépultures, et grecque Némésis déesse de la vengeance  mêlés.
 
Le troisième acte est celui de la nuit de noces ; après d’épuisantes cérémonies, les deux époux sont enfin seuls ;Jocaste attend ce moment comme une renaissance de sa féminité auprès d’un jeune homme, Œdipe comme un couronnement et une initiation à l’amour par une femme mure, car il est vierge.
Suivent 17 ans de vie commune, de gouvernement de la cité et la naissance de 4 enfants.
Cette période apparemment faste n’est qu’une distillation des indices qui évoquent l’infanticide, la lâcheté d’Oedipe face au Sphinx, les révélation sur la filiation réelle du héros, en réalité faible et le parricide.
Tout conduit au drame ultime, le suicide de Jocaste dont Œdipe découvre le corps décomposé(ce qui évoquera aux Frères maîtres un épisode essentiel de leur initiation).
Œdipe déclare enfin :
« j’ai tué celui qu’il ne fallait pas ; j’ai épousé celle qui ne fallait pas. Lumière est faite ».
Il se crève alors les yeux avec la broche de Jocaste.
Devenu aveugle, il voit(mystérieusement) s’avancer vers lui sa mère-épouse qui le guide en ces termes :
« attention…compte les marches…un, deux, trois,quatre, cinq… »
 
En fait, au-delà du drame antique, nous voyons évoluer devant nous des gens de tous les jours ; dans cette histoire surréaliste, nous pouvons garder les pieds sur terre.
Par exemple :
Les gardes des murs de la ville :
L’un jeune et fougueux ne supporte pas l’inaction d’une guerre qui ne se déclare pas, de plus, l’érotisation du Sphinx et son désir de posséder cette belle femme troublent son esprit.
Le deuxième garde, plus âgé, mesure les risques de la guerre et par précaution reste très soumis à la hiérarchie, car il connaît la versatilité des puissants.
Le prêtre Tirésias et le prince Créon sont des malins, intrigants et s’arrangeant entre eux pour gruger le pauvre monde.
La matrone, inconsciente du danger, explique au Sphinx ses difficultés de mère, ses chagrins, la perte d’un de ses fils. Elle décrit l’insatisfaction générale des Thébains sur la vie chère, la violence urbaine, les intrigues de la police, des prêtres, du prince.
L’ivrogne voit les choses de façon simple et directe ; l’alcool a peut être aboli le souci des conventions
En somme, ces gens du peuple, pourvus d’un bon sens élémentaire et en même temps nourris de vieilles croyances restent accessibles au surnaturel et sont encore les héritiers, sur un mode simplifié, des grands chœurs de la tragédie antique.
Chacun d’eux interrogent notre cœur, puisque nous sommes tour à tour confrontés à ces diverses interrogations.
Il fallait, bien sûr, que l’histoire fût terrible et apparemment bien éloignée de notre vie, pour que nous puissions être spectateurs de ce drame sans fuir rapidement les lieux.

Sans vouloir singer la presse poeple, l’idylle du Président actuel ou d’autres idoles médiatiques s’inscrit parfois dans cette veine théâtrale.

Bien sûr, les vertus  de leurs amours est loin d’avoir la portée mythique et éducative de celles des héros antiques.
Mais selon nos goûts personnels, la possession d’une belle jeune femme, le pouvoir dont nous pourrions user à notre bénéfice, l’influence que nous pourrions avoir sur la société, la richesse disponible, la lâcheté restée dissimulée, etc….même fantasmés, occupent parfois nos esprits !
Il n’y a là nulle condamnation, mais simplement rappel sur ce qui grouille au fond de nos obscurités, et appel à faire toujours plus de Lumière en notre cœur.
Vous connaissez ma prétention à vouloir aborder des sujets que je ne maîtrise pas vraiment, mais j’aime à tenter l’expérience  d’actualiser des thèmes anciens qui m’interrogent, pour essayer de les relire avec mes yeux d’homme de ce temps.
Je vous engage d’ailleurs, mes frères à tenter cette expérience qui me semble tout à fait complémentaire de l’étude scrupuleuse de nos rituels qui se dévoilent très progressivement à notre sensibilité de chaque jour sous des éclairages renouvelés.
 
Pour conclure cette citation :
« L’homme noble cherche en permanence la cohérence avec son être profond »
 
J’ai dit

G\ D\
 
Résumé :
Notre Frère cherche dans les thèmes actuels de ses planches à mettre en exergue l’étonnante actualité des mythes anciens.
Il a choisi ce midi, le mythe d’Œdipe revisité par Jean Cocteau dans une pièce de théâtre de 1932 : La Machine Infernale.
Il note avec quel génie, les auteurs de la Grèce antique ont exposé les mythes qui occupent encore nos esprits et font la fortune des psychanalystes.
Au travers de l’horreur de la situation de l’intrigue, qui frappe l’imagination du spectateur, force est de constater que nombre des interrogations qui se font jour chez les divers personnages sont tout à fait d’actualité, alors que Sophocle écrivit sa pièce au V° siècle avant J.C.
De la gestion de notre libido à celle de la cité, de la rubrique criminelle aux faits divers, du trafic d’influence à la manipulation de l’opinion, nous retrouvons ici le sommaire de nos hebdomadaires.
La prétention de nos contemporains à gérer les évènements se trouve opposée au bon sens des gens dits « simples » qui gardent un lien avec le surnaturel, même si ce n’est qu’au travers de vieilles superstitions, car leur cœur leur parle parfois et qu’ils savent encore l’écouter.
Toutes choses auxquelles la méthode maçonnique nous invite à être attentifs dans le but de nous perfectionner pour rendre le monde moins cruel.

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