Obédience : NC Loge : NC Date : NC

Socrate

Socrate c'est d'abord un geste, une interpellation enjouée. Nos sommes à Athènes, dans les années 450 avant JC, sur une place publique, les hommes vont à leurs affaires. Socrate est un Athénien moyen. Comme tout Athénien, il se promène et il parle, comme tout le monde, de tout. Il intervient souvent dans une discussion déjà commencée, questionnant les gens les plus divers par l'âge, le métier ou la condition sociale.

L'attitude de Socrate est fraternelle. Contrairement aux philosophes ou aux sophistes qui attendent un auditoire, lui, va à la rencontre des gens. Il consacre son temps, à provoquer des entretiens et des débats, poussé par le besoin exigeant de traquer la vérité. Socrate ne prétend rien apprendre à ses interlocuteurs, il dit qu'il ne sait qu'une chose, c'est qu'il ne sait rien !

Ce qu'il veut, c'est mettre son interlocuteur face à lui-même, pour se "connaître" lui-même, selon le précepte inscrit sur un côté du temple d'Apollon à Delphes (connais-toi toi-même et tu  connaîtras l’univers et les Dieux). Il s'agit d'accéder à une conscience et une autonomie personnelles et, au-delà, d'approcher de la connaissance de ce qu'il y a d'essentiellement vrai dans l'homme. Il amène ses interlocuteurs à penser par eux-mêmes, à s’interroger et à trouver leurs propres réponses.

Cet art de faire venir la vérité à la lumière, Socrate l'appelle la maïeutique, c'est-à-dire l'art d'accoucher les esprits de ce qu'ils portent, comme sa mère faisait accoucher les femmes. La vérité ne peut jamais être entièrement donnée de l'extérieur. Chacun doit en dernière instance la découvrir par lui-même. Ce qui est capital pour Socrate, c'est Juger par Soi-même : que les réponses soient assumées par le sujet qui les énonce, que ce ne soient pas des citations. C'est une des conditions de la recherche de la vérité. Il ne faut pas en rester à une revue des opinions, sans aborder jamais l'essentiel : le pourquoi, la raison de ce qui est dit.

Pour Socrate, nul n'est méchant volontairement. Le méchant est celui qui ignore le bien, qui ne sait pas reconnaître la vertu à travers les visages divers qu'elle peut prendre. Si donc Socrate enseigne quelque chose, c'est le désir de chercher à reconnaître la vertu et le bien. Celui qui s'engage fermement sur le chemin de l'universel et de la connaissance de soi sera nécessairement bon. Chacun doit en dernière instance découvrir la vérité par lui-même. Parce que la vérité ne peut jamais être entièrement donnée de l'extérieur.

Ne cherche à savoir que celui qui n'est pas déjà convaincu d'avoir raison ou de détenir la vérité. Avec cette conscience du non savoir, de la perte des repères, deux réactions de la part de l'interlocuteur sont possibles :

ü      Confus, déstabilisé, paralysé, il répond agressivement. Si l'humiliation n'est pas surmontée, le dialogue peut s'interrompre.

ü      Ou bien, parce qu'elle atteint à la profondeur de l’être, la morsure socratique est féconde. L'homme en face de Socrate, comme réveillé du sommeil par la piqûre d'un taon, est devenu une inquiétude, une recherche, une conscience. Il passe au-dessus de son narcissisme, il assume positivement son ignorance et le désarroi qui l'accompagne : il sait qu'il ne sait rien. Ce moment est éminemment positif, la maïeutique peut reprendre, et porter ses fruits.

Socrate semble toujours diminuer l'importance de toute chose. Il fait preuve, vis -à -vis de ce qui est capital aux yeux de la communauté athénienne, d'un sens du relatif, souriant et lucide. N'acceptant aucune compromission, n'obéissant qu'à une voix intérieure, "quelque chose de divin" qu'il appelle son démon, il ne s'accommode guère de la vie politique et veut avant tout sauvegarder sa liberté d'esprit et continuer à obéir à cette voix intérieure.

C’est son époque, la Cité athénienne, la démocratie, qui ont permis l'existence de Socrate. Le philosophe et la Cité s'impliquent réciproquement. La démarche de Socrate suppose déjà constitué un espace public où s'exerce la liberté de penser et de s'exprimer. Socrate en est parfaitement conscient. D'où son attitude de fidélité à l'égard de la Cité, et son patriotisme indéfectible. Il fait la distinction entre la liberté de penser, sans bornes, et la liberté d'agir toujours limitée et soumise aux lois. Il faut obéir, en acte et non en pensée, aux commandements de l'Etat. Les Lois d'Athènes lui ont permis de faire ce à quoi par-dessus tout il tient : philosopher, rechercher la vérité, il ne peut s'opposer à elles.

La formation intellectuelle de Socrate est mal connue. Il a déjà des adeptes quand l'oracle de Delphes, consulté par l'un d'eux, le désigne entre tous les hommes comme le plus sage et le plus savant. Stupéfait par cette réponse, Socrate y voit le signe d'une mission divine; il ira désormais par les rues et par les places questionnant chacun, jeune ou vieux, artisan ou notable.

A cette mission d'éveil critique, Socrate apporte toutes les ressources d'une personnalité pittoresque et fascinante. Sa laideur est liée à son destin; elle fait plus que toutes les théories pour introduire dans le monde la distinction entre l'être et le paraître. Il ne fait rien comme personne. Naïf et rusé, sobre et sensuel, raisonneur à outrance, politiquement malaisé à étiqueter, il est insaisissable. Pour les Athéniens, conquis ou méfiants, il est une énigme: leur propre énigme vivante devant eux et bien décidée à les empêcher de dormir.

En 399, après la fin catastrophique de la guerre du Péloponnèse, l'épisode sanglant de la tyrannie des Trente et le rétablissement de la démocratie, Athènes a-t-elle besoin d'un bouc émissaire? L'insoumission, le refus de tout dogmatisme et le non-conformisme de Socrate suscitent beaucoup d'inimitiés chez les athéniens. Accusé d'impiété et de corrompre la jeunesse, il est condamné à mort par le tribunal populaire d'Athènes. Pour des raisons de calendrier religieux, la peine n'est pas exécutée aussitôt. Respectueux des lois, il refuse l'évasion préparée par ses fidèles et boit avec sérénité une décoction de ciguë, en devisant sur l'immortalité de l'âme, ainsi que l'a rapporté Platon.

Formant des esprits libres; Socrate n'a pas eu à proprement parler de disciples, puisque ceux-ci ont développé leur personnalité propre. Comme il n’a lui-même rien écrit, nous n'atteignons Socrate qu'indirectement par les reflets qu'en donnent des écrivains très différents les uns des autres comme Aristophane, Platon, Xénophon ou Aristote.

La postérité de Socrate est beaucoup plus vaste : sa quête de la vérité et de la connaissance de l'homme nous concerne tous ; elle n'a pas pour objet de mieux connaître l'homme pour créer des techniques qui pourront le diriger ou le régenter mais de conduire chaque individu à méditer sur l'âme et par conséquent le Bien, en remettant sans cesse en question les idées reçues : c'est ce qu'on a appelé le doute socratique .

L'accès au grade de Maître Secret a comme la démarche socratique pour objectif de rappeler au Maître que la lumière est loin d'être acquise, que le chemin du perfectionnement individuel est long et rempli d'épreuves et qu’il a pour seule fin le passage à l'Orient éternel.

L'initiation au 4è degré fait passer le Maître Secret du Faire au Dire, de la maîtrise de l'outil à la maîtrise du Verbe. L'objet de sa quête est maintenant la Parole perdue, symbolisée par le signe du silence, dont la signification profonde sera désormais le centre de sa réflexion. La recherche du mot est, pour le Maître Secret, une invitation à visiter les profondeurs de sa conscience. C'est en faisant une introspection intime que le Maître Secret doit trouver le sens de son initiation au 4è degré. C’est le "connais toi toi-même" de Socrate.

Les voyages, lors de l’initiation du Maître Secret, sont des pèlerinages intérieurs, une quête, une grande aventure qui doit permettre d'accéder à la libération optimale de soi-même. Ces voyages ne contournent plus un carré long mais s'effectuent en traçant une voie courbe. Le Maître Secret marque dans sa déambulation son passage de l'équerre au compas. Le cercle est indissociable du symbolisme du centre et de la circonférence. On peut considérer que ce chemin courbe est une représentation des états multiples de l'être, chemin de régénération qui relie et rapproche du centre du cercle, loin de toute errance.

Au grade de Maître Secret, pratiquement tout le rituel est axé sur une notion du devoir qui mène au Devoir fondamental. Le sens du devoir doit l'emporter sur toutes choses. Ce devoir est d'une exigence intérieure particulièrement forte. Le rituel de ce grade exprime clairement l'idéal de la Franc-maçonnerie comme l'accomplissement du devoir porté jusqu'au sacrifice. Comme Socrate a lui-même, respectueux des lois, refusé l'évasion préparée par ses fidèles et but avec sérénité une décoction de ciguë.

L'accomplissement du Devoir demande de l'initié une parfaite sincérité, de ne pas tricher, ni contourner la règle imposée, mais de rester en accord avec lui-même dans une démarche cohérente. Il est capital de Juger par Soi-même, que les réponses soient assumées par celui qui les énonce, que ce ne soient pas des citations. Il faut s'engager sur des réponses personnelles, et les garantir.

Le cercle du tableau du 4è n’est pas vide. La démarche du Maître Secret n’est pas de franchir le cercle vers l’extérieur mais dans le sens inverse, d'aller vers le centre où brille le soleil intérieur. Au plus profond de chaque être existe ce "tout", cette possibilité immense. On peut l’appeler également "feu spirituel" qui doit irradier. Il faut parvenir à cette force irradiante qui n’est pas l’éclat extérieur de l’homme fugitif et vain, mais substance intérieure qu’il s’agit de libérer de la gangue qui l’enferme. Il est capital de penser par soi-même, de s’interroger et de trouver ses propres réponses.

La démarche Socratique passe par les mots. Le rituel du 4è degré dit : "Vous ne prendrez pas les mots pour les idées". Les mots ne sont pas forcément les bons interprètes de la pensée. Le choix des mots est tributaire d'un contexte, d'une situation donnée, de la culture, de l'éducation, de la sensibilité. Ne pas prendre les mots pour les idées, c'est ne pas se tromper de voie en vénérant des valeurs relatives. Il faut remonter à la source, faire du Devoir un absolu. Le devoir nous lie à nous-même, à notre être profond. La cohésion, la cohérence entre le devoir et nos actes peut nous mener à l’harmonie en nous et dans le monde autour de nous. La fonction de discernement est essentielle car elle permet de percevoir et de découvrir l'idée vraie sous le mot juste, de réfléchir, de méditer, de sélectionner et de choisir comme Socrate qui veut avant tout sauvegarder sa liberté d'esprit.

Les 3 principes contenus dans le serment sont rappelés à la clôture des travaux : "Que vous a-t-on appris ?" "A garder le secret, à être obéissante et à rester fidèle". L’obéissance est renouvelée envers l’Ordre. La fidélité confère à l’initié des devoirs, dont le principal est de mettre en adéquation ses principes, sa parole et ses idées avec son vécu quotidien. L’obéissance absolue du Devoir, librement acceptée par sa conscience reste le fait d’une autorité qui n’émane que de soi seul et que l’on assume volontairement. Il s’agit d’une obligation de soi envers Soi.

La démarche de Socrate me semble une très bonne illustration du grade de Maître Secret. Ce grade tend à faire ressortir le sens de l'œuvre du Maître Maçon et la quintessence de son enseignement par la connaissance et la mise en pratique du Devoir, lequel doit pouvoir aller jusqu'au sacrifice, sans espoir de récompense. Le Franc-maçon doit toujours être à l'ouvrage, ne jamais perdre de vue le travail de l’Homme, pour l’empêcher de se retirer dans sa tour d’ivoire en proie à la méditation pure. Il doit maintenir un bon équilibre, une bonne harmonie avec les hommes qui l’entourent. Pour contempler la Vérité, ou tout au moins s'en approcher, chacun doit combattre l'ombre en lui pour faire vivre et croître la parcelle de lumière dont il est porteur.

J\ G\


7438-2 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \