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Les enfants de la Veuve

Au départ de cette planche, deux choses :

Un livre, qui m’a été offert par un de mes enfants, et qui s’appelle : « Hiram et les enfants de la Veuve ». Avec comme sous-titre : « Psychanalyse et franc-maçonnerie » (écrit par un F\ et par ailleurs psychanalyste, Michel Baron). Très intrigué par le titre qu’il trouvait mystérieux, il m’a dit : « ça doit te dire quelque chose ». En fait j’étais tout aussi intriguée que lui. Et ça ne me disait pas grand chose.

Cela m’évoquait seulement, et c’était pour moi tout aussi intrigant, ce titre me rappelait le signe dit signe de détresse, que le grand expert transmet au jeune M\ qui vient de prêter serment. C’est le seul moment où cette expression « les enfants de la veuve » intervient dans le rituel (en dehors de l’expression « le tronc de la veuve » : mais où on parle de la Veuve, pas des enfants).

Un beau cadeau donc, car il a servi de déclencheur à une recherche qui au final m’a permis de commencer à cheminer sur le chemin du maître.

L’apprenti et le compagnon se voient dotés d’outils : le maillet et le ciseau ; puis la règle associée à divers outils. Le maître, lui, a certes un outil, le compas, mais ce qui marque fondamentalement son intronisation, c’est la légende d’Hiram, le meurtre du père…qui, je commence donc à le réaliser, fait de lui un enfant d’une Veuve.

Nous sommes des enfants, sans père, mais non sans mère. C’est ce que cette expression nous rappelle. Et étant de la même mère, la Veuve, nous sommes frères et soeurs.

Les outils, associés à la pierre, pierre brute puis pierre cubique, sont des images parlantes : le travail qui y est associé évoque une image concrète. Tailler sa pierre : on passe facilement du sens concret au sens figuré. Mais une légende c’est beaucoup plus abstrait. Quand bien même on la joue, acteur comme dans une pièce de théâtre lors de la cérémonie d’élévation. J’ai bien compris que cette légende, c’était l’outil qui m’était donné sur mon chemin et maître, pour mon travail de maître.

Alors j’ai eu besoin, pour apprendre à me servir de cette légende, de retourner voir du côté des anthropologues, à quoi servent les légendes ; et du côté des historiens de la franc-maçonnerie, pour voir comment cette légende s’était constituée ; cela a constitué une première étape de mon cheminement autour de cette expression « les enfants de la veuve ».

Puis je suis allée voir pourquoi dans les religions et les philosophies il y a souvent des enfants de veuves (ou de vierges d’ailleurs) ; pour arriver à comprendre le destin et le rôle des enfants de ces veuves, enfant que je suis, que nous sommes tous, mes F\ et mes S\ C’est ce trajet, ou début de trajet, que je propose de partager.

Le rôle des légendes et des mythes

Dans toutes les cultures il y des récits des origines ; et le plus souvent, ces récits confinent au mythe. Le mythe, c’est un récit, souvent transmis selon une tradition orale, ce qui est le cas en F\ M\, et qui propose une explication pour un aspect fondamental du monde, notamment le statut de l’être humain.

Cette définition me paraît bien s’appliquer à la légende d’Hiram : c’est un récit, transformé au fil de la transmission orale, et qui propose une explication sur le statut des « enfants de la veuve », c’est-à-dire des francs-maçons. La légende d’Hiram, c’est le récit de nos origines.

Un mythe transformé au fil de la transmission orale : Daniel Beresniak explique que jusqu’au 18è siècle, en F\ M\ c’est la légende de la tour de Babel qui a prévalu : le premier grand M\, c’était le roi Nemrod, constructeur de la tour de Babel.

Puis deux légendes ont co-existé : la tour de Babel et celle du Temple de Salomon. Jusqu’à ce que la légende de la tour de Babel comme fondatrice, c’est-à-dire explicative de nos origines, soit abandonnée. Selon Béresniak, c’est parce que le roi Salomon était un héros très populaire à la fin du Moyen-âge que la légende du Temple de Salomon a été retenue. Ce qui me paraît intéressant dans ce retour sur l’histoire, c’est de voir qu’une légende est choisie parce qu’elle est un outil de compréhension, qu’elle est parlante, stimulante. Ce qui fait écho à ma quête : essayer d’apprendre à me servir de cette légende comme outil sur le chemin initiatique.

De même, au fil du temps, l’histoire d’Hiram va se modifier. Hiram va se trouver paré de qualités sans cesse renouvelées. Hiram lui-même est fils d’une veuve (son père est tyrien). Dans le premier livre des Rois, Il est expert dans le travail du cuivre, c’est un artisan en airain. Il est envoyé par Hiram de Tyr (son homonyme) auprès du roi Salomon pour intervenir dans la construction du Temple au niveau de la décoration. Puis, dans le chapitre II du livre des Chroniques, ses compétences sont beaucoup plus étendues. Au fil des récits, il est constructeur du temple, dirige sa construction et toutes les équipes d’apprentis, de compagnons et de maîtres.

Comme dans les légendes et les mythes, sur un point de départ historique, il y a évolution du récit…une évolution en fonction…de la fonction du mythe, c’est-à-dire d’expliquer les origines.

Et je dirais : c’est à cette condition qu’un mythe peut être un outil sur un chemin initiatique. Comme le dit Michel Baron, c’est précisément la fonction d’un mythe, d’être suffisamment imprécis pour offrir le maximum d’espace à l’imagination. En cela le mythe est différent de la théologie, qui encadre par un catéchisme, un dogme.

Là je commence à comprendre à quoi peut nous servir cette histoire. Elle nous sert de référence. Comme F\ M\, comme F\ et S\, nous avons tous la même histoire. De même que l’enfant se construit sur l’histoire de sa famille, sur les récits qu’on lui en fait, qu’il entend autour de lui ; de même, comme F\ M\, enfants de la Veuve, nous nous construisons à partir de notre histoire familiale. Ce qui importe, ce n’est pas tant les faits, mais le récit que nous en faisons pour nous construire et pour évoluer.

Après ce retour sur le rôle des légendes et des mythes, je me suis interrogée sur le fait que dans les religions et les mythes il y a souvent des enfants de Veuve.

La Veuve et ses enfants, point commun des mythes des origines.

Dans différents mythes et différentes légendes, un enfant, qui est en général un héros, est celui d’une veuve, et ce veuvage résulte d’un meurtre.

Dans différentes légendes de différents pays et continents, l’adepte tue celui qui l’a instruit : c’est vrai de légendes aussi diverses que des légendes de Bretagne, d’Indes, de l’Aquitaine ou du Brésil, d’Afrique. C’est ce que fait le compagnon. Il y a de cela dans tout enfant qui s’affranchit de ses parents. Ces légendes sont une façon de le dire.

Mais dans l’expression « enfant de la Veuve », il y a un meurtre, plus : l’expression d’un lien entre l’enfant et la Veuve.

- Dans le mythe d’OEdipe : OEdipe tue son père pour se rapprocher de sa mère. Dans l’usage psychanalytique de ce mythe : c’est bien cette idée. Le garçon souhaiterait tuer symboliquement son père pour prendre sa place auprès de sa mère, jusqu’à ce qu’il comprenne que la meilleure manière est de faire comme son père pour se rapprocher d’autres femmes que de sa mère.

- Dans le mythe d’Isis et Osiris, l’histoire démarre aussi avec un meurtre, l’assassinat d’Osiris par son frère. Ensuite l’accent me paraît mis très fortement sur le lien entre la mère et le fils, puisque qu’Horus est conçu au-delà de la mort de son père.

- Dans la légende d’Hiram : l’histoire donc démarre encore avec un meurtre. Comme dans OEdipe, et à la différence du mythe d’Isis et Osiris, ce sont les fils symboliques, ceux qui ont été instruits, qui accomplissent le meurtre. Dans le rituel, le rappel à chaque tenue de la Veuve s’éclaire d’un sens que je n’avais pas perçu jusqu’alors : il ne s’agit pas de la veuve et l’orphelin au sens misérabiliste de l’expression, qui attendent le secours des autres, mais de l’association entre la Veuve et ses enfants pour perpétuer la vie, c’est-à-dire la recherche de la Vérité.

Ce lien entre l’enfant et la mère, c’est une manière d’inscrire l’enfant dans une lignée. Pour un maçon, se désigner « enfant de la Veuve » c’est une manière de s’inscrire dans la lignée ’Hiram. D’ailleurs l’expression désigne aussi bien chaque maçon que la maçonnerie elle-même.

S’inscrire dans la lignée, c’est donc garder une trace du passé, mais c’est aussi, nourri de cette trace, se projeter dans l’avenir, dans une construction nouvelle. Et les deux volets sont aussi importants l’un que l’autre, et très liés : la trace du passé et la construction nouvelle.

Concernant le premier volet, la trace du passé, le mythe d’Isis me semble apporter un éclairage. Dans le mythe, Horus est conçu grâce au fait qu’Isis ait rassemblé les membres épars de son mari et qu’ensuite elle lui a insufflé la vie. Ce qui est un symbole fort : la vie (celle d’Isis puis d’Horus dans le mythe) est issue de cette reconstruction du corps. L’expression « rassembler ce qui est épars » prend dans ce contexte une signification possible: rassembler ce qui est épars, c’est d’une certaine façon s’inscrire dans la lignée, garder une trace du passé, construire à partir de cela, pour participer à l’oeuvre maçonnique de la même façon qu’Isis a donné la vie après avoir rassemblé les membres épars de son mari.

Concernant le second volet, la construction nouvelle, les légendes assignent à l’enfant de la Veuve un destin particulier.

En plus du meurtre du père, en plus du lien entre la mère et l’enfant, c’est un troisième point commun à ces mythes et légendes : les fils de Veuve sont des héros créateurs. Mort et construction, mort et renaissance sont donc intimement liées. En fait il s’agit d’une réincarnation, puisque c’est l’âme du maître assassiné qui se réincarne dans le fils de la Veuve.

Sur ce point Daniel Béresniak montre à quel point c’est un lieu commun aux légendes et aux mythes : l’association la mort/la renaissance. De tous temps les bâtisseurs faisaient des sacrifices au cours de la construction. Cela était censé assurer la pérennité des travaux. Dans la Bible Caïn tue Abel. Puis il bâtit une ville. Seuls ses descendants donnent des créateurs et des inventeurs, jusqu’à Tubalcain. Comme dans la nature le grain meurt pour germer. Dans la légende d’Hiram, le relèvement du cadavre d’Hiram n’a lieu qu’après avoir constaté son état avancé de putréfaction : Mohabon, fils de la putréfaction.

Béresniak fait aussi le parallèle entre la mort d’Hiram et la passion du Christ. Entre la réincarnation d’Hiram et la réincarnation du Christ : ce que dit la parole du prêtre : mangez, ceci est mon corps ; buvez, ceci est mon sang.

Il s’interroge aussi : que se passe-t-il dans l’inconscient des humains pour qu’ils associent le meurtre et la construction ?

Il ne propose pas de réponse. Mais il dit c’est une question à laquelle un maçon doit réfléchir. Il propose tout de même une piste de réflexion : à savoir qu’un sacrifice est toujours un échange. Dans les mythes traditionnels, un échange avec la divinité.

Ce que cela me suggère : c’est que toute construction nécessite un renoncement. Et là le mythe d’OEdipe encore me paraît suggestif. De même que le fils renonce à rivaliser avec son père pour se construire comme homme, de même le maçon renonce à un certain nombre de choses R il laisse ses métaux à la porte du Temple, notamment R pour participer à cette construction collective.

Cette réincarnation d’Hiram dans le nouveau M\ se fait dans la joie. Hiram doit mourir pour renaître, plus radieux que jamais.

Dans le rituel que j’avais perçu à un premier niveau de lecture, je trouvais que l’on passait bien vite de la tristesse à la joie. Il m’aura fallu ce travail sur le symbolisme sous-jacent au rituel pour me permettre dépasser cette perception première. Lors du passage du compagnon au grade de maître, c’est le compagnon lui-même qui meurt et renaît. C’est le compagnon qui voit les choses autrement. Qui meurt à un monde pour renaître à un autre, différent…mais en ayant dans ses bagages le monde d’avant, selon le sens que j’ai cru trouver à l’expression : rassembler ce qui est épars. C’est Hiram qui renaît en lui. Il naît donc avec cet héritage du passé, qu’il va avoir la charge de sauvegarder, mais aussi à partir duquel il va construire.

Il y a la joie, celle d’un monde nouveau qui s’ouvre…mais aussi peut-être une crainte : celle de ne pas être à la hauteur de la tâche. Cela dit, il n’est pas seul dans cette aventure.

Et j’en arrive donc à mon troisième et dernier point

La fraternité dans une loge-mère

Pour terminer sur une note plus optimiste : je reviendrai sur quelques notions maçonniques que je vois d’un autre oeil, à la lumière de ce travail : celle de fraternité ; celle de loge-mère ; et celle de transmission.

Jusque là j’avais vu la fraternité comme synonyme d’entr’aide, d’attention à l’autre. C’est cela, sûrement. Mais c’est aussi plus que cela : en fait nous sommes frères et soeurs parce que nous sommes issus de la même lignée. Nous sommes des enfants d’Hiram. Ce que signe l’embrassade : comme on embrasse les membres de sa famille, les F\ M\ s’embrassent. Non pas que je trouve désagréable nos embrassades ! Mais je m’étais demandé d’où venait ce que j’avais considéré jusque là comme une simple coutume. En fait c’est plus qu’une coutume, c’est un symbole fort qui, vu sous cet angle, rappelle l’appartenance à une même famille initiatique.

Dans ce contexte l’expression de loge-mère prend aussi un sens nouveau, et surtout un sens très fort. D’une certaine façon, et l’expression vient de Michel Baron, la loge-mère est un ventre imaginaire, celui où nous sommes nés enfant d’Hiram. Nous sommes nés de cette loge. Comme l’enfant dans sa famille, Michel Baron rappelle que nous y avons été parlés avant d’y être accueillis : comme le couple parle de son enfant à concevoir puis à naître, la demande de l’initié a été lue, a fait l’objet d’une parole qui circule, puis d’un vote. Pour filer la métaphore, la loge devient grosse d’un nouveau frère (ou une nouvelle soeur) et l’initiation en est l’accouchement. Dans ce contexte les propos de nos frère et soeur Jean et Marie, comme les propos de notre soeur Christine, qui ont eu le sentiment de revenir à la maison, de retrouver la famille après un temps d’absence, prennent leur véritable sens. Il me semble y entendre le signe d’une reconnaissance d’un lien d’une nature certes mystérieuse mais d’un lien réel et indestructible, comme le sont les liens familiaux.

Cette loge-mère est donc un lieu d’enfantement. Le rôle du maître, c’est d’enfanter, de mettre au monde symboliquement des enfants d’Hiram. Nourri de la fraternité de sa loge, c’est à ce travail que doit, que peut s’atteler l’enfant d’Hiram.

J’ai dit, très respectable M\


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