Obédience : NC Loge : NC 01/11/2000

 

La Franc-Maçonnerie Féminine

L’interdit féminin des origines

Les « Constitutions d’Anderson », publiées en 1723, ont toujours servi de référence pour la fondation de toute obédience maçonnique. Or en leur article 3 il est stipulé ceci : « Les membres d’une loge doivent être des hommes libres, d’âge mûr, modérés, ni esclaves, ni femmes, ni hommes amoraux ou scandaleux, mais de bonne réputation. » Or, il faut savoir qu’au XVIII° siècle, les femmes n’étaient pas libres : juridiquement parlant, elles avaient un statut de mineure, en restant maintenues sous la tutelle familiale du mari ou du père. Elles ne jouissaient donc pas de la liberté nécessaire à la reconnaissance de la qualité première de franc-maçon.

L’explication de ce phénomène doit remonter à l’enseignement biblique où les filles d’Eve demeurent suspectes aux yeux des hommes, dont l’ançêtre Adam avait été charmé par la 1ère femme Eve qui lui donna la pomme qui le fit déchoir de son état de bonheur parfait au jardin d’Eden.

Les Loges d’Adoption

Néanmoins, dans la haute société française du XVIII°siècle, les frères maçons avaient pris l’habitude de recevoir leur compagne après les tenues, dans des agapes, en vue de partager leurs travaux de mastication qui étaient surtout alimentées de réflexions philosophiques sur la nature humaine et son perfectionnement. Or ces femmes étaient généralement des aristocrates et avaient le niveau d’instruction et de culture nécessaires pour prendre part aux débats philosophiques qui se pratiquaient dans ces rencontres. Elles étaient de ce fait appelées naturellement à participer à la vie des loges, et, bien sûr, sous le contrôle des frères de l’atelier masculin. De la sorte, progressivement, des quasi-loges féminines dites « loges d’adoption » seront placées sous la tutelle des loges masculines, et ce, à tel point que l’on parlait déjà d’une maçonnerie des dames lorsqu’en 1774 le Grand Orient, qui venait d’être créé en 1773, reconnaîtra des loges féminines en les enregistrant.

Certes le rituel de ces loges d’adoption  se situait il hors des références opératives des bâtisseurs de cathédrales qui ne convenaient pas aux dames. La loge représentait pour elles le jardin d’Eden, tandis qu’au premier degré elles découvraient l’arche de Noé et les passions qui agitent leur coeur de femme. Quant à leur second degré, il était question de l’échelle de Jacob qui leur montrait le progrès à accomplir pour atteindre la perfection. Enfin au 3ème degré elles étudiaient la Tour de Babel symbolisant l’orgueil humain maitrisé. Quant à leur action au dehors, il leur était recommandé de pratiquer la philanthropie, en organisant de grandes fêtes de charité.

A la veille de la Révolution Française de 1789, on dénombrait une quarantaine de ces loges d’adoption placées sous la tutelle du Grand Orient. La Grande Maîtresse des loges d’adoption françaises, la Duchesse de Bourbon,était la soeur du Duc de Chartres qui était lui-même le Grand Maître du Grand orient et futur Philippe-Egalité. Le Grand Orient connaissait alors une ère de grande propspérité en comptant environ 30 000 frères répartis entre 500 loges, recrutant parmi les plus hautes personnalités de la vie sociale de Versailles, de Paris et de province. Bien entendu, toutes les idéologies pouvaient s’y rencontrer. C’est ainsi qu’au moment de la Révolution de 1789, 80% des membres du Grand Orient étaient issus du Tiers Etat (dominé par les officiers royaux et les négociants, à l’exclusion des artisans, boutiquiers ainsi que des comédiens et des juifs que l’opinion publique de l’époque considérait comme indignes de la qualité d’ « hommes libres et de bonne réputation » exigée par l’article 3 des Constitutions d’Anderson), 15% de la Noblesse (dite d’épée car essentiellement versée dans l’armée) et 5% d’ecclésiastiques (composés de chanoines, de curés et de prêtres malgré la bulle pontificale de 1738 « In Eminente » qui n’avait découragé que l’épiscopat, dite Noblesse de robe, laquelle dépendait directement du Pape).

De la 1ère République au 1er Empire

La Révolution Française va bouleverser tout cet édifice social servant à la réflexion sur les conditions d’amélioration du sort de l’humanité. En effet, les loges masculines comme féminines seront mises en sommeil du fait que la Noblesse a perdu ses principales têtes, son prestige et sa prééminence sociale ainsi que sa richesse. La différence des opinions politiques envers la monarchie (notamment la division entre les maçons partisans d‘une monarchie constitutionnelle et ceux préférant la monarchie absolue,alors que les constitutions d’Anderson prêchent la fidélité aux autorités établies), rend leur cohabitation impossible, causant des ruptures dévastatrices pour les loges aristocratiques et militaires de même que pour les loges bourgeoises dont les membres étaient désormais souvent appelées aux affaires publiques. Par ailleurs, les nouvelles autorités républicaines et jacobines estimant qu’il ne doit pas y avoir d’organisation secrète dont l’activité échappe au contrôle populaire, et cela en accord officiel avec le Grand Maître du Grand Orient, le Duc de Chartres, Philippe d’Orléans devenu Philippe-Egalité à la mort de Louis XVI, il en est résulté des arrêtés d’interdiction qui ont mis en sommeil la vie maçonnique en 1793. Alors peu de loges fonctionnent durant cette décennie de période révolutionnaire en raison surtout des divisions idéologiques entre jacobins et monarchistes d’une part, puis entre droite(les aristocrates puis les montagnards ) et gauche(les régissides puis les girondins). Bien sûr, il n’était plus question des loges d’adoption en ces temps troubles, d’autant plus que les compagnons de ces dames de haut rang social étaient pour la plupart soumis aux incertitudes de la situation politique ou sociale.

Par contre, sous le 1er Empire tout le monde se tait à ce sujet(toute la famille Bonaparte était maçonne depuis leur père: aussi y aurait-il intérêt à rechercher en ce domaine pourquoi Bonaparte avait emmené avec lui près de 200 savants pour découvrir les secrets des pyramides au cours de sa campagne d’Egypte...). La vie maçonnique reprend vigueur plus que jamais, surtout dans les loges militaires où 18 parmi les 26 maréchaux d’empire sont francs maçons, tandis que la Police défendra la maçonnerie contre les attaques du Clergé qui lui reprochait d’être à la base de la tragédie révolutionnaire. Les travaux féminins en loges d’adoption retrouvent alors leur éclat sous les auspices de l’impératrice Joséphine de Beauharnais et de sa loge du nom de « Sainte Caroline des Francs Chevaliers ».

L’éclipse de la Restauration et du Second Empire

Après la chute de Napoléon 1er, le Grand Orient délaisse ses loges d’adoption, qui déclinent sous la Restauration du Roi Louis XVIII avant de disparaître en 1860 sous la pression de l’Empereur Napoléon III devenu anti-républicain. Or ce dernier avait bien su profiter du rôle primordial des francs-maçons dans la Révolution de 1848 et qui l’avaient d’abord porté au pouvoir comme Président de la II° République, tout en lui faisant adopter leur devise républicainede « Liberté, Egalité, Fraternité ».

1882 : le coup de force de Léon Richer et de Maria Deraismes

C’est d’ailleurs l’esprit républicain des francs-maçons du Grand Orient, seule force sociale organisée au moment de la chute du régime impérial de Napoléon III en 1870, qui poussa à proclamer la III° République. Il aura donc fallu attendre la III° République, où leur mari franc maçon exerçait un pouvoir politique, pour voir les femmes aborder à nouveau le problème des loges d’adoption. Néanmoins il y a lieu de rendre un hommage particulier aux combats de Maria Deraismes, journaliste de talent dans les années 1860, et qui intervenait comme conférencière brillante dans les salles du Grand Orient où elle était soutenue par Léon Richer, rédacteur à « L’Opinion Nationale » et Vénérable de la loge « Mars ». Ce dernier prône alors l’admission des femmes dans les loges, en reprochant à la franc maçonnerie d’avoir tout autant peur des femmes que les hommes ont peur des francs maçons. Il crée alors avec Maria Deraismes l’association dénommée « Le Droit des Femmes » à laquelle adhère Louise Michel, une grande militante républicaine tout à la fois féministe et marxiste. Et il propose à ses frères de la loge « Les Libres Penseurs » qui s’étaient ralliés à la G.L.S.E.(Grande Loge Symbolique Ecossaise, qui venait de faire scission du grand Orient en 1880, notamment en vue de lever cet interdit d’initier des femmes en franc maçonnerie) de passer à l’action directe en constituant une loge sauvage qui initiera Maria Deraismes, devenue la première vraie franc maçonne de l’Histoire, le 14 janvier 1882. Cette nouvelle Initiée leur déclare ce jour-là: « Par vous, un préjugé est vaincu. Toute une légion me suivra. ». Mais 5 mois après son initiation,sous la pression générale des fidèles au texte machiste du pasteur Anderson de 1723, Maria Deraismes se trouve exclue.

Et le D.H. mixte est né en 1893.

Mais qu’importe, puisqu’elle est désormais initiée! Et c’est pourquoi, le 4 avril 1893, avec l’aide de Georges Martin, ancien frère membre de la G.L.S.E., Maria Deraismes fonde la loge mixte du Droit Humain avec 16 compagnes, pour répondre au refus des frères du G.O. et de la G.L.S.E. d’initier des femmes. Les travaux de cette loge s’ouvrent au R.E.A.A., sous l’invocation non pas du G.A.D.L.U. mais du Progrès de l’Humanité. Elle reçoit des femmes et des hommes. La franc Maçonnerie Mixte était ainsi née. Le D.H. pratique le rite R.E.A.A. sans invoquer le G.A.D.L.U. mais seulement le Progrès de l’Humanité: il se réclame républicain et laïc, tout en étant attaché au féminisme formateur et réformateur des soeurs pionnières. En 1895, elle se constitue en Obédience avant de prendre des dimensions internationales à partir de 1899: elle compte actuellement environ 15 000 membres, dont 70% de soeurs à travers 60 pays dans le monde.

1945: la G.L.F.F. naît des cendres des loges d’adoption de la G.L.F.

La Grande Loge de France, fondée en 1894 avec la volonté d’ouvrir les travaux à la gloire du grand architecte de l’univers, elle s’empresse dès 1906 de réactiver les anciennes loges d’adoption et de faire revivre l’expérience de l’ancienne maçonnerie des dames, et cela sans vouloir violer les Constitutions d’Anderson, puisqu’elle rattache ses loges d’adoption aux ateliers masculins. On comptait 9 loges d’adoption et 300 soeurs en 1935, lorsque la Grande Loge de France décida de se rapprocher de la Grande Loge Unie d’Angleterre pour se faire reconnaître d’elle, à la différence du G.O. qui se trouve banni de la franc maçonnerie « régulière » depuis le Convent International de Lausanne en 1875, à partir duquel il avait décidé  de ne plus invoquer le G.A.D.L.U. dans ses travaux, devenus entièrement laïcs. C’est alors que, pour plaire à la puissante Grande Loge Unie d’Angleterre, qui ne veut pas entendre parler de femmes en franc maçonnerie,la G.L.F. décide de se débarrasser de son fardeau des loges d’adoption en leur conférant l’autonomie la plus complète, en leur laissant le soin de se constituer toutes seules en maçonnerie féminine, sans la participation des frères de la G.L.F. qui s’en séparent tout simplement et sans égards. Sur ces entrefaits, la Guerre 1939-1945 éclate et la G.L.F. n’obtiendra pas pour autant la reconnaissance anglaise escomptée( la G.L.U.A. n’était pas dupe et exigeait que la G.L.F. se rapproche de la G.L.N.F. fondée en 1913 et seule obédience française reconnue  par elle sur le territoire français où il ne peut y avoir qu’un seul représentant  par pays).

Le droit de vote ayant été accordé aux femmes le 5 octobre 1945 en France, 91 femmes, dont de nombreuses résistantes, créent l’UMFF (Union Maçonnique Féminine de France) avec 5 loges rescapées des loges d’adoption d’avant guerre: Le Libre Examen, La Nouvelle Jérusalem, Général Peigné, Minerve et Thébah. Ayant cotisé avant guerre à la G.L.F., elles pourront bénéficier du droit d’hébergement de leurs tenues au sein des temples de la G.L.F.. En 1954, la Vénérable de la loge ISIS, Gisèle Faivre(qui sera 11 fois élue Grande Maîtresse en raison de son génie d’adaptation créatrice), introduit le port d’une robe noire en signe d’égalité ainsi qu’une médaille portée en sautoir.Et en 1959, nos soeurs de la G.L.F.F. adoptent le R.E.A.A. et ouvrent leurs travaux à la gloire du G.A.D.L.U., avant de s’attaquer aux hauts grades qui complètent le rite du R.E.A.A., soit du 4° au 33° degrés qui seront désormais transmis par les soeurs de l’intérieur de l’obédience. Le Suprême Conseil Féminin sera ainsi constitué en Avril 1970. Et en 1973, le G.O. offre sa patente à la G.L.F.F. qui adoptera  en plus le Rite Français.

Actuellement les effectifs de la G.L.F.F. avoisinent les 12 000 soeurs, réparties entre plus de 300 loges à travers le monde.

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