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Tradition et Responsabilité

ou la franc-maçonnerie revisitée

L’Homme ne peut pas vivre sans passé.

De ce besoin fondamental d’être adossé à une histoire, à « quelque chose de reproductible, tenu pour vrai et sûr », sont nées progressivement les traditions (du verbe tradere, remettre, transmettre),  ces diverses façons de   faire passer de générations en générations,  « les pratiques »   et les « pouvoirs » hérités des ancêtres : coutumes et rites, usages et savoirs,  et aussi, bien sûr,  mythes et  légendes.

Lesdites traditions, classiquement qualifiées de « populaires », parce que connues de tous et donc génératrices de lien social,  ont aussi subi au gré du temps, l’influence des croyances en des dieux, ou en un dieu, selon les cultures. Les notions de "permis" et  "d'interdit" ont ainsi introduit le sacré,  à séparer du profane. Après la magie, en quelque sorte "pensée primordiale", sont venues les religions, puis les sociétés initiatiques, sous forme d’ordres ou de confréries, pour répondre à un   autre besoin humain directement lié au sacré : le mystère (étymologiquement, ce qui doit être tu, non dit).

La Tradition maçonnique

Les traditions ont ainsi engendré la Tradition, avec tout le contenu de la majuscule en termes  de "caché", d’ésotérisme, d’interrogation métaphysique, et pour les croyants, de déférence envers le divin. C’est sur ce socle fait du sentiment   d’une « reliance » à l’invisible, propre à l’humanité, que s’est notamment construite la franc-maçonnerie originelle : une institution fraternelle de bâtisseurs croyants, dédiée en même temps à  la quête commune de la Connaissance ("la gnose", philosophie suprême) à travers les récits légendaires en vogue dans le  bassin méditerranéen.  

De nos jours, tandis que cette Connaissance est révélée  aux religions par le dogme des  livres saints, elle fait l’objet d’une recherche individuelle et intuitive en franc-maçonnerie,   dite « spéculative ». Sa méthode puise  toujours dans le fonds allégorique gréco-judéo-chrétien  et s’appuie sur l’exercice des rites et symboles. Ces derniers sont principalement constitués,  en atelier d'apprenti,   par la pierre  et les outils  pour travailler celle-ci (équerre, règle, compas, ciseau, maillet, fil à plomb, etc) empruntés à  la franc-maçonnerie opérative,  au temps où elle élevait des cathédrales. La puissance évocatrice des symboles - par exemple, mesure,  rectitude,  harmonie, fraternité -  ouvre la voie du perfectionnement  au franc-maçon, qui, après avoir été initié dans  la loge en recevant « La lumière »,  éclairante (information) et "réchauffante" (fraternité), remet sans cesse son ouvrage sur le métier, de réunion en réunion. Non seulement il doit se parfaire,  mais en sortant du temple, il lui revient aussi d’améliorer la cité.

On le voit,  au sein de la société initiatique, la Tradition  invite  le frère,  la sœur, à la fois à « renaître » à un nouvel état  puis  à  transmettre ses acquis à l’extérieur. Qu’il s’agisse d’une façon d’être, de penser, d’agir. Au vrai, pour cet homme, pour cette femme « éclairés » par l'initiation et appétents d’universalité, voire d’absolu, vivre la Tradition, c’est désirer approcher  la vérité,  considérée comme un principe de sagesse, but ultime. Ce qui ne signifie pas, erreur fréquente,  que Tradition soit à accepter obligatoirement comme synonyme de Vérité, avec là encore, une majuscule en référence au divin. La confusion vient de l'interprétation de la notion  de Grand Architecte de l'Univers, expression empruntée par la maçonnerie à la littérature du 11ème siècle. Selon les obédiences maçonniques, il est en effet défini par les unes,  comme le dieu révélé, par d'autres comme "un symbole parmi les symboles".

Rappelons ici, au risque de choquer les esprits rêveurs et le Chevalier de Ramsay dans sa tombe, que la maçonnerie moderne, c'est prouvé aujourd'hui,  n'a pas de parenté avec la chevalerie. Ni avec la maçonnerie opérative d'ailleurs, sinon que ses outils lui ont été empruntés pour un usage symbolique. Qu'importe, c'est précisément le symbole et la légende, sans cesse réinventée qui ont leur importance.  Le père de la maçonnerie spéculative est en vérité le savant Isaac Newton,  dont les travaux sur l'attraction universelle et le rayon lumineux ont fourni à son adjoint, le pasteur français  Jean-Théophile Désaguliers, les métaphores créatrices. C'est en effet à partir de l'idée de  l'aimant (entendu comme l'amour et l'attirance de l'autre) puis  de la lumière (vue à la fois comme l'éclairement et la chaleur humaine) que ce pasteur a eu l'idée d'une association universelle, interhumaine et multiconfessionnelle. On ne saura jamais vraiment pourquoi ses Constitutions portent le nom d'Anderson, sinon par déférence pour son collègue, être plutôt effacé mais londonien de naissance, il est vrai. Sol anglais oblige!
 
Les motivations des frères et des soeurs

Le concept de Désaguliers, est à la fois une utopie magnifique et une méthode complexe.  « Maçonner » n’est donc pas facile en soi. Un vécu personnel de plus de  vingt années de franc-maçonnerie me permet de l’affirmer. La lumière, même symbolique,  peut éclairer, mais aussi  éblouir! A l’évidence, ce n’est pas parce qu’elle prône la perfectibilité de l’homme, que la franc-maçonnerie est elle-même parfaite, à travers ses membres! Société adogmatique de pensée (le rite n'est pas un dogme mais un moyen de réalisation), elle doit rester une école sans devoirs et leçons imposés,  où le maçon, la maçonne, à l’écoute des autres,  apporte son point de vue.  J'apporte ici le mien, en maçon libre, dans une loge libre. Partant,  il revient à chacun, à chacune,  d’interpréter la Tradition, mais sans la détourner de ses buts humanistes.

C’est précisément cette interprétation que je me propose et vous propose d’analyser au fil de cette planche. Et par là même,  d’examiner le fonctionnement d’une loge. Examiner veut dire observer et rendre compte, le plus objectivement possible,  des points positifs et négatifs. Donc,  il s’agit d’explorer autant  les bienfaits d’une dynamique de groupe particulière - caractéristique de notre Ordre -   que les raisons de  comportements individuels ou claniques,  illicites ou "affairistes", parfois de grande ampleur, qui sont actuellement constatés dans les rangs maçonniques.  Même  si ces agissements  ne sont le fait que d’une minorité,  il n'est pas bon de vouloir les ignorer, et de jouer l'indifférence, en nous déclarant non coupables,  drapés dans notre dignité et nos convictions, au sein d'une loge par nous  jugée sans défauts majeurs. 

A mon sens, il  est au contraire capital de nous demander, en l’occurrence de l’intérieur - pour éviter pareille mésaventure - comment ces déviances ont pu naître, s’installer et s’amplifier? Comment des hommes et des femmes (elles sont aussi concernées), cooptés pour leur honnêteté intellectuelle et soucieux d’ajuster leurs actes à leur pensée, peuvent soudain oublier leur engagement, à la sortie du Temple?

A ces dérives, il n'y a pas une raison, mais des raisons, qui souvent se conjuguent.  On ne sera pas surpris : la première  d'entre elles est le recrutement.  La loge maçonnique est un espace d'expression. Du "trop-plein" au manque. De l'humeur à l'humour. Emetteurs et récepteurs, nous sommes tous des "êtres de désirs". Il ne faut pas se cacher que chaque membre d'une association (les obédiences maçonniques sont des associations Loi 1901) vient certes  donner  de lui-même, mais aussi, recevoir, c'est-à-dire quérir quelque chose, au sens effectif de "désirer". Au-delà du besoin d'appartenance et de la volonté de développement personnel, au-delà de la rencontre, de l'échange et de l'altruisme, aussi sincères soient ces élans, chaque frère, chaque sœur, selon son histoire et ses conditions de vie, ses forces et ses faiblesses, se présente en demande, en recherche. Plus ou moins secrète, voire inconsciente. Qui d'un père, d'une mère, d'un partenaire, d'une famille, d'un "lieu d'amour". Qui de compréhension, de reconnaissance, d'honneurs, de gratifications, de pouvoir (perdu, pas encore ou jamais obtenu ailleurs, cercle familial compris). Qui de confiance en soi ou de "desennui". Qui de fournisseurs ou de clients. Cette dernière quête, n'en doutons pas,  génère largement les "affaires",  dans les loges qui s'y prêtent! 

La liste est longue de nos attentes souvent opposées,  conscientes ou inconscientes, de nos souhaits affectifs, spirituels ou matériels. Les francs-maçons ne doivent pas occulter ces paramètres fondamentaux, générateurs de satisfactions…ou de déceptions et de démissions!

La culture du secret

Ainsi, pour perdurer, la franc-maçonnerie du nouveau millénaire,  se trouve, à mon sens, dans l'obligation de  "revisiter" et d'actualiser ses pratiques. Au plan du recrutement, une association qui se veut  modélisante est aujourd'hui tenue à la plus grande rigueur, dans l'accueil de ses membres. Cela signifie  que le "frère présentateur", futur parrain du candidat doit parfaitement en connaître les mobiles et les évaluer, en termes d'apports et d'enrichissement  potentiel de la loge. La démarche sera la même devant les candidatures spontanées, c'est-à-dire présentées par des demandeurs non "encadrés". Dans les deux cas, il convient de compléter les premières approches par des enquêtes approfondies, dépassant le stade d'un simple questionnaire.

L'expérience prouve en effet  que trois enquêtes et la dizaine de minutes d'un passage sous le bandeau sont très souvent insuffisants  pour appréhender, entre autres critères importants,  l'aptitude relationnelle du candidat, sa disposition au doute plutôt qu'aux certitudes, son degré de résistance aux frustrations, son endurance ou sa fidélité à un serment.  Les bonnes réponses de celui ou celle qui frappe à la porte du temple, ne peuvent venir que des bonnes questions de ceux qui sont à l'intérieur. Les goûts automobiles ou les préférences sexuelles d'un postulant nous importent beaucoup moins que son exigence et sa rigueur morale. Il ne s'agit donc pas d'être élitiste en matière de recrutement,  mais de faire preuve de discernement. Chez nous, au plan de la réflexion et de l'exercice de la  fraternité,  le boulanger vaut un énarque, à l'évidence. 

A la décharge du prétendant à l'entrée du Temple, il faut reconnaître le total déséquilibre des rencontres préalables, et partant, ne pas s'étonner  des  réticences de certains à se confier. Alors que nous demandons à notre interlocuteur  beaucoup de renseignements d'ordre personnel, nous lui en donnons généralement bien  peu sur la composition de l'atelier. Aussi paradoxal que cela puisse paraître au XXIème siècle, le profane ne sait pas dans quelle communauté il entre, surtout si sa candidature est spontanée.  Il est ainsi tenu, non seulement  de nous faire confiance…mais en sus, de payer d'avance, au seuil de l'initiation! Il y a certainement là  une révision des coutumes  à opérer et donc, des nouvelles responsabilités à prendre.

Il a pu être avancé que la franc-maçonnerie, pourvoyeuse de bons sentiments, est de ce fait mal armée pour effectuer la  tâche, pourtant indispensable,  de "filtrage". De fait, elle doit veiller à ne pas être confondue avec une institution psychothérapeutique. Même si à l'image de la psychanalyse, son but est d'offrir la liberté intérieure à l'individu. Ce distinguo  n'est pas toujours annoncé et les ateliers se retrouvent parfois en position délicate de "lieu de soin", hors de leur objet. Un tel malentendu - finalement handicapant et décevant pour les deux parties -  peut  tout à fait être évité par l'information préalable. 

Au vrai, cette ancienne société secrète, devenue discrète, a du mal à perdre ses réflexes originels qui entretiennent une propension au non-dit. Ce syndrome des "trois singes de Notre-Dame" (ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire) peut parfois aboutir  à d'inutiles, voire préjudiciables "cachotteries" internes.  Par exemple, un frère prosélyte peut  - sans se dévoiler aux autres et avec les meilleures intentions - parrainer au fil du temps, jusqu'à une dizaine de frères, aussi valables soient-ils. Cette facilité, favorisée par le traditionnel secret, aboutit souvent à la création des clans précités,  au détriment de l'harmonie de la loge. A plus forte raison, si trop de candidats gravitent dans des mêmes secteurs d'activité. La non-information ajoutée au corporatisme, sont d'évidence à même de favoriser l'introduction du ferment de l'affairisme précité!

Nous voyons ici l'intérêt de chaque maçon à s'intéresser au fonctionnement de sa loge. Comme toute association, elle doit tenir des réunions de conseil d'administration et une assemblée générale annuelle, pour communication des comptes à tous les membres. Sans même que l'honnêteté des frères trésorier et "hospitalier" soit mise en doute, les finances de la loge demandent donc, à l'évidence,  une rigoureuse gestion. Tant pour ce qui concerne la rentrée régulière des cotisations (dites "capitations") que l'utilisation des "fonds hospitaliers", collectés grâce à la générosité des frères et principalement destinés,  comme l'appellation l'indique, à secourir leurs détresses éventuelles.  C'est tout l'art du frère hospitalier, et sa responsabilité aussi, de savoir détecter les problèmes en cours,  au fil des absences, voire des silences de frères pudiques.

Là encore, sous prétexte de tradition, il est de coutume de placer ces opérations sous le signe de la confidentialité. L'expérience prouve que l'information lui est le plus souvent préférable : la culture du secret n'est aujourd'hui plus de mise. Un frère en difficulté a  fréquemment besoin d'aide matérielle, certes, mais peut-être encore plus de soutien moral. Dans notre monde dur et froid, on trouve toujours de l'argent, beaucoup moins de "caresses de l'âme"! Sous cet angle, chacun de nous est un frère hospitalier.

L'évolution de la Tradition

L'univers maçonnique, par définition composé d'hommes et de femmes de la cité, en représente un microcosme. Le franc-maçon, la franc-maçonne,  viennent  y vivre une aventure en commun qui impose des règles de fonctionnement et de conduite. En cela la Tradition est bel et bien une discipline.
Celle-ci implique l'adhésion  au système en place, mais non une obéissance aveugle. C'est-à-dire que  le bon ordre entraîne aussi  bien autocontrôle que contrôle de l'ensemble. Chacun est responsable de chacun. Le processus traditionnel de "l'Art Royal", autre appellation de la franc-maçonnerie,  invite les membres de la loge à acquérir et  transmettre un ensemble de valeurs humaines éprouvées, donc à "reproduire le passé". La facilité consiste ici à imiter les attitudes des prédécesseurs, la difficulté à ne précisément pas tomber dans le mimétisme permanent. Une méthode gagne toujours à s'enrichir du présent. Et à penser l'avenir en s'appuyant sur le passé. "Etre fidèle à une tradition, c'est être fidèle à la flamme et non à la cendre" dit Jean Jaurès.

Toute tradition, aussi durable soit-elle, est paradoxalement… provisoire car, en fonction même des exigences de progrès que l'homo sapiens porte en lui, de nouvelles façons d'être et de faire, sont nécessaires. Pour sa part, la Tradition maçonnique est à considérer comme une articulation de règles successives, régulièrement modifiables, telle que la voyait déjà les anciens. Ainsi,  le maçon moderne est-il tenu d'évoluer  et de faire évoluer les us et coutumes du groupe (rites, rituels, thèmes, paroles, gestes, décors, etc)  au risque, s'il ne s'y résout pas, de le figer, voir de le tuer. La pérennité de la  cohésion demande donc créativité, renouvellement, étonnement aussi. On parle beaucoup du devoir en maçonnerie. Il est précisément du devoir, de la responsabilité donc du maçon,  d'actualiser le symbolisme. Il doit s'interroger régulièrement dès que des automatismes verbaux ou gestuels trop marqués, viennent indiquer  un détachement et une dommageable  perte de sens.

Si le changement n'intervient pas, si cette nouveauté est trop longtemps absente, s'installe l'habitude, la lassitude,  puis plus grave, peut venir  l'attristante désertion. Une telle  observation est le fait de toutes les communautés. Le psychologue américain  Bruno Bettelheim a très bien pointé cette forme de tradition pervertie - quand l'usage devient routine - avec son danger potentiel,  en disant pertinemment : " Il nous faut renoncer à la tradition traditionnelle, quand celle-ci débouche sur une forme de sécurité puisée dans la répétition de l'identique".

La responsabilité du franc-maçon et de la franc-maçonne

C'est clair, la loge maçonnique, théâtre de la mise en œuvre des symboles,  est un organisme vivant. En ce sens, les membres ne doivent  pas venir  y faire de la figuration décorative et silencieuse (sauf, bien entendu,  pendant la  période d'apprentissage, basée sur l'écoute) mais se comporter en acteurs  responsables de la vie de la communauté créée. Et conscients de leur rôle "d'accueillants", "d'éveilleurs", de transmetteurs, de passeurs de valeurs, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Rendre meilleurs les hommes et le monde  est leur motivation centrale,  dans le cadre d'une tradition bien comprise.

Le désir de réflexion et de fraternité, qui guide en principe "le profane"  (littéralement celui qui est sur le parvis ), ce désir donc, qui le guide  vers le temple,  ne doit pas lui faire oublier, s'il est accepté, qu'il s'engage dans une organisation, imposant des devoirs et donnant des droits. Devoir de s'informer, droit de savoir, entre autres, avant et après son entrée en loge. Ainsi débute la  responsabilité en cause. Nous venons de voir nos progrès à faire au sens informatif.

Responsable de sa formation et de son information : avec cette première mission  commence pour l'initié  le "travail vertical", c'est-à-dire la  construction de  son Temple intérieur. Cette belle démarche serait toutefois  fragmentaire, si elle n'était pas complétée, bien entendu,  par un "travail horizontal", autrement dit l'ouverture aux autres, frères en humanité, aussi bien en loge  qu'en société.   De la sorte, à l'image de l'un de ses outils symboliques,  le maçon  est  bien "d'équerre" sur ce double chantier. Ici se pose à lui une question récurrente : comment s'impliquer dans la cité? La réponse est individuelle et à choix multiples, des valeurs à transmettre en famille, à l'action associative ou politique. Ce n'est pas la franc-maçonnerie qui est engagée, nuance à souligner, mais  le franc-maçon, la franc-maçonne, citoyens responsables.

De fait, le juste équilibre à trouver entre la "verticalité" - le travail sur soi - et "l'horizontalité" - le geste altruiste - demande un effort constant. Si l'initié n'y prend pas garde, la descente  permanente en soi, avec l'exercice traditionnel mal interprété du "connais-toi toi-même" (qui signifie surtout "connais tes possibilités") peut le confiner dans un fâcheux nombrilisme et la quête puérile des grades maçonniques…qui ne sont  que les degrés symboliques de l'escalier personnel à gravir!  Or, au-dedans de soi, en regardant bien, on voit aussi le dehors.

De la conscience de ses potentialités naît ainsi l'envie d'agir pour la communauté. Rappelons-le, grâce à l'action d'associations maçonniques interrobédientielles - ces "fraternelles", à mon avis, injustement décriées, l'exception justifiant la règle -  la France du XXème siècle a connu l'essor de la protection sociale, dont le mutualisme, et  ce sont des  médecins-maçons  qui ont favorisé l'avènement de la contraception. Aujourd'hui encore plusieurs fraternelles associées à des groupements humanitaires se donnent pour tâche d'installer des pompes à eau dans le Sahel.

La franc-maçonnerie, modèle de communication

Il a été dit, certainement un peu vite, que la franc-maçonnerie était en panne d'idées au début du nouveau millénaire. Le  récent colloque sur la Dignité humaine, organisé à Paris en mai 2001, par les grandes  obédiences réunies,  a démontré au contraire que notre confrérie, bien en prise avec les réalités du monde moderne, n'a rien perdu de sa générosité ni de sa puissance créative.  Nous avons la charge de dire aux médias, toujours avides de sensationnel et de généralisation, qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain!

Encore faut-il  que les frères et les soeurs continuent sur leurs  lancées novatrices, à "sortir des temples" et n'hésitent pas à se rapprocher des diverses instances socioculturelles, pour apporter leurs lumières, en recevoir aussi, car, à l'évidence, la franc-maçonnerie  n'a pas le monopole du savoir et de la connaissance.  C'est en échangeant de la sorte, que nous participerons vraiment   à l'éclairement  de la cité. 

Certes, la tâche est immense.  Rien n'a changé depuis que PLAUTE, le philosophe et poète latin a dit le premier, il y a deux mille deux cents ans,  que "l'homme est un loup pour l'homme".   Au cours des millénaires,  l'homo erectus devenu sapiens a perdu sa fourrure, ses crocs, ses griffes, mais il a gagné en cruauté, grâce ou plutôt à cause,  de son génie inventif. En attendant que notre cerveau atteigne les trois kilos d'intelligence pure annoncés,  les êtres inachevés que nous sommes, savons néanmoins parfaitement déchiqueter notre semblable, sans nos dents. Un sinistre 11 septembre vient de nous rappeler que la pulsion de mort, pointée par Freud,  est toujours inscrite en l'homme au début du XXIème siècle. Aussi bien, quand il joue avec l'infiniment grand, que constituent les avions-projectiles  par lui construits,  que lorsqu'il manipule l'infiniment petit, produit par la nature, sous forme de bacilles assassins. Nous avons donc du chemin à faire pour détruire, cette part de loup, toujours blottie en nous. L'homme est soi-disant poussière d'étoile, mais son  esprit diabolique pourrait finalement  le réduire en cendres!  Sur cette planète semblable à une porcelaine fêlée,  en  proie à une crise de folie meurtrière, que pouvons-nous prétendre, nous les frères aux mains nues, atterrés et apeurés,  comme tout un chacun ? 

Reprenons-nous. Espérons sans gémir. La tradition orale continue de nous enseigner que l'écoute et la parole demeurent à la fois nos armes et nos outils.  Ils nous sont nécessaires pour poursuivre inlassablement notre mission  de transmission au quotidien, d'individu à individu, de groupe à groupe, d'état à état. Pour retrouver l'indispensable union entre les peuples,  faits de la même chair. Pour aller, encore et toujours, vers plus d'humanité et d'humanitude, selon le superbe mot d'Albert JACQUART

Aujourd'hui, il n'y a plus de cathédrales à lancer vers le ciel, mais il reste des multitudes de passerelles et même de viaducs à construire afin de rapprocher les hommes. Il y a une deuxième dimension à donner à la pierre que, jusqu'à présent,  nous n'avons appris qu'à empiler, pour atteindre, convenons-en,  des cieux improbables. Je ne veux offenser ici aucune croyance, aucun culte, mais  seulement privilégier ce que j'appellerais la "reliance à mes semblables". 

Une saine réflexion nous invite de la sorte à poser  symboliquement des pierres devant nous en marchant, et à les jointer avec ce lien, ce ciment, que représente notre matière grise.  "Les gens se sentent seuls, parce qu'ils construisent des murs plutôt que des ponts" dit opportunément  la philosophe américaine, Katleen Norris.  

C'est clair, parallèlement à la verticalité en place, il nous faut développer une plus grande horizontalité. Les traditions sont des "aides à vivre" sans cesse à améliorer et en cela,   constituent des suites de progrès qui traversent le temps. D'autres sont toujours à créer. La Tradition maçonnique, en tant que modèle de communication, peut relever ce défi. Pour les hommes responsables de la cité, dont nous faisons partie par notre engagement même,  encore et toujours, demain  reste à inventer.

Gilbert GARIBAL

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