Obédience : NC Loge : NC Date : NC

 

Ces trois mots latins ont été choisis comme devise du Rite Ecossais ancien et Accepté

Ces trois mots latins ont été choisis comme devise du Rite Ecossais ancien et Accepté. La traduction en est « l’ordre à partir du chaos ».

Chao fait référence au Kaos des grecs qui désignaient par ce mot l’état primitif de l’univers. Dans les récits fondateurs on parle de ce chaos primordial, béance, abyme sans fond ou alors néant. On imagine une « materia prima », un magma dont vont surgir les formes dans la matière, puis le vivant.

A partir de cela, l’usage courant associe au chaos d’idée de désordre total, de confusion et d’anarchie. Il désigne l’informe, l’incohérent ou l’insensé, voire même la monstruosité ou la folie. Ces forces souterraines, violentes, dévastatrices, mettent en danger l’harmonie créée par la règle, la loi ou l’habitude.

Dans la genèse des grecs, la douloureuse séparation de la terre et du ciel va créer de l’espace pour laisser derrière elle le Chaos et voir surgir le cosmos dans toute son harmonie. Dans la genèse de la Bible, Dieu va commencer par distinguer, clarifier, séparer « la lumière des ténèbres », remplacer le chaos par l’ordre. L’ordre s’impose pour que puisse se développer l’humanité.

L’Ordre associe des notions de rangement, de classification, d’enchainement logique, d’agencement équilibré. Ces notions révèlent le besoin de sens, de cohérence, de maîtrise et d’harmonie. On recherche des lois qui expliquent l’homme et l’univers, on établit les règles qui définissent des limites à ne pas franchir pour rester dans le domaine du Bien et du Beau, dans tous les aspects de notre vie personnelle et sociale.

Il existe cependant un autre regard, qui modifie celui que nous portons d’emblée sur ces termes. En langage scientifique, par exemple,  on appelle chaotique tout système dont une modification infime des conditions de fonctionnement suffit à modifier l’évolution. Cette donnée infime accidentelle, bouleversante, peut devenir éclair, coup de génie, donnant accès à ce qui était avant inconcevable. Le chaos devient alors sujet de création et matrice d’un nouvel ordre. Au contraire, quand des règles se pétrifient en un système immuable ne pouvant jamais être remis en cause, elles deviennent instruments de contrainte et de soumission, bafouant la liberté. L’ordre engendre alors une forme de chaos.

Ainsi ordre et chaos ne sont pas des notions opposées, incompatibles ; Il existe un  lien fort suggéré par la proposition « ab » qui relie les deux termes. Cela nous pousse à penser à une harmonie engendrée par la juste tension des contraires en lutte perpétuelle et puisant leur force l’un dans l’autre. Cette tension qui rend les contraires inséparables l’un de l’autre les rend aussi identiques l’un à l’autre, comme les deux faces d’une même réalité, de notre réalité. Rien de statique dans cette harmonie-là, nous sommes dans un processus perpétuel de création qui obéit cependant à une loi supérieure. Le philosophe grec Héraclite a écrit « ce qui est contraire est utile et c’est de la lutte que nait la belle harmonie, tout se fait par discorde ».

Suspendu à l’occident le cartouche portant notre devise veut dire bien plus que la simple interprétation : chaos au dehors, dans le monde profane, et ordre à l’intérieur du Temple. La préposition « ab » est la matérialisation de la tension nécessaire entre les contraires, porteuse d’harmonie. Tout notre travail d’initiée  va s’exprimer dans la perception et la compréhension intime de cette tension dynamique, et notre initiation nous donne les clés de ce parcours qui s’ouvre à nous.

Le passage à l’intérieur de la terre, les purifications par l’air, l’eau et le feu nous replongent au chao des commencements. Nous demandons à être initiée pour trouver un point d’appui, une pierre d’angle qui nous permette de construire en nous un ordre cohérent mais nous sommes confrontées dès le cabinet de réflexion à un chaos à la fois menaçant et mystérieux. Nous sentons, au moment du passage par la porte basse, que rien n’est assuré et que nulle référence ne peut nous servir, sinon ce changement que nous commençons à vivre et qui, à chaque instant, nous remet en question. Les voyages nous permettent de ressentir dans notre corps un passage progressif du chaos à l’ordre et nous commençons à appréhender qu’il n’est accès à aucune vérité qui ne comporte renoncement et mise à l’ordre. Sans le sacrifice de notre chaos intérieur pas d’initiation ni de transcendance. Notre initiation est l’ouverture au symbolique « meurs et deviens », elle comporte des étapes qui, même symboliquement, entrainent des successions de déséquilibres et donc des ruptures et des réadaptations douloureuses. A chaque étape, d’un nouveau chaos nécessaire va naître un ordre qui sera une nouvelle façon de se faire soi, une nouvelle étape dans un cheminement intérieur parfaitement indicible et parfaitement effectif. Ce  chemin vers la connaissance, cette marche sans fin vers la Lumière trouve son point de départ dans ce chaos intérieur qui nous habite et continuera à nous habiter afin  que nous puissions en faire le matériau de l’ordre que nous devons construire. Ainsi vécue, notre Initiation, parce qu’elle implique un dépassement de toutes les valeurs, parce qu’elle ouvre un accès à une forme de transcendance, est au-delà de tous les conditionnements temporels, spontanées et immédiats. Ecoutons François Cheng : « L’informulé et l’inaccompli, se mêlant à l’inattendu, à l’inespéré confluant ici, deviennent fontaine de l’instant qui, désormais, reprend tout, élève tout, inépuisablement jaillissante».

Accepter de s’ouvrir, de faire une brèche dans notre « moi » si familier, celui qui nous permet de vivre plus ou moins bien, n’est pas exercice facile : nous avons plus confiance dans un désordre qui nous est familier qu’en un ordre mystérieux. Dans cette quête, la Loge joue un rôle fondamental. Tout dans le Temple est sous le signe de l’ordre : la place de chacune,  une certaine tenue exigée de toutes. La place des outils symboliques, des lumières est fixée. D’une tenue à l’autre nous répétons la même gestuelle, les mêmes invocations, les placements sont réglementés. La gestuelle de la prise de parole permet l’émergence d’une parole, dissonante parfois, sans que soit menacé l’équilibre de l’ensemble. C’est le subtil équilibre de forces opposées qui garantit la richesse de l’échange et entraîne l’ordre et l’harmonie C’est la condition première à la création d’un espace harmonieux, propice au recentrage, à la présence active, à l’écoute constructive. De la même façon, chaque initiation réinitialise une nouvelle loge, dans « ordo ab chao » et cette sacralité-là, nous l’appelons « ma loge-mère » ou « ma loge d’élection», lieu où est ordonné le monde, là où se crée le sens qui permettra de structurer une cité initiatique fraternelle. Ma Loge est mon point d’attache, mon lieu de création, l’endroit précis où bat le cœur de ma vie maçonnique. La Maçonne, quel que soit son âge ou son savoir est l’artisan de sa propre construction, elle ne peut se passer de son atelier, c’est là que sont ses outils et ses vêtements de travail, là où elle se ressource, retrouve ses racines, reprend ses forces et alimente sa foi. Dans cet espace sacré, le travail maçonnique peut se réaliser. Prendre conscience de ce qui résonne en moi, méditer, chercher du sens derrière la règle, l’esprit derrière la lettre, interroger la Tradition, explorer les voies que m’ouvrent les symboles, chercher sans cesse, ne rien figer. C’est alors que des portes s’ouvrent vers un inconnu, un inexploré qui peut m’effrayer tant il m’apparait informe et infini. En laissant pénétrer en moi l’ordre présent dans le Temple, je permets à mon chaos intérieur d’exister, je l’accepte et le reconnait comme élément essentiel de mon moi profond. Il prend alors forme et cohérence. Une conscience nouvelle se développe qui enrichit  l’ordre initial en lui donnant une nouvelle orientation. Ces traversées successives de nos chaos, illustrées dans toutes les cultures par les mythes et les légendes de descentes aux enfers ou de traversées de labyrinthes sont les véritables épreuves de l’initiée qui, si elle n’abandonne pas, pourra s’approcher de la Lumière. Selon le Zarathoustra de Nietzsche « il faut avoir du chaos en soi-même pour accoucher d’une étoile qui danse ».

La Franc-Maçonnerie ne nous demande pas que cela, ses exigences sont encore plus fortes, elles s’appuient sur une constante : la détermination à fonder l’ordre humain sur la connaissance et la fraternité. La méthode maçonnique nous demande d’être une femme rassemblée, ordonnée et non pas assemblée de bric et de broc dans une forme de désorganisation et de chaos. Elle nous demande également de « rassembler ce qui est épars » de « continuer au dehors l’œuvre commencée dans le temple ». Il nous faut être des rassembleuses autour de nos valeurs et de nos idées ; de cette manière nous pourrons faire naître, fédérer, ordonner toutes les énergies éparses dans le chaos de notre temps. Si nous voulons éclairer ce chaos, il faut d’abord que nous soyons filles de la Lumière, à la fois dépositaires et manifestation vivantes d’un système de valeurs. Nous ne sommes pas là pour convaincre, nous sommes là pour montrer, dire sans trêve, dire la vie. Nous ne sommes pas là pour faire mais nous sommes là pour être.

C’est notre immense responsabilité individuelle. Retourner à l’essentiel, au fondamental afin de comprendre puis agir dans tous les domaines de l’existence individuelle et collective pour le plus grand bien de chacun.  Nous ne pourrons pas nous dire Franc-Maçonnes, évoquer « ordo ab chao » ni parler d’unité dans l’univers si nous ne sommes pas capables de faire l’ordre en nous, de participer pleinement à l’ordre dans notre Loge et de travailler sans relâche au développement des valeurs maçonniques auxquelles nous adhérons.

Notre loge n’est pas un espace clos elle est ouverte sur la voute étoilée et le Cosmos, nous invitant à relier  cet ordre que nous construisons pas à pas, à un ordre  mystérieux qui nous transcende. Le cartouche à l’occident ne fait-il pas  face au Delta lumineux à l’Orient ? Ces lois que nous allons découvrir au fur et à mesure de notre avancée dans cette mise à l’ordre qui touche à l’Etre dans ce qu’il a à la fois d’unique et universel  seraient-elles dérivées d’un Principe Premier, Le GADLU pour les Maçons ? A chacune sa réponse. Pour moi il me semble important de penser que ce principe premier n’impose rien, il nous associe à la création chaque fois que nous donnons forme et cohérence au chaos.  Il est cette dynamique incessante qui permet aux forces contraires d’exister et de s’équilibrer dans un processus jamais fini. Pour conclure, je voudrai citer Jean Mourgues car je me reconnais totalement dans cette phrase : « fais ce que tu veux, si tu le peux, mais prends en charge ton destin. Il n’a dépendu que de toi d’être en cette vie quelqu’un ou quelque chose. Mais quoi que ce soit ou qui que tu sois, tu ne peux être en définitive que l’image infinie de l’instant face à l’éternité ».

J’ai dit.

B\D\


7424-4 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \