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Le Chevalier de St George

En ce 13ème jour du 12ème mois de l’année 5780 de la vraie lumière, cinq chevaliers des hauts grades du Grand Orient de France, accueillent un dignitaire sur le parvis de la R\ L\ saint Jean d'Ecosse du Contrat social.

Epée à la main, ils l’introduisent dans le temple où quelques dizaines de F\ F\ l’attendent debout et à l’ordre. Puis précédé du grand expert et du M\ des cérémonies, ils escortent le visiteur à travers le temple jusqu'à l’Orient où il présidera la tenue au côté du Vénérable.

Ce F\ de marque est muni de ses décors au grade philosophique de l'aigle noir ; le grade exact dans le rite écossais Ancien Accepté qui préside alors aux travaux du G\ O\ est « grand élu, chevalier de l'aigle blanc et noir » ; ce dignitaire appartient en effet, au 30ème degré d’un ordre qui en compte 33 ; Applaudi par ses très nombreux FF\, cette loge compte alors près de 500 membres, le chevalier de St. George, qui est venu en ami, il appartient à la loge des 9 sœurs qui a initié Voltaire, gravit les 3 marches de l’Orient et prend place à la droite de l’autel des serments derrière lequel siège le V\ M\.

Jusqu’à ce jour, l’appartenance maçonnique de St. George était plus supposée que prouvée, car fondée sur des témoignages indirects rares. Les deux seuls indices étaient une vente d’objets maçonniques dont certains auraient pu appartenir à St. George aux Pays Bas, et le courrier du membre du Gd. Orient, François Jouve, vénérable de la loge « Les cœurs Unis » à Basse Terre. Celui–ci prend la défense de l'un de ses FF\ de loge, un blanc, accusé d'avoir épousé une mulâtresse, et écrit, je cite :  « N’avons-nous pas eu pour F\ le Frère St George, de la R\ L\ les 9 sœurs ? » Cette assertion devait être au minimum recoupée afin de bien vérifier qu'il ne s'agissait pas d'une récupération imputable à la fierté des habitants de Basse Terre d’être la patrie d’origine du Don Juan Noir, comme on surnommait alors Joseph.

La date de cette tenue, montre en tout état de cause, que St George est bien le premier noir a avoir reçu la Lumière au Gd Orient de France. Entre 15 et 20 ans sont alors, en principe, nécessaire pour passer du 1er grade, celui d’Apprenti, au 30ème, il a donc été initié, selon toute vraisemblance, dés 1773, année de création du G\ O\ D\ F\ ; ou à peu après.

Alain Lebihan dans le dictionnaire de la F\ M\ assure même qu'il représente le seul cas connu de l’appartenance d'un mulâtre à une loge de Paris en ce siècle. Son initiation est alors opérée clandestinement. Aucun livre d’architecture ne fait état de son arrivée, et il n'apparait sur aucun tableau de loge. Une rumeur non vérifiée, a pu laisser penser qu’il avait franchi les épreuves de l'initiation avec un sac sur la tête en lieu et place du traditionnel bandeau sur les yeux. Des FF\ hostiles à la présence d'un sang mêlé parmi eux, auraient été ainsi abusés, croyant avoir affaire, au contraire, à une très haute personnalité du royaume. Or la ségrégation vise autant les métis que les noirs. La plupart des loges des colonies, se livrent à une chasse sans pitié de leurs propres FF\ qui s'abaissent à convoler avec une négresse. La direction du G\ O\ laisse faire ; mais en métropole, elle se montre nettement plus tolérante, en encourageant même en 1787, une loge de Barbezieux, à initier des métis ; mais elle accepte également aussi, sur le sol métropolitain, des pratiques étonnantes, comme l'existence de loges composées uniquement de négociants et d'armateurs esclavagistes. Pis, le 21 Mai 1787, un navire baptisé « Le Franc Maçon » appareille du Havre, pour aller charger une cargaison d’esclaves sur la Côte de l’or. Pierre Yves Beaurepaire, remarque que ce départ ne semble pas avoir soulevé une quelconque émotion parmi les Francs Maçons. Personne ne reprochera non plus au F\ Mozart, d'avoir incarné dans la flute enchantée, le mal absolu dans la peau d'un homme de couleur Monostatos ! Et pourtant, une bonne partie des membres de la société des amis des noirs, qui sera crée en 1757, par Brissot, sont Francs Maçons. Ils appartiennent à 3 loges : Le contrat social, L’Olympique de la parfaite estime et les 9 sœurs, les 3 ateliers dont St George a été membre. 5 ans plus tard, le même atelier initiera Voltaire à quelques mois avant sa mort ; déjà à cette époque, l'adhésion à la maçonnerie s'opère par affinité. Mozart n'aura de cesse qu’il n'y fasse entrer son père, Léopold, et son Maître, Haydn. Guillaume Pierre le père de St George, y sera quant à lui initié en 1778.

Mais qui est ce Chevalier de St George !

Né en l’île de la Guadeloupe, le 25 décembre 1739, il ne pouvait se prénommer que Joseph ; fils d'une belle esclave noire, Nanon, achetée plus de 2000 livres par Guillaume Pierre Tavernier de Boullongne, riche planteur de Basse terre.

Très tôt, l'intelligence, les dons musicaux et les qualités physiques de Joseph, furent remarquables ; Les projets de Guillaume Pierre Tavernier pour son fils Joseph sont ambitieux ; faire accepter son fils par la société Parisienne.

Mais depuis 1729, la loi est rigoureuse pour les mulâtres, il est difficile de les émanciper et le code noir leur interdit de porter tout titre nobiliaire. Guillaume Pierre tourne la difficulté : Joseph ne sera ni Comte, ni Marquis, son père le fera chevalier, l'adoubant comme au Moyen Age. Mais un titre nobiliaire, surtout usurpé, doit être attaché à une propriété seigneuriale, même factice. Le terroir voisin, exploité par le cousin, George Boulogne de St George en fera office. Et c'est avec cette particule que Joseph arrive en 1752 à Paris avec sa famille. Pour le faire accepter par la Sté parisienne, les meilleurs professeurs lui sont attachés : Mr de la Boëssière pour l'escrime, Jean-Marie Leclerc, le plus brillant violoniste de Paris et la composition lui sera enseignée par le plus célèbre musicien du moment, François Gossec. Meilleur escrimeur du royaume à 21 ans, sa présence au manège des Tuileries, une des rares académies royales d'art équestre où il s'impose comme l'un des meilleurs cavaliers de cette prestigieuse école, l'a introduit parmi les enfants des familles nobles de vieille souche, ce qui lui valut une entrée retentissante dans le célèbre corps des mousquetaires qui constitue la garde à cheval du roi ; mais plus que bon cavalier, plus qu'exceptionnel bretteur, il est le fils de celui qui tient les cordons de la bourse des deux compagnies des mousquetaires, gris et noirs. Nul ne peut résister alors au puissant Guillaume Pierre de Boullongne, qui offre au Roi en cette année 1761, un vaisseau de trente canons sur ses deniers personnels. Il reste à prouver à Joseph qu'il manie aussi bien l'archet que l’épée.

C'est à cette époque qu'éclate la guerre dite des Bouffons, qui opposa les partisans de l’école italienne qui jouait des opéras Bouffes sur des tréteaux dans les rues de Paris, soutenus par la Reine, et l'école française soutenue par le Roi, dont Rousseau jamais en retard d'une perfidie, assimila à une oie bien grasse qui se traine difficilement.

Les Bouffons laisseront une marque indélébile dans le patrimoine musical, la musique se fait plus vive, plus ludique ; Joseph peut s'amuser à imiter le chant des oiseaux, enchaînant les trilles comme lui seul sait le faire à Paris. C'est sans doute l une des raisons pour lesquelles plusieurs auteurs dont La Laurencie, maître incontesté de l’histoire du violon, assimileront son style à celui de Watteau. Loué par les compositeurs, célébrés par les critiques, il devient bientôt, le nègre des lumières. Dés la création du concert des amateurs en 1769, Gossec confie à St George des postes à hautes responsabilité. Il succède à Gossec dans la direction du Concert des amateurs, dont il tiendra le rouleau de papier, ancêtre de la baguette, pendant 8 années. C’est à cette époque qu'il compose ses six premiers quatuors puis se lance dans ses premières compositions pour orchestre. En 1772 ses premiers concertos sont crées à l'hôtel Soubise, l'accueil est alors enthousiaste. Il est reconnu comme l'un des meilleurs musiciens de l’époque. Sur les affiches, le nom de St George croise souvent celui de Mozart ; paradoxalement pour un compositeur et violoniste, l'une des pièces de St. George les plus jouée au concert Spirituel est son concerto pour clarinette. Avec Joseph, la musique oscille toujours entre le charme et les larmes. C est surtout évident avec les concertos qui constituent son domaine de prédilection.

Bientôt sa réputation de stupéfiant virtuose doublé d'un gentleman atteint Versailles. En 1774 la toute jeune reine Marie Antoinette, âgée de 19 ans, invite le chevalier à venir faire de la musique avec elle ; La cour croyait avoir fini par s'habituer aux libertés que la reine s'autorise avec l'étiquette. Pourtant cette irruption d'un « coloré » dans son entourage, immédiat, fait l'effet d'une bombe, d'autant que ce nègre n'est pas là pour servir les boissons ou agiter un éventail. Plus qu’un musicien, il devient le conseiller et même quelque temps, le Maître de musique de Marie Antoinette ; et le soir, il décrit par le menu les fastes de Versailles à sa gouvernante, qui n'est autre que sa mère Nanon, qui s'est effacée pour ne pas gêner l'ascension de son fils.

Fort de ses relations avec Marie Antoinette, St George postule à la direction de l'académie Royale, autrement dit l'Opéra. La haine raciste se déchaine contre le compositeur ; devant les cabales de toutes sortes, Louis XVI répond « ce sera St George ou rien » ; il finit par céder, personne ne sera nommé à cette fonction ; cet épisode constitue sans doute la 1ère grande affaire de racisme de la société moderne. Le monde civilisé est invité pour la première fois à répondre à une question de fond ? « Quand on ne les transforme pas en machine, les noirs peuvent ils développer les mêmes qualités que les blancs ? » oui voudrait répondre Marie Antoinette, non affirme les esprits éclairés de l'époque L’abbé Grégoire ne s'y trompe pas et fait de St George un symbole, lui donnant le surnom de « Voltaire noir » tant son écriture musicale rappelle la vivacité, la légèreté mais aussi très souvent la gravité et les emportements révoltés de Voltaire. Deux siècles plus tard sa musique est étrangement actuelle, il s'implique dans sa musique, il la fait vivre, rire ou pleurer, il annonce le romantisme.

Une fois levé l’obstacle de sa couleur, comment St George aurait-il pu ne pas être Maçon ? En cette fin du 18ème siècle, Maçonnique et musique vivent en symbiose. Le dictionnaire des musiciens maçonniques fait apparaître que les 2/3 des compositeurs ou interprètes Francs Maçons recensés en plus de 2 siècles, ont vécu dans cette période. L’atelier maçonnique joue un rôle identique à celui de l'antique Cayenne des compagnons du tour de France. Le Franc Maçon qui arrive dans une ville, est pris immédiatement en charge par la loge locale.

En France la maçonnerie est alors largement orientée, vers le progrès, à l'image d'hommes comme Benjamin Franklin, Lafayette ou Voltaire ; Les Francs musiciens manifestent le désir d’un monde nouveau qui éclate en cette fin de 18ème siècle. A Londres, qui constituait déjà un modèle pour la société Parisienne la plus moderniste ; la musique commençait à se démocratiser ; quelques sociétés maçonniques y servaient de paravent pour y accueillir des musiciens dans des tavernes, la plus célèbre d'entre elles est restée « l'Oie et Le Grill » une enseigne allégorique pour désigner avec une pointe d'humour gastronomique, l'association des instruments à corde, le Gril, et les vents, symbolisés par le cou et le bec de l'oie qui évoquaient les premiers cornets.

Ainsi fût crée à Paris le concert spirituel par tolérance Royale, et moyennant une redevance confortable à l'Opéra royal, et plus tard le concert des amateurs où brillera St George. Afin d'acquérir plus d'indépendance, ils créent en 1781, une loge, L'Olympique de la parfaite estime, composée en majorité des musiciens les plus éminents de l'époque et de membres éminents de la noblesse de robe qui y côtoient des représentants de grandes familles, en tête desquels on retrouve le duc de Chartres, qui, en 1785, deviendra duc d'Orléans et grand ami de St George, où il côtoiera le F. Choderlos de Laclos, secrétaire du Duc, qui en 1789, créera un impôt sur les grandes fortunes, y compris seigneuriales.

L’Olympique dirigé par St George est immédiatement considéré comme le seul orchestre de grande qualité de Paris.

Certaines loges se dotent de colonnes d'harmonie dont l'effectif équivaut à un orchestre ; au sein de la loge des 9 sœurs, le baron Kreuzer peut compter sur un effectif de 30 musiciens pour 258 membres. Mais il y a plus surprenant ; pour l’année 1786, le tableau de loge de l'Olympique de la parfaite estime, compte fréquemment plus de 70 musiciens et constitue sans doute la première grande formation de l'histoire de la musique ; plus surprenant, le tableau de loge fait apparaître 3 Sœurs : La marquise de Corberon, la sœur Galoche et la sœur Ligier, 3 sœurs imposées par le duc d'Orléans, grand Maître du Grand Orient en 1781. Ces 3 sœurs sont sans doute les 3 femmes jamais affiliées ou initiés dans une loge du Grand Orient.

Joseph est dépêché à Vienne afin d'y proposer à Haydn, qui sera initié lui-même quelques semaines plus tard, de composer pour l'Olympique de la parfaite estime ; Haydn, fier de voir son talent reconnu à Paris, composa ses 6 symphonies Parisiennes pour l'Olympique, que dirigea St George lors de leur création. La création des 6 Symphonies parisiennes de Haydn sacre ST George chef incontesté du premier grand orchestre moderne.

Au fil des ans, St George affirme ses talents, ses compositions ont pris du corps, de la profondeur ; il n’est plus seulement un violoniste qui compose, mais il est devenu un compositeur à part entière.

Après plusieurs voyages en Angleterre où il accompagne le future Philippe égalité, il rencontre en duel la « Chevalière » d'Eon dans un duel mémorable, entre le frère Saint George de l’olympique de la parfaite estime et le frère Eon de Beaumont, initié, lui, à la loge de Tonnerre, Joseph rentre à Paris sous la révolution ; il se rallie à la cause des révolutionnaires, prend la tête d'un régiment de hussards qui prendra le nom de « légion de St George », où il devient le premier colonel noir de l'armée française, ayant sous ses ordres le métis Thomas Rétoré « Dumas » père du célèbre Alexandre Dumas.

Ses attaches avec le Duc d'Orléans le rendent vite suspect, par la loi de 1793 et il accompagne en prison le Frère Rouget de l'Isle, qui symbolise pourtant la révolution avec son chant du départ ; ils sont destitués et échappent de peu au couperet de la guillotine.

St George croupit dans un cachot pendant que ses Frères musiciens mettent leur talent au service de la révolution, tel le frère Gossec dont la Marche Lugubre accompagnera la Pompe Funèbre de Mirabeau.

Oublié peu à peu par tous ses anciens amis, c'est dans un modeste logement que le 10 juin 1799, les paupières du Chevalier de Saint George, se ferment sur le siècle des lumières.

Le 20 Mai 1802, Bonaparte rétablit l'esclavage après avoir noyé dans le sang la jeune démocratie de Toussaint – Louverture. C’est la seconde mort du « Mozart noir », comme on l'appelait désormais tant son succès était resté grand à Paris trois années après sa disparition.

Commence alors, pour St George une longue nuit de deux siècles. Jeté au bas de son piédestal par l'empire, tombé dans un oubli total sous cette France adipeuse de Cherubini et de Louis Philippe, passé de mode lorsque triomphent les romantiques, il devient l’un des grands naufragés de l’histoire de la musique.

J’ai dit Vénérable Maître.

J\P\ F\


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