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Les larmes... D’Isis à Hiram

 

Nous ne pouvons parler des larmes sans parler du mythe d’Isis et d’Osiris, divinités égyptiennes.

Isis, déesse de la sagesse, découvre les vérités divines, les recueille et rassemble la doctrine sacrée. Elle la communique à ceux[i] qui, purifiées des passions terrestres, aspirent à la participation de la nature divine dont la fin est la connaissance l’être suprême, que l'esprit seul peut comprendre et que la déesse nous invite à chercher en elle-même, comme dans le sanctuaire où il réside.

Isis épouse son frère Osiris, et enfantera Horus. Lors de son règne sur terre, Osiris fait construire les premiers temples, dresser les premières statues et ériger les premières villes.

Cependant, l’infortuné Osiris est tué par son frère jaloux Seth, qui ne cessait d’ourdir contre lui. Par ruse, Seth le mit dans un coffre de bois cloué et fermé hermétiquement, puis le jeta dans les eaux du Nil. Dès qu’Isis en fut informée, elle se coupa une boucle de ses cheveux, et prit une robe de deuil. Elle courait de tous côtés, livrée aux plus cruelles inquiétudes, et se mit alors en quête de l'objet de ses recherches.

Dans une version, elle découvre avec sa sœur Nephtys le corps d’Osiris en décomposition, les os disjoints, sur les bords du rivage, puis elles passèrent leur temps à remplir l’air de leurs lamentations. Par la suite, les os et les membres du cadavre seront rassemblés par Anubis qui les entourent de bandelettes, et Osiris s’éveille et ressuscite sur l’ordre du Dieu Rê.

Dans une autre version, Isis apprend que le coffre est retrouvé dans un magnifique buisson[ii] dont le tronc enveloppait le sarcophage, et que ce dernier, découpé, avait été utilisé comme pilier, colonne soutenant le toit du palais royal, et contenait toujours la dépouille d’Osiris.

Isis en fut avertie par une révélation céleste, vint à Byblos et s'assit auprès d'une fontaine, les yeux baissés et versant des larmes, dans le silence. Chaque nuit, alors qu’elle nourrissait et purifiait par les flammes l’enfant du couple royal en vue de l’immortalité, Isis se transformait en hirondelle, voletait autour de la colonne et déplorait la perte d'Osiris.

Isis récupéra le coffre de son époux Osiris, se jeta dessus et poussa des cris si affreux qu’un des princes du royaume mourut de terreur. Seule dans un lieu écarté, elle ouvrit le coffre, et, collant son visage sur celui d'Osiris, elle le baisa et l'arrosa de ses larmes. Epiée, elle lança un regard si terrible qu’un autre prince du royaume mourut de terreur.

Isis déposa le coffre dans un lieu éloigné mais Seth, en chassant la nuit au clair de la lune, trouva le coffre, et, ayant reconnu le corps d'Osiris, il le coupa en quatorze parties, qu'il dispersa de côté et d'autre.

Ainsi la veuve Isis parcourut en barque de très nombreux lieux à la recherche des morceaux épars de son bien-aimé. A mesure qu'elle trouvait une partie du corps d'Osiris, elle lui élevait une sépulture dans le lieu même. Seules les parties sexuelles d’Osiris ne furent pas retrouvées. La déesse, pour remplacer cette perte, en fit faire une représentation puis elle consacra le phallus, et deviendra féconde engendrant ainsi l’enfant Horus.

Une fois reconstitué, Osiris se manifeste à une nouvelle vie dans un monde autre, soit avec l’aide d’Anubis ou de Nephtys, soit par la magie incantatoire d’Isis, soit par une liqueur d’immortalité confectionnée par la déesse.

L'âme d'Osiris est éternelle et incorruptible, son corps est déchiré et dispersé par Seth, et Isis en réunit les parties séparées. Osiris est le premier principe ; Isis est la substance femelle, récipient universel, nourrice de tous les êtres, qui reçoit les influences et les germes productifs d’Osiris ; et Horus sera l'effet qui résulte de l'opération des deux substances de la terre et de l’eau.[iii]

Jalousie, meurtre, mort, putréfaction, démembrement, deuil, larmes, fertilisation, recherches, remembrement, nouvelle vie, enfantement, génération...

Que de similitudes avec notre légende maçonnique !

A la mort d’Hiram, nous sommes tels Isis, pleurant notre Maître assassiné, « nous sommes dans les larmes et le deuil. Les ténèbres couvrent l'Égypte, la Lumière a disparu. »

Qui pleure ? Que pleurons-nous ou qui pleurons-nous ? Sans doute faut-il voir dans ces pleurs et ce deuil une vérité bien supérieure à celle d’une tristesse ou d’une douleur terrestre, d’un apitoiement sur soi ne relevant que de ses propres peurs. L’étape de la mort, de sa propre mort, est nécessaire quelque soit le parcours initiatique envisagé. Les larmes sont ici à concevoir comme la manifestation extérieure d’un processus intérieur, qui se déroule au Cœur véritable de l’Homme. Elles sont l’agent fécondant qui donne naissance en l’homme à une spiritualité vivante et une transcendance de l’Esprit. Saint Isaac le Syrien[iv] énonçait que « les larmes servent à l'esprit de limite entre le corporel et le spirituel, entre l'état passionnel et la pureté. »

Dans notre rituel, le Vénérable Maître Expert, en relevant le cadavre d’Hiram par les cinq points et en l’amenant à une nouvelle vie, remplit exactement le rôle d’Anubis. Il joue un rôle de psychopompe, c’est-à-dire de guide, de passeur menant les Âmes au Souverain Tribunal du Dieu Ineffable.

Hiram est retrouvé et vainqueur de la mort, laissons la joie de nos cœurs se manifester ! Le temps des pleurs est révolu : « Écartez ces tentures de deuil. Faites briller les flammes pures, symbole de lâme active et impérissable. Rendez la clarté à ces voûtes sacrées. Osiris notre Maître s’est levé. Il est de nouveau parmi nous. » Ainsi notre rituel exalte la joie et l’allégresse. Nous devons nous réjouir : la Lumière dissipe les ténèbres, la vérité succède à l’erreur, la Vie triomphe de la mort, la Connaissance triomphe de l'ignorance et la Liberté de l'oppression. Nous avons de nouveau notre axe, notre colonne vertébrale, qui nous permet de nous tenir debout, élevé entre terre et ciel.

Entre terre et ciel, porte d’accès à la transcendance, quand les eaux d’en-haut fécondent les eaux d’en-bas, quand la grâce du Paraclitos (l’Esprit Consolateur) descend dans le cœur de l’Homme : « Voici le signe qui te révélera si tu es bien entré. Quand la grâce commence à ouvrir tes yeux pour te faire sentir la contemplation (théoria) des choses en Vérité, tes yeux se mettent à verser des larmes si abondantes qu’elles arrosent souvent les joues. »[v]

Ces larmes, physiques et visibles, ou bien encore cachées dans l’être, ne peuvent en aucun cas être le résultat de sentiments, ou d’un auto-examen, ou stimulées par une réflexion sur la bonté de Dieu, ou sur sa longanimité, etc. Elles ne peuvent être un acte conscient de la volonté. Il arrive un moment où nous ne pouvons plus maîtriser ces larmes. Il s’agit alors du don spirituel des larmes. Par exemple, c’est à ce moment que nous touchons l’aspect contemplatif et mystique de la prière continuelle de l’hésychasme, l’invocation du Nom retrouvé.

Ces larmes, eaux de la repentance et de la régénération, adoucissent l’âme et enlèvent l’amertume, la dureté et l’aridité du cœur. Ce n'est que lorsque l'âme s'adoucit et se brise telle une pierre, qu’elle laisse jaillir une fontaine abondante, bouillonnement de l’esprit.

Cette pratique très ancienne est un don de l’Esprit, transcendance qui touche le cœur et fait sourdre en nous ce qui vient du plus profond de l’être. Les larmes nous permettent alors de voir réellement, nous rendre voyant et visionnaire, nous rendre disponible à la présence d’un dehors.

Ces larmes ne nous appartiennent pas, et que faire sinon les donner, les partager à notre tour comme une offrande fraternelle, une marque de gratitude à nos Frères, avec la certitude que cette eau fertile a le pouvoir de faire refleurir les déserts.

© Christelle Imbert

Tous droits réservés, publication soumise à l’accord de l’auteur.



[i] Des hiérophores et des hiérostoles. Les premiers sont ceux qui portent dans leur âme, comme dans une corbeille, la doctrine sacrée qui concerne les dieux, purifiée de ces opinions étrangères dont la superstition l'a souillée ; les autres couvrent les statues des dieux de robes en partie noires et obscures, en partie claires et brillantes ; ce qui nous fait entendre que la connaissance que cette doctrine nous donne des dieux est entremêlée de lumières et de ténèbres.
[ii] Il s’agit de l’Erica, variété de bruyère, selon Plutarque.
[iii] Pour Plutarque, le corps d'Osiris enfermé dans un coffre ne désigne autre chose que l'affaiblissement et la disparition des eaux du Nil, au mois d'athyr, où les vents étésiens ne soufflant pas, le Nil coule dans un lit étroit, et laisse à découvert la terre d'Egypte. Lorsque les nuits, devenues plus longues, augmentent les ténèbres et affaiblissent sensiblement la lumière, les prêtres couvrent un bœuf d'or d'un vêtement noir de lin, à cause du deuil de la déesse pendant quatre jours de deuil. La nuit du dix-neuvième jour, ils se rendent au bord de la mer, ils portent l'arche sacrée qui renferme un vase d'or, avec lequel ils puisent de l'eau douce. Alors tous les assistants poussent de grands cris, en disant qu'Osiris est retrouvé. Ensuite ils détrempent de la terre végétale avec de l'eau dans laquelle ils mêlent les aromates et les parfums les plus précieux. De cette pâte, ils forment une petite figure en forme de croissant représentant Osiris; ils l'habillent et la parent avec soin.
[iv] Saint Isaac le Syrien, Sentence XXXIV.
[v] Saint Isaac le Syrien, suite : « (…) En dehors des larmes ne cherche pas. Le corps ne te donnera pas de signe plus sûr. Mais quand l’intelligence (nous) s’est élevée loin des créatures, le corps se trouve au-delà des larmes, de tout mouvement, de toute sensation. »
Publié dans l'EDIFICE avec l'aimable autorisation de l'auteur - Avril 2019

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