GLNF Loge : Saint Jean d'Ecosse et la Vertu persécutée - Orient d'Avignon Date : NC


Approche initiatique du «Petit prince» de Saint-Éxupéry


Nous avons tous lu le Petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Nous avons fait lire ce petit livre à nos enfants, certains à nos petits-enfants. Ce beau conte nous a émerveillé par sa poésie et sa sagesse et bien souvent nous en avons gardé un souvenir ému, attendri et poétique. Puis nous avons relégué ce livre sur une étagère de notre bibliothèque. C’est un petit livre mineur me direz-vous… Est-ce vraiment une histoire pour gens sérieux ?

Le petit prince n’est pas un texte pour gens sérieux. Les gens sérieux sont ceux pour qui la vie est une histoire de pouvoir, de luttes, de prérogatives, de positionnement, de reconnaissance, de force, d’influence, de compétition. Nous M\, nous ne sommes pas des gens sérieux, nous sommes des hommes libres, voilà la différence, et par notre démarche maçonnique nous avons d’autres axes de recherche, d’autres cheminements, une autre manière de concevoir la vie et d’y donner un sens, c’est pourquoi ce livre n’est pas mineur... 

En cherchant ce livre l’autre jour pour le donner à l’un de mes petits-fils et en le relisant car il est court, je fus surpris de voir combien cette histoire poétique collait à nos recherches et à notre état d’esprit. Saint-Ex n’était pas M\ et comme je n’aime pas l’expression galvaudée de M\ sans tablier qui ne veut strictement rien dire, j’avancerai seulement que la démarche d’Antoine de Saint -Éxupéry dans cet essai est une démarche de cherchant. Il passe en revue les travers de ce qui fait notre condition de profane et le petit prince n’est qu’une représentation allégorique de ses pensées et de ses questionnements. Je résume l’histoire pour ceux qui l’auraient oublié. Un aviateur tombe en panne dans le désert, une voix inconnue l’apostrophe et lui demande de lui dessiner un mouton. Avec cette voix c’est l’apparition soudaine du jeune enfant frêle et doux d’environ 6 à 8 ans. Par ses questions qui semblent naïves et insistantes, notre aviateur va se trouver devoir reconsidérer sa conception du monde, son analyse des valeurs humaines à l’aune des réflexions de l’enfant.

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Le petit prince, c’est ainsi que l’appelle l’auteur, est l’habitant d’une toute petite planète imaginaire perdue dans l’univers ; il est soi-disant tombé du ciel et pense la terre déserte à l’exception de cet aviateur. Avec cet enfant, notre homme va redécouvrir la configuration du monde dans sa conception essentielle, et va s’apercevoir des travers et des préoccupations futiles de notre société. 

Enfin l’enfant va faire redécouvrir le sens de l’amitié, de l’amour et de la valeur des vertus humaines à notre pilote isolé. Mon propos n’est pas de vous raconter l’histoire. Soit vous la connaissez, soit vous la découvrirez en lisant ce petit livre ; mon intention est de mettre le doigt sur la construction de ce livre et de tenter de rapprocher les éléments qui le composent de notre philosophie maçonnique. Au début le narrateur est seul, isolé de tout, préoccupé par une tâche profane très importante qui va conditionner la suite de son existence et, dans cette préoccupation essentielle, une petite voix se fait entendre et semble poser des questions insipides et sans réel fondement. 

Ce petit prince, ce pourrait être notre conscience, notre réflexion intérieure et, en transposant, le désert devient le vitriol de notre cabinet de réflexion, là où tout va se remettre en ordre, où petit  àpetit les choses vont prendre leur juste position, où l’essentiel va prendre la place du futile. Bien sûr ce conte philosophique a sa nature propre, il n’est pas question de tout relier à notre démarche, mais il utilise comme nous le faisons le symbole pour mieux interpréter les choses.

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En préambule l’auteur nous met en garde sur le fallacieux aspect des vérités, il nous avertit de voir sous les choses le sens caché, en quelque sorte l’idée sous le symbole. L’exemple du chapeau qui n’est autre que la représentation du boa qui a avalé un éléphant en est une démonstration volontairement grossière. Le fait que le petit prince vienne d’une autre planète n’est pas fortuit, l’histoire positionne le lecteur face à l’univers et redimensionne la condition humaine et si les planètes dont nous parle l’enfant sont toutes petites, c’est pour mieux comprendre combien notre ego est disproportionné par rapport à la réalité des choses. Nous voilà rentré dans le monde initiatique et l’univers symbolique. 

Ne pas se fier à l’apparence : la découverte de la planète du petit prince ne fut réellement reconnue et acceptée que lorsqu’on y mit les formes convenables pour qu’elle soit acceptée… Ainsi sont les hommes nous ne posons jamais les questions essentielles. Si vous parlez d’un ami, on ne vous dit jamais : « Quel est le son de sa voix, quels sont les jeux qu’il préfère, est-ce qu’il collectionne les papillons ? ». Non, on vous demande plutôt : « Quel âge a-t-il combien pèse-t-il, combien gagne-t-il ? ». Ainsi si vous dites à une grande personne : « La preuve que le petit prince a existé, c’est qu’il était ravissant, qu’il riait et qu’il voulait un mouton… Quand on veut un mouton, c’est quand même la preuve qu’on existe non ? », la grande personne haussera les épaules… Mais si vous lui dites : « La planète d’où il venait est l’astéroïde B612 », alors il sera convaincu et vous laissera tranquille.

L’auteur va nous faire voyager ensuite autour des planètes qui forment l’univers de l’enfant et l’on peut considérer ce voyage comme une sorte de voyage initiatique, un voyage qui va mettre l’accent à la fois sur les devoirs que nous avons face à notre propre monde et les travers de notre personnalité (Vaincre ses passions, soumettre sa volonté). Rappelons nous comment le petit prince prend soin de sa planète avant de partir en ramonant ses volcans et en empêchant les graines de baobab de venir détruire le peu de terre qu’il a. Le mouton prend alors toute sa signification et la muselière que le pilote a promis de dessiner pour le mouton évitera à la rose d’être mangée car il y a une rose sur la planète du petit prince...

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La rose n’est pas là sans raison, symbole de l’amour et de la renaissance, elle a toute sa place dans son monde. Il reconnaît lui-même ne pas lui avoir donné toute l’importance qu’elle méritait, avoir pris ses réserves et ses observations pour des caprices alors qu’elle n’était qu’amour et dévotion, il avoue lui-même : « je n’ai alors rien su comprendre, j’aurais du la juger sur les actes et non sur les mots… .J’aurais dû deviner sa tendresse derrière ses pauvres ruses. ». Le petit prince nous raconte comment il a quitté sa planète. Nous continuons avec lui le voyage à la découverte de planètes tenues par des hommes de préjugés. Un roi qui règne sur tout, mais n’a pas de sujet, un vaniteux qui n’entend rien sauf les louanges, un buveur qui avait honte de boire et qui buvait pour oublier qu’il avait honte, un businessman occupé à des   choses sérieuses : comptabiliser les étoiles pour se les approprier et devenir riche. Au terme du voyage et avant d’arriver sur terre une dernière halte sur la planète de l’allumeur de réverbère qui bien que prisonnier de la consigne s’occupe d’autre chose que de lui-même et celle du géographe qui n’avait comme ambition que de collationner des faits sans les vérifier.

Le géographe conseilla au petit prince d’aller visiter une septième planète qui avait bonne réputation : c’était la terre. Et cette terre est la septième planète, cela n’est pas fortuit. L’arrivée de l’enfant dans le désert lui fit prendre conscience de la relativité des choses, il trouva le monde vide alors qu’il ne l’est pas et les roses foisonnantes alors qu’il pensait la sienne unique en son genre mais il compris bien vite ce qui rendait sa rose unique c’était leur relation et l’amour qu’il lui portait. C‘est étrange, mais toute cette histoire me ramène au rituel : il ne suffit pas à l’homme d’être mis en présence de la vérité pour qu’elle lui soit intelligible. La lumière n’éclaire l’esprit humain que lorsque rien ne s’oppose à son rayonnement. Tant que l’illusion et les préjugés nous aveuglent, l’obscurité règne en nous et nous rend insensibles à la splendeur du vrai. C’est un peu ce que l’auteur tente de nous apprendre dans ce conte. Je n’irai guère plus loin dans l’histoire, mais j’aborderai cependant la rencontre du petit prince et du renard. La délicatesse du récit explique bien comment naît et s’entretient l’amitié, ce besoin réciproque d’amour, de reconnaissance que procure aussi la fraternité et qui est le ferment et le viatique indispensable de la quête maçonnique. Apprivoise-moi, dit le renard, ma vie sera ensoleillée, on ne connaît bien que les choses qu’on apprivoise… .Tu vas revoir ta rose et tu comprendras qu’elle est unique au monde.

Le petit prince va s’évanouir, piqué par le serpent du désert, subir une mort virtuelle pour renaître sur sa planète, après avoir vécu des expériences qui auront renforcé sa lecture de la splendeur du vrai. Le lecteur quant à lui va se réfugier dans la réflexion de son devenir et l’auteur pilote ayant pu réparer son moteur croisera peut-être le petit prince une fois encore dans le ciel.

Y\ G\


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