Obédience : NC Site : http://www.artsetprogres.org 18/08/2008

La Vengeance

V\M\ et vous tous mes SS\ et mes FF\ en vos grades et qualités, je veux ce soir vous parler de la vengeance.

En maçonnerie, c’est un « gros mot », car l’on nous enseigne lors de notre initiation qu’il faut accepter d’être en présence et même d’avoir pour frère son pire ennemi.

On ne nous demande cependant ni de pardonner les offenses qui nous auraient été faites, ni de tendre la joue droite ; on nous dit simplement que notre état de franc-maçon doit obligatoirement nous conduire à la tolérance, donc à l’indifférence par rapport au mal qui nous aurait été fait.

Je ne suis pas de cet avis.

Et même au premier grade de nos travaux, je ne suis pas d’accord avec l’idée selon laquelle, en maçonnerie, les méfaits doivent rester impunis, ou tout au moins qu’il ne faut pas se faire justice soi-même, ce qui est le vrai problème de la vengeance.

La Justice, la morale et l’équité, auxquelles nous aspirons, exigent que d’une manière ou d’une autre, de préférence de façon humaniste, les torts soient réparés et les exactions sanctionnées ; mais le tout serait de ne pas s’en mêler et donc d’attendre que d’autres que les victimes fassent ce qu’il y a lieu de faire, si toutefois cela les intéresse.

Là encore, cela ne me parait pas correspondre à l’éthique maçonnique.

Certes, se venger, c’est s’ériger soi-même en Juge et en bourreau tout en étant victime, à la recherche d’une compensation rapide et personnellement satisfaisante au préjudice que l’on a subi. Et cela n’est pas maçonniquement admissible, ni même socialement admissible, car l’auteur des faits répréhensibles existe lui aussi en tant qu’individu, doté de droits dont celui de se défendre ou d’être défendu de manière civilisée.

Sandor MARAI (1900-1989, Hongrie) écrivait :

« les hommes ne sont jamais aussi dangereux que quand ils se vengent des crimes qu’ils ont eux-mêmes commis »
Et Francis BACON (1561-1626, GB) :
«  celui qui s’applique à la vengeance garde fraîches ses blessures »

Mais César BIROTTEAU (F) quant à lui écrivait :
« La haîne sans désir de vengeance est un grain tombé sur du granit »

Mais alors pourquoi prônons-nous la vertu, la tolérance, la fraternité, si nous ne sommes pas prêts à les défendre en entrant dans la mêlée et en rendant « œil pour œil » et « dent pour dent », enseignement biblique assez mal compris ?

C’est parce que les Sages nous enseignent qu’il ne faut pas s’occuper de ses propres affaires, qu’il ne faut pas être « juge et partie », qu’il faut donc oublier sa colère ou tout au moins l’avaler, afin que ceux qui sont en charge de « dire le droit » et de faire triompher la justice fassent leur travail.

Alors, pourquoi l’Expert et le Couvreur portent-ils une épée et que faut-il penser de la menace proférée dans nos rituels à l’encontre des maçons qui violeraient leur serment et qui auraient la tête tranchée ?

Eh bien, ce serait de la Justice et non de la vengeance, car ici, quelles que soient les conséquences individuelles des violations du serment (arrestation, déportation, licenciement etc..) vis-à-vis des victimes, c’est la Justice collective qui s’appliquerait. Les Maîtres de la Loge accompliraient ainsi, selon les pouvoirs qui leur seraient donnés en tant qu’Elus, une vengeance collective.

Antonio CANDIDO, brésilien né en 1918, écrivait :

« De même que la vengeance collective dissout le vengeur dans les mailles de l’intérêt commun, la vengeance personnelle le met en évidence, accentue son propre relief et le situe au-dessus des autres. L’homme qui se venge soi-même croit ouvertement en lui-même de façon puissante et il considère les atteintes d’autrui à sa propre intégrité comme autant d’attentats à l’équilibre de l’univers.. »

Mais alors, pourquoi dans les Hauts Grades (est-ce un crime d’en parler ?), ou tout au moins dans les premiers de ces grades et en particulier au 9ème, les Maîtres Elus ont-ils comme mot sacré le mot qui ,en hébreu, signifie vengeance ?

D’accord, ceci est une autre histoire, mais l’on ne peut imaginer que la franc-maçonnerie soit à ce point hermétique et cloisonnée que la suite de l’Histoire ne soit connue que de quelques uns.., et certains d’entre nous ont pu entendre ces mots :
-          Q. : Que signifie le bras nu armé d’un poignard ?
-          R. : Que la vengeance suit toujours le coupable

Ainsi donc, ailleurs qu’en loge bleue, des francs-maçons, et pas des moindres, seraient autorisés à pratiquer la vengeance ? Quelles qualités faut-il donc réunir pour atteindre à ce grade, qui n’en est qu’un parmi tant d’autres, et comment justifier cette symbolique ?

De fait, il faut garder toujours présent à l’esprit que, quel que soit le grade auquel nous travaillons, nous accomplissons toujours un rituel significatif d’une progression.

L’apprenti aspire à devenir compagnon, le compagnon à devenir Maître, et à chacune des étapes des initiations accomplies les voyages ont été différents ; les mots sont différents, les outils différemment placés, les symboles cachés ou rehaussés.

Chaque tenue est un concert de figures imposées parce qu’il est important de fixer des repères dans la progression qui doit nous conduire vers la perfection ; et la perfection, n’en déplaise à Rousseau, n’est pas innée mais acquise et elle se nourrira tout d’abord des multiples erreurs et des faux pas que connait le compagnon.

La vengeance est une soif d’assouvir sa haîne, elle est humaine, elle est tellement humaine qu’en Droit elle peut parfois conduire à l’acquittement des crimes, qu’ils soient passionnels ou issus d’une perte temporaire de la raison.

La vengeance est une justice qui se veut immédiate et qui fait fi de « l’autre réalité », celle de la victime de la vengeance.

La vengeance est partout dans la Bible, depuis Caïn et Abel, et même avant, depuis la vengeance de Dieu punissant l’homme de son péché originel. Dans la Genèse de l’Ancien Testament il est dit :
« car je suis le Seigneur notre Dieu, le Dieu fort et jaloux, qui venge l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la 3ème et jusqu’à la 4ème génération.. »

Elle est aussi dans Le Coran : « si vous vous vengez, que la vengeance ne dépasse pas l’offense.. »

HOMERE a écrit : « la vengeance est plus douce que le miel »..

En maçonnerie, elle figure parmi les stades d’une progression vers les degrés ultimes mais aussi, d’un point de vue collectif à l’intérieur d’une loge, dès lors qu’il est admis et même exigé que les maçons ne fassent en premier lieu jamais appel à la justice profane pour traiter de leurs conflits mais à celle de leurs pairs élus à cet effet.

Tout cela se tient. Mais que faire alors si des crimes demeurent impunis, des injustices tolérées, des brebis galeuses laissées en paix ?

La question est posée.

Elle est posée pour que nous en débattions, pour que nous sachions ce qui, au fond de nous, nous conduit à reconnaitre que nous serions prêts à assassiner celui ou celle qui s’en prendrait à nos enfants, tout en disant qu’il est inhumain de conduire un homme à l’échafaud.

Contradictions ?

Pas vraiment. L’enseignement résultant du simple exposé de cette question nous amène à constater qu’une distinction fondamentale existe, qu’il ne faut jamais ignorer, entre soi et les autres. « L’enfer, c’est les autres » disait Sartre, et «à chacun sa vérité » disait Pirandello.

Une fois admise l’idée que l’on ne peut se comporter à plusieurs comme si nous étions seuls au monde, l’on parvient déjà à admettre que le problème de la vengeance est un faux problème.

La vengeance doit se déléguer, elle doit être confiée à d’autres que les victimes.

Cependant, faut-il transmettre aux Juges le soin d’assouvir nos désirs de vengeance ?

La maçonnerie quant à elle nous enseigne, ou nous enseignera, que « sans un pouvoir légitime la vengeance est un châtiment », selon la formule d’Irène MAINGUY, et que la volonté de tirer vengeance d’un dommage ou d’une offense relève du réflexe archaïque de l’instinct et non de la raison qui doit régler la conduite du Maître. Se venger individuellement ou collectivement, c’est vouloir effacer la souffrance vécue et la douleur ressentie.

Or le pouvoir légitime est incarné par la société, ou plutôt par les représentants de la loi, seuls habilités à rendre justice.

Mais alors surgit une autre question : peut-on faire confiance à autrui pour juger  ses problèmes ?

François MAURIAC s’exclamait «  la vengeance déguisée en justice c’est notre plus affreuse grimace ! »

Au fond, ce que recherchent les tenants d’une vengeance collective, c’est l’absence de responsabilité personnelle, ou quelquefois tout simplement l’impunité. Tous les philosophes et autres penseurs militant contre la vengeance ne font en général que souligner soit qu’elle est mauvaise conseillère, soit qu’elle n’efface pas bien les atteintes reçues, soit qu’elle est une forme de bestialité : mais tout cela ce sont des critiques qui ne touchent pas au fond de la légitimité du désir de vengeance mais bien plutôt à son inefficacité ou à son rôle négatif sur la personne de l’offensé, de la victime.

Bref, le problème reste entier. Pour nous, judéo-chrétiens, seul Dieu aurait droit de se venger, sinon, à défaut, la société, collectivement, tout comme en Cour d’Assises où l’on a instauré le système du jury populaire et le secret des délibérations non pas pour rendre la Justice « au nom du Peuple français » mais pour la rendre anonyme, noyée dans une décision soit disant collective, pour éviter toute responsabilité et toutes représailles en cas d’injustice…

Thomas BORGE a écrit « notre vengeance sera le pardon »

Qu’en pensez-vous ?

J’ai dit.

Henry FLE\ 


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