Obédience : NC Loge : Appolonius de Tyane Date : NC


Trentième Anniversaire

Trente ans pour une loge, c'est déjà un âge, cela représente en fait plusieurs générations car habituellement, on est plus tout jeune quand on entre en maçonnerie et peu d'entre nous peuvent espérer rester trente années actif dans un atelier.

C'était donc d'autres frères qui siégeaient il y a trente ans à ces mêmes plateaux et sur ces mêmes colonnes. Certains parmi eux ont rejoint l'Orient céleste, d'autres nous ont quittés parce qu'ils se sont éloignés de Genève ou parce qu'ils sont trop faibles pour se déplacer, d'autres enfin ne viennent plus parce qu'ils ont fait leur temps en loge et qu'ils continuent leur quête ailleurs, découvrant d'autres horizons.

Un tel anniversaire nous donne l'occasion de repenser à eux et à leurs successeurs qui chacun à leur manière ont donné l'énergie nécessaire pour que cette loge soit créée et qu'elle survive, et enfin pour qu'elle devienne ce qu’elle est en ce jour du 24 mai 1997, date à laquelle nous pouvons majoritairement affirmer que la santé de notre atelier est à la hauteur de tout ce que nous aurions pu espérer. Cette heureuse situation ne doit pas nous empêcher de rester humble et modeste, sachant très bien que la santé d’une loge est très fragile et qu'elle ne dépend que de la bonne harmonie de l'esprit de ses membres.

Cette harmonie, nous l'avons souhaitée, puis construite, au prix d'un travail régulier sur nous-mêmes et sur la loge. Merci donc aux anciens pour avoir donné juste ce qu'il faut par leur présence et leurs conseils. Merci à vous tous mes frères apprentis, compagnons et maîtres pour avoir fait preuve de juste mesure dans votre participation aux travaux de l'atelier, avec un réel esprit de fraternité qui a fait que cette loge prospère.

De la fraternité, nous en avons souvent parlé en loge, nous lui avons tous donné une certaine image, parfois nous l'avons idéalisée, parfois malmenée, parce qu'elle nous aurait déçus. Mais qu’est-elle en vérité ? Est-elle un mythe, un pur produit de notre imagination ? Est-elle un trésor caché dont la découverte et la pratique ont encore de belles heures à nous faire vivre ?

Oswald WIRTH nous rappelle que : « La force d'une association réside essentiellement dans la cohésion de ses membres. Plus ils sont unis et plus ils sont puissants. En maçonnerie, l’union n’est point l'effet d'une discipline imposée, elle ne peut naître que de l'affection que ressentent les Initiés les uns pour les autres. Il est de la plus haute importance de contribuer par tous les moyens à resserrer les liens qui unissent les Maçons ».

La fraternité implique les notions de tolérance, d'affection, et aussi dans une certaine mesure : de charité, d'indulgence, de fidélité et de communion. De manière concrète elle se manifeste par une attention profonde d'un frère à l'égard de son semblable : une écoute respectueuse de propos que l’on ne partage pas forcément, une aptitude à prononcer une parole réconfortante, à agir avec un élan d'affection au moment opportun. Savoir proposer sans vouloir imposer, savoir être présent sans jamais être pesant.

La structure de la loge maçonnique est favorable à I'épanouissement du comportement fraternel. Les bons sentiments d'un jeune initié vis-à-vis de ses frères se transformeront vite, s'il entend bien l'art, en véritable sentiment fraternel. Mais cette affection ne peut être immédiate, il faut laisser le temps agir pour que les liens s'établissent. « Il faut d'abord que tu m'apprivoises si tu veux que nous jouons ensemble » enseigna le renard au Petit Prince qui apprit également que le mot apprivoiser signifie créer des liens.

Les liens ainsi créés vont nous rapprocher les uns des autres. Nous ne serons plus des étrangers car nous aurons pris le temps de nous connaître. Mais cela ne suffit pas pour faire de nous des frères. Il nous faudra faire preuve d'humilité, car les différences apparaîtront et il faudra bien les accepter pour aller de l'avant dans l'échange de relations fraternelles. Les accepter sans les juger, car les jugements prennent souvent un caractère définitif, et toutes choses « définitives » créent des limites qui ont pour effet de réduire la liberté de chacun.

Il faut ainsi abandonner nos convictions pour nous mettre entièrement à l'écoute de l'autre, il faut accepter que notre frère ne soit pas ce que nous aurions souhaité qu'il soit, il faut renoncer à notre propre idéal de la fraternité pour reconnaître qu'il en existe d'autres, différents certes, mais ayant tout autant leurs raisons d'être. Cette disponibilité soudaine vis-à-vis de personnes venues d'ailleurs et que nous avons accepté comme frère est génératrice de sentiments de bien-être. Ces sentiments sont sécurisants et nous font réaliser que tous les hommes, quels qu'ils soient et d'où qu'ils viennent sont nos frères.

Les Stoïciens de I'antiquité I'avaient bien compris : en condamnant l'esclavage, ils reconnurent la communauté d'origine des hommes et leur participation à l'universelle raison. Les Chrétiens, en associant fraternité et charité, ont développé le côté sentimental de la fraternité. Plus sélective et élitaire : la chevalerie moyenâgeuse, avec la « Fraternité d'armes », a mis en exergue les liens tissés par ceux qui ont lutté pour la même cause. Il s'agissait d'un engagement à se défendre l'un l'autre envers et contre tout, à se garder une foi inviolable et à tout faire pour mériter cette foi.
Ce dernier exemple est frappant car il fait état d'une fraternité absolue et sans limites. Cette fraternité-là serait-elle un mythe ?

En Maçonnerie, nous avons l'habitude de donner une mesure à toutes choses et à refuser les dogmes. La fraternité maçonnique est bien une réalité, mais elle a ses propres limites. Ces limites, nous les fixons nous-mêmes, elles dépendent de la sincérité de notre engagement. La maçonnerie propose et l'homme dispose : libre à chacun de progresser, libre à chacun d'accepter ou de refuser les richesses qui lui sont offertes, libre à chacun de collaborer à l'accroissement du patrimoine commun et de son propre patrimoine.

La loge sera ce que nous en ferons, chacun est responsable de ce qu'elle deviendra par sa propre participation positive ou négative. Agir pour l'intérêt de tous, travailler individuellement pour tenter de créer un idéal de vie. Il faut apporter pour recevoir, se remettre en question de façon continue pour conserver le caractère initiatique de notre démarche, se souvenir que notre fierté est de créer l'unité dans la diversité et pour ce faire, utiliser le langage du coeur, persévérer dans notre démarche et ne pas oublier que nous avons des outils pour nous aider à rechercher la vérité.
Le rayonnement de la loge dépendra de notre volonté de persévérer clans la recherche de la connaissance, afin d'être présent sur la scène de l'action. Rester humble, agir sans passion, ne pas démolir, mais transformer et construire, éviter de mal juger, mais aimer, agir pour le bien de tous. Nous hériterons de la loge que nous construirons, nous hériterons du monde que nous construirons. Pour agir dans cet esprit, la fraternité doit demeurer notre acte de foi afin de donner un sens à notre démarche. De la participation active de chacun des Frères dépend l'importance de la notion de réalité qui caractérise les relations fraternelles établies au sein de l'atelier.

Il ne faut pas oublier qu'une loge n’est qu'un groupe de maçons et que la vitalité qui la caractérise n’est que le fruit d'un travail commun et de l'apport de chacun de ses membres. Son rayonnement, sa santé reflète directement l'état d’esprit et la volonté de participation de chacun. C'est dire l’importance de la cohésion et de la fraternité qui doit régner au sein de l'atelier. Sans fraternité, sans amitié et sans amour, la cohésion n'existe plus et la loge devient fragile. L'écoute de l'autre, la tolérance et le respect, nous ne cessons de proclamer qu'ils sont facteurs essentiels pour pouvoir oeuvrer à un idéal commun.

Mais quel est cet idéal ? A ce sujet tous les maçons s'entendent, il s'agit du bien de l'humanité tout entière en défendant l'égalité des droits de chaque homme.

Les avis divergent quant à la manière de réaliser cet idéal et ce n’est pas un mal, car ces méthodes de travail sont complémentaires. A l’image de la force de l'action qui n'atteindrait jamais le but recherché sans l'intelligence de l'esprit. Faut-il adapter le travail initiatique aux exigences du monde moderne ou faut-il à tout prix respecter la tradition transmise par nos prédécesseurs et s'abstenir de toute remise en question de nos rituels.

Les avis des uns modèrent l'opinion des autres, mais nous sommes tous d'accord pour reconnaître qu'avec ou sans l'aide du G.A.D.L.U. notre devoir est d'agir. Agir avec intelligence et volonté, mais aussi avec douceur et amour, conscient que nous nous adressons à des hommes et qu'il est important de gagner leur coeur pour les rendre réceptifs aux messages des symboles et parce que nous avons besoin de chacun pour bâtir le temple idéal de l'humanité, édifice où toute femme et tout homme ont leur place, où nul ne peut être exclu si l’on veut effectivement lui donner le nom de temple de l'humanité.

Nous ne le répéterons jamais assez : nous, Francs-maçons, ne détenons aucune vérité, nous ne possédons qu'une méthode de réflexion que nous souhaitons partager avec tous ceux qui en manifestent sincèrement le désir dans un esprit visant à mieux se connaître pour s'améliorer et à mieux connaître le monde pour mieux servir l'intérêt communautaire.

Il est écrit que l'enseignement maçonnique se fait à travers la réflexion sur des symboles et sur des allégories. Je souhaiterais pour terminer cette planche traiter particulièrement d’une allégorie qui ne fait pas partie de nos rituels mais qui a, au cours de cette dernière décennie, conquis l'unanimité des coeurs de notre atelier.

Richard Bach a retracé dans son livre « Jonathan Livingstone le Goéland » le difficile parcours d'un candidat à l'initiation. Il a su décrire les joies et les peines qui sont le lot quotidien de ceux qui aspirent au bonheur d'un état où la sagesse et la sérénité prennent la place essentielle des objectifs à atteindre.

D'emblée, l'allégorie nous encourage à nous faire une juste idée du monde en privilégiant le travail de l'esprit. Je cite un de ses passages :
NE TE FIE PAS A TES YEUX, TOUT CE QU'ILS TE MONTRENT, CE SONT DES LIMITES, LES TIENNES. REGARDE AVEC TON ESPRIT, DÉCOUVRE CE DONT D’ORES ET DÉJÀ TU AS LA CONVICTION ET TU TROUVERAS LE CHEMIN DE L ENVOL.

Il est certain que la vision du monde que nous offrent nos yeux est limitée, mais n’en est-il pas de même en ce qui concerne notre propre esprit ? Et les yeux ne sont-ils pas un instrument de l'esprit ? Tout comme les oreilles qui nous permettent d'entendre, chacun de nos cinq sens nous donne des informations qui deviennent le point de départ de toute réflexion et, par la réflexion, nous développons notre esprit, notre personnalité.

Négliger l'apport d'information que nous offrent nos yeux, c'est s'imposer un handicap. Car même si cet apport ne nous enseigne pas la vérité, il nous montre une certaine réalité que notre esprit, s'il est habile et sage saura apprécier à sa juste valeur.

Toutes les informations sont bonnes à prendre et ces informations nous sont données par nos sens, donc aussi par nos yeux, mais pas exclusivement par nos yeux. Et c'est peut-être cela que Richard Bach a voulu nous faire comprendre.

Bien sûr, il n’est pas bon de trop se fier à ses yeux, mais il ne faut pas non plus trop se fier à son esprit, car celui-ci nous montre aussi les limites qui sont les nôtres. Mais il ne faut pas pour autant renier notre esprit, car cela reviendrait à nous priver de tout moyen de réflexion. L'esprit est là pour se renouveler lui-même et sans lui aucune évolution, aucune progression n’est possible. Cependant il est certain qu’à n'importe quel stade de son évolution, et aussi développé qu'il soit l'esprit nous apporte une vision du monde limitée par lui-même.

Allons plus loin clans la citation de Richard Bach et réécoutons la suite : REGARDE AVEC TON ESPRIT, DÉCOUVRE CE DONT D’ORES ET DÉJÀ TU AS LA CONVICTION ET TU TROUVERAS LE CHEMIN DE L’ENVOL.

Au début de ces lignes, on nous encourage à observer avec l'esprit comme étant le meilleur moyen que nous pouvons utiliser pour nous rapprocher de la vérité, de la sagesse. Il est vrai que plus que les yeux et que tous les autres sens, l'esprit est notre meilleur atout, car en plus des informations qui nous sont transmises par nos sens, il est doué de réflexion, il a pour partenaire la mémoire et n'a cessé d'être éprouvé toute sa vie durant. Sans doute imparfait, assurément emprisonné dans des limites qu'il s'est souvent lui-même fixées, l'esprit est cependant le principal guide susceptible de nous montrer la voie de l'envol.

Pour bien utiliser notre esprit, il faut le faire travailler, l'éduquer, en tirer le meilleur parti car un esprit imbécile n'apporte rien à l'ignorant. Dans son livre sur le Compagnon, Plantagenet écrit : « L’ignorant avilit tout ce qu'il touche, car au lieu d'essayer de I'élever à la hauteur de ce qu'il ne comprend pas, il le rabaisse à son niveau et il est aidé par tous ceux qui, à un titre quelconque, font de la médiocrité des autres le fondement d’une apparente supériorité en même temps que la justification des privilèges qu'ils s’octroient. »

Ceci est vrai, mes frères, le manque d'intelligence, l'ignorance et la bêtise ont fait plus de dégâts et ont plus fait souffrir les hommes que l'absence de fraternité et l'indifférence. Hors nous sommes tous des ignorants. Ayons le courage et l'honnêteté de le reconnaître. Socrate ne déclarait-il pas que tout ce qu'il savait, c'est qu'il ne savait rien ! Efforçons-nous donc de limiter nos insuffisances en privilégiant le travail de notre esprit.

Découvrir ce dont nous avons la conviction, c'est mettre à l'épreuve notre esprit, c'est le pousser vers ses propres limites. Une fois ces limites atteintes, notre esprit n'a d'autre choix que de les repousser, d'en créer de nouvelles qu'il s'efforcera d'atteindre une nouvelle foi et ainsi de suite. Par ce biais, notre esprit sera souvent contraint de se confronter à lui-même, d'affronter ses propres contradictions, de se remettre sans cesse en question, reconnaître ses erreurs, ceci par son ouverture, par sa volonté qui lui fera sans cesse repousser les limites à l'intérieur desquelles il ne cesse d'évoluer, afin de se créer un horizon très vaste dans lequel il pourra effectivement trouver le chemin de l'envol.

 


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