GLFM

Loge : NC

Date : NC


Hermès-Thot

La littérature universitaire s’avère assez diserte quand il s’agit de traiter du dieu grec ; elle l’est en revanche beaucoup moins au sujet de Thot, sans doute parce que l’incidence de ce dernier sur la culture et les sociétés occidentales est nettement moindre. Certes, la civilisation égyptienne antique et sa mythologie (ou religion) ont toujours fasciné les érudits ; mais précisément parce qu’ils étaient des érudits, leurs exégèses sont la plupart du temps restées inaccessibles au grand public - non pas seulement par les obstacles que le lecteur rencontre pour les trouver en librairie ou en bibliothèque, mais encore par la difficulté à les comprendre et les assimiler.

Ainsi, s’il est relativement facile de se procurer et de compulser des ouvrages fournis sur la mythologie grecque, traitant entre autres de ce dieu sympathique qu’est Hermès, appelé Mercure par les Latins, il m’a paru en revanche malaisé de m’approvisionner en documents clairs et détaillés sur celui à qui il a été assimilé, à savoir la divinité ou neter portant le nom de Thot. Quant à Hermès Trismégiste, descendant de ce dernier si l’on en croit certaines généalogies, il fait l’objet d’ouvrages plus nombreux mais à mon sens passablement difficiles.

Délicate était la tâche de clarifier ce qu’on entend par philosophie et écrits hermétiques, et leurs implications dans la Franc-maçonnerie d’aujourd’hui, en particulier celle de Misraïm. Les textes regroupés dans ce que l’on appelle le Corpus Hermeticum sont d’un abord malaisé pour qui n’y est pas préparé, et il n’est pas simple d’en dégager une vision du monde bien établie.

C’est en conséquence une planche imparfaite et forcément incomplète que je vous présente, dont le seul but sera non de révéler les grands mystères d’Hermès-Thot, mais uniquement de les approcher par un exposé factuel des éléments que j’ai pu glaner au fil de mes lectures. J’en appelle donc à votre indulgence (après tout je ne suis qu’apprentie, on ne peut donc, je l’espère, attendre de moi des travaux dignes du 3ème degré).

Je suivrai un ordre chronologique, en présentant Thot, le plus complexe des neter selon René Lachaud, puis le facétieux et néanmoins primordial Hermès grec, et enfin le mystérieux Hermès Trismégiste. Par la suite, je tâcherai d’exposer les implications qu’ont eues ces trois entités pour une partie de la philosophie occidentale, à savoir sa branche ésotérique, en spécifiant pour terminer son impact sur la Franc-maçonnerie d’aujourd’hui.

  • Thot

Djehouti de son vrai nom, dieu d’Hermopolis (anciennement Schmoun), Thot est vénéré dès le Haut Empire et particulièrement sous le Moyen Empire ; il est représenté sous diverses formes : ibis, babouin, parfois lion, homme à tête d’ibis ou parfois de lion, singe à tête de chien, ce qui le rapproche d’Anubis le chacal. Il est tantôt considéré comme le Verbe, le créateur de lui-même, des autres dieux et de l’Egypte, tantôt comme le fils de Rê, son cœur, ou encore d’Osiris ; il est censé avoir régné 7726 ans sur la terre, avant que les dieux ne laissent régner les hommes. Dieu de l’Intelligence cosmique, il est, selon les versions, fils de la Naine, ou sorti de la tête de Seth ensemencé par son neveu Horus (un peu comme Athéna, elle aussi déesse de l’intelligence, mais non cosmique, sortit de la tête de Zeus). Thot juge au nom de Rê ; il assigne aux dieux et aux hommes leurs fonctions, et fonde les villes et leurs limites. Par la suite, il fut identifié au dieu lune Ioh ; or la lune est un astre masculin chargé de magie et qui marque le passage du temps par ses cycles, de sorte que l’on a vu en Thot le Kronos égyptien, maître du temps et du destin, et aussi de la mémoire, puisque selon René Lachaud, il « tient la chronique du royaume et de ses souvenirs ». Il gouverne l’imagination créatrice et la conscience (dont le siège est le cœur), et détient le pouvoir d’accomplir métamorphoses et transmutations : il n’est donc nullement surprenant qu’on lui reconnaisse l’invention de l’alchimie et des sciences de la nature. Ordonnateur du cosmos, il « pèse le monde », c’est-à-dire le maintient dans l’harmonie.

On lui prête encore de nombreux autres attributs : inventeur de l’écriture et de l’arithmétique (il est appelé le « Seigneur des nombres »), il est archiviste, gardien des bibliothèques, et patron des scribes (il est lui-même le secrétaire des dieux). Créateur ou porteur du verbe et de la parole, il est aussi leur messager (qui se dit « hib » en égyptien, aussi Pierre Gordon explique-t-il sa représentation sous forme d’« ibis » par cette étymologie). Pour les Grecs, c’est Thot qui passait pour avoir inventé la philosophie (liée au langage), alors que nous-mêmes, nous avons l’habitude de considérer les Grecs comme créateurs de cette dernière, dans la forme très rationnelle qu’elle revêt dans la civilisation occidentale.

Son rapport au Verbe et au logos est signifié également par son statut de dieu de la magie, art dans lequel la parole créatrice et parfois l’écrit revêtent une grande importance. Ainsi deux usages du langage en apparence opposés, l’argumentative logique et le performatif ésotérique se retrouvent-ils conjoints en la figure de Thot. Son lien avec le sacré, inhérent naturellement à son statut de divinité et de magicien, est encore affirmé par le rôle d’initiateur et de gardien des mystères qu’on lui impute. Il fait donc figure de régénérateur (l’initiation étant gage d’un renouveau spirituel), ce que l’on peut également déceler dans le fait qu’il est le dieu de la médecine, qu’il donne le souffle divin pour l’après-vie (cérémonie de l’ouverture de la bouche), et qu’il aide Isis à rassembler les membres d’Osiris pour permettre la renaissance de ce dernier. Enfin, s’il n’est pas le dieu des morts, il est psychopompe, c’est-à-dire qu’il guide les âmes des défunts dans l’au-delà (attribution qu’il partage avec Anubis selon les différentes lectures que nous avons peu effectuer) ; il procède aussi à la pesée des cœurs, ou « psychostasie », et aux rites funèbres ; il a donc affaire aux mystères de la mort, contrepartie complémentaire de sa fonction de régénérateur.

Nous verrons que plusieurs de ces caractéristiques, et en particulier celles que Thot partage avec l’Hermès grec, revêtent une importance significative pour la Franc-maçonnerie, et pas seulement celle qui relève du rite égyptien.

  • Hermès-Mercure

Sa mère est Maïa, l’aînée des Pléiades, fille du titan Atlas, assimilée par les Romains à une divinité de la croissance et du printemps, soit du renouveau (à ne pas confondre cependant avec la Maïa de la mythologie hindoue, bien qu’elle soit elle aussi un principe créateur) ; son père n’est autre que le grand Zeus. Il est né sur le mont Cyllène, dans une caverne, lieu propice aux initiations.

Dès son plus jeune âge, Hermès montre des aptitudes douteuses pour le vol et la ruse, puisqu’il dérobe le troupeau de vaches de son frère Apollon, qui porte l’affaire à la connaissance de Zeus ; pas démonté pour autant, Hermès tente d’entortiller son père, que l’histoire amuse beaucoup. Finalement, Apollon pardonne, et enseigne même l’art de la divination à « Hermès l’insolent », pour reprendre le titre d’un roman de Sten Nadolny. C’est sans doute d’après ces faits que le garnement devenu grand fut institué patron des voleurs et des marchands (je laisse à chacun le loisir de méditer sur ce rapprochement).

Mais Hermès est bien plus que cela. Le Bailly, dictionnaire grec-français, nous donne cette définition : « dieu personnifiant le double crépuscule du soir et du matin, entraîné dans une course continuelle, disparaissant chaque soir à l’occident pour reparaître chaque matin à l’orient ; dès lors conçu comme un dieu voyageur, protecteur des routes ». Hermès fait donc figure de divinité de l’entre-deux, du seuil et des passages, il n’est donc pas étonnant qu’il soit amené à circuler entre les mondes, que ce soit ceux du divin et de l’humain (Hermès est le plus souvent connu comme messager des dieux, comme Thot ; c’est lui qui se charge de faire savoir la volonté de Zeus aux humains, et aux divinités qui ne séjourneraient pas dans l’Olympe), des vivants et des morts (comme Thot, c’est un dieu psychopompe, il conduit les âmes des défunts vers leur dernière demeure), ou du profane et du sacré (il est en charge des initiations et des initiés, là encore comme Thot).

Avant de revenir sur ce point, fondamental pour nous francs-maçons, citons pêle-mêle quelques autres attributs : inventeur de la lyre, parfois de ce fait considéré comme le dieu de la musique, il est également le gardien des portes et le protecteur des rues et des routes ; dieu du vent, de l’aurore ou du crépuscule, il est symbolisé au centre des carrefours par des pierres, les harmai, des bornes de forme quadrangulaire, ainsi sculptées pour figurer un rayonnement du sacré dans toutes les directions indiquées par les carrefours (ceux-ci sont réputés être des lieux imprégnés de magie ; ainsi au Moyen-Âge pensait-on que les sorcières s’y rendaient la nuit pour pactiser avec le diable). Le sacré est propre à toute divinité, mais dans le cas d’Hermès, il est d’autant plus marqué que son nom découlerait, selon Pierre Gordon, d’une racine sémitique « hrm », signifiant « sacré », précisément.

Hermès relève à la fois de la mort et de la résurrection, tout comme Thot ; ainsi, il est parfois représenté par un phallus (symbole de fécondité), et mis en rapport avec la Mère Terre ; mais il l’est aussi avec la Mère Lune, Hécate, sorcière et déesse des carrefours, et maîtresse avec Hadès et Perséphone du monde souterrain (elle-même est ambivalente, puisqu’on l’associe aussi bien aux morts qu’aux cultes de fertilité). Le sceptre d’Hermès appelé « caducée » est d’ailleurs parfois surmonté d’un croissant de lune ; il lui viendrait de Thot (assimilé au dieu lune Ioh, nous l’avons vu), mais alors que celui de ce dernier représente un scorpion et un serpent, celui du dieu grec figure deux serpents entrelacés. La double appartenance solaire/chtonienne d’Hermès apparaît également dans le choix de ses animaux favoris, à savoir le coq, annonciateur de lumière, et le chien, animal psychopompe ; la présence de ce dernier aux côtés d’Hermès est à l’origine de l’assimilation ponctuelle, sous le nom d’Hermanubis, d’Hermès à Anubis à tête de chien, qui joue lui aussi, dans la religion égyptienne, le rôle de guide des défunts. Pour conclure sur les liens très forts qu’entretient le dieu grec avec l’au-delà, signalons qu’il est parfois chargé de la psychostasie (pesée des âmes), tout comme Thot, bien que ce soit probablement là une fonction à lui attribuée tardivement, au cours du rapprochement progressivement effectué entre les deux divinités.

Il n’est pas aisé de déterminer comment ce dernier a pu s’opérer. Le port du caducée et le rapport à la lune sont des caractéristiques communes à Hermès et à Thot, mais c’est surtout par le verbe, le logos (surnom donné d’ailleurs au dieu grec), que se comprend ce phénomène. Le Révérend Père Festugière affirme qu’« à l’âge hellénistique, les spéculations sur le logos avaient mis en valeur un autre aspect d’Hermès qui devait le rapprocher de Thot. De toute antiquité, en Grèce, Hermès avait été considéré comme le héraut, le messager des dieux, dès lors l’interprète de la parole divine, et Platon, dans le Cratyle (407e ss.), s’était même amusé à faire dériver le nom d’Hermès de celui de herméneus, « interprète » ». Hermès devient un dieu de la transmission du savoir, de l’éducation et de la mémoire. Or Thot exprime aussi le Verbe divin, se fait parfois messager, et se charge de l’instruction des initiés, ainsi que je l’ai précédemment indiqué. D’autres, comme Pierre Gordon, pensent que cette fusion des deux dieux était peut-être due à Hérodote, mais aussi à l’influence du roi Ptolémée dont la politique, au IIIe siècle avant JC, tendait à fondre ensemble les cultes grecs et égyptiens.

Hermès, vivifié par Thot, deviendra le Trismégiste, le maître des pensées transcendantes, le dispensateur de la lumière cachée, le révélateur des secrets initiatiques.

  • Hermès Trismégiste

Hermès Trismégiste est l’auteur supposé de quantité de textes connus sous le nom d’Hermetica ou Corpus hermeticum. On ignore s’il a réellement existé ; plusieurs hypothèses circulent à ce sujet. Ainsi, dans son roman Hermès l’insolent, Sten Nadolny fait-il dire au dieu grec revenu dans le monde contemporain qu’il n’a rien à voir avec le Trismégiste, celui-ci étant un charlatan égyptien pas plus haut que trois pommes, et qui, faisant un complexe d’infériorité à cause de sa petite taille, s’était donné le surnom de « trois fois très grand » ; l’idée est certes plaisante, mais il est hélas à craindre qu’elle ne repose sur rien de sérieux. Cicéron affirme quant à lui qu’il y eut cinq Hermès, le dernier (le dieu que nous connaissons) tua Argos (le géant gardien aux cent yeux, l’histoire est narrée dans les récits de la mythologie grecque) puis s’enfuit en Egypte où il prit le nom de Thot et enseigna les lois et l’écriture ; selon d’autres, il était le fils d’Agathodémon (lui-même fils de Thot) ; mais selon Lactance, ce ne fut qu’un homme, quoique très instruit, d’où son surnom de Trismégiste, lequel apparaît dès le temps de Ptolémée IV Philopator (221-205) : megistos kai megistos kai megistos. Certains ont avancé que cela signifiait qu’il était venu trois fois en Egypte, ou encore qu’il avait connu une triple incarnation, avant, pendant et après le déluge, ou encore que c’était parce qu’il était le troisième Hermès (l’égypto-arabe, après l’égyptien et le gréco-romain) ; mais le Trismégiste explique lui-même la présence du chiffre trois dans son nom par le fait qu’il « possède les trois parties de la sagesse du monde entier ». En tout cas, il est considéré, selon Françoise Bonardel, comme le « modèle mythique de l’initié et de l’herméneute » (trait qu’il partage avec l’Hermès grec), et en islam, comme le père des sages et le prophète des philosophes ; en Egypte, il fut une grande entité civilisatrice, par l’intermédiaire des rites initiatiques. En définitive, nul ne sait qui fut Hermès Trismégiste, et s’il ne fut finalement pas autre chose qu’un symbole ; c’est peut-être Edouard Schuré, dans son étude intitulée Les grands initiés, qui en donne la meilleure définition : « Il désigne à la fois un homme, une caste et un dieu. Homme, Hermès est le premier, le grand initiateur de l’Egypte ; caste, c’est le sacerdoce dépositaire des traditions occultes ; dieu, c’est la planète Mercure, assimilée avec sa sphère à une catégorie d’esprits, d’initiateurs divins ; en un mot, Hermès préside à la région supraterrestre de l’initiation céleste ».

Les révélations hermétiques figurent une gnose, comme il en surgit beaucoup à l’époque hellénistique, en ce que la révélation du Noûs-Dieu, médiatisée par Hermès, permet à l’initié de sauver en lui l’élément divin qu’il portait sans le connaître ; elles sont non seulement importantes par leur nombre, par les domaines qu’elles traitent (philosophie, théologie, astrologie, alchimie, magie…), mais aussi par ce qu’elles nous apprennent d’un certain état de la pensée en un lieu et à une époque donnée, pensée qui a eu de significatives et durables répercussions sur le monde occidental. Beaucoup d’exégètes modernes ou contemporains, comme le Révérend Père Festugière et Louis Ménard, soulignent l’obscurité du texte, non seulement à cause de la langue, mais aussi des concepts qui nous paraissent à nous, imprégnés de 2000 ans de religion judéo-chrétienne, totalement étrangers ; le premier des commentateurs que j’ai cités n’y voit d’ailleurs, malgré l’attention qu’il lui a prêtée (4 volumes de 500 pages chacun), qu’un informe galimatias bien incapable de prodiguer la moindre sagesse.

Clément d’Alexandrie – pour qui toute la littérature sacrée égyptienne remonterait à Hermès -dénombre 42 livres, 36 propres à Hermès et 6 médicaux ; composés en Egypte mais écrits en grec, ils datent ou du moins sont connus à partir de la période hellénistique (Ier siècle avant JC) ; il ne semble pas, du moins à notre connaissance, qu’il y ait eu une littérature d’Hermès en langue égyptienne à l’époque pharaonique. Ces livres sont traditionnellement répartis en 3 groupes :

1. Le Corpus Hermeticum, dont le premier traité est le Poimandrès, sur lequel nous reviendrons ; parmi ces traités ou logoï s’en trouve un qui traite de la régénération par initiation du disciple, lequel doit d’abord se purifier et fortifier son esprit contre « l’illusion du monde » ; les traités du Corpus Hermeticum se rattachent à une tradition ancienne, liée aux oracles divins et à la philosophie hellénistique ;

2. L’Asclepius ou « Discours Parfait », dont l’original grec est perdu, mais qui nous est connu par sa traduction latine : il s’agit d’un débat sur la continuité entre tous les genres d’êtres dans le monde ; l’homme y joue un rôle d’intermédiaire, car en contact avec Dieu et avec les démons ; toujours selon ce texte, il y aurait trois vivants : Dieu, le monde, et l’homme ;

3. L’Anthologie de Stobée, dans laquelle on trouve la Kore Kosmou, ou Pupille du monde, traité dans lequel est exposé un autre mythe démiurgique : Hermès façonne le corps humain pour les âmes viles, qui ont cherché à connaître le secret de leur création ; elles s’incarnent et sont privées de la capacité à voir le divin ; l’homme est ainsi défini comme un mauvais mélange de terre et d’eau ; l’initiation se veut alors rectification (on songe à la phrase VITRIOL bien connue des Francs-maçons).

Ces trois types de textes nous mettent en présence d’Hermès instruisant son fils Tat, Asclépios ou le roi Ammon, ou recevant les révélations du Noûs, le Dieu suprême (sur Dieu, le monde, et l’âme) ; à noter que Christian Jacq affirme, dans Les grands sages de l’Egypte ancienne, qu’Asclépios ne serait nul autre qu’Imhotep (ce qui devrait particulièrement intéresser les frères de cet atelier), mais aussi qu’Hermès Trismégiste serait également l’ultime incarnation d’Imhotep ; j’avoue que ce n’est pas très clair pour moi, car il faudrait en déduire alors que le grand architecte ne ferait que se parler à lui-même…

Le Poimandrès narre le songe dans lequel Hermès voit le Noûs, l’intellect suprême (appelé aussi Poimandrès, c’est lui qui donne son nom au traité) : celui-ci lui fait le récit de la création de l’univers. Il s’agit d’un enchaînement de métamorphoses au cours desquelles se succèdent la lumière et l’ombre, l’humidité et le feu ; puis le Verbe saint surgit de la lumière céleste ; le monde lumineux se démultiplie et instaure le monde des idées, sous l’égide du Verbe, le logos, fils de Dieu. Un second fils de Dieu apparaît, le Noûs démiurge qui fabrique les sept planètes ; avec son frère, il règle le mouvement des astres d’où découle l’apparition des animaux ; un anthropos ou homme céleste naît, qui brise les sept cercles des planètes et s’unit à l’ombre qu’il projette sur le monde d’en bas ; de cette conjonction sortent sept êtres humains, mâles et femelles à la fois. En tombant dans la matière parce qu’il a voulu la contempler, cet être primordial s’est chargé des qualités des sept sphères qu’il a traversées ; de cette chute naissent les formes animées et inanimées, qui gardent une part divine du Noûs et une part matérielle des sphères.

Il y est également question de la remontée des âmes vers le divin : Hermès enseigne sa théorie du salut, car l’âme humaine, née de la lumière, a sombré dans la matière dont elle doit se libérer ; comme plus tard Plotin et le christianisme, l’hermétisme se soucie de la direction des âmes et se définit en partie comme une sotériologie. Il traduit une aspiration à la connaissance de dieu et du tout, ainsi qu’un espoir de régénération après l’exil dans la matière ; selon Zosime, la méthode d’Hermès pour être sauvé consiste à purifier son âme ici-bas de toute passion charnelle susceptible de la rattacher au corps. Un problème se pose cependant, du fait que le Corpus Hermeticum présente deux doctrines inconciliables engendrant deux attitudes opposées : soit le monde est beau, et il convient de le contempler pour rejoindre Dieu (cela est particulièrement évident dans le 5e traité du Corpus Hermeticum, où il est dit que Dieu se révèle et se rend apparent dans les choses qu’il crée) ; soit il est mauvais, et il faut alors s’en détourner pour atteindre le même but. C’est ce dualisme entre le divin et le terrestre qui semble l’emporter dans l’ensemble des traités ; il trouve sa source dans Platon, qui distingue l’intelligible et le sensible, et réapparaît dans les doctrines chrétiennes (notamment dans tout ce qui appelle à se détacher des passions charnelles ; les chrétiens ont ainsi vu en Hermès Trismégiste un prophète susceptible de faire avancer leur cause). La méthode employée consiste à s’attacher à comprendre l’essence divine, mais aussi sa propre nature (ce qui finalement revient peut-être au même, ou presque) ; cela n’est pas sans évoquer la célèbre injonction de Socrate, « connais-toi toi-même », dont l’influence peut aussi être décelée dans la forme dialoguée des traités hermétiques, par laquelle Hermès amène son disciple à trouver lui-même les réponses à ses questions : c’est une technique qui relève de la maïeutique socratique (il est d’ailleurs dit dans le Poïmandrès : « Que l’homme en qui est l’intelligence se connaisse lui-même »).

La pensée hermétique, dans sa volonté de comprendre la nature profonde de l’homme et du monde, instaure des rapports analogiques et homologiques entre le haut et le bas, qui remplacent la vision rationaliste, telle qu’elle s’exprime notamment dans la philosophie aristotélicienne ; ainsi, « chaque fragment du tout correspond et entre en contact avec les autres parties du même ensemble » ; selon le RP Festugière, « depuis l’âge hellénistique et jusqu’à la Renaissance, cette doctrine de l’unité du Kosmos et de la sympathie qui en lie tous les membres a eu valeur de dogme ». On y décèle l’influence du néoplatonisme, des livres juifs, du panthéisme égyptien dépouillé de ses formes symboliques et revêtu des formes abstraites de la philosophie grecque. On comprend alors qu’il ait pu paraître à certains comme un indigeste salmigondis, impression renforcée par des affirmations parfois contradictoires, je l’ai déjà un peu évoqué, oscillant entre pessimisme et optimisme : tantôt les hommes apparaissent comme des mortels incapables de se passer des biens matériels, enchaînés qu’ils sont dans la prison du corps, tantôt comme des êtres d’origine divine pour qui la mort est un mot vide de sens ; en outre, les hommes ne sont pas égaux : certains sont amenés à devenir des initiés capables de comprendre la Lumière, mais la plupart resteront d’indécrottables demeurés ; il est vrai que cette distinction entre les élus et les autres se retrouvent dans bien des religions ou philosophies à caractère initiatique, et que la réalité du monde profane nous montre elle aussi que l’égalité, hélas (trois fois hélas, si j’ose dire) n’existe pas, non seulement sur un plan matériel, mais aussi sur un plan intellectuel et surtout spirituel. Malgré tout, la grandeur de l’hermétisme réside dans cette possibilité affirmée de rejoindre la divinité, même si ce n’est que pour certains, et sur le plan philosophique, dans un refus de morceler les différents champs du savoir, comme le fait le rationalisme (cela pourrait inspirer les tenants du scientisme et du positivisme contemporains…).

Ainsi que plusieurs analystes l’ont remarqué, l’hermétisme alexandrin, qui s’est efforcé de dégager la signification intérieure et profonde des vieux rites, fait le lien entre la pensée rationaliste grecque et le mysticisme chrétien. Il est vrai que l’on a suggéré qu’Hermès Trismégiste ne serait surtout qu’un prête-nom dont on se servait à l’époque hellénistique pour contenter un besoin de révélation qui travaillait beaucoup d’esprits fatigués par le rationalisme ; il est cependant bien plus que cela, puisqu’il connaît son heure de gloire entre le XIVème et le XVIIème siècle, soit bien longtemps après sa période d’émergence (il est vrai que c’est surtout un texte plus récent qui en est à l’origine, à savoir la Table d’Emeraude) ; nous allons y revenir dans un instant.

Laissons d’abord conclure le Révérend Père Festugière, même si ses assertions sont un peu sévères à l’égard de l’hermétisme (il faut dire qu’il prêche un peu pour sa paroisse dans ses ouvrages…) : « Les livres d’Hermès Trismégiste ne peuvent soutenir la comparaison ni avec la religion d’Homère ni avec la religion chrétienne, mais ils font comprendre comment le monde a pu passer de l’une à l’autre. En eux, les croyances qui naissent et les croyances qui meurent se rencontrent et se donnent la main. Il était juste qu’ils fussent placés sous le patronage du Dieu des transitions et des échanges, qui explique, apaise et réconcilie ; du conducteur des âmes, qui ouvre les portes de la naissance et de la mort ; du Dieu crépusculaire, dont la baguette d’or brille le soir au couchant pour endormir dans l’éternel sommeil les races fatiguées, et le matin à l’orient pour faire entrer les générations nouvelles dans la sphère agitée de la vie ».

  • Un prolongement de l’hermétisme : l’alchimie

L’hermétisme connaît un regain important au XIIe siècle, dans la perspective d’une philosophie de la nature, notamment grâce à l’Asclepius, préservé durant le Moyen-Âge, et au Corpus Hermeticum, redécouvert au Xème siècle ; l’hermétisme se manifeste déjà à travers des motifs, des thèmes et des scénarios ou topoï dans nombre de romans « antiques » de l’époque ; à la Renaissance, le Corpus Hermeticum est perçu comme un complément des textes chrétiens (il y aurait d’ailleurs une représentation d’Hermès Trismégiste sur le pavement de la cathédrale de Sienne) ; au XVIème siècle, Hermès Trismégiste et Copernic incarnent les nouveaux fondements de la réforme à venir de l’humanité, réforme à la fois humaniste et hermétiste, scientifique et magique.

L’hermétisme rappelle que le domaine physique des choses visibles et tangibles n’est qu’apparence ; elle propose de se reconnecter au monde invisible de la pensée pure, qui est aussi amour et liberté ; tradition initiatique philosophique, elle rejoint l’alchimie, tradition initiatique artisanale (ses praticiens se désignent d’ailleurs eux-mêmes comme « fils d’Hermès ») ; l’or pur des alchimistes, selon Pierre Gordon, ne serait rien d’autre que la substance dynamique des dieux de l’hermétisme, à savoir Maât. Versant opératif de l’hermétisme, l’alchimie se donne pour but ultime la chrysopée, c’est-à-dire la transmutation en or par la pierre philosophale ou « grand œuvre ». Véhicule spirituel essentiel de l’hermétisme du Moyen-Âge et de la Renaissance, selon Jean-Paul Corsetti, elle est née en Egypte, et l’étymologie du mot (al-kimiyâ) renvoie à la couleur noire de la terre égyptienne. Corollaire de l’art des teintures des métaux, elle prend un tour philosophique au IIème siècle avant JC, notamment avec Bolos de Mendès – mais beaucoup attribuent sa paternité à Hermès-Thot. Elle connaît une longue évolution jusqu’à la naissance de la chimie moderne, et nombreux sont ceux qui ont rédigé des traités ou des essais alchimiques (parmi eux, citons Nicolas Flamel, le Comte de Saint-Germain, Paracelse, Fulcanelli…). Le Révérend Père Festugière nomme « hermétisme populaire » tous les écrits alchimiques, occultistes et astrologiques inspirés par la doctrine hellénistique, mais il faut bien dire que leur difficulté ne les rend pas précisément lisibles par le vulgus pecus (dont je suis).

La transmutation de la matière vile (dont on ignore exactement ce qu’elle est) s’opère en trois ou parfois quatre étapes : l’œuvre au noir (putréfaction et dissolution de la matière par calcination), l’œuvre au blanc (lessivage), à laquelle s’ajoute parfois l’œuvre au jaune (réduction), enfin l’œuvre au rouge (incandescence). Le mercure et le soufre entrent dans le processus (le sel est ajouté par la suite par Paracelse). Le mercure est identifié à Hermès à cause de son rôle d’agent des transmutations (mais cela dans l’alchimie médiévale, car il semble avoir été ignoré de l’ancienne Egypte). Appelé le « mercure des philosophes », Eau d’Hermès, argent-vif, il figure le solvant universel qui réalise la coincidentia oppositorum, à savoir la synthèse parfaite entre les substances mâles et femelles, et leurs qualités opposées ; pour certains, il est à la fois la materia prima, le milieu et le principe dissolvant, le médiateur opérant le passage d’un élément à l’autre, et la pierre philosophale elle-même. A noter que l’expression « hermétiquement clos » vient du sceau hermétique (sigillum Hermetis) qui fermait le vas Hermetis pour que les catalyseurs (éther ou argent-vif) ne s’échappent pas.

Les motifs apparemment purement pratiques, sinon matérialistes et mercantiles de l’alchimie ne doivent pas nous leurrer : en réalité la pierre philosophale, l’aurum non vulgi, l’aurum potabile symbolise la perfection de l’âme par métamorphoses successives, et la materia prima, la boue, l’âme pleine de scories. L’œuvre au noir, étape dénommée parfois « descente aux enfers », est un initium, un début ; elle se réfère à la mort métaphorique du néophyte, à son début d’initiation, représentée chez nous par l’épreuve du cabinet de réflexion.

Parfois appelée « métaphysique expérimentale », l’alchimie est la recherche d’une connaissance supérieure de soi, du monde, de l’être (dans le cadre philosophique qu’est l’hermétisme) ; elle est placée sous le signe de la métamorphose de l’informe ou de l’imparfait vers une forme pure, idéale. Par l’observation de la nature, il s’agit de libérer l’esprit de la matière, et la matière par l’esprit. Les opérations alchimiques s’apparentent à autant de rites auxquels on ne procède qu’après avoir été initié, et sont axées sur la dialectique mort-résurrection ; ce dernier point, ainsi que le souci de perfectionnement spirituel, montrent que l’ésotérisme alchimique n’est pas fort éloigné des desseins maçonniques.

  • La Franc-maçonnerie

Déceler tout ce qu’Hermès-Thot a apporté à la Franc-maçonnerie aurait nécessité des recherches qui ne relèvent pas de mon degré ; sans doute suis-je passée à côté de révélations cruciales au fil de mes lectures, parce que je n’étais pas préparée à les appréhender. Aussi me contenterai-je de vous exposer des éléments assez simples.

L’on peut par exemple souligner que le nom de Thot signifierait « colonne » en égyptien ; comment ne pas songer alors à celles du temple, celles qui en soutiennent l’architecture, en forment l’assise, mais aussi aux piliers du naos, qui entourent l’autel où brillent les joyaux de la loge ? Si la Franc-maçonnerie nous invite à édifier, à force de travail spirituel, notre temple intérieur, alors Thot pourrait figurer, par son enseignement, celui qui structure notre élévation et en fournit les bases. La colonne sépare certes le toit du sol, le haut du bas, mais elle est aussi ce qui les relie, tout comme le fil à plomb ; la célèbre formule hermétique qui affirme que « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » trouve peut-être son illustration dans la présence de ces colonnes (deux d’entre elles, portant le nom de Jakin et Boaz, permettent la circulation de l’énergie dans le temple, du bas vers le haut et inversement).

Quelques autres faits nous invitent à retrouver la trace de Thot dans nos rituels : ainsi, pour les Ecoles des Mystères de l’Antiquité, ce neter est-il représenté sous la forme d’un triangle équilatéral, et dans nos temples, un triangle figurant le grand architecte de l’univers se trouve à l’orient, derrière le Vénérable Maître ; en outre, nous avons vu que Thot était assimilé au dieu Lune ; or c’est la Lune qui gouverne la colonne du nord, celle des apprentis, dont le dieu égyptien avait la charge ; au rite égyptien, Thot donne son nom au secrétaire, gardien des archives ; enfin, des textes anciens affirment que pour recevoir la sagesse dont Thot est la personnification, il est nécessaire de garder le silence : on pense alors au silence que doit garder l’apprenti en loge, mais aussi à celui que doivent garder tous les initiés dans le monde profane sur leurs activités maçonniques.

Quant à l’Hermès grec, il est un initiateur, comme Thot, mais il est aussi le prototype des initiés. Selon le mythologue Karl Kerényi, il est « l’archétype de l’enfant primordial » - par conséquent opposé au vieil homme dont chaque candidat à l’initiation doit se débarrasser ; divinité tutélaire des métamorphoses, il préside à toute transmutation, et donc à celle induite par le parcours initiatique ; pasteur des troupeaux puis des hommes, il est appréhendé comme un guide spirituel, ce que confirme la présence d’ailes, symboles d’élévation, sur son caducée et ses sandales. Nous avons vu en outre qu’Hermès avait une fonction psychopompe : c’est lui qui conduit les âmes aux Enfers, au royaume d’Hadès ; personnellement, cela m’évoque la première partie de la sentence « visite l’intérieur de la terre, et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée », et le rituel du cabinet de réflexion, rituel de mort et de résurrection propre à toutes les cérémonies initiatiques dont Hermès était considéré comme le créateur. Selon Pierre Gordon, ce rituel particulier revêt une importance considérable, puisqu’il serait à l’origine de tout sacerdoce et de toute religion. Toujours d’après ce chercheur, « en tous pays, les néophytes et les initiés nouveaux sont représentés par des pierres, identifiés ontologiquement avec eux » ; or c’est sous forme de pierre taillée qu’est représenté Hermès aux carrefours, et c’est aussi une pierre taillée, ou plutôt que le futur apprenti fait mine de tailler, qui se trouve à l’orient de nos temples. Sans surprise, et toujours en rapport avec son rôle d’initiateur, on le dit dieu du sommeil, car pour reprendre les propos de Pierre Gordon (pseudonyme, paraît-il, d’un Franc-maçon de haut grade), « la mort initiatique est un sommeil des sens » ; le grec, d’ailleurs, rapproche en une paronomase heureuse l’« initiation » teletê de la « mort » teleutê. Hermès est appelé Sôter, « sauveur », dans les Choéphores d’Eschyle, qui en fait le souterrain souverain des morts ; de fait, il sauve le néophyte par une mort symbolique qui promet à ce dernier la renaissance, et c’est bien « Hermès souterrain » qui est nommé comme guide par l’expert-Anubis, dans notre rituel, lors de la cérémonie de purification incluse dans l’initiation.

Deux petits détails qui peuvent paraître anecdotiques, mais que je mentionne néanmoins à toutes fins utiles : lorsque Hermès nourrisson entreprit de voler les vaches d’Apollon, il s’enfuit en marchant à reculons, ceci afin de brouiller les pistes ; même si cela n’était qu’une ruse (qui échoua lamentablement, d’ailleurs), on ne peut s’empêcher de penser à un processus régressif, et en ce qui me concerne, au travail introspectif nécessité par l’initiation. Et pour terminer, Hermès est le dieu des voyageurs ; or ne sommes-nous pas, francs-maçons, appelés à voyager nous aussi, dès que compagnons, afin de parfaire notre instruction spirituelle ?

Concernant l’hermétisme, il est certain que son influence dans la franc-maçonnerie revêt une importance notable, mais j’admets avoir de la peine à vraiment l’appréhender, dans la mesure où cette philosophie m’est demeurée passablement obscure et difficile d’accès ; cependant, il me semble que comme l’hermétisme, la Franc-maçonnerie s’attache à l’analyse des correspondances du microcosme et du macrocosme, et qu’elle cherche les lois communes d’organisation de l’homme et du monde à travers l’étude des symboles, particulièrement dans les obédiences de rite égyptien.
Pierre Gordon, toujours lui, nous apprend en outre que « les fêtes d’Hermès avaient été, à l’origine, non de simples fêtes de la jeunesse, mais des fêtes transformatrices de l’être humain et de la société humaine, des cérémonies qui communiquaient à tous les membres du groupe social la même substance immortelle, et en faisaient des êtres égaux, communiant tous pareillement dans l’énergie transcendante ». Ces fêtes me paraissent pouvoir être rapprochées des tenues maçonniques, lorsque les frères et sœurs, ayant quitté le monde profane pour le sanctuaire du temple, se retrouvent afin d’œuvrer ensemble, unis et semblables, et qu’un égrégore se forme qui insuffle à chacun l’énergie de transposer dans le monde ce qu’il aura appris et vécu en loge.

Y a-t-il eu des confréries hermétiques, qui auraient pu servir de modèles à des ordres initiatiques ultérieurs, comme la franc-maçonnerie ? Reizenstein semble le croire, mais il n’y a pas de traces de cérémonies pour les fidèles, et selon le Révérend Père Festugière, l’hermétisme répugne au culte. Mais par l’initiation à laquelle il invite, il conduit l’individu à dépasser sa condition d’humain et de mortel et se rapprocher de la divinité ; Pierre Gordon déplore que la pensée humaine ignore désormais les disciplines de mort et de résurrection nécessaires à l’élévation spirituelle ; il ne devrait pas : elles subsistent encore, et c’est heureux, dans la Franc-maçonnerie ; il nous importe donc d’en maintenir l’esprit et la portée.

Qu’ai-je retiré de mes recherches ? Un peu plus de connaissances sur ce dieu changeant qu’est Hermès, son ascendance symbolique (le neter Thot), les prolongements philosophiques et maçonniques des concepts qui lui étaient rattachés, et davantage de compréhension de l’attirance que j’ai toujours éprouvée pour lui. De fait, ce dieu mouvant, maître des passages, des carrefours et des transmutations, m’a non seulement intéressé pour sa capacité à faciliter les métamorphoses, nécessaires à l’évolution et l’élévation de chacun, mais aussi parce qu’il est le dieu psychopompe, celui qui guide les âmes vers les profondeurs de la terre. Par métaphore, je le conçois comme celui qui invite à l’introspection, à la catabase, à une descente au cœur de nos propres enfers, parmi nos doutes, nos craintes, nos lâchetés, nos démons personnels. Si dans les récits mythologiques il reconduit très rarement les morts parmi les vivants, en revanche lorsqu’il se fait initiateur, il nous ramène toujours à la lumière, plus forts et plus instruits de notre passage parmi les ombres, qui pourraient être figurées, par exemple, par l’obscurité du cabinet de réflexion. C’est donc un dieu d’espoir, en ce sens qu’il nous aide sur notre chemin de connaissance de soi et de progression spirituelle ; et de ce fait, un dieu précieux pour les francs-maçons.

Sources :

Jean-Paul Corsetti, Histoire de l’ésotérisme et des sciences occultes.
René Lachaud, L’invisible présence, Les dieux de l’Egypte pharaonique Kybalion.
Françoise Bonardel, L’hermétisme.
Christian Jacq, Les grands sages de l’Egypte ancienne.
RP Festugière, La révélation d’Hermès Trismégiste (4 tomes).
Louis Ménard, Hermès Trismégiste (édition et traduction).
Edouard Schuré, Les grands initiés.
Pierre Gordon, Le Mythe d’Hermès.

Il aurait fallu plusieurs planches pour traiter en profondeur chacun des points abordés, et de nombreuses lectures, ressassées jusqu’à en retirer la « substantifique moelle », comme disait Rabelais ; mais le temps qui m’était imparti ne le permettait pas - que ce soit le temps de l’exposé ou celui de sa préparation. Aussi, si mon Vénérable Maître le permet, je me réserve la possibilité de revenir sur ce sujet ô combien riche, et j’en ai bien peur, inépuisable, et de l’aborder dans des exposés ultérieurs. Il m’a en tout cas fasciné et ouvert des perspectives insoupçonnées : j’étais partie avec l’idée de parler d’un dieu, de mythologie, sujet qui m’était de prime abord familier, et je me suis trouvée embarquée, si vous me passez l’expression, dans l’exposé d’une philosophie, d’une doctrine, d’une sagesse, nées dans l’Egypte ancienne et dont l’influence a perduré jusqu’à nos jours - dans la Franc-maçonnerie. Je dois avouer que l’hermétisme m’a paru, par moments, bien porter son nom et mériter la seconde signification qu’on lui attribue, à savoir « obscurité », « difficulté ». Sans doute n’étais-je, et ne suis toujours pas prête à recevoir son enseignement ; j’espère que ce sera un jour le cas.

Si j’ai tant tardé à écrire cette planche, c’est que j’étais prise par des activités profanes importantes pour ma carrière dans le monde et pour mon épanouissement personnel. A cause d’eux, j’ai parfois sacrifié mon engagement maçonnique, et je le déplore ; ce fut douloureux, croyez-le bien, et pourtant nécessaire, même si j’en ai douté. Aujourd’hui, à l’aube de mes 40 ans, je veux ouvrir un nouveau cycle, plus réflexif et plus spirituel ; et je suis persuadée, mes sœurs et mes frères, qu’avec votre aide et à vos côtés, je ne peux que progresser.

J’ai dit, Vénérable Maître.

S\ C\ de la GLFM


7394-1 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \