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Un Grand Orient de France confronté à son époque

 
 
Nos Anciens nous montrent l’exemple. Parmi eux, des utopistes, des visionnaires, des précurseurs, des créateurs. Ils s’appellent Claude Nicolas Ledoux, Victor Considérant, Jean-
Baptiste Godin, Ferdinand Buisson, Léon Bourgeois. Ces francs-maçons n’ont eu de cesse de transposer la symbolique du Temple dans la Cité, pour le bien de leurs contemporains et des sociétés futures. Tous ont en commun d’avoir imaginé des organisations urbaines et politiques redimensionnées sur la femme et l’homme, imaginer de nouvelles architectures qui participent au progrès de l’humanité.
 
La Cité Idéale de Claude Nicolas Ledoux, architecte de Louis XV, est notre première référence. Elle fut à la fois son œuvre majeure et la quête de toute une vie. Car la saline royale d’Arc et Senans ne fut jamais achevée. Ledoux conçut l’ensemble architectural en forme d’un demi-cercle de 370 mètres de diamètre, comprenant les installations techniques et les logements des ouvriers. La maison du directeur rappelle « La Rotonda » de Palladio en
Italie. Vous avez pu voir le plan de ces deux architectures au Musée des Beaux-arts en 1997 et au château de Tours en 2002, à l’occasion d’expositions internationales sur la Franc-maçonnerie.
 
Le demi-cercle parfait de la saline, l’alignement et la symétrie quels que soient les points de vue, l’harmonie et l’indépendance qu’aurait pu acquérir une telle cité, logeant ses ouvriers, les nourrissant, leur offrant des activités en font une oeuvre idéaliste du 18e siècle.

Notre deuxième référence, c’est Le Phalanstère de Charles Fourier et de Victor
Considérant, son plus fervent disciple. Imaginé dans la première moitié du 19e siècle, le phalanstère est une sorte d'exploitation agricole avec des bâtisses pour le logement et l'amusement, pouvant accueillir 400 familles au milieu d'un domaine de 400 hectares où l'on cultive les fruits et les fleurs avant tout. C’est un ensemble de bâtiments à usage communautaire qui se forme par la libre association et par l'accord affectueux de leurs membres. Les phalanstères ont vocation à former le socle d'un nouvel État. Ces pensées révolutionnaires sur l’organisation du travail, sur les relations entre les sexes, entre l’individu et la société apparaissent comme précurseur du socialisme et du féminisme français. Mais leur mise en œuvre échouera, les remisant dans le monde d’Utopia, la société idéale imaginée par
Thomas More 300 ans plus tôt.
 
Excepté le Familistère du célèbre fabriquant de poêles en fonte émaillée, Jean-Baptiste Godin, notre troisième référence. Le familistère est le nom donné par Godin aux bâtiments d'habitation qu'il fait construire à Guise pour ses ouvriers et leurs familles dans les années 1860 - 1880. C’est ce qu’il appelle le « Palais Social de l’avenir ». Il transforme l'entreprise en coopérative de production en mettant en place grâce aux bénéfices tout un système de protection sociale. Il crée des caisses de secours protégeant contre la maladie où les accidents du travail. Il prolonge jusqu’à 14 ans la scolarité des enfants promis au travail à l’usine dès l’âge 10 ans. Il assure une retraite aux plus de 60 ans. Au-delà des aspects matériels de l'œuvre, le familistère doit amener à une élévation morale et intellectuelle du travailleur, lui permettre de retrouver l'estime de soi et son indépendance vis-à-vis de la société bourgeoise. Le familistère disparaîtra en 1968.
 
Notre quatrième repère est Ferdinand Buisson et l’émancipation des esprits. Il est célèbre pour son combat en faveur d’un enseignement gratuit et laïque. Grand commis de l’Etat, député proche de Jules Ferry, il préside en 1905 la commission parlementaire qui rédige le texte de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. C’est à lui qu’on doit le substantif de « laïcité ». Il crée le premier orphelinat laïque, et défend ardemment l’enseignement professionnel obligatoire et le droit de vote pour les femmes. Agrégé de philosophie, il est successivement, président de la Ligue de l’Enseignement, président de l’Association nationale des Libres Penseurs, cofondateur et président de la Ligue des Droits de l’Homme. C’est un ardent partisan de la première heure de la Société des Nations (SDN), et se consacre au rapprochement franco-allemand après la première guerre mondiale, ce qui lui vaudra le prix Nobel de la Paix en 1927.
 
Léon Bourgeois et la pratique de la solidarité est notre dernier repère, mais non le moindre. Pendant plus de 40 ans, le parcours public de Léon Bourgeois impose le respect. Ce ne sont que des postes et des titres prestigieux. Je vous rappelle les principaux : président de la Ligue de l’Enseignement, ministre de l’Intérieur, des Affaires étrangères ou de l’Instruction public, président du Conseil, président de la Chambre des députés, président du Sénat…

Premier président de la Société des Nations en 1919, Léon Bourgeois reçoit le prix Nobel de la Paix un an plus tard.
On lui doit une nouvelle philosophie politique, le solidarisme. Philosophiquement, c’est la responsabilité mutuelle qui s’établit entre deux ou plusieurs personnes, un lien fraternel qui oblige les êtres humains les uns envers les autres, se faisant un devoir d’assister ceux de leurs semblables qui sont dans l’infortune. Politiquement, le solidarisme s’inscrit entre le libéralisme individualiste et le socialisme collectiviste. C’est le radicalisme. Il peut seul favoriser la construction de la République, celle de la main tendue contre le poing fermé, celle de la mutualité règle suprême de la vie commune contre la charité réduite à une pitié agissante. Il suggère le principe d’un devoir social que chacun devrait remplir. C’est au nom de la solidarité que Léon Bourgeois défend le principe de l’impôt sur les successions, sur les revenus, et la mise en place d’une retraite pour les travailleurs.
 
En 1967, le Grand Maître Paul Anxionnaz rend hommage à Léon Bourgeois en ces termes :
Si nous, francs-maçons du Grand Orient de France, vouons un culte particulier à sa mémoire, c’est parce qu’il n’est sans doute pas d’homme d’action, d’écrivain, de penseur dont l’œuvre tout entière ait été à un plus haut degré imprégnée de pensée et de fraternité maçonnique.
 
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Bien que conscients de nos faiblesses, c’est à ce genre d’utopistes, de visionnaires, de précurseurs, de créateurs des siècles passés que nous souhaitons nous référer. Ces cinq génies de l’humanité ont contribué à son progrès en imaginant une cité idéale dans laquelle la liberté de conscience, l’égal respect de l’individu quel que soit le sexe, le devoir de solidarité entre les hommes ou entre les peuples, l’accès à la connaissance pour tous, la mutualisation des richesses… sont autant de défis récurrents que nos Anciens ont relevés. Par leur engagement exemplaire, ils vont nous aider à propager les principes et les valeurs du Grand Orient de France au sein de la Cité.
 
En novembre dernier, le Grand Maître se déplaçait à Montpellier, à La Paillade plus précisément, pour parler d’égalité des chances avec des représentants du monde associatif de ce quartier dit « défavorisé ». Pour dire que le Grand Orient de France et les habitants des quartiers « difficiles » ont en commun une originalité créative, pour dire qu’il est nécessaire de partager à la fois une conscience sociale et une vision globale de la société, sur fond de laïcité ; pour dire que la Franc-maçonnerie est une pensée multiple et complexe, pas celle des fondamentalistes de tous bords ; pour dire que malgré notre capacité à porter haut la réflexion et à prôner une philosophie politique, nous ne prétendons pas avoir réponse à tous les maux ; pour dire qu’il faut faire attention à l'appropriation de la vérité.
C’est l’objet de nos travaux à l’intérieur comme à l’extérieur du Temple. L’utopie qui nous anime serait qu’un jour la symbiose soit parfaite entre l’Art Royal et la vie en société, jusqu’à ne faire plus qu’Un.

Publié avec l'aimable autorisation de : Jean-Philippe Marcovici

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