Obédience : NC Loge : NC Date : NC

Géométrie, Art du Trait, 
Pourquoi le Compagnon doit’il être Géomètre ?

Du grec " mesure de la terre ", la géométrie a sans doute été d'abord l'art des scribes de Pharaon replaçant les bornes des champs déplacées par les crues du Nil pour restituer à chaque paysan sa parcelle. C'est aussi devenu l'art des architectes et des bâtisseurs, puis avec quelques aménagements, celui des astronomes/astrologues dans tout le " croissant fertile ". Pour devenir enfin l'outil des " mathématiciens " grecs, arabes... puis actuels.

Quels sont les outils du Compagnon, que voit-on en loge, ou sur le tapis de loge ?
Maillet et Ciseau; Équerre et Compas; Règle et Levier; Niveau et Perpendiculaire.
Les deux premiers( maillet et ciseau) servent à exécuter, le levier sert à déplacer, les autres outils ( équerre, compas, règle, niveau et perpendiculaire) permettent de mesurer, tracer, vérifier, opérations de géométrie autant que d'architecture ou de maçonnerie.
La géométrie n'apparaît cependant vraiment qu'avec le deuxième degré. La marche d'Apprenti ou de Compagnon nous apportent un éclairage à ce sujet: linéarité de celle d'Apprenti, le Compagnon - s'écartant de la ligne droite - découvre le plan.

On peut appréhender la géométrie en commençant par recenser les figures simples,  triangle , carré, étoile, cercle et spirale.

Le triangle est un polynôme à 3 sommets donc à 3 côtés ; c’est la figure originelle en géométrie. Il est associé au nombre 3, synthèse de ce qui apparaissait opposé, représentation intelligible de l'unité. Il renvoie donc à une notion d'unité, d'harmonie. Il symbolise l'esprit, particulièrement en loge d'apprenti avec le delta lumineux représentation du Grand Architecte de l'Univers. On le trouve présent bien d'autres fois:
   * Les trois grandes lumières (Volume de la Loi Sacrée, Compas, Équerre);
   *Sagesse, Force et Beauté;
   *Soleil, Lune et Maître de la Loge;
   *Maître de la Loge et les deux surveillants.

Le carré est un quadrilatère plan qui a 4 côtés égaux et 4 angles droits. Il est associé au nombre quatre, les quatre éléments, c'est la matière, c'est la totalité de l'univers créé, comme dans les expressions les quatre vents, les quatre terres les quatre océans.
Le carré nous rattache à la terre, comme les pyramides d'Égypte s'ancrent dans le sol par un carré, s'élevant à partir du point d’intersection des diagonales par des faces triangulaires. Le carré c'est la terre par opposition au ciel, la matière par opposition à l'esprit, ce sont les quatre points cardinaux.
Le carré c'est la forme de l'habitation de l'homme, c'est aussi la Jérusalem céleste, comportant des portes dans les quatre directions. Le trône du Roi ou du Dieu est lui-même carré.
Il est un symbole de la stabilité. Stabilité parce qu'il faut une énergie considérable pour amorcer le basculement d'une pierre cubique, c'est donc aussi l'instant arrêté, en opposition à la roue qui tourne.
Le carré long qui en dérive, est la forme de notre loge. Cette forme est plus généralement usitée que le carré pour le temple habitation du Dieu.

Cinq est le nombre nuptial des pythagoriciens, car somme des deux premiers nombres premiers l'un pair/féminin: le deux, l'autre impair/masculin: le trois. De cette union du masculin et du féminin naît l'homme étape ultime de la création, de la Genèse.
Cinq c'est le nombre de l'homme qui domine le quatre de la matière. Quatre c'est la Croix - la matière - et en son centre le Fils de l'Homme - la quintessence.

L'étoile à cinq branches est une image symbolique de l'Homme, tête bras et jambes formant les cinq pointes. L'étoile est un élément céleste lié à l'esprit.
L'étoile, c'est non seulement la quintessence, le dépassement de la matière, c'est aussi l'unité retrouvée. Nietzsche fait dire à Zarathoustra :
« Je vais parmi les hommes comme parmi des fragments du futur, de ce futur où plonge mon regard. Ma seule ambition de poète est de recomposer, de ramener à l'unité, ce qui n'est que fragment, énigme, effroyable hasard » 
L'homme cesse de n'être qu'un fragment de lui-même quand il se développe harmonieusement dans toutes ses dimensions, lorsqu'il pense et réalise, selon une volonté ordonnée  cette transformation - comme dans le travail maçonnique - au lieu de laisser le champ libre au hasard.
On peut voir dans l'étoile le symbole de l'homme dans la plénitude de son humanité.

Le cercle est une surface plane limitée par une courbe dont tous les points sont à égale distance d’un point fixe appelé centre. Il est symbole de l'infini, n'ayant ni début ni fin contrairement au carré. Symbole du Ciel, lui-même infini.
C'est le temps qui s'écoule de façon infinie (éternité). C'est aussi l'orbite des planètes qui elles-mêmes sont représentation du temps quand elles ne sont pas tout simplement outils de mesure du temps.
C'est une image de l'unité principielle, originelle; à l'image du serpent qui se mord la queue. Le cercle est homogène dans toutes les directions: il est identique à lui-même quelle que soit la direction d'où on le regarde.
Cercle se dit en sanskrit mandala . Le mandala, est un dessin géométrique complexe comprenant diverses figures géométriques dont des cercles et des carrés. C’est un support symbolique de la méditation.

On trouve dans l'architecture arabe - notamment funéraire - l'association carré/cercle: le tombeau repose sur la terre par une base cubique et s'élance vers le ciel par un dôme hémisphérique.
Il est également associé au carré dans la représentation de Léonard de Vinci représentant un homme s'inscrivant dans un cercle et un carré. Peut-être pour situer l'être humain quelque part entre le carré de la terre et le cercle du ciel ?

La spirale géométrique est une courbe plane dont le rayon est une fonction constamment croissante. C’est un objet curieux. En la parcourant on fait le tour du centre et on a l'impression de revenir au point de départ. En fait il n'en est rien, si on aperçoit le centre dans la même direction, on s'en est en fait éloigné dans une progression donnée, contrairement au cercle où " tous les points sont à une même distance d'un point appelé centre du cercle ". Ainsi, dans une spirale tout à fait classique où le rayon progresse arithmétiquement de deux unités à chaque tour, si au point de départ on est à 3, au tour suivant à 5 puis à 7 au 3ème: on peut reconnaître par là que s'il est fréquent pour l'Apprenti et le Compagnon de revenir sur le même problème, il ne le fait pas de façon identique: il a progressé entre les deux (en est-il de même pour le Maître ?).
C'est comme tout apprentissage: on repasse souvent sur la même question, mais entre deux passages on a acquis tout un ensemble de choses et à chaque passage on regarde le problème avec plus d'expérience, plus de recul. La distance entre ces deux passages, c'est l'expérience acquise, c'est une forme d'accroissement de dimension de l'individu qui s'enrichit à chaque tour et c'est bien pour changer de dimension que l'on demande à être reçu Franc-Maçon.
La lettre G au centre de l'étoile flamboyante n'est-elle pas l'amorce d'une spirale ?

On voit toute l'importance prise par l'étude des figures géométriques pour le Compagnon. Il lui faut savoir les tracer avec les outils dont il dispose.
L'art du trait est un niveau d'abstraction entre l'esprit, l'imagination créatrice et le réel, le matériel.
Le débutant doit se contenter de représenter ce qu'il a vu. L'art du trait lui permet de conserver sur le papier un croquis d'une oeuvre de ses prédécesseurs dont il pourra s'inspirer.
À un degré plus avancé d'évolution, cela permettra au compagnon de travailler en traçant ce qu'il doit découper, tailler en analysant le plan que le Maître lui a confié.
S’il devient maître, l'art du trait lui permettra de créer, concevoir un projet et de le décrire à chacun de ses compagnons.

En vertu d'une progression en spirale, le Maître à son tour - comme Villard de Honnécourt - peut relever des croquis des oeuvres de ses prédécesseurs lors de ses voyages. Mais son dessin n'est pas seulement une simple représentation de ce qu'il voit, c'est une synthèse. Il décrypte les formes géométriques sous-tendues invisibles pour le profane.
L'art du trait permet donc de progresser depuis le verbe - la conception initiale - jusqu'à l'action - réalisation: la découpe du bois ou la taille de la pierre.

L'art du trait permet ensuite, dans une approche plus symbolique, de lier construction et sacré. Un exemple:
Je me suis longtemps interrogé sur la position des cathédrales. Convaincu qu'elles étaient orientées est-ouest (porche et tours vers l'ouest, choeur vers l'est, direction de la prière). Il m’a fallu assister à la conférence de Thierry DECHAMPRY pour découvrir qu’ il suffit de regarder attentivement un plan détaillé pour s'apercevoir que l'axe présente un léger décalage par rapport au parallèle local. En fait, l'axe dépend du patronage espéré. Prenons la cathédrale de Toulouse dédiée à Saint Etienne  que l'on fête le 26 décembre.  Le maître d'oeuvre faisait dégager la place approximative de la cathédrale et  plaçait un " gnomon " au centre,(le gnomon servait à mesurer la position des étoiles et du soleil, il est toujours le nom de la tige métallique d’un cadran solaire ). Il  vérifiait ensuite la position du lever du soleil le 26 décembre et traçait l'axe passant par le gnomon, axe principal de l'édifice puis il traçait au sol l'emprise de l'ensemble du monument. On a ici un lien étroit entre la géométrie et l'architecture d'un côté et de l'autre l'astronomie et le sacré.

Une fois appris l'art du trait, que m'enseigne la géométrie? Pourquoi le Compagnon doit-il être géomètre ? Prenons une définition du symbole un peu provocante (" la voie symbolique " de Berteaux): [le symbole est le] " ... Lieu entre le jour et la nuit, juste à la limite où la raison l'éclaire et au-delà duquel commence le délire ou l'inspiration. "
L'intuition est un rêve éveillé, on sait combien l'esprit peut vagabonder, sauter d'image en image, de concept en concept, par un raisonnement de type analogique, ce qui est une démarche extrêmement riche, extrêmement féconde, mais qu'on ne maîtrise pas puisque cela fonctionne d'autant mieux que justement, on a renoncé au contrôle, qu'on a " lâché prise ".
C'est une définition du symbole qui montre les limites de l'esprit de finesse comme l'appelait Pascal. Cette perception globalisante, ne peut se fixer de limites. On pense au symbole, on le travaille, mais jusqu'où ? L'intuition seule ne peut assurer que l'on est dans l'inspiration et que l'on a évité le délire.
Pour éviter la folie, le garde-fou c'est peut-être l'esprit de géométrie.
En philosophie, on peut réfléchir sur l'aphorisme de Platon que celui-ci aurait placé à l'entrée de son Académie: " nul n'entre ici s'il n'est géomètre ". En prenant en compte que cette Académie enseignait la philosophie et que Platon, contemporain d'Euclide voyait la géométrie comme une science rigoureuse, on peut reformuler ainsi cet aphorisme: pour devenir pleinement un philosophe, il faut avoir acquis au préalable la capacité de raisonner, de démontrer.
Il faut aussi sans doute, dans l'esprit de Platon, avoir le sens du concret, le sens du réel.

Être géomètre c'est à la fois appuyer ses raisonnements sur des choses tangibles, voire partir de constatations physiques et par ailleurs raisonner rigoureusement à partir des prémices pour aller vers la conclusion.
Il faut bien comprendre les deux notions avancées par Pascal: esprit de finesse (intuition) et esprit de géométrie (raison) ne peuvent aller que de concert.
L'esprit de géométrie , la raison, seul ne permet pas d'avancer. Pour ceux qui ont pratiqué les mathématiques, il permet de démontrer ce que l'intuition a fourni à l'esprit, mais une succession de raisonnements ne conduit en règle générale nulle part: on a l'impression de se déplacer en aveugle dans un labyrinthe.

L'esprit de finesse, intuition, seul est dangereux parce que sans limite, il affirme, condamne sans défense car il n'admet pas la réfutation ou le débat qui impliquent la raison. On peut penser aux excès du Moyen-Âge où la science et l'esprit de géométrie étaient relativement absents.
L'art du trait me permet de lire dans l'humanité, dans l'histoire d'où je viens et où je vais. De comprendre le déploiement du Grand Oeuvre par le Grand Architecte de l'Univers dont je suis un maillon et quelle est ma place dans ce Grand Oeuvre, c'est cela que nous pourrions appeler la géométrie sacrée.

Cela me permet d'appréhender et d'aller vers une meilleure compréhension de la cohérence et de l'harmonie du monde qui m'entoure, de pressentir les lois qui le régissent, pour prendre appui sur ces lois et m'aider dans ma propre transformation, comme l'Architecte - quand il trace le plan d'un ouvrage - s'appuie sur les lois de la nature, loi de la gravitation, résistance des matériaux, force du vent pour ne pas les contredire, ce qui serait fatal à l'ouvrage !

Une des dimensions essentielles de la géométrie pour le Compagnon est la mesure. Nous avons déjà parlé des rapports entre nombre et géométrie reliant 3 à triangle, etc.
Par mesure on peut déjà entendre la juste mesure, agir avec mesure, c'est-à-dire être maître de soi-même.
La mesure pour les scientifiques est un rapport entre une grandeur et une autre - étalon servant d'unité. La dérivée immédiate en est la proportion: rapport entre deux mesures et son corollaire: la beauté, l'harmonie. On peut penser au rapport du nombre d'or qui a guidé les artistes et les architectes. Cette connaissance guide le Maître lors de la conception et à l'aide de l'art du trait il esquisse l'ensemble de l'oeuvre à réaliser par les Compagnons. Cela lui permet de concevoir, ce qui alliera la résistance aux éléments assurant la durabilité du temple qu'il projette, à l'esthétique correspondant à son sentiment religieux; l’ensemble favorisant l'harmonie sur le plan acoustique. C'est ce subtil assemblage, cette subtile alchimie qui fait que lorsque l'on pénètre dans une cathédrale on est surpris par cette harmonie, indépendamment d'ailleurs de tout sentiment religieux.

La juste mesure c'est le respect des lois transmises par une chaîne de tradition permettant cette harmonie. N'en est-il pas ainsi dans le Temple en construction de la Franc-Maçonnerie où la juste mesure permet à chacun de trouver la place où insérer sa Pierre en harmonie au sein de l'égrégore ?

Vénérable Maître, j'ai dit.

JM T

L'auteur de cette planche a largement emprunté à la planche La Géométrie

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