GLFF Loge : NP Date : NC


La Prudence

Ce choix de sujet n’est  pas le fait du hasard, d’ailleurs aucun de nos choix n’est le résultat du hasard, il reflète toujours une part de notre sensibilité, un trait de notre caractère, une résurgence de notre moi.

Cette planche commencera par une anecdote et nous amènera à suivre un voyage de la compagnonne que je suis aujourd’hui, explorant avec prudence le monde de la connaissance de soi et toujours à la recherche de la lumière et de la vérité.

Après l’appel de celui que je considère comme mon parrain, après la rencontre profane de F\ M\  j’ai réfléchi une année à mon engagement éventuel avant de me décider à frapper à la porte du temple, il m’avait bien dit de ne rien lire au hasard au risque de me méprendre sur les fondements de la F\ M\, mais un jour tout de même, je sélectionnais sur une étagère de librairie un petit « ouvrage » de vulgarisation sur le sujet, bien illustré en couleurs et je me suis attardée sur les photographies d’anciens F :.M :.célèbres, de tabliers, d’anciens rituels. Arrivée chez moi, le soir, à la lueur de ma lampe, au détour d’une page, est apparu un manuscrit en forme d’enveloppe, carrée, ouverte, bavette relevée comme un tablier d’apprentie, c’était une patente de création de loge. J’en ai lu la légende historique, en l’an 5670, la loge de Carcassonne crée une autre loge et puis, je crus voir danser dans la ligne suivante le nom du village de ma grand-mère maternelle, impossible me dis-je – pourtant il était bien là, écrit à la plume d’oie si fine.

Je me suis endormie, perplexe, et à 3 heures du matin, armée d’une loupe, je déchiffrais l’ancien français du minuscule document manuscrit et j’ai lu ceci :
« Du Grand Architecte de l’Univers, la T. R .L. au titre de la Parfaite Vérité de Carcassonne, à toutes les loges répandues sur la surface de la Terre, nous, les Maîtres à l’Orient de la dite R.L. Autorisons à la demande des maçons de la ville de Saint Paul de Fenouillet la fondation de la loge : PRUDENCE ».

Suivait la date : « 27 avril 1760 avec le Sceau et les trois points », impossible de lire la suite, écrit à la plume fine et si minuscule…  Ce document est à Paris. Bib. Nationale.

1760 : en plein siècle des Lumières, VOLTAIRE s’installe à Ferney en s’engageant dans la réhabilitation de Calas et en écrivant le traité sur la Tolérance. Par son échange de correspondance à l’échelle européenne se diffusent les fondements de l’opinion publique, du libéralisme politique et économique, rappelant la nécessité de la vigilance et de la résistance pour conserver sa liberté d’idée.

Me revenait en mémoire, le Chapître du village, ce dôme en pierres d’ancienne bâtisse surplombant la place, proche de la rivière et de l’unique route d’accès, datait-il des cathares qui ont élevé les places fortes culminant du haut des plats pour verrouiller la vallée? Ou plutôt d’une une commanderie de chevaliers ? – serait-ce le temple de la loge Prudence ?

Qu’est-ce que la Prudence ?

Origine dans la mythologie grecque :

Dans l’Antiquité, dans la Grèce archaïque, c’est une divinité protectrice de Troie, rivale d’Athènes, elle est dénommée « noble vierge Pallas, déesse de prudence et de fortitude » appelée aussi PALLADION et dont la statue était placée au cœur de la cité.

Pallas Athéna. La déesse Athéna a placé le nom de Pallas avant le sien en souvenir de Pallas, son amie, sa compagne de jeux, morte par accident, et symbolisant la mort par imprudence. TROIE se méfiait à juste titre d’Athènes, mais était réputée inviolable tant que le Palladion la protégeait.

Homère ne dit-il pas dans l’ILLIADE que la déesse fut dérobée par ULYSSE et Diomède pour que Troie perde sa prudence de jugement, ce qu’elle fit d’ailleurs en prenant la décision de laisser entrer le fameux cheval de TROIE ?

La prudence grecque est une sagesse des limites selon Platon tout comme le fameux « connais-toi, toi-même » de Socrate. Le mot Prudence vient de Prudentia, en latin, sous Cicéron, et signifiait à tort prévoyance dans le savoir-faire et la compétence, mêlant le savoir à l’action, il faut revenir à Aristote, le précepteur d’Alexandre le Grand, pour en avoir une analyse précise et l’a défini comme une vertu.

Qu’est-ce qu’une vertu ? - la « phronèsis » en grec. « la science des choses à faire ou ne pas faire ».

La vertu, c’est l’excellence de quelque chose, c’est d’abord un état habituel de soi que d’être vertueux.

Cette action vertueuse intellectuelle en état de recherche de la vérité, c’est la prudence.

On ne peut pas être vertueux sans prudence.

Ce n’est pas une simple habileté, c’est choisir un juste milieu selon une règle, selon une idée relativiste à soi et aux autres. Cette règle n’est pas une loi, c’est un critère de justesse que notre pensée érige en règle pour soi et dans l’action que l’on mène pour autrui.

La Prudence porte sur les êtres soumis aux changements, elle permet de saisir le Vrai et de délibérer sur les moyens d’atteindre une fin éthique. La prudence ne tend pas à aboutir à une fin donnée, à un Bien Absolu mais, à un bien relatif à la situation et à déterminer les moyens utiles à mettre en œuvre.

La prudence est d’essence qualitative, elle se s’acquiert qu’avec le temps et se différencie du principe de précaution qui lui, évalue quantitativement un risque pour gérer et éviter des catastrophes écologiques ou sanitaires.


La prudence, ce n’est pas la timidité ou la peur ou la dissimulation.

La prudence, ce n’est pas la sagesse qui est la vertu de l’âme scientifique rationnelle,
La prudence, ce n’est pas un savoir, une science universelle comme la géométrie.
La prudence, ce n’est pas un art, puisqu’elle ne produit rien.

ARISTOTE a définit la prudence « comme une disposition pratique, accompagnée d’une règle vraie, concernant ce qui est bon et mauvais pour l’homme. »

La prudence, c’est un intellect pratique qui traite des actions humaines, pour prendre le parti qui est le bon et on ne peut utiliser que des concepts et des méthodes adaptés à la variabilité de la pensée humaine. Aristote a défini un univers hiérarchisé (il l’est toujours) soumis à la pensée humaine qui s’adapte aux contingences de la vie.

La prudence permet à notre esprit d’ajuster l’appréciation des situations singulières par sa capacité première de délibérer ; cet état d’esprit qu’Aristote nomme l’âme rationnelle non pas dans sa partie scientifique mais dans sa partie calculatrice « au sens propre du mot » c'est-à-dire « l’âme calculative » dans sa faculté habile d’examiner, de réfléchir, de prendre le recul nécessaire, de se servir de notre « âme opinative ».

La faculté de délibérer, c’est choisir et saisir les moyens et les mettre en pratique rapidement.

L’important est de souligner que la délibération est source d’action immédiate pour une fin réalisable donc concrète. La prudence est une vertu intellectuelle, morale et capable de choix. Elle indique à notre pensée la règle et la mesure, une sorte de sagesse pratique, une disposition à agir accompagnée de raison, face aux dangers, aux sollicitations, et elle s’impose à nos émotions fondamentales.

C’est l’ « auriga virtutum ». Comme l’aurige qui est le conducteur du char dans les courses, la prudence, mère des vertus, conduit précisément notre pensée coordonnée à notre action. Vertu de l’initiative, la prudence est le point de jonction de la pensée et de l’action effective, parfois même, elle frôle l’audace quand les circonstances le demandent, en véritable passage à l’acte dans le « bien agir ».

La prudence est une vertu de discernement et une pratique d’enseignement vertueux

Quand on aspire au Bien, on commence par s’éloigner de ce qui nous est le plus opposé.

Comme dans l’Odyssée, la nymphe Calypso conseillait à Ulysse qu’elle aimait :

«… loin de cette brume et de cette houle, … Ecarte ton vaisseau … » Eviter Charybde et Scylla, éviter le tourbillon et l’écueil, passer au large, prendre du recul ; ce comportement n’est pas inné, il est le fruit d’un exercice auquel on astreint notre esprit et notre caractère, être courageuse, ce n’est pas être téméraire, ni lâche. La tâche de devenir vertueuse et donc prudente, est tout un travail sur soi.

Ensuite, on réfléchit en fonction de tous les paramètres de la situation, le temps de la réflexion est aussi profond que le nombre de variables, il faut se garder de la solution plaisante facile, se garantir de l’influence des uns, se maîtriser et rapidement, prendre la décision, ce qui entraîne l’action, les mots, la parole et les gestes, avec modération et justesse dans le bon axe des priorités de faire, de dire en Bien.

La prudence allie le sang-froid dans le choix et la droiture dans l’intention.

En conclusion, la prudence a trois sources :
Ø      notre nature innée : les traits de caractère, l’aptitude intellectuelle,
Ø      l’habitude : qui se cultive au fil des années par l’expérience vécue, et par l’effort constant,
Ø      la raison vertueuse : cette pensée de prudence qui contrôle et contredit les deux premières en nous faisant agir autrement, en tendant vers la perfection de soi.

L’oubli de la prudence n’est pas une simple erreur intellectuelle, mais souvent une faute d’ordre moral ce que consacre notre droit positif en un devoir, si nos actes causent un dommage à autrui.

En F\M\ Ancienne, la Prudence, est mère de commandement et elle est nommée « prudence royale » parce qu’elle est la connexion de la sagesse pratique et des vertus de caractère.

Une de mes sœurs C :. me disait rechercher l’outil, le pratique dans la F\ M\ hé bien, cultivons la prudence, cette partie spéciale de l’âme qui fait en sorte que la cristallisation des bonnes habitudes s’implante en nous et devienne la norme pratique qui détermine des comportements corrects.

En F\ M\ la C\ Prudente articule les règles générales apprises et assimilées, souvent théoriques, avec des considérations d’opportunité, non pas dans le sens d’un intérêt spéculatif, mais dans celui d’une portée éthique. La prudence entraîne la C\ à  passer d’une théorie éthique à la conclusion d’une action à la fois pratique et éthique comme la prise de parole ou le combat d’idées.

La C\ se CONSTRUIT en une femme modérée, ferme et maîtresse d’elle-même, se refusant à agir dans l’ignorance ou à émettre une opinion ne reflétant que la passion. Elle évite les excès, la colère par exemple, mais non le plaisir. Dans l’action combattante constructrice de la C :., après la recherche de la préférence dans la délibération, la prudence contribue efficacement à l’apprentissage et la prudence procure le bonheur de l’accomplissement.

La Prudence est commencement pour l’A\, elle est repère et questionnement pour la C\, elle est le fil à suivre vers l’action prudente toujours supérieure à une pensée prudente. La C\ accepte l’idée de l’imperfection pour vouloir se perfectionner dans un effort constant et infini.

Au fil des recherches à l’extérieur, la C\ que je suis, a trouvé la représentation statuaire de la prudence, à NANTES sur le tombeau de François II : Duc de Bretagne et de son épouse Marguerite de Foix. Coïncidence, FOIX est près du village de la Loge Prudence moins de deux siècles les séparent, leur fille Anne de Bretagne moult prudente et farouchement indépendante, contemporaine de Christine de Pisan, épousera deux rois de France et demandera la rédaction d’une « Vie des Dames illustres » de son temps.

 - Tombeau réalisé de 1502 à 1507 par Michel COLOMBE en la Cathédrale Saint - Pierre de Nantes. LIGOU.

A quoi ressemble la statue représentant la Prudence ?

-  à NANTES, étape du voyage de la C :., Prudence est une statue biface ; d’un côté, c’est un vieillard, avec une longue barbe qui devient sur l’autre face la superbe chevelure d’une jeune femme, couronnée de laurier, tenant dans sa main gauche un miroir à lentille et dans sa main droite un compas ouvert, et dont les pieds retiennent un serpent.

LE SERPENT de la PRUDENCE à ses pieds, représente la Connaissance, le serpent vivificateur-inspirateur : à la fois médecin et devin, il contrôle les forces naturelles, équilibre la démesure des forces qui nous agressent et qui s’insurgent contre notre esprit. Le serpent, attribut de toutes les déesses mères Isis, Athena, Demeter, lové sur leur poitrine ou lové dans son bras gauche replié comme on porte un enfant, représente l’alliance de cette force d’esprit et des forces de la nature maîtrisée.

LE LAURIER DE LA PRUDENCE n’est pas celui du triomphe romain, il vient du rite apollonien quand la Pythie rendait son oracle énigmatique et prudent, elle remettait au consultant une branche de laurier. Le laurier, dont on mâchait la feuille, était censé donner le début d’une clairvoyance oculaire.

LE MIROIR de la PRUDENCE réfléchit notre image et nous permet de voir au plus profond de nous même, de sonder notre propre conscience et notre mémoire pour en tirer la meilleure prise de position. Et plus loin, il nous sert de rétroviseur pour voir derrière nous, ce qui nous est indispensable pour assurer notre survie, pour éviter la mort par imprudence comme Pallas et pour surveiller l’au-delà de notre loge, bien couverte.

En F\ M\ La Prudence est mère de sûreté, vertu maçonnique qui a son signe manuel - l’attouchement - et son signe vocal - « épeler » le mot de passe-, premières leçons de l’initiée.

En F\ M\ La Prudence aide à la vigilance doublée de la clairvoyance, elle permet à la C\  de regarder en elle et derrière elle. Ce reflet est l’image de notre réflexion et de notre propre critique, la prudence est une prise de conscience orientée vers la dignité et l’équité pour toujours mieux agir.

L’image dans le miroir reflète la manifestation de l’intelligence créatrice confrontée à la dualité de l’identité et de la différence. Certains qualifie la Prudence de « connaissance secrète » comme une intelligence occulte, d’autres y voit une addition d’intelligence et de jugement.

LE COMPAS OUVERT de la PRUDENCE, en F\ M\ est un outil actif, un outil de l’esprit, qui indique à la C :. son emprise sur la matière de la pierre cubique par la mesure de l’écartement de ces branches et si, au deuxième degré, la C :.Prudente le reçoit fermé devant son modèle, elle n’est plus tout à fait dans les ténèbres, elle saisit le dynamisme de la pensée et poursuit sa tâche avec mesure, sincérité et discernement.

En F\ M\, la Prudence dans le raisonnement permettra à la C\ de « vivre inspirée » face aux agressions de la vie. La prudence amène à la prise de décision en maintenant l’équilibre des forces qui nous entourent et qui nous oppressent. La prudence concerne l’action conforme au bien de l’Homme au niveau de la cité et de l’humanité – elle est indispensable en politique par exemple face aux médias qui nous inculquent des images déformées et qui nous font croire à des libertés qui pourtant s’amenuisent de jour en jour, encadrées par une déliquescence de textes légaux et de limites floues.

« Prudence » est un prélude à l’action, elle ne perd jamais de vue l’essentiel, l’essence du Vrai, la disposition à faire le Bien. C’est une « vertu sans panache qui a plus de solidité que d’éclat ».Rousseau.

Extrait du Recueil précieux de la maçonnerie adonhiramite de 1786, au Chapître des Compagnons :
-         que doit-il observer ?
-         le silence, la prudence et la charité.

J’ai dit.

P\.D\.


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