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Frédéric Auguste Bartholdi

Après avoir flâné longtemps dans les rues de Colmar, émerveillée par la ville enneigée et illuminée pour Noël, acheté des décorations et des cadeaux typiques, made in China, dégusté les spécialités locales, j'ai eu envie d'un peu de culture, de calme et je suis allée, accompagnée des miens visiter le musée Bartholdi, situe rue des Marchands, dans la maison familiale du sculpteur.

Il était inenvisageable de visiter Colmar sans se rendre dans ce musée, tant l'empreinte du sculpteur est présente dans la ville.

On peut en effet admirer bon nombre de ses oeuvres au détour de l'allée d'un parc, sur telle ou telle place, ou encore perchée sur le pignon d'une maison.

Pour autant, point de produits dérivés, de tee-shirts, tasses ou autres cendriers à l'effigie de Bartholdi. L'homme impose le respect et on ne galvaude pas l'image du heros colmarien...

Je ne connaissais Bartholdi qu'a travers ses deux oeuvres majeures : « le lion de Belfort » et « la liberté éclairant le monde », ou plutôt, je ne connaissais que ces deux oeuvres majeures et le nom du sculpteur qui les avait réalisées.

C'est donc la curiosité qui m'a donné envie de pousser la porte de ce musée pour découvrir ce qu'il avait bien pu faire d'autre.

Et si j'ai découvert une oeuvre riche, j'ai aussi découvert un sculpteur qui a su allier l'art et les techniques de son temps mais surtout un franc-maçon qui s'est servi de son talent pour faire connaître au monde ses convictions, son amour de la liberté et de la justice.

Je serai obligée de vous donner des repères chronologiques, des dates, car l'oeuvre et les choix de Bartholdi sont indissociables de l'espace et du temps qu'il a traversés.

Frédéric Auguste Bartholdi est né le 2 août 1834 dans une famille protestante de la bourgeoisie de Colmar. Son père, Jean-Charles est rentier et conseiller à la Prefecture, sa mère Charlotte est une femme érudite, musicienne issue d’une riche famille de négociants de Ribeauville. Il a un frère de quatre ans son aîné : Charles.

Le père meurt brutalement en 1836. La mère s’occupera sans faillir de ses deux enfants, même lorsqu’ils seront adultes ; elle suivra le destin tragique de l’aîné qui mènera une vie de débauche, sombrera dans la folie et finira sa vie interné. Impuissante face au drame de ce fils, elle va consacrer sa vie à son cadet en l’aidant de ses relations, en lui donnant les moyens de son ambition. Elle sera d’un soutien indéfectible et il lui témoignera toute sa vie un profond attachement.

Les Bartholdi quittent Colmar pour Paris en 1840. Les fils suivent leur scolarité au Lycée Louis le Grand. Auguste présente des dons pour l’architecture, le dessin, il se montre éveillé et précoce mais manque d’assiduité. Encouragé par sa mère, il suit des cours de peinture dans
l’atelier d’Ary Scheffer, un des maîtres de la peinture romantique française. Ari Scheffer décèlera rapidement ses talents et lui conseillera de se tourner vers la sculpture. Viollet-le-Duc, rencontré à la même époque aura sur lui une influence décisive en lui apprenant à définir dans l’espace le cadre de ses sculptures.

En 1852, Auguste alors âge de 18 ans quitte définitivement les études pour se consacrer à son art. Il ouvre un atelier tout d’abord à Levallois-Perret, puis à Paris.

Il participe à un concours destiné à la création d’un phare. Il ne remportera pas le concours, mais sera remarqué et la ville de Colmar va lui commander la statue du général Rapp, enfant du pays et héros d’Austerlitz. C’est le premier succès, le début de la célébrité.

Il décide ensuite de partir en Egypte, à l’invitation de Jean-Léon Gérôme, pape de l’orientalisme rencontré chez Ary Scheffer. Il se voit alors confier par le ministère de l’instruction publique la mission de « l’étude des antiquités de l’Egypte, de la Nubie et de la reproduction photographique des principaux monuments et types humains les plus remarquables de ces pays ».

Il part donc pour un voyage de six mois, voyage qui se révèlera initiatique et qui marquera un tournant dans sa vie, dans sa démarche de sculpteur.

Gérôme pense que les artistes sont trop casaniers, qu’ils ne voyagent pas assez et qu’ils ne voient pas assez la nature dans tous ses états. De ce discours Bartholdi retiendra qu’une oeuvre n’est pas isolée, qu'elle doit se penser dans son contexte, dans son environnement et que le sculpteur doit se doubler d’un architecte.

Il va remplir des dizaines de carnets de croquis et prendre des centaines de photographies, qui sont reconnues comme un témoignage ethnologique de l’Egypte et du Yémen du milieu du XIXème siècle. Il fait d’ailleurs figure de pionnier dans l’histoire de la photographie.

Mais surtout, il est confronté à la monumentalité des ruines et à leur mise en scène. Il est fasciné par la grandeur, la force, la pérennité des statues qui portent à travers le temps les messages de toute une civilisation. Il admire, je cite « ces êtres de granit dans leur majesté imperturbable, dont le regard bienveillant et impassible semble mépriser le présent et être fixé sur l’avenir sans limites ».

C’est là que va s’orienter définitivement sa carrière de sculpteur vers une carrière de statuaire de la République, porteuse de ses idées et de ses idéaux.

C’est là aussi que va naître son idée, l’oeuvre de sa vie, je cite encore : « un monument où l’occident donnerait la main à l’orient, une sorte de phare… Située à Suez, au point où le canal entrera dans la mer rouge, elle sera le symbole de la rencontre entre la tradition et le futur ».

Il ira faire part de son projet à Ferdinand de Lesseps, mais celui-ci, craignant que cette statue ne fasse de l’ombre à son canal, refuse la proposition.

Il rentre en France et les commandes commencent à affluer. Nous sommes en pleine révolution industrielle. Les villes se développent et avec elles l’essor de la commande publique avec les préoccupations d’embellissement et d’aménagement urbain. Bartholdi va appuyer ses créations artistiques sur des innovations techniques. Il va notamment créer plusieurs fontaines, participant ainsi à la modernisation des villes.

Colmar lui demande un monument à la gloire de l’amiral Bruat, héros de Crimée. Ce sera une fontaine, la première à jet continu dont la ville sera dotée. Et cette fontaine aura un côté monumental avec une mise en scène porteuse de messages. L’amiral est debout à son poste de commandement, le regard tourne vers l’horizon. A ses pieds, quatre figures symbolisent l’Europe, l’Afrique, l’Asie et l’Amérique. L’Europe est une femme posée sur un globe terrestre. Elle a sur son front l’étoile de la culture éclairant le monde. L’Afrique est un homme noir, esclave qui se libère de ses chaînes et relève la tête en homme libre. L’Asie est une femme belle et nonchalante ; L’Amerique est un jeune homme fier à l’aspect quelque peu sauvage qui repousse de ses pieds les idoles du passé. On voit dans cette sculpture l’attachement de Bartholdi à la liberté, à la culture, à l’ouverture sur le Monde. Albert Schweitzer, colmarien lui aussi, dira que sa vocation devait naître le jour où, enfant, il découvrit la statue allégorique de l’Afrique.

Pour cette statue, Bartholdi recevra la Légion d’Honneur des mains de Napoléon III.

Ne cherchez pas cette statue si vous passez par Colmar, elle a été détruite en 1940 par l’occupant.

Bordeaux lance un concours pour la construction d’une fontaine pour la place des quinconces. Bartholdi, seul à avoir proposé une oeuvre monumentale qui ne serait pas écrasée par l’espace de la plus grande place d’Europe, remporte le prix. Mais la ville ne tiendra jamais ses engagements et ne fera jamais construire cette fontaine malgré les relances de l’artiste. La fontaine sera finalement installée à Lyon trente ans plus tard.

Marseille va lui commander un palais contenant à la fois un château d’eau et un musée d’histoire naturelle. Il va présenter un projet grandiose qui sera retenu Mais à la suite d’un changement de municipalité, un autre architecte est choisi, qui va carrément plagier Bartholdi. Il va au tribunal mais la paternité artistique de l’oeuvre ne lui sera reconnue qu’à la veille de sa mort par le Conseil d’Etat.

Ce n’est pas par intérêt financier ou par souci de prestige que Bartholdi passera le reste de sa vie à se battre pour défendre ses intérêts. Seul son amour de la Justice et de la Vérité l’anime dans ce combat. L’homme est persévérant, tenace, et ne renonce jamais. Et pour beaucoup de
ses oeuvres, surtout la statue de la liberté, il devra se battre pour faire admettre ses idées et ses projets.

Durant cette période, il habite Paris, où il s’est fait un nom, des relations. Il fréquente des hommes d’affaires et des intellectuels qui sont des libéraux, républicains opposants de l’Empire. Ce sont des admirateurs de l’Amérique qui représente à leurs yeux la Liberté, la pays où elle peut le mieux s’exprimer, car ce pays est jeune et qu’il n’est pas écrasé par le poids de l’histoire... La constitution américaine n’est-elle pas inspirée de la déclaration des droits de l’homme ? L’Amérique où tout est a construire et où le potentiel est énorme n’est elle pas la mieux adaptée à la révolution industrielle ?

Bartholdi adhère à ces idées. Un homme surtout va l’influencer : Edouard de Laboulaye, homme politique et professeur de législation comparée au Collège de France. Il pense que la France n’est pas assez présente aux côtés des Etats-Unis dont il est un fervent admirateur et qu’elle devrait se manifester de façon grandiose pour fêter le centenaire de l’indépendance américaine. L’idée de cette statue qui était dans un coin de la tête de Bartholdi depuis longtemps va enfin prendre forme.

Mais il faudra attendre car la guerre entre la France et la Prusse éclate. Nous sommes en 1870. Il s’engage comme capitaine de la Garde Nationale de la Seine, puis retourne à Colmar pour former et commander la Garde Nationale locale. Après que l’empereur se soit rendu à l’ennemi et que la République ait été proclamée (le 4 septembre 1870) Bartholdi ordonne la retraite et Colmar est occupée. Acte de lâcheté ? Non ! Il a considéré que résister était insensé car les hommes n’étaient pas formés au combat. Il a refusé de les sacrifier pour rien.

D’ailleurs personne ne met en doute son patriotisme, son courage et son sens des responsabilités.

Trois gardes nationaux seront tués au combat et il va réaliser leur monument funéraire que l’on peut voir au cimetière de Colmar. C’est un monument très particulier car il ne représente pas les soldats au combat ; Non, il représente un bras sortant d’un tombeau et dont la main crispée tente de saisir l’épée qui gît à son côté. Par ce monument, on ne peut plus minimaliste, mais pathétique, Bartholdi ne se contente pas de représenter simplement des hommes ou un événement. Il va utiliser sa sensibilité et son sens de la métaphore pour faire passer un message : l’homme est vaincu, écrasé par la mort mais il refuse son destin. Le combat pour la liberté ne s’arrête jamais.

La toute jeune troisième République, emmenée par Gambetta, va tenter de réorganiser l’armée pour repousser les prussiens. L’armée des Vosges est créée avec à sa tête Giuseppe Garibaldi, venu se mettre au service de la liberté et de la République. Bartholdi est chargé de sa protection et fera du « renseignement ». Entre les deux hommes naît une véritable amitié. Ils parlent politique, philosophie, religion. Ils se découvrent des convictions communes.

Garibaldi est franc-maçon et c’est sans doute de cette relation que naît le futur engagement philosophique du sculpteur. Engagement qui donnera une dimension supplémentaire à son oeuvre.

La guerre tourne mal et c’est la capitulation en janvier 1871.

L’Alsace et la Lorraine deviennent allemandes. La perte de l’Alsace est insupportable à Bartholdi. Il dira que cette guerre, cette défaite et l’annexion de sa petite patrie ont eu pour lui une conséquence : l’amour de la Liberté.

Son oeuvre n’illustre cependant pas la revanche et il s’oppose à toute récupération nationaliste de sa statuaire. Car ses statues ne sont pas un cri de guerre, un appel à la revanche, mais un hymne à la résistance et à la liberté.

Il est dégoûté de la vie politique française et de ses turpitudes. Il décide donc de partir aux Etats-Unis qui représentent pour lui un havre de paix et de libert.

Dès son arrivée, il remarque l’île de Bedloe, dans la rade de New York. Et là, c’est l’illumination.

Il sait.

Il sait que c’est là que sa statue doit être érigée. Je cite « ici où les hommes voient le premier aspect du nouveau monde, ici où la liberté jette son rayonnement sur les deux mondes ». Par le choix de ce site, il ne se contentera pas de façonner une statue installée dans un endroit quelconque en fonction de la place disponible. Non Bartholdi se positionne aux frontières du sculpteur, de l’architecte et de l’urbaniste. La complémentarité de la statue et du site délivreront un message qui défiera l’espace et le temps.

Et c’est toujours ainsi que Bartholdi pensera ses créations.

Son voyage à travers tout le pays le conforte dans l’idée que c’est en Amérique que son projet doit voir le jour. Il est ébloui par la beauté et l’immensité des paysages, par les prouesses techniques réalisées pour dompter la nature (ponts, viaducs, tunnels, puits de pétrole). Il est
fasciné par l’activité fourmillante des villes, par leur développement rapide.

Il va profiter de son périple pour faire un travail diplomatique et tisser un réseau qui le soutiendra dans l’accomplissement de son oeuvre en rencontrant notamment le club d’amis de Laboulaye et le président Grant. Il va exposer et vendre des oeuvres et la ville de Boston va même lui passer commande de bas reliefs pour son église baptiste.

De retour en France, il remporte le concours de la ville de Belfort qui désire que soit érigé un monument à la mémoire des victimes du siège de la ville en 1870/71. Cette résistance menée par Denfert-Rochereau sera une victoire puisque Belfort ne sera pas rattachée à l’Allemagne et sera l’acte de naissance du territoire de Belfort.

« Il faut éviter que l’oeuvre ne soit applicable à n’importe quelle ville, il faut montrer le caractère original, bien spécial et digne du patriotisme de Belfort. Il faut que ce monument ne soit pas dans un lieu perdu mais qu’il soit au contraire bien en vue ; qu’il devienne chose nécessaire à l’oeil. Il doit vivre avec la vie publique, devenir un aspect de la ville et s’identifier à elle », explique Bartholdi.

Ce sera le fameux Lion. Ce n’est pas une sculpture en 3 dimensions autour de laquelle on peut tourner, c’est un très haut-relief fixé sur le rocher qui surplombe la ville et supporte la citadelle. Il mesure 22 m de long sur 11 de haut et est en grès rose des Vosges.

Mais pourquoi un lion, animal quelque peu décalé dans le paysage belfortain. Le lion est le symbole de la puissance, de la souveraineté, de la justice. Il sert de monture ou de trône à de nombreuses divinités, de même qu’il orne le trône de Salomon et des rois de France. Son rugissement représente la force de la Loi et son pouvoir dans l’espace et le temps.

Bartholdi n’a pas seulement voulu faire de son Lion un monument commémoratif, mais le symbole de la ville qui s’identifie à elle. Il veut qu’il soit grand et fort à l’image de la résistance de la ville lors du siège. Son Lion défend Belfort comme les sphinx défendaient les pyramides, on y voit là l’influence du voyage en Egypte sur l’artiste.

Les premières ébauches le représentaient agressif et rugissant, mais finalement, ne voulant pas qu’il symbolise la brutalité, Bartholdi sculptera son lion au repos, sa patte écrasant une flèche. Il n’incarne pas la revanche, mais la sérénité, la force tranquille.

Un replique sera installée place Denfert-Rochereau à Paris.

Son inclinaison artistique vers le symbolisme, sa rencontre avec de nombreux francs-maçons dont Gambetta et Garibaldi, son amour de la Liberté et de la justice font que Bartholdi va presque naturellement, j’allais dire évidemment, rejoindre la franc-maçonnerie.

C’est en 1872 que sont allumés les feux de la Loge Alsace-Lorraine, du Grand-Orient à l’Orient de Paris.

Cette Loge a été fondée par Gustave Dalsace (ça ne s’invente pas), négociant et président de la bienfaisance israélite, pour accueillir je cite : « des écrivains, des hommes politiques d’un patriotisme ardent, désireux d’entretenir le culte de la région perdue et l’esprit féroce de la
revanche » ce qui n’est pas à priori une idée très conforme à l’idéal maçonnique. Mais, bon, c’est une autre époque…

Cette Loge se voulait aussi l’héritière des huit loges d’Alsace entrées en sommeil après l’annexion.

Cet atelier comptera des membres illustres : Jules Ferry, Gambetta, Jean Macé, créateur de la Ligue de l’Enseignement, Adolphe Crémieux, Ministre de la défense dont le décret éponyme accordera d’office la citoyenneté aux juifs d’Algérie, Savorgnan de Brazza, gouverneur du Congo, Pierre Marmottan, Maire de Paris et le Capitaine Joffre, qui devenu Général, vaincra l’Allemagne.

En 1921, son signe distinctif ne se justifiant plus, l’atelier adopte celui de Persévérance, qu’il porte toujours aujourd’hui.

Bartholdi est initié le 14 octobre 1875 en même temps que l’écrivain Chatrian. Il est fait compagnon et maître le même jour, le 9 décembre 1880.

Il aura pour sa Loge un profond attachement qui ne faillira jamais. Il est discret et assidu.

La franc-maçonnerie sera désormais le socle philosophie du travail de Bartholdi et la statue de la Liberté éclairant le Monde sera l’accomplissement, la représentation de l’idéal maçonnique.

De nombreux membres de la Loge Alsace-Lorraine font partie du comité franco-américain crée par Laboulaye. L’atelier contactera la franc-maçonnerie américaine pour mettre tout son poids dans le projet.

Bartholdi va associer tous les frères de son atelier à ses travaux et confiera régulièrement à sa Loge les tracés et aboutissements de ses plans. Il planchera deux fois sur le sujet en 1884 et en 1887. La caractère maçonnique de l’oeuvre ne fait aucun doute.

Bartholdi s’installe au 25 rue de Chazelles, près du parc Monceau dans les ateliers des fondeurs Gaget et Gauthier. On y assemble la statue morceau par morceau. L’atelier ressemble aux chantiers des cathédrales, il y a des charpentiers, des plâtriers des sculpteurs. Il invite souvent ses Freres pour leur montrer l’avancement des travaux et organisera meme un banquet pour eux à mi-corps de la statue.

La réalisation de la statue prendra 15 ans au cours desquels Bartholdi va être confronté à deux difficultés : des difficultés financières et des difficultés techniques.

Le projet coûte cher, il faut non seulement financer la construction de la statue proprement dite, mais aussi la construction du piédestal sur l’île de Bedloe. Edouard de Laboulaye, l’inspirateur du projet va alors mettre toute son énergie pour le voir aboutir. Il va créer l’Union franco-américaine qui soutiendra le projet de la statue de la Liberté en étant en quelque sorte son « agence de publicité » afin de réunir les fonds nécessaires. Beaucoup de personnalités vont s’impliquer :

Ferdinand de Lesseps va présider la branche française du comité, Gounod va composer un oratorio intitulé « la liberté éclairant le monde » et qui sera joué à l’Opéra Garnier lors d’une soirée de souscription, des banquets sont organisés réunissant le Président de la République Mac Mahon, Offenbach ou encore Alexandre Dumas. Le comité met en oeuvre un véritable plan de communication : présentation du projet aux parlementaires, à la presse qui relie les appels de dons à grand renfort de publicité. Les villes de Paris, Rouen, le Havre envoient des participations, la grande loge des francs-maçons de Paris une contribution importante.

On organise des visites payantes de l’atelier de la rue de Chazelles ; une foule d’anonymes s’y presse, mais aussi des personnalités comme Grant, qui n’est plus Président, ou encore Victor Hugo qui écrira plus tard à Bartholdi : « La forme au statuaire est tout et ce n’est rien. Ce
n’est rien sans l’esprit, c’est tout avec l’idée ».

Le projet suscite un enthousiasme délirant de la part de la population. Tout d’abord parce qu’après l’échec de 70, on veut prouver que le génie français n’est pas mort et que la France porte des valeurs qui défieront le temps : la Liberté, l’Egalité, la Fraternité. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une prouesse technique qui subjugue toutes les couches de la population.

Aux Etats-Unis également, une campagne de publicité est menée avec notamment la présentation à l’exposition universelle de Philadelphie le bras de la statue soutenant le flambeau dans ses proportions définitives. Mais surtout, un homme va se révéler comme le plus ardent défenseur du projet outre-atlantique : le journaliste Joseph Pulitzer. Il va dans son journal faire une véritable campagne de presse et de publicité pour défendre la cause de la statue. Beaucoup d’américains, même modestes envoient des dons.

Petite anecdote : le fondeur Gaget realisera des modeles réduits de la statue qui seront vendus au profit du projet, la prononciation américaine en fera des gadgets, donnant naissance au mot et au concept.

La franc-maçonnerie americaine, va elle aussi s’activer grandement autour du projet.

Elle est très influente et largement présente dans la vie politique du pays. Les présidents des Etats-Unis sont des Frères pour la plupart. Elle va donc contribuer largement à réunir des fonds pour la construction du piédestal dans lequel elle fera couler une plaque en bronze ornée de l’équerre et du compas.

Bartholdi se trouve également confronté à des difficultés techniques. Comment faire tenir une statue de 50 m de haut qui devra affronter les vents et les intempéries ?

Il va utiliser la technique du cuivre repoussé pour alléger l’ensemble. Il s’agit de construire une copie en plâtre de la statue, morceau par morceau et de marteler des feuilles de cuivre sur chacun d’eux, jusqu’à ce qu’elles épousent parfaitement la forme. Puis les plaques seront rivées entre elles. Ce procédé a été choisi en raison de l’impossibilité technique de couler en bronze d’un seul coup une aussi grande statue.

Pour autant, la statue est creuse, et pour assurer sa solidité, il va falloir trouver une technique particulière. Viollet-le-Duc, appelé par Bartholdi, préconise de la remplir de sacs de sable. A la mort de Viollet-le-Duc, Bartholdi fait appel à un ingénieur déjà célèbre : Gustave Eiffel. Ce dernier va réaliser une armature en fer sur laquelle seront fixées les plaques de cuivre. Comme un squelette, comme un fil à plomb.

Alors, qu’a t’elle de particulier cette statue ? Comment va t’elle véhiculer le message pour lequel elle est construite ?

D’abord, c’est une femme. L’iconologie, depuis la Révolution, associe la République à une femme. Le visage de la statue est sévère, voire viril. Il ne suscite pas l’amour, mais inspire le respect, evoque la force et la sagesse mêlées. Aucun charme, aucune séduction ; ce n’est pas l’objet ; d’ailleurs, l’ampleur de son costume efface toute trace de féminité.

Et puis, elle est debout, ce sont les rois ou les dictateurs qui sont assis. D’ailleurs, il est logique qu’elle soit debout, puisqu’elle eclaire le monde. Mais elle n’est pas figee, elle avance un pied, elle est en marche pour accomplir son travail. Ce n’est pas un lieu de memoire, c’est un lieu d’avenir.

Elle est drapée à l’antique, et la neutralité de son costume évoque l’intemporalité de sa mission. Comme le Lion, elle se situe en dehors de l’espace et du temps, elle est universelle. Chaque individu, chaque peuple, chaque epoque peut de l’approprier, peut s’y retrouver. Son diadème comporte sept rayons, il pourrait évoquer les continents, mais surtout, comme on peut le voir dans beaucoup de tableaux, la République est souvent auréolée de Lumière. Et puis sept, pour un franc-maçon, ce n’est pas un hasard…

Son bras droit, porteur de la torche est tendu à la verticale. Outre sa fonction de diffuseur de Lumière, il est le lien entre la terre et le ciel. Et la torche, qui éclaire le monde de sa Lumière symbolise, mais c’est pour nous une évidence, la connaissance, le savoir...

Dans son bras gauche, elle porte une tablette sur laquelle est gravée la date de l’indépendance des Etats-Unis, le 4 juillet 1776. Puisqu’il s’agit d’un cadeau de la France à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance, le rappel de la date est justifié. Pour autant, le fait que l’inscription ne soit pas visible signifie que la Liberté est une valeur universelle et intemporelle. La tablette quant à elle est une évocation du droit, de la Loi qui doivent contenir dans leur esprit la notion de Liberté. Le droit et la loi sont plus légitimes que la force. La Liberté n’est pas libertaire !

Enfin, le positionnement de la statue n’est pas anodin, comme le choix de son emplacement d’ailleurs. Elle est tournée vers l’Europe, vers la France, pour symboliser l’amitié franco-américaine. S’il n’est pas prouvé que Bartholdi l’ait voulue positionnée ainsi pour signifier que les Etats-Unis sont le pays de la Liberté, ses contemporains l’ont interprété ainsi. Le Frère Lawrence, lors du discours inaugural insistera sur le fait que la statue est un symbole de bienvenue pour tous ceux qui cherchent la liberté.

Enfin, son socle pyramidal comporte trois niveaux, correspondant aux trois degrés maçonniques et porte l’inscription suivante :

« Venez à moi, vous qui êtes fatigués et pauvres, vous les multitudes aspirant à être libres, les miséreux rejetés par les rivages. Venez à moi, les sans-foyers, les battus par la tempête. J’élève ma lampe près de la porte d’or ».

Il me semble que ce message ne s’adresse pas seulement aux migrants, mais aussi à ceux qui aspirent à l’élévation, à la connaissance, à la Verité.

Le monument sera inauguré en grande pompe le 28 octobre 1886. Bartholdi écrit « le rêve de mon existence est accompli en ceci ».

Pour autant, il ne cessera jamais de travailler. Il a mené de front la réalisation du Lion et de la Liberté, ainsi que d’autres statues. Et il continuera jusqu’à sa mort en 1904 à être le sculpteur des grandes gloires nationales : Champollion, Rouget de l’Isle, Diderot, Vercingétorix, Gambetta.

Il réalisera aussi d’autres oeuvres allégoriques comme le monument à la Suisse secourant Strasbourg que l’on peut voir à Bâle, ou encore les Grands Soutiens Du Monde qui se trouve dans la cour de son musée.

Bartholdi, toute sa vie a mis en images le livre d’histoire de la Nation. Il a illustré son époque. Ses créations monumentales qui ne flattent aucun égoïsme, sont conçues comme des moyens de communiquer aux foules des idées généreuses.

Esprit indépendant, il ne s’est rallié à aucun groupe ou académie. Les peintres de son époque font scandale (Courbet, Monet, les impressionnistes) ; Bartholdi, lui, innove sans choquer. Il est novateur dans les dimensions de ses sculptures, dans son souci de les placer selon un ordre précis. La statue prend place dans son environnement comme nous prenons place dans notre atelier.

Malgré la dimension tant physique qu’intellectuelle de son oeuvre, Bartholdi est resté modeste. Il n’avait rien d’un artiste cabotin ou capricieux. Tout ce qu’il a entrepris pour la réussite de ses projets, il l’a fait non pas pour lui, mais pour défendre ses idées, les imposer car il sait qu’elles sont justes.

Il a dit un jour : « je ne crains pas mes compétiteurs, ils ne travaillent pas dans le même esprit que moi ».

Il crée et il s’efface devant sa création.

Son effacement devant ses oeuvres l’inscrit dans la lignee des batisseurs de cathédrales. L’oeuvre efface l’artiste.

Il a laissé au monde un message, il a apporté une pierre à la construction du temple, il a donné une clé pour qui sait s’en servir.

Il était un maillon.

V\ M\, j’ai dit.


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