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Un petit mur

Bientôt l’an 6007, et à cette ère de rationalisme, ne peut-on consacrer des soirées entières à la spéculation intellectuelle… ou à la méditation pour quelque sujet « symbolique », alors que, autour de nous, des problèmes concrets, immédiats, s’accumulent, alors que, chaque jour, de multiples conséquences scientifiques, artistiques, littéraires, philosophiques, religieuses, historiques, nous sont proposées dans les salles, les journaux, à la radio, sous les auspices des plus doctes autorités.

Cet enseignement didactique ne suffit-il pas à notre soif de connaissance ? L’archaïsme du nôtre ne détonne-t-il pas au milieu de cette effervescence culturelle, comme le ferait une vielle maison au milieu d’un carré de gratte-ciel ?

Pour me faire une opinion valable sur ces divers sujets, j’ai décidé de me rendre « opératifs. mes parents avaient  justement à construire un petit muret de clôture et ils avaient ,à cet effet, convoqué Bruno, un solide maçon, en pleine force de l’âge, un « vieux du métier ».

Bruno, dis-je, prenez-moi comme apprenti, certes je ne suis pas très doué et sans doute feriez-vous du meilleur travail tout seul qu’avec mon aide ? Qu’importe ! Je tiens à mettre la main au mortier et étudier le beau métier de maçon. Voulez-vous m’en donner les premiers rudiments ?

J’avais réuni sur place deux sacs de ciment, le cubage indiqué pour un gros ouvrage spécialisé ainsi que les briques dont j’avais évalué le nombre. A ma portée, un robinet d’eau, je pouvais donc opérer sans effort. Un sourire narquois de Bruno m’empêche de lui préciser « Patron, dit mon maçon, faites d’abord un tour à l’atelier,  ramenez-moi tous mes outils, l’équerre, le niveau, la règle et un autre sac de ciment » ; « mais, dis-je, d’après mon livre, il y en a assez ! »
Bruno hocha la tête «  vos livres », il y a des règles, plus impératives que celles de vos professeurs. Avant de commencer à construire, cherchez vos outils et vos matériaux. Quand vous serez revenu ici, nous réfléchirons ensemble au cas particulier de votre petit mur… qui ne sera jamais exactement pareil à celui qui a été construit par votre voisin. Et surtout, ajoute Bruno, apportez aussi votre désir et votre joie anticipée de faire du bon travail.

Petit tour à l’atelier, la  brouette me semblait déjà bien lourdement chargée. Bruno avait conservé son sourire : « patron, dit-il, maintenant ça va commencer, prenez votre bêche …faites le trou « .
Comment ! mais c’est un mur que je veux et non un caniveau !

Patron, répondit mon maçon, avant toute construction, il faut préparer le terrain, ce premier travail est généralement confié aux apprentis, il reste invisible et discret. Il faut, en fouillant le terrain vierge, chercher la base solide sur laquelle on pourra monter la fondation, les couches superficielles, apportées par les pluies ou le vent, doivent être éliminées pour que soient retrouvés les éléments sains restés en profondément enfouis.

Armés de mes outils, j’effectuai alors la première saignée ;
Maintenant, dis-je, je vais y poser les briques ! Que nenni me répondit Bruno, faisons le mortier… et pas tout à fait comme le stipule votre manuel ! moins d’eau, le temps est humide, moins de ciment, votre mur est léger…Je vous prépare les quantités, faites le mélange. Je brassai quelques temps les ingrédients. Non ! dit mon maçon en m’arrêtant là, c’est du travail de profane ! Si le choix des matériaux est bon, si chacun d’eux est simplement sain et propre, cela suffit. A côté des produits de grande finesse, laissez aussi des cailloux s’ils sont de bonnes pierres. La diversité n’est pas nuisible, au contraire. Mais ce qui importe le plus, c’est que le mélange soit soigneusement réalisé. Mélangez une première fois, laissez reposer quelques instants, recommencez jusqu’’à  ce que l’unité et l’homogénéité soient telles que la cohésion de l’ensemble en ait lié toutes les qualités… Attention, patron ! enlevez vite cette feuille morte !… je souris… «  dans un mètre cube c’est pas du travail ! je vous ai bien dit que vous pouviez prendre des matériaux relativement grossiers, quitte à bien les mêler les uns aux autres, mais…c’est une feuille morte…se serrait la pourriture de tout l’édifice.

 «  comme dans les sociétés humaines, dis-je à Bruno, si on veut faire du bon travail, il faut que chacun apporte ses qualités, son esprit, son c?ur, sa bonne volonté, mais il faut rejeter la présence du moindre élément douteux »

J’interrompis mon discours, Bruno m’avait fait faire un très beau mélange…mais les proportions de sable étaient différentes de 7% de celles que je venais de déterminer en lisant mon manuel… «  la vraie proportion, dit Bruno, est dans la conscience. Vos livres interprètent de façon trop technique des questions simples. Dans leur précision, ils oublient un détail ou un élément qui en fausse la rigueur. La connaissance est une chose, l’intuition en est une autre. Tenez, un jour, un chimiste allemand me fit part de sa dernière découverte, il avait préparé une synthèse de cognac ! je lui ai demandé s’il s’agissait de celui d’Archiac ou de Jarnac-champagne ? Il n’a pas compris le sens de ma question…Il y a des choses qui sont sans rapport avec toutes les sciences du monde. Mon père qui était également maçon m’a enseigné de tours de main qu’il est impossible de transmettre par écrit. Des secrets peut-être ! parce qu’il n’y a pas de moyens de les transmettre autrement que par la communication de l’esprit de l’un à l’esprit de l’autre. C’est en montrant ce qu’il faisait de son équerre et de soin niveau que mon père m’a « communiqué » le secret corporatif qu’aucun livre ne peut enseigner »

Tout en parlant, Bruno, qui avait préparé le mortier de bon aloi, l’avait répandu dans la saignée du terrain. Il nivela soigneusement jusqu’au ras du sol, prit sa règle et la plaça successivement dans divers sens, et se tournant vers moi «  j’ai fait votre travail, patron, dit-il, comme apprenti vous auriez eu à remonter en couches fermes jusqu’au niveau du sol, comme compagnon, à effectuer les mesures »

« Bien, je vais me rattraper, je vais poser les briques sur votre fondation »
« Patron, dit mon maçon, c’est pas du travail ! , c’est bien ainsi que font ceux qui ne sont pas du métier, et avec toute leur science, ils construisent de travers. Montez d’abord la « pierre angulaire » de votre mur. Voilà le moment de placer votre « technique », votre « rationalisme ». la pierre angulaire représente tout ce que la science a pu vous enseigner avec rigueur, c’est un travail consciencieux de maçon que celui de la,taille de cette pierre brute. Base de toute construction, même pour les autres artisans que les maçons. La pose de la pierre angulaire, c’est le travail d’un maçon bien expérimenté Voilà c’est fait ! Vous pouvez maintenant poser votre rangée de briques, en vous alignant sur elle à l aide d’un fi ; à plomb que voici. Mais attention, il y a toujours des irrégularités de l’une à l’autre. Laissez leur un libre jeu pour ménager leur individualité »

Grâce aux conseils avisés de mon maçon, la pose des briques devenait très facile et je m’apprêtais à placer une nouvelle brique sur chacune des premières. « Patron, dit mon maçon, c’est pas du travail ! , On doit monter une brique sur deux en triangulant. Ainsi deux briques sont elles solidarisées avec la troisième. Toutes les constructions doivent être basées sur ce principe. Votre esprit compliqué trouvera bien à cette technique des explications complexes auxquelles je ne comprendrai rien… »

Je ne pouvais en effet m’empêcher de penser que c’est à notre solidarité « triangulaire » que nous pouvons emprunter notre force lorsque nous avons à secourir nos semblables.

« Eh bien ! dis-je à Bruno, voilà les cinq rangées de briques en place notre mur est terminé »

« Patron, dit mon maçon, c’est pas du travail ! ,Croyez-vous que votre construction soit durable quand vous n’avez fait qu’assembler des pierres élémentaires ? Votre ?uvre est inachevée. Il faut maintenant enduire vos briques, réunies, elles ne sont qu’associées. Il faut un ciment de liaison pour combler toutes les lacunes. , pour répartir les efforts, pour soulager les contraintes. Pour cela il faut un mortier plus fin, fait de matériaux sélectionnés, ce qui imprègnera toute la substance de votre construction pour en faire une pierre unique »

« c’est un peu, dis-je, comme l’amitié entre les hommes, elle les lie, les fortifie, les solidarise contre leurs ennemis »
« oui dit Bruno, c’est comme le langage des gens de ma corporation qui nous fait nous comprendre, même d’un pays à l’autre »

Mon petit mur avait pris alors une qualité que je ne lui avais pas demandé, il était beau.
« Bien sur, dit Bruno, un travail finit est toujours beau, d’ailleurs s’il ne l’était pas, c’est que précisément il ne serait pas achevé. La force est liée à la beauté.

« Maintenant, ajoute Bruno, je vais boire un coup » Vous avez bien le droit de prendre du repos !
Bruno sourit, « patron, dit-il, ce n’est pas cela, maintenant que le travail est en bonne voie, il faut l’abandonner à lui-même ? Il mûrira comme une plante ; Sa structure est prête à se matérialiser mais il lui manque une chose avant qu’il soit parfait. Si je vais boire, c’est peut-être parce que vous m’avez fait beaucoup parler, mais c’est pour laisser ma pierre « réfléchir » avant d’être livrée à mon client. Ce n’est que dans quelques jours que je vienne à bout de votre petit mur « 
« que reste t-il donc à ajouter pour qu’il soit achevé, »
« Ma signature, dit Bruno, c’est à dire la couleur ou la nuance que je lui donnerai pour qu’il ne ressemble pas à un autre, c’est simple note, gaie ou sombre, qui après reflexion, lui donnera ma personnalité. »
Je restas pensif… »Bruno, c’est votre père seul qui vous a appris tout cela ? »
« Certes, non, fit-il ! Mon père m’a donné les premiers rudiments de ma formation. Puis, de son atelier, j’ai été envoyé en stage dans divers autres. Partout j’ai reçu mon accueil, j’ai trouvé chaque fois un esprit différent…Et c’était pourtant toujours le même. Partout on se comprenait, on utilisait les mêmes instruments. Certains ateliers m’ont donné la révélation de méthodes que j’ignorais. Nous avons fait des échanges de leçons d’apprentissage. C’est ainsi que j’ai pu me familiariser avec toutes les grandes lignes de la technique de la maçonnerie. J’ai compris leur utilité et aussi l’infinie variété de leurs applications »

« Pensez-vous  Bruno que vos clients puissent comprendre tout cela ? »
« Non ! répondit il. Ils savent peut-être des choses que je ne connaîtrai jamais, mais voyez vous et ses yeux brillaient quant il me disait cela, ils ne pourront comprendre, eux, ce que c’est d’être un maçon ! »

Quittant Bruno, je me suis souvenu d’un travail que je devais présenter sur les « enseignements que nous pouvions tirer de la fréquentation de nos ateliers… spéculatifs »

Qu’ils étaient donc ces « maçons opératifs » dont nous nous réclamons ? Vraisemblablement, si l’on en croit Pierre de colombier, bien autres que la plupart d’entre nous ne les imaginent. Ceux qui portaient ce titre au XIII ème siècle étaient sans doute des bâtisseurs de cathédrales, mais, sur ces chantiers dont le nombre de travailleurs était considérable, ils étaient en nombre très réduit. Dans une bonne époque d’activité constructive, on ne relève que de 15 à 20 maçons. Qu’étaient ils ? Suivons encore pierre de Colombier  «  un maçon médiéval est comme un chevalier médiéval, il représente plusieurs personnes. Il a ses serviteurs, ses aides…autour de lui gravitent des hommes appartenant à d’autres corps de métiers comme les charpentiers, les couvreurs, les forgerons, les plombiers mais surtout manoeuvres et charretiers. Cela  confirmé dans un texte de l’époque «  les maîtres des maçons ayant en main la baguette et les gants, ne travaille point, et, cependant ils reçoivent une grande récompense. «  (ce que font beaucoup de prélats modernes…

Ceci montre en quelle estime étaient tenus les détenteurs de secrets corporatifs au plus sublime des métiers. Celui de constructeurs de temples/
De génération en génération, leurs secrets étaient jalousement transmis et gardés. Dans ces époques de grande foi, ces maçons opératifs étaient aussi des grands spiritualistes et de ce fait les héritiers de spiritualistes de tous les temps. Ils se devaient tout naturellement être porteurs à travers les siècles du messages ésotériques des grands initiés.

Si nous voulons être dignes héritiers de ces hommes des temps passé, nous devons d’abord recueillir leur message ? Ce que nous recevons en loge, c’est bribe par bribe, leur enseignement… Toutes les philosophies, nous parviennent par eux, en provenance de tous les horizons. Nos symboles, nos rites sont des reconstitutions de ceux, qui, depuis la pensée, a pu se manifester. Ils ont évoqué quelque chose de valable, sur le plan humain, aux grands esprits d’un pays ou d’une époque. Ils constituent la synthèse de tout ce que les hommes ont pu penser, et sont aussi en nombre et en interprétations que peuvent l’être les manifestations de la personnalité humaine            ;

Quand nous entendons dans nos ateliers une conférence sur quelque sujet, c’est toujours sur le plan des aspirations humaines qu’elle doit être comprise chez nous.

L’enseignement que nous recevons, s’adresse, non pas comme tous les « cours du soir » dont j’ai parlé plus haut, à notre apprentissage technique, mais à notre sens psychologique, c’est à dire , à notre raison, à notre cœur, à notre volonté. Là  est ce que nous recevons.

Mais voici ce que nous avons à donner :

Ø      A tous ceux qui sont sans horizon, nous avons à bâtir un univers…
Ø      D’abord à nous mêmes, dans tout ce qui nous reste de profane, celui qui a pour nom « personnalité » . combien d’entre nous n’ont-ils pas senti, après une première participation à la vie maçonnique, que leur « moi » évoluait, et que l’initiation leur avait révélé « une nouvelle naissance » de leur conscience et une nouvelle attitude qu’ils prenaient vis à vis d’eux même et de tous les hommes.
Ø      A nos frères, nous devons la communication de cet « égrégore » qui caractérise, non pas une loge, en particulier mais bien toute une obédience, et même toue la franc maçonnerie universelle.
Ø      Aux profanes surtout, nous devons une assistance morale large et désintéressée. Mieux qu’eux, nous avons appris à comprendre leur désarroi, et sans avoir à intervenir « physiquement » sur leur comportement, il nous échoit d’être révélateur occasionnel de leur conscience et de les éclairer en toute objectivité sur la portée de leur aveuglement.

Ø      Si le but de tous les humains est de rechercher leur bonheur, combien d’entre eux ont ils simplement pensé à analyser les éléments conditionnels et subjectifs de cet éventuel bonheur ?

Ø      Si le F.Maçon cherche la lumière, c’est d’abord pour être éclairé sur ce premier objectif, pour lui-même, et aussi pour le faire rayonner sur tous les hommes, ses frères .

Ø      Toutes ces manifestations intellectuelles que j’ai englobées sous la désignation de « cours du soir » ne peuvent satisfaire que notre esprit est sous un angle particulier et bien réduit.

Ø      Que devient dans ce cas notre participation affective ?

Ø      L’enseignement maçonnique, héritier du traditionnel ésotérisme de toutes les civilisations, sera comparé alors à ces conférences…. Comme la vielle et artistique petite église qui s’abrite derrière elle, à une cathédrale de béton …

Ø      Au curieux qui prendrait notre ordre pour une académie, la F:.M :. Dira :
Ø      Retourne d’où tu viens

Ø      A celui qui voudrait y chercher les honneurs, elle dira :
Ø      Retourne d’où tu viens

Ø      A celui qui croirait y trouvait un intérêt  matériel, elle ne pourra que dire:
Ø      Retourne d’où tu viens

Ø      A celui qui y chercherait une église, un parti, une opinion absolue, elle devra dire:
Ø      Retourne d’où tu viens

Ø      A celui qui voudra des rites laïques, un catéchisme ou une doctrine elle ne pourra que dire:
Ø      Retourne d’où tu viens
   
Ø      A contrario, celui qui voudra sincèrement revenir en lui-même, qui sera prêt à repenser ses idées, à les confronter loyalement et objectivement à celles des autres hommes, à celui qui voudra de toute sa conscience, considérer n’importe quel homme comme son frère, lui accorder son amitié, l’entendre sans affection ni colère, lui donner son avis sans partialité, accepter ses opinions, ses croyances et les respecter dans ses avis, considérer que la forme dans la vie, image de notre symbolisme, n’est pas plus négligeable que le fond, que l’intuition à sa place aux côtés de la déduction rationnelle, sans pour autant représenter un critère infaillible, à celui qui considéra que l ‘ésotérisme traditionnelle est une force universelle dont il peut tirer des enseignements… et qui est décidé à y trouvé la substance des leçons qu un jour’à son tour, il pourra avoir la mission à donner, la F :.M :.  Dira :
Ø      Tourne toi vers nous, viens !

Alors mes frères, n’oubliez jamais que  lorsque vous rentrez dans un atelier, c’est pour y chercher vos outils mais c’est à partir du moment où vous  en sortez que vous devez vous en servir si vous  voulez devenir un véritable Franc Maçon.

J’ai dit

B
\ B\

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