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Entre Règle et Transgression


Ici tout est symbole,
Enfin…, jusqu’ici tout était symbole. Maintenant, tout devient paradoxe.
Vivre le rituel du 3eme degré maçonnique permet dans le même moment, de se plonger dans la reconstitution d’un crime à peine découvert, et d’assister à une résurrection.
Un véritable électrochoc pour beaucoup d’entre nous, et d’abord pour moi, …en tout cas, une expérience beaucoup plus puissante que la torpeur des premières cérémonies.
Et c’est cette opposition de styles et de rythmes probablement porteurs d’enseignements initiatiques que je souhaite revoir aujourd’hui en chambre du milieu.
Jusqu’à présent, nous avions appris, et peut être assimilé, les vertus indispensables à notre progression au sein de notre fraternité, à savoir la patience, l’écoute,  le goût de l’effort.
Les deux premiers degrés s’appuient sur une symbolique opérative utilisant les outils des travailleurs de pierre du temps des bâtisseurs de cathédrale.
Et à ces occasions, privilégiaient les Voyages, comme exercices pratiques d’une spiritualité en quête d’autonomie.
Au 3eme degré symbolique, à ce stade de notre évolution, on n’évoque plus qu’une séparation brutale, une rupture, l’éradication du Maître, toujours dans la pénombre, 
et peut être même la culpabilité et le doute en face de cette INDIVIDUATION, c'est-à-dire à la prise en compte de l’indépendance de chaque individu.
 Au 3eme degré symbolique, il n’y a plus de symboles, mais un mythe. Les références matérielles cèdent la place à des références spirituelles.
N’y a-t-il pas une contradiction importante de ces différents enseignements rituelliques ??
Alors, l’initiation = Transition ou transgression ??
Aussi je vais essayer de comprendre la  logique des étapes et l’imbrication de ce mythe dans le parcours maçonnique dans un premier temps,
Pour retirer dans un second temps, les enseignements initiatique de ce psychodrame.

1-  Pour arriver au mythe d’Hiram, donc au grade de maître, j’ai parcouru notre chemin initiatique et essayer d’en extraire la cohérence.
 
Après avoir cassé des cailloux en dégrossissant la pierre brute lorsque nous étions apprenti,
et avoir traversé l’âge de la pierre polie avec le compagnonnage, nous sommes enfin devenus maîtres.
Qu’importe ce qui nous a motivé, et comment nous avons eu l’opportunité de devenir franc-maçon, ce qui compte ici est que nous ayons franchi avec succès les épreuves.
 
* D’abord les épreuves de sélection,
   -         les requêtes,
   -         les enquêtes,
   -         le passage sous le bandeau
Et un jour l’initiation, où nous nous sommes retrouvés symboliquement au centre de la terre.

   ·       Le néophyte que nous étions, allait renaître à un autre monde, …le même jusqu’ici mal interprété.
   ·       Puis, nous avons subi l’épreuve de la terre, qui nous a rappelé notre condition de mortel, de généré de la terre retournant à la terre.  
   ·       Et juste après, les portes se sont refermées sur nous, confirmant que si nous n’étions pas vraiment initiés, nous étions déjà acceptés.
Après l’épreuve de la terre, le futur initié reçoit successivement :
   -  l’énergie vitale donnée par le second surveillant avec l’air,
   -  la force par le premier surveillant avec l’eau,
   -  et enfin l’énergie spirituelle transmise par le Vénérable avec le feu
Après notre REnaissance à l’ordre maçonnique, et une enfance plutôt heureuse et silencieuse, nous sommes entrés avec le deuxième degré dans une adolescence, c'est-à-dire une autre période de transition.
Puis, 5 voyages qui nous ont aidé, et qui nous aident encore à grandir.
Et en fin de parcours, nous avons été élevés à la maîtrise.
Ce raccourci de notre précédent cheminement maçonnique montre tout le paradoxe de la cérémonie d’exaltation, qui met en scène un meurtre, c’est à dire les derniers instants violents du maître Hiram.
Pourquoi faire accepter par chacun qu’une initiation soit le résultat d’une progression lente, et finalement saisir l’ancien compagnon que nous avons abandonné, d’un acte aussi brutal que subversif.
Quelle interprétation donner à cette cérémonie de passage au 3 eme degré symbolique qui renverse l’ordre instauré en loge ???

Plusieurs explications me viennent à l’esprit :

  1. Tout d’abord, la qualité et le comportement du maître Hiram  peut avoir par la force des choses poussé à l’acte ses propres compagnons d’armes.
Dans le livre des rois, la bible présente Hiram comme un habile bronzier, fils d’une veuve de la tribu de Nephtali.

Vénérables Maîtres, Hiram était déjà un enfant de la veuve, comme chaque maçon de cette assemblée, fatalement un enfant de la veuve !!!! Mais de laquelle ???
La bible continue ainsi : « Hiram était rempli de sagesse, d’intelligence. Il arriva auprès du roi Salomon, et il exécuta tous ses ouvrages (Roi 7.14) . »

   -    Selon les écrits, ce maître manifeste de grandes qualités d’organisation. Mais a-t-il apporté le soin et l’écoute que ses ouvriers étaient en droit d’attendre de lui ?
 
   -    N’a t-il pas exigé d’eux beaucoup d’eux sans retour d’échanges, d’estimes ou de salaire ?

Ces questions doivent être posées puisque trois compagnons, de corps de métiers différents en étaient réduits à frapper à mort leur Maître,  le maître d’une œuvre de 7 ans….
La franc maçonnerie qui nous encourage à progresser et à partager, n’est elle pas en contradiction avec elle-même en prenant comme modèle un individu peut-être orgueilleux et jaloux de son autorité ???
Cet acte malheureux confirme ce que nous avons appris de nos précédents voyages ….
Ce qui s’enferme, meurt, ce qui est vivant est poreux.
Il faut pour avancer veiller à entretenir la porosité des limites, permettre ainsi le brassage et l’échange.

En définitive, Hiram n’avait peut-être plus la qualité de maître en incarnant les vertus de la maîtrise,… c'est-à-dire de tolérance, de bienfaisance, et la fraternité.
, et le mythe nous explique qu’il devait donc céder sa place.
Mais alors, céder sa place de maître par la violence,  est-ce là le nouvel idéal de progression que nous propose la maçonnerie ?
Evidemment, cette explication, même si elle apporte un éclairage à un geste aussi grave, s’avère peu concluante.
  1. A mon sens, la mise en scène de ce meurtre peut être appréciée plutôt comme le point d’orgue  de nos précédentes périodes de maturation et de voyages.

Pour cela, il faut croire à la logique de la démarche maçonnique.
Pour renaître à la vie d’un initié, l’impétrant doit « enterrer sa vie de garçon » - et accepter l’idée de la mort.
  • Déjà, l’obscurité d’une cave ou d’un tombeau,
  • le crâne d’un précédent locataire,
  • un testament philosophique sans témoin,
  •  la perte du sens, la perte des sens, la perte de conscience du temps et de l’espace.
Tout contribue dans la cérémonie d’initiation à cette « petite mort » volontaire, qui ressemble d’ailleurs plus à un suicide qu’à un meurtre.
On ne peut pas considérer le rituel d’exaltation à la maîtrise comme étant fondamentalement en opposition de ce point de vue avec les précédents enseignements maçonniques.
« Pour que soit possible une véritable rupture, l’homme ordinaire doit mourir symboliquement.

2- Mourir oui, et encore, … mais tuer, pourquoi vouloir tuer le maître respecté depuis 7 ans ?

En un mot, permettez- moi de reconstituer les circonstances de ce crime telles qu’elles nous sont relatées lors de ces obscures lamentations.


Hiram dirigeait la construction du temple de Salomon. Il avait divisé ses ouvriers en trois classes : les apprentis, les compagnons et les maîtres.
3 compagnons guettèrent le maître pour le surprendre au moment ou il viendrait à midi inspecter les travaux en l’absence des ouvriers :

   -         Le premier compagnon voulut frapper le maître à la tête avec sa règle. Le coup fut détourné et ne porta que sur l’épaule.
   -         Le second compagnon armé d’un levier frappa alors le maître à la nuque. Hiram durement touché réussit tout de même à fuir en titubant vers l’orient.
   -         Le troisième compagnon arrêta le maître en le frappa violemment d’un coup de maillet au front, et l’étendit mort à ses pieds.

Les trois compagnons cachèrent d’abord le cadavre, puis allèrent l’enterrer à la nuit près d’un bois.

Voila les faits : rien qu’un fait, rien qu’un fait divers,….. Pensez donc, un meurtre au pays de Salomon !!!

Mais c’est aussi un fait d’hiver, car nous avons compris que nous nous trouvons à la fin d’un cycle, un cycle de construction du temple de Salomon qui devient enfin réalité.
La fin prochaine d’une construction qui a fédéré tant d’énergie dans l’édification du grand d’œuvre.

Avoir bâti un atelier de plusieurs milliers d’ouvriers, accorder divers corps de métier aux contraintes et aux exigences multiples relève de l’exploit quotidien.

Ceux qui sont appelés à titre personnel professionnel ou associatif ou pire familial, à rassembler et à animer les tempéraments et les humeurs d’hommes et de femmes en nombre, connaissent très exactement les joies et les déceptions du Maître Hiram.
La franc maçonnerie ne met pas cet aspect des choses en exergue, mais il faut reconnaître qu’il est exceptionnel qu’une communauté humaine  soit capable d’une telle dynamique, d’un tel égrégore.
On suppose néanmoins que l’organisation et la mise en ordre stricte ont pour une large part permis d’accorder les volontés et les énergies.
Le récit aurait probablement explicité l’importance de la règle admise par tous, garant de l’ordre et de l’harmonie.
Tant on sait que l’humaine condition admet difficilement la concorde universelle sur une aussi longue période.

Dans notre cérémonie, pas de détail sur les succès et les difficultés, pas de détail sur les frustrations et les rancœurs de cette communauté de bâtisseurs en mouvement. Dommage…
La cérémonie d’exaltation que nous sommes amenés à vivre et à revivre  nous emporte immédiatement dans la recherche des meurtriers qui ont évidemment marqué une vive et franche opposition à une règle qu’ils estiment désormais sans objet.

La représentation du meurtre, ou de tentatives de meurtre a été le point central de précédents mythes fondateurs de notre civilisation.

J’en veux pour preuve, le premier meurtre répertorié de l’humanité : le meurtre d’Abel par Caïn.

Deux mots de l’ancien testament (c’est aussi dans la bible)
Caïn et Abel sont deux frères, enfants d’Adam et Eve.
Caïn l’aîné est cultivateur donc sédentaire, et Abel est éleveur de bétail.
Le comportement de Dieu à l’égard de Caïn est ambigu : il favorise Abel, mais d’un autre coté, il prodigue des conseils paternels à Caïn.
L’injustice de Dieu n’est qu’apparente.
Elle constitue une épreuve destinée spécialement à Caïn pour éprouver son amour filial avec Dieu. L’attribution des épreuves est un signe d’élection.

Caïn réagit mal. Il jalouse Abel et le tue pour en finir.
Selon les textes bibliques, le premier meurtre de l’histoire de l’humanité a pour mobile la jalousie religieuse – la jalousie par rapport à l’amour du père.
Caïn, terrassé par le remords, quitte Eden et marche vers le soleil levant, en se condamnant à mourir de faim.
Il finir par s’installer avec sa famille dans le pays de Nod, à l’est d’Eden.

En définitive,  le premier criminel de notre civilisation est le premier voyageur, mais aussi le premier bâtisseur.
Notre ancêtre, en quelque sorte, mes Vénérables Maîtres !!!!

«  Adam connut de nouveau sa femme et lui fit un autre fils qu’il nomma Seth.
Deux lignées désormais s’opposent:
   -    celle qui crée et bâtit,
   -    et celle qui survit et qui dure.
La première conduit à Tubalcain, et la seconde à Noé. La franc maçonnerie a choisit évidemment l’axe dessiné par Tubalcain.

De ce texte mythique, on retiendra que pour marcher et connaître de nouveaux espaces, il faut les traverser, c’est-à-dire passer au travers.
Progresser, c’est donc nécessairement  transgresser la loi, se mettre en mouvement.

Ce voyage de Caïn nous montre à la fois une fuite et une quête,  à la fois une introspection et une prospection.
Rien de neuf pour ceux qui utilisent le fil à plomb et la perpendiculaire.

Mais plus novateur est le mode opératoire proposé dans la cérémonie du 3eme degré maçonnique, ou l’on ne peut continuer son initiation qu’en supprimant définitivement et symboliquement les obstacles à sa progression au moment opportun. Transgresser, c’est dont remettre en question l’ordre et donc la règle commune au moment ou cela s’impose. Le bon moment, …

N’y voyons donc pas ici une apologie du meurtre, mais plutôt une métaphore du choix permanent de l’initié, qui peut à tout moment et en tout lieu :
   -         ou adopter le comportement transgressif de Caïn, et se remettre en déséquilibre, en marche,
   -         ou bien se fondre dans l’attitude obéissante de Seth, suivre la règle dans tout ce que la règle a de structurant, de rassurant et de confortable. 

2-2 La psychanalyse confirme par ailleurs cette explication du meurtre du  Maître Hiram.

Selon la psychanalyse, en un temps primitif, des hommes vivaient dans de petites hordes soumises au pouvoir dictatorial d’un chef qui s’appropriait les femelles.
Les fils de la tribu en rébellion contre le père mettront fin à la horde sauvage dans un acte de violence collective en le tuant et en mangeant son cadavre.

Ce crime va amener un fort sentiment de culpabilité, et la création d’un ordre nouveau basé sur des forts interdits, des tabous qui remplaceront le père mort, le totem.
Dans cette même veine d’explication, le complexe d’Oedipe mis à jour par Freud au cours du 20eme siècle réaffirme l’expression de deux désirs refoulés dont celui du meurtre du père.

Selon ces théories, la maturation de l’esprit humain aboutit inévitablement à une rivalité reposant sur une ambivalence de sentiments, entre l’amour et  la haine du maître (ou du père), entre l’espoir et la terreur que peut engendre sa défaillance.
Voici donc les tics de cette petite mécanique psychanalytique.

Près de deux siècles plus tôt que les tenants de la horde sauvage, la maçonnerie va assassiner le père du chantier, celui qui détient le savoir, celui qui détient le pouvoir.
Etre maître nous explique le rituel, c’est faire  partie des frères qui partagent le meurtre du père, même si le rite prévoit la résurrection ultérieure d’Hiram, en mêlant ainsi l’instinct de mort à l’instinct de vie.

On peut quand même  s’étonner dans la mesure ou l’on admet la nécessité du meurtre symbolique rituel, de ce que tout homme est l’assassin potentiel d’un ancien assassin à qui l’on ne reproche pas son crime, bien au contraire. En effet, celui que l’on admire  n’a-t-il pas lui-même tué pour devenir maître ? Et celui qui va commettre le crime n’est-il pas suicidaire puisque implicitement il est candidat à être lui-même une future victime d’un crime identique ?

Dans la progression initiatique,  il faut donc renoncer à une partie de ce qui fait autorité sur nous même, avant de se remettre en état de déséquilibre.

Sur un plan philosophique, tuer le maître, c’est un gage de liberté qui montre une disposition profonde de l’homme à faire et défaire selon son libre arbitre.
Le symbolisme qui apparaît est que chacun est capable du meilleur et du pire…. Avec les mêmes outils…

Au total, Transgresser la règle du Maître, c’est marquer sa maturité, c’est ensuite désirer  et concevoir un futur pour soi, et c’est enfin passer à l’acte.

Vénérables Maîtres, Mes Frères, une conclusion s’impose d’évidence : Nous sommes tous des assassins. Et il faut exécuter notre victime avec préméditation. 

Conclusion

En définitive, Tuer Hiram, c’est prendre la condition d’exalter au sens littéral et au sens symbolique

L’assassinat d’Hiram rejoint le meurtre du père, ou d’une figure emblématique de l’autorité qui borde, borne et limite.
On retrouve cela sous forme de légende ou de mythe dans pratiquement toutes les civilisations
Selon le précepte suivant :

La règle fondamentale est structurante ; plus elle est puissante, plus la libération apparaît comme un un idéal pour l’homme
La recherche de sa liberté n’est pas linéaire : elle est faite de régressions temporaires, et de transgression qui ramène l’intelligence à des formes antérieures afin de retrouver le carrefour des possibles.

Cet Hiram que l’on tue dans un meurtre nécessaire et constituant, est finalement plus grand mort que vivant.

J’ai dit.

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