Obédience : NC Loge : NC 07/12/1983


L’Œil et la Raison


La première fois que je me suis rendue en Turquie j’ai eu la surprise de trouver à l’aéroport une ribambelle de jeunes garçons proposant des « oeils de verre » aux touristes.
C’était des amulettes « porte-bonheur » ?

J’ai donc cherché l’origine de cette superstition mais notre guide nous en a donné une tellement primitive « porte-bonheur » « protège du mauvais œil » ? ... que je me suis tournée vers une définition plus élaborée et judaïque que je vous livre.

« La Bible dit (lv 24,20) : « vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent pour celui qui cause une lésion à un homme ou la lui causera » ( de même en Ex 21,23-25 ;Dt 19,21)
C’est la Loi du Talion (lex talionis).

Depuis, elle a donné lieu à maintes interprétations bien qu’il ne soit dit nulle part qu’elle est été appliquée à la lettre.
C’est  pourquoi la Loi orale, elle, dit que ce verset ne peut être pris au pied de la lettre car on ne peut savoir - sans expertise attestée et officielle - si les conséquences seront les mêmes pour tous.

Toutefois et encore à ce jour, tous les pays européens appliquent la même jurisprudence, à savoir : «  toute personne accidentée » doit être indemnisée selon le préjudice causé.

Il y a peu d’années encore, la condamnation à mort sanctionnait tout meurtre, seule résurgence de la Loi du Talion en France.

Vous remarquerez que je veux là, « ôter » les dents coupantes, voraces, au sein d’une expression galvaudée, censée qualifier des rapports humains au-delà de la conduite de la justice. C’est aussi que j’ai voulu, au-delà de l’œil, du regard, des points de vue, des visions et surtout des mots, des échanges justes, appropriés au sens de la justesse, entre des personnes justes, au sens qu’elles sont éprises de justice et d’intégrité morale.

Franc-Maçonne, je tente de maîtriser mes sens et mes émotions, au rang desquels ma vue est essentielle et je suis passée du Septentrion au Midi et plus encore pour mieux trouver la Lumière.

Et depuis, je poursuis le chemin des hommes, l’œil ouvert, pour voir, comprendre, admirer, deviner et donc me protéger.

Quant à mon chemin initiatique je le parcours avec des yeux pouvant encore être éblouis. 
Car dans le Temple,  je suis toujours interrogée par cet œil étrange, unique, bien ouvert, immobile, imperturbable, qui me contemple, qui NOUS contemple du haut de l’Orient.
Ce symbole du GADLU, « le Delta Lumineux », symbole du feu ou du principe, par son œil centré, est symbole de l’amour de l’autre, harmonie fusionnelle avec le Créateur du monde. Cet œil, symbole mystique de nombreuses religions occidentales et orientales nous conduit à l’œil du cœur.

Mon entrée en F-M a pour origine, ma volonté de lutter contre les idées reçues, celles des autres et les miennes ; aller au-delà des préjugés, déceler les réinterprétations, les déformations par les hommes, des messages laissés à l’Humanité par les Grands Initiés et les textes fondateurs. Revenir à leurs sources initiales, leur contexte historique.

Vouloir reconnaître dans mes propres racines ce qui m’enrichit, rejeter ou mieux comprendre ce qui me parait moins juste, partager ma découverte avec les autres, leur transmettre mes acquis en un échange fécond.

Et puis, qu’il s’agisse de la justice divine, immanente, de celui qui voit tout, qui sonde les cœurs et les reins, ou de la justice laïque des hommes, qui applique le droit positif en vigueur, l’idées de justice découle naturellement des concepts de liberté, d’égalité et de fraternité qui constitue notre acclamation maçonnique.

J’ai toujours été frappée par l’opposition fréquente entre le D\ des juifs qui serait un D\cruel et celui des chrétiens, qui serait un D\ d’amour, affirmation le plus souvent fondée sur la prétendue cruauté de la Loi du Talion, résumée par la formule si connue « œil pour œil, dent pour dent ».

Ne pourrait-on, une fois pour toutes, décider, quoi que l’on pense de la Religion avec un grand "R" et des religions avec des petits "r", avec leurs dérives intégristes, leurs dévots hystériques, que le message du D\ Des juifs, comme de Jésus, de Mahomet ou de Bouddha sont à priori des messages d’amour, que le Grand Architecte de l’Univers rassemble et synthétise, puis domine, en en conservant et en y ajoutant le meilleur ?

Ce que les hommes ont fait de ces messages réinterprétés par les religions, voire par les Eglises successives, est sans doute une autre histoire.
Pensons à ce que nous, femmes et SS\ nous devons en faire.

Je fais crédit au message en y revenant scrupuleusement, dans un souci de recherche de la vérité et de la Lumière, m’aidant par l’approfondissement de mes connaissances, seul moyen me semble-t-il, d’affermir mon jugement.

Premier constat : en hébreu, justice se dit Tredek, mot qui a pour racine Tsedeka qui signifie « don d’amour ». ce mot qualifie l’action, le don, la parole qui sont accordés en toute générosité à l’autre, à celui qui en a besoin. La justice est donc d’emblée conçue comme une manifestation de l’amour de l’autre.

Tu ne haïras pas ton Frère en ton cœur, tu devras reprendre ton prochain pour ne pas te charger d’un péché à cause de lui. Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas rancune aux fils de ton peuple mais tu aimeras ton prochain comme toi-même, peut-on lire dans le Lévitique (XIX,17).

« Reprendre ton prochain » : aimer son prochain ne signifie donc pas tout accepter. Cela doit aller jusqu’à lui dire qu’il se trompe, l’empêcher de faire le mal parce qu’il n’a peut-être pas compris qu’il allait commettre ou qu’il avait commis une erreur, un faux pas.

S’abstenir alors, c’est être lâche, faillir vis-à-vis de son propre devoir et ne pas aimer l’autre vraiment, en lui ôtant une chance de s’abstenir, ou de se repentir.

Dans le texte cité plus haut, l’amour apparaît comme une exigence, une rigueur, pas comme une tolérance, au sens de la passivité. Or, dans le judaïsme, comme sans doute en maçonnerie, tout engagement de la personne se répercute sur toute la collectivité ? Ainsi en est-il donc, également, de l’indifférence.

Talion vient du mot latin « talio ». La loi du talion, lit-on dans un dictionnaire, signifie que le coupable doit subir le même traitement que la victime, ce qui, on le verra, n’est pas une définition tout à fait exacte.
Autrement dit, ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.

Ce principe de réversibilité et de réciprocité dans la conduite humaine, qui trouve son pendant en philosophie chez Kant avec un impératif catégorique, ne se fonde pas seulement sur les religions monothéistes ; « Avoir assez d’empire sur soi-même pour juger des autres par comparaison avec nous et agir envers eux comme nous voudrions que l’on agît envers nous-mêmes, c’est ce que nous pouvons appeler la doctrine de l’humanité ».

« Il n’y a rien au-delà » a dit Confucius qui vécut au Vème et VIème siècles avant J-C.

On trouve la Loi du Talion exposée dans un passage de l’Exode, portant sur la sanction des coups et blessures (21-22 à 26) :
« si des hommes, en se battant, bousculant une femme enceinte et quecelle-ci avorte mais sans autre accident, le coupable paiera l’ »indemnité imposée par le maître de la femme,./…/ selon la décision des arbitres. Mais, s’il y a accident, tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie
pour plaie ».

Il s’agit certes, de ne pas laisser un délit impuni mais surtout de limiter les excès de la vengeance, en prônant la réparation, qui seule permettra ensuite que soit accordé le pardon de l’offensé, puis celui de D. à l’offenseur. De plus, la phrase suivante montre que la réparation peut-être généreuse :

« Si un homme frappe l’œil de son esclave ou l’œil de sa servante et l’éborgne, il lui rendra la liberté en compensation de son œil. Et s’il fait tomber une dent de son esclave ou une dent de sa servante, il lui rendra la liberté en compensation de sa dent. »

Le principe est en fait de « rendre le bien pour le bien et le mal pour le mal ».

« Malheur à toi qui ravages et qui n’a pas été ravagé, qui pilles et qu’on n’a pas été pillé ! Quand tu auras fini de ravager, tu seras ravagé, quand tu auras achevé de piller, on te pillera » lit-on dans Esaïe (XXXIII,1).

Rendre le bien pour le bien est d’ailleurs considéré comme aussi important que de rendre le mal pour le mal :
« Yahvé mon D
\. Si j’ai fait cela, laissé la fraude sur mes mains, si j’ai rendu le mal à mon bienfaiteur, épargné un injuste oppresseur, que l’ennemi poursuive mon âme et l’atteigne ! (Psaumes 7)

Tout au long des Proverbes vous ferez des lectures à l’identique.

Le double principe de la proportionnalité de la peine au délit d’une part et de la nécessaire réponse au bienfait par un bienfait et au méfait d’autre part, est ainsi clairement affirmé dans un monde païen, sans véritable morale interindividuelle, où sévissait encore l’esclavage et ou l’ampleur de la sanction dépassait souvent de beaucoup celle du crime, transformant le juste principe de la réparation du mal en vengeance.

Tel est le sens historique de la formule « œil pour œil ». Mais il faut aussi, symboliquement, pour être juste – au double sens de la justice et de la justesse – se défier des apparences, voir au-delà, saisir ce qui est caché, invisible, se voir et voir l’autre simultanément «  Pourquoi regardes-tu la pailles qui est dans l’œil de ton frère, alors que tu ne remarques pas la poutre qui est dans ton œil ? » interroge ainsi l’Evangile selon Saint-Mathieu (II,3)

Nous voyons que « œil pour oeil » est une loi fondamentale d’interaction avec autrui, fondée sur l’amour authentique, exigeant, ferme, à coups de dents qui nous éveille à nos consciences respectives et peut transformer le monde. Je te regarde et je me vois, tu me regardes et tu te vois : tu es le miroir de moi-même et je vois ma vérité et tu vois la tienne, au-delà des apparences.

C’est pourquoi mes SS, sous l’œil vigilant du Delta Lumineux et du G\A\D\L\U\, nous devons nous aimer, que dis-je, nous regarder les unes les autres. Et surtout, ouvrir l’œil et le bon et ne pas s’en servir pour assassiner, même virtuellement.

J’ai dit. 

M\ A\ 

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